Date : 20040922
Dossier : IMM-7927-03
Toronto (Ontario), le 22 septembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN
ENTRE :
THOMAS MAFATALA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur est un citoyen de la République démocratique du Congo (la RDC). Il est âgé de 24 ans. Le ou vers le 12 juin 2002, il est arrivé au Canada après être passé par le Cameroun, le Sénégal et les États-Unis, et il a revendiqué le statut de réfugié. Il prétend qu'il était étudiant à l'Université de Kinshasa et qu'il assistait à des rencontres du « Mouvement des étudiants de Kinshasa (MEK) » . Il était président et secrétaire de cette association. Le demandeur prétend que, le 25 juin 1998, il a été emprisonné et torturé au motif qu'il aurait été membre d'un groupe politique, l'Union pour la démocratie et le progrès social (l'UDPS), laquelle est hostile au nouveau gouvernement. Il a été libéré le 10 juillet 1998. Le demandeur nie toute appartenance à ce groupe.
[2] Le 13 décembre 2001, une manifestation a eu lieu à l'Université de Kinshasa. La manifestation a tourné à la violence lorsqu'un étudiant a saisi le microphone et a menacé les autorités. Le demandeur soutient qu'il a encore une fois été emprisonné et torturé, et il prétend que le fait que la police le croie membre de l'UDPS met sa vie en danger. Le 30 mars 2002, un dénommé Malutikidi a aidé le demandeur à s'enfuir de prison en raison d'une dette morale qu'il avait, selon les allégations, envers le père du demandeur. Le demandeur s'est caché chez M. Malutikidi et, le 9 juin 2002, il est parti pour le Canada muni de faux papiers d'identité.
[3] La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande fondée sur l'article 96 et des alinéas 97(1)a) et b). La Commission a jugé que le demandeur n'était pas crédible et que les documents soumis étaient insuffisants pour appuyer sa demande.
[4] La Commission a tiré les conclusions suivantes :
a) Le demandeur n'a pas pu donner suffisamment de détails relativement aux événements du 13 décembre 2001, y compris ceux y ayant mené, et a uniquement fait mention du fait qu'on boycottait des cours. Notamment, il a dit qu'il n'y avait pas eu de feu de pneus bloquant l'entrée de l'Université, contrairement à ce qui était affirmé dans un rapport belge pris en considération par la Commission; il a affirmé que plusieurs mémoires avaient été signés afin d'être soumis au comité de gestion de l'Université alors que d'autres éléments de preuve indiquaient qu'il n'y en avait eu qu'un seul; et
b) Le demandeur n'a soumis aucun document, comme une carte d'étudiant, des relevés de notes, des reçus de frais ou tout autre document établissant qu'il était étudiant à l'Université de Kinshasa à l'époque pertinente. Il a prétendu que tous ses documents étaient dans son dortoir lorsqu'il avait été arrêté la deuxième fois le 13 décembre 2001 et qu'il n'était jamais retourné au dortoir. La Commission a trouvé curieux que le demandeur n'ait pas sa carte d'identité et sa carte de bibliothèque en sa possession étant donné qu'il s'agit de documents dont un étudiant a besoin tous les jours. Elle a jugé non plausible qu'il laisse ces documents dans un dortoir et ne les garde pas en sa possession.
[5] La présente affaire soulève deux questions :
i) La Commission a-t-elle commis une erreur en ne précisant pas pourquoi elle avait préféré le rapport belge au témoignage sous serment du demandeur?
ii) La Commission a-t-elle tiré une conclusion non justifiée quant à la plausibilité en ce qui concerne la carte d'étudiant et la carte de bibliothèque du demandeur?
[6] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission comportant des conclusions relatives à la crédibilité ou des conclusions non justifiées relatives à la plausibilité est la décision manifestement déraisonnable.
[7] Relativement à la question i), la jurisprudence pertinente indique que la Commission peut à bon droit décider de préférer la preuve documentaire au témoignage sous serment du demandeur. Une telle approche est convenable dans la mesure où la Commission explique en termes clairs et explicites pourquoi elle préfère la preuve documentaire au témoignage du demandeur. Comme on l'a déclaré dans Aligolian c. M.C.I., [1997] A.C.F. no 484 :
La principale question litigieuse soulevée par la présente demande est de savoir si le tribunal peut accepter la preuve documentaire mais rejeter le témoignage sous serment du requérant. Il appert de la jurisprudence pertinente qu'une telle approche soit convenable, pourvu que le tribunal explique en termes clairs et non équivoques la raison pour laquelle il préfère la preuve documentaire au témoignage du requérant
[8] La Commission a conclu que le demandeur avait été très général dans son témoignage, qu'il avait omis de faire mention de plusieurs détails pertinents, qu'il avait été incapable de relater les faits en ordre chronologique, qu'il n'avait pas fait mention du feu de pneus (un événement mémorable) et qu'il avait parlé de plusieurs mémoires alors que le rapport belge ne faisait référence qu'à un seul mémoire. Le rapport belge a été établi par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides en octobre 2002. La note liminaire est rédigée ainsi :
Le présent rapport a été rédigé par Wim Verbeken, Information Officer au CEDOCA, le centre de documentation et de recherche du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (C.G.R.A.). Sauf mention contraire, le rapport est basé sur des informations obtenues lors d'une mission du CEDOCA en RDC qui s'est déroulée du 16 juin au 5 août 2002. Toutes les sources citées sont publiques, ce qui fait de ce rapport un document public. Toutes les informations présentées dans le rapport ont été recherchées, évaluées et traitées avec soin.
