Date : 20050308
Dossier : T-1958-04
Référence : 2005 CF 339
Ottawa (Ontario), le 8 mars 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON
ENTRE :
MICHEL TREMBLAY
demandeur
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Tremblay a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il était allégué que son employeur, Santé Canada, l'avait défavorisé d'une façon discriminatoire, contrevenant à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a nommé un enquêteur. M. Tremblay s'est opposé à cette nomination au motif que le fait que cet enquêteur avait été employé antérieurement par Santé Canada suscitait une crainte raisonnable de partialité.
[2] Dans sa lettre du 14 mai 2004, Mme Sherri Helgason, directrice de la Commission, a écrit à l'avocat qui représentait M. Tremblay à l'époque qu'il n'y avait aucun conflit d'intérêt. Elle a ainsi conclu :
_TRADUCTION_
Lorsqu'un gestionnaire attribue un dossier à un enquêteur contractuel, il examine la plainte et demande à l'enquêteur si des questions de conflit d'intérêts se posent. Si c'est le cas, le dossier n'est pas attribué à cet enquêteur. Si, au cours de l'enquête, l'enquêteur contractuel découvre l'existence d'un conflit d'intérêts, il en alerte le gestionnaire et le dossier est attribué à quelqu'un d'autre. Nous avons discuté de cette question avec M. Grainger et nous avons conclu qu'il n'existe pas de conflit d'intérêts.
[3] M. Tremblay n'a alors fait aucune démarche en vue de contester cette décision.
[4] En octobre 2004, la Commission a rejeté sa plainte. Cette décision fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur allègue que, lorsqu'elle a rendu sa décision définitive, la Commission ne s'est pas penchée sur l'argument qu'il avait fait valoir lors de la nomination de l'enquêteur et à nouveau dans sa réponse au rapport produit par ce dernier : l'emploi que cet enquêteur avait occupé antérieurement à Santé Canada donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité.
[5] M. Tremblay demande, en vertu de l'article 317 des Règles des Cours fédérales, qu'on lui transmette tous les documents pertinents en la possession de la Commission. En l'espèce, le litige se rapporte au refus de la Commission de fournir les documents en sa possession ayant trait à l'allégation de M. Tremblay concernant la crainte raisonnable de partialité à laquelle donnerait lieu l'emploi antérieur occupé par l'enquêteur.
[6] Il y a trois parties à la présente demande. M. Tremblay, en qualité de demandeur, le procureur général du Canada, pour Santé Canada, en qualité de défendeur et la Commission canadienne des droits de la personne elle-même.
[7] Lorsque la Commission a refusé de fournir les documents demandés, M. Tremblay a demandé des directives. La protonotaire Tabib a fixé un échéancier pour le dépôt d'observations écrites. La Commission et le procureur général ont déposé des observations à l'appui de leur opposition à la demande, et M. Tremblay y a répondu.
LA POSITION DE SANTÉ CANADA
[8] Pour résumer, le procureur général soutient que seule la décision rendue en octobre par la Commission est visée par le présent contrôle. Le délai de 30 jours fixé par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales est écoulé en ce qui a trait à la décision du 14 mai 2004 prise par Mme Helgason. En outre, aux termes de l'article 302 des Règles, sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.
LA POSITION DE LA COMMISSION
[9] La Commission soutient qu'elle n'est tenue de divulguer que les documents qui avaient été produits devant elle au moment de sa prise de décision. Ce n'est pas le cas des documents demandés. Le travail de la Commission comporte la phase de l'enquête et la phase de la prise de décision et il faut faire une distinction entre elles (Pathak c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1995] 2 C.F. 455 (C.A.)).
[10] Dans l'arrêt Pathak, le juge Pratte a dit au paragraphe 10 :
Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produits par l'intimé.
[11] En outre, la Commission dit que la décision de Mme Helgason n'était qu'une _TRADUCTION_ « décision opérationnelle » interne prise au cours de la phase de l'enquête et, donc, qu'elle ne constitue pas une décision de la Commission et qu'elle ne peut pas faire l'objet d'un contrôle de la Cour.
LA POSITION DE M. TREMBLAY
[12] M. Tremblay répond que s'il y a crainte raisonnable de partialité, cela veut dire que la décision de la Commission est nulle ab initio et que les principes de justice naturelle n'ont pas été respectés. Il a pour position que la décision de mai était « provisoire » .
ANALYSE
[13] La Commission soutient que les documents en question n'avaient pas été produits devant elle lorsqu'elle a rendu sa décision. Cette allégation n'est pas appuyée par un affidavit. En outre, la question n'est pas de savoir si ces documents ont été produits devant la Commission, mais plutôt s'ils auraient dû l'être. Il faut répondre par l'affirmative, parce que la question de la partialité a été expressément soulevée dans les observations de M. Tremblay ayant trait au rapport de l'enquêteur.
[14] La Commission est compétente pour statuer sur les droits et les obligations. Indépendamment de la distinction à faire entre les enquêtes de la Commission et les décisions qu'elle rend, la partialité d'un enquêteur peut avoir des conséquences malheureuses pour un plaignant. Le droit à une audience équitable est primordial. On ne peut refuser de produire des documents au motif qu'on a pris une décision « opérationnelle » . C'est une décision qui touchait « les droits, privilèges ou biens d'une personne _..._ » (Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653).
[15] L'emploi qu'a occupé antérieurement l'enquêteur peut donner lieu, ou non, à une crainte raisonnable de partialité. La Cour n'est pas saisie de cette question. Les documents demandés sont pertinents quant à la demande, en l'état, et ils doivent donc être produits.
[16] À ce stade, il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si la décision de mai 2004 constitue une décision distincte qui devrait faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire distincte.
ORDONNANCE
1. La Commission canadienne des droits de la personne transmettra dans les 20 jours, au greffe et à M. Tremblay, la copie certifiée conforme de tous les documents en sa possession ayant trait à l'allégation que la nomination de Rod Grainger comme enquêteur donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité.
2. Les délais dans lesquels le demandeur doit déposer son dossier sont prorogés en conséquence.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
François Brunet, LL.B., B.C.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1958-04
INTITULÉ : MICHEL TREMBLAY
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 8 MARS 2005
OBSERVATIONS ÉCRITES :
YAVAR HAMEED |
POUR LE DEMANDEUR |
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POUR LE DÉFENDEUR |
VALERIE PHILLIPS MONETTE MAILLET |
POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
OTTAWA (ONTARIO) |
POUR LE DEMANDEUR |
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
POUR LE DÉFENDEUR |
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