Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE DAWSON
[1] M. Mohammad Imran Akhtar Malik, le demandeur, est un ressortissant du Pakistan qui est entré légalement au Canada le 27 août 1999, en vertu d'un visa d'étudiant émis à son nom. Le 14 août 2003, il a été arrêté, ainsi que 17 autres individus, dans le cadre d'une enquête connue depuis sous le nom de « projet Thread » . À l'époque, les autorités policières ont déclaré publiquement que M. Malik et les autres individus arrêtés étaient soupçonnés d'appartenir à une cellule dormante d'al Qaeda. Cette information a été rapportée dans de nombreux journaux canadiens et pakistanais importants. Par la suite, M. Malik a été libéré sous cautionnement le 30 août 2003. Il a été l'un des premiers détenus libérés. Plus tard, les accusations portées contre M. Malik ont été abandonnées vu l'absence de preuve de commission d'un acte illicite.
[2] Au mois de novembre 2003, M. Malik a fait une demande de statut de réfugié sur place ainsi qu'une demande de protection en raison de son appartenance à un groupe social identifiable, soit les « suspects de terrorisme » . Il demande en l'espèce le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de protection des réfugiés de la Commission de l'immigration du statut de réfugié (la Commission) lui a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger parce qu'il a été incapable de prouver soit une possibilité sérieuse ou une possibilité raisonnable d'être persécuté ou de subir une autre forme de préjudice sérieux, y compris la torture, soit une menace à sa vie, s'il rentrait au Pakistan. Pour les motifs suivants, j'ai conclu que la présente demande devait être rejetée.
[3] M. Malik prétend que la Commission a commis dans sa décision trois erreurs susceptibles de révision