Date : 20060216
Toronto (Ontario), le 16 février 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision du 17 décembre 2004 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile que le demandeur a présentée sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
[2] Le demandeur est un homosexuel âgé de 41 ans qui est citoyen du Chili et qui soutient craindre avec raison d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle. Au cours de son témoignage, il a souligné qu’en juillet 1999, alors qu’il était lieutenant dans l’armée chilienne, il a été vu pendant les ébats amoureux qu’il avait avec un autre homme. En conséquence, le demandeur a été battu par deux collègues, détenu et forcé de quitter l’armée. Le demandeur a déclaré qu’après avoir quitté l’armée, il a commencé à recevoir des appels de menaces de l’un de ses anciens collègues qui l’avait précédemment agressé et que, en novembre et décembre 1999, il a été à nouveau sauvagement battu par les deux mêmes collègues. Le demandeur a quitté le Chili le 1er mars 2000 et est arrivé au Canada le 7 mars 2000; il a demandé l’asile le 25 avril 2002.
[3] Dans sa décision, la SPR a conclu que, même si le demandeur était crédible en ce qui a trait à la persécution dont il avait été victime dans le passé, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté par ses anciens collègues de l’armée s’il retourne au Chili.
[4] Après avoir tiré cette conclusion cruciale, la SPR a décidé que, en tout état de cause, si les anciens collègues du demandeur tentaient de s’attaquer à lui à son retour au Chili, il bénéficierait de la protection de l’État par l’entremise de la police. Cependant, dans son analyse de l’existence de la protection de l’État, la SPR a formulé des conclusions importantes au sujet de la police du Chili : les policiers abusent de leurs pouvoirs, ils ont une attitude homophobe et ils montrent cette attitude de façon inacceptable envers les homosexuels avec lesquels ils sont en contact (décision, à la page 5). Même si la SPR mentionne dans sa décision les mesures que le gouvernement du Chili a prises pour corriger ces failles de la part de la police, aucune donnée précise ne permet de savoir si les mesures prises ont été couronnées de succès.
[5] Lorsqu’il a témoigné devant la SPR, le demandeur a dit en toutes lettres que sa demande était fondée sur une crainte subjective et objective face à ses collègues de l’armée (dossier du tribunal, à la page 213). Cependant, dans la présente demande, l’avocat du demandeur fait valoir que l’allégation dont la SPR a été saisie quant à la persécution et au risque auxquels celui‑ci serait exposé ne concernait pas seulement les collègues du demandeur membres de l’armée, mais touchait l’ensemble de la collectivité, y compris la police. Je souscris à cet argument.
[6] Les observations écrites de l’avocat dont la SPR a été saisie comportent les remarques suivantes :
[TRADUCTION] En résumé, le demandeur a expliqué qu’il craignait avec raison d’être persécuté et qu’il continuerait à être exposé à une panoplie de risques importants et discernables – allant du harcèlement découlant d’une culture homophobe et de la discrimination flagrante et voilée à la violence physique et psychologique découlant des préjudices socio‑économiques qu’il subirait – s’il devait être renvoyé au Chili, son pays de citoyenneté, pour les raisons suivantes :
1. son orientation sexuelle (homosexuel) et son style de vie gai connus, qui sont inacceptables pour la société;
2. la transgression ouverte de sa part des normes socioculturelles, en raison de son omission et de son incapacité de se conformer au style de vie habituel des hétérosexuels;
3. le rejet dont il est victime sur les plans culturel et social.
(dossier du tribunal, à la page 55)
De plus, il importe de souligner que le dossier du tribunal renferme une preuve abondante du fait que le demandeur a raison de craindre la conduite de la police à son endroit. Sur la foi de cette preuve, je conclus que la police du Chili constitue un agent de persécution possible pour l’application de l’article 96 et un risque au sens de l’article 97 de la LIPR. Même si la SPR a conclu que la police du Chili peut protéger le demandeur de ses collègues de l’armée, il n’y a aucun élément de preuve montrant qu’elle peut protéger le demandeur d’elle‑même. C’était l’une des questions que la SPR devait trancher, et elle n’y a pas répondu.
[7] En conséquence, je suis d’avis que la décision de la SPR comporte une erreur susceptible de contrôle.
ORDONNANCE
En conséquence, j’annule la décision de la SPR et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.
Compte tenu de l’accord des parties, j’ordonne que le nouvel examen soit mené en fonction du fait que le demandeur est homosexuel.
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑237‑05
INTITULÉ : ADAN ESTEBAN ESPEJO GUIÑEZ
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 15 FÉVRIER 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 16 FÉVRIER 2006
COMPARUTIONS :
Rocco Galati POUR LE DEMANDEUR
Neeta Logsetty POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Galati, Rodrigues, Azevedo & Associates POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John H Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous‑procureur général du Canada