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Date : 20000308

Dossier : IMM-6489-98

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

ALENA CONKOVA, IRMA CONKOVA,

ONDREJ CONKA et KRISTINA LORENCOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         Un article de journal intitulé [TRADUCTION] « Une femme tchèque devient tzigane » ne semble pas, à première vue, constituer un fondement probable d'une revendication du statut de réfugié des membres d'une famille qui se disent persécutés en République tchèque parce qu'ils sont des Tziganes. Pourtant, c'est sur cet article, et sur un autre article similaire, que Alena Conkova, (Mme Conkova), sa mère et ses enfants se fondent pour étayer leur revendication du statut de réfugié. Madame Conkova, dont la mère, qui n'est pas tzigane, a épousé un Tzigane, ne ressemble pas à une Tzigane stéréotypée (contrairement à son fils, selon l'article) et ne parle pas la langue des Tziganes. La formation de la Section du statut de réfugié (SSR) saisie de l'affaire n'a pas cru qu'ils étaient des Tziganes et a rejeté leur revendication. Madame Conkova a demandé à la Cour d'annuler cette décision au motif que la SSR n'a pas accordé de poids aux articles de journaux et à d'autres éléments de preuve documentaire qu'elle a produits pour étayer sa revendication.

[2]         Madame Conkova a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en son propre nom et au nom de ses deux enfants, Ondrej Conka et Kristina Lorencova. Sa mère, Irma Conkova, soutient que sa revendication est fondée vu qu'elle a épousé un Tzigane, le père de Alena. Elles ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'elles ont été persécutées en République tchèque vu leur appartenance à un groupe ethnique particulier, les Tziganes. Madame Conkova a témoigné qu'elle avait été persécutée depuis son enfance parce qu'elle est tzigane. À l'âge de 14 ans, son école lui a fait subir un examen gynécologique pour établir si elle était toujours vierge, un affront que n'ont pas subi les autres écolières. Étant donné qu'elle ne ressemble pas à une Tzigane stéréotypée, elle a pu travailler comme serveuse et éviter de subir les mauvais traitements qui étaient infligés à son peuple, mais elle a quand même été constamment dénigrée. Son fils a été battu à plusieurs reprises et il a subi d'autres sévices inhumains vu le groupe ethnique auquel il appartient. La mère de Mme Conkova, qui est tchèque de naissance, est devenue si intégrée à la communauté tzigane en raison de son mariage au père de Mme Conkova qu'elle en est venue, elle aussi, à être maltraitée en raison de son appartenance présumée à ce groupe ethnique.


[3]         Leur situation a empiré après que Mme Conkova a dû prendre part au débat national concernant le traitement qui était réservé aux Tziganes en République tchèque. En réponse à des informations selon lesquelles les Tziganes ne faisaient pas l'objet de discrimination, Mme Conkova a communiqué avec un journal et a eu une entrevue qui a fait l'objet d'une série de six articles sur ses expériences en tant que Tzigane et ses opinions sur le traitement qui était réservé aux Tziganes en République tchèque. Par suite de la publication de ces articles, des actes de vandalisme ont été commis à l'égard de sa boîte aux lettres, qui a été couverte de graffiti, un inconnu s'est présenté chez elle, il a dit des choses menaçantes sur les Tziganes, et il a donné des coups de couteau aux deux bras de sa mère, qui lui avait ouvert la porte. Craignant que la situation s'empirerait, Mme Conkova est venue au Canada pour y revendiquer le statut de réfugiée, décision qui était fondée en partie sur une émission télévisée qu'elle avait vue au sujet des revendicateurs du statut de réfugié tziganes au Canada.


[4]         La SSR a écrit une décision détaillée dans laquelle elle a conclu qu'elle n'était pas convaincue que Mme Conkova était une Tzigane. La SSR a tiré cette conclusion en renvoyant aux articles de journaux que Mme Conkova avait produits en preuve. Elle a souligné le ton ambigu des articles, comme l'est le titre susmentionné, de même que d'autres passages similaires[1], et a dit qu'elle soupçonnait que l'article pourrait démontrer comment des Tchèques ordinaires tentaient de se faire prendre pour des Tziganes en vue de revendiquer le statut de réfugié au Canada. Après avoir apprécié la preuve, y compris les contradictions et incohérences du témoignage de Mme Conkova, la SSR a conclu que Mme Conkova n'avait pas établi qu'elle était tzigane et a rejeté sa demande ainsi que celles de ses enfants et sa mère.

[5]         La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193. La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait clairement de son mandat et son champ d'expertise. Le point de vue que la SSR a adopté à l'égard de la preuve était raisonnable, tout comme l'aurait été le point de vue opposé. La preuve, comme c'est si souvent le cas, est ambiguë et équivoque. Certains éléments de preuve étayent le point de vue des demandeurs, alors que d'autres le minent. Il incombe à la SSR de tenir compte de tous les éléments de preuve (ce qui ne l'oblige toutefois pas à mentionner expressément chaque élément de preuve qu'elle examine), de les soupeser, et de parvenir à une conclusion. Toute conclusion qu'elle tire qui n'est pas erronée à première vue n'est pas manifestement déraisonnable. Canada ( Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, (1996) 144 D.L.R. (4th) 1. En l'espèce, la conclusion que la SSR a tirée n'est pas erronée à première vue, même si d'autres personnes seraient peut-être parvenues à une autre conclusion. Aucun motif n'appelle l'intervention de notre Cour.


[6]         Aucune question à certifier n'a été proposée.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de l'ordonnance, datée du 3 novembre 1998, dans laquelle la Section du statut de réfugié a statué que les demandeurs ne sont pas des réfugiés, est rejetée.

     « J.D. Denis Pelletier »     

        juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                              IMM-6489-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Alena Conkova et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               le 29 septembre 1999

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                                 8 mars 2000

ONT COMPARU :

M. Howard C. Gilbert                                                               pour les demandeurs

Mme Neeta Logsetty                                                                             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert and Yallen

Toronto (Ontario)                                                                                 pour les demandeurs

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                       pour le défendeur



[1]            [TRADUCTION] Comment une femme qui s'appelle Conkova perçoit les problèmes des Tziganes en République tchèque. Il s'agit de la sixième et dernière partie de l'entrevue que nous avons eue avec une femme de 32 ans qui provient de Prague 4 Jizni Mesto [un quartier de Prague]. Elle ressemble à une Espagnole ou une Italienne, mais, malgré son nom de famille - Conkova - on la considère comme une Tzigane, même si sa mère est tchèque.

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