Le présent rapport n'ambitionne pas de présenter un panorama complet de la République démocratique du Congo. Il s'efforce uniquement d'apporter des réponses aux différents besoins en information suscités par le processus de décision au C.G.R.A. et constitue ainsi un élément dans la détermination de la politique du C.G.R.A. Afin de répondre à ces besoins, des contacts ont été établis avec des spécialistes locaux.
[9] Les auteurs du rapport n'ont manifestement pas d'intérêt relativement aux faits exposés dans le rapport. Essentiellement, le rapport est l'équivalent d'un rapport de recherche de la CISR. Il est donc raisonnable que la Commission ait préféré ce rapport, qui émane d'une source neutre, au témoignage général et imprécis du demandeur. Bien qu'il ait été préférable que la Commission exprime clairement sa préférence, son omission de le faire n'équivaut pas à une erreur justifiant l'annulation de sa décision. Après tout, elle a fait référence au rapport, lequel fait partie du dossier du tribunal. L'arrêt Okyere-Akosah c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 411, ne s'applique pas parce qu'il repose sur des faits différents. Dans cette affaire, il y avait des éléments de preuve documentaire contradictoires et la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve qui auraient pu étayer la demande du demandeur. Ce n'est clairement pas le cas dans la présente affaire. Le demandeur en l'espèce n'a soumis aucun élément de preuve documentaire relatif aux manifestations étudiantes.
[10] Pour ce qui est de la question ii), la Commission a tiré les conclusions suivantes :
Tout d'abord, même si sa revendication a un lien direct avec son statut d'étudiant à l'Université de Kinshasa, le demandeur n'a présenté aucun document, ni sa carte d'étudiant, ni des relevés de notes de nature à établir sa fréquentation universitaire, sous prétexte que tout est resté dans son dortoir à l'université.
Le tribunal comprend que les livres du demandeur et ses instruments de travail aient pu avoir été gardés dans sa chambre, mais trouve curieux que sa carte d'étudiant et sa carte de bibliothèque n'aient pas été dans sa poche au moment où il aurait été arrêté. La carte d'étudiant et la carte de bibliothèque étant deux documents dont l'étudiant a besoin en tout temps dans son quotidien, que ce soit en classe ou dans l'enceinte de l'université, le tribunal s'imagine mal qu'il les ait gardées dans son dortoir.
En conséquence, n'ayant rien produit en relation avec son statut d'étudiant à l'Université de Kinshasa et n'étant pas satisfait de son explication, le tribunal doit conclure que le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau de prouver qu'il fréquentait cette institution.
[11] Il ressort clairement de ce passage que la Commission a non seulement tiré une conclusion de non-plausibilité relativement à la carte d'identité et à la carte de bibliothèque du demandeur, mais qu'elle a également conclu que le demandeur n'avait soumis aucun élément de preuve quant à son statut d'étudiant à l'Université de Kinshasa. Il n'était pas déraisonnable de supposer que le demandeur ou ses parents (après tout, il a témoigné qu'ils avaient essayé de lui obtenir une carte d'étudiant) seraient en mesure de fournir certains documents établissant qu'il était étudiant. Il n'était pas déraisonnable pour la Commission de mettre en doute l'allégation suivant laquelle aucun relevé de notes, état de frais de scolarité, lettre ou autre document ne pouvait être produit comme preuve de son statut d'étudiant.
[12] De même, dans le contexte de la présente affaire, il n'était pas non plus non plausible de supposer que, même si tous ses documents se trouvaient dans le dortoir, le demandeur aurait dû à tout le moins avoir sur lui sa carte d'étudiant et sa carte de bibliothèque, étant donné que les étudiants dans un pays en développement comme la RDC peuvent avoir besoin de ces documents tous les jours comme preuve de leur statut d'étudiant. Comme on l'a affirmé dans Husein c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F no 726, au paragraphe 8 :
Dans le cadre d'une revendication du statut de réfugié, l'appréciation de la crédibilité est une question de fait [Voir Note 1 ci-dessous] qui relève de la compétence de la Commission. Bien que le caractère déraisonnable d'une décision soit plus évident en ce qui concerne la plausibilité, la Commission est toujours la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur [Voir Note 2 ci-dessous].
Note 1 : White v. R., [1947] R.C.S. 268. Note 2 : Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).
[13] Pour ces motifs, la présente demande ne peut être accueillie.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.
« K. von Finckenstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7927-03
INTITULÉ : THOMAS MAFATALA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 21 SEPTEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE VON FINCKENSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 22 SEPTEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Micheal Crane POUR LE DEMANDEUR
Amina Riaz POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040922
Dossier : IMM-7927-03
ENTRE :
THOMAS MAFATALA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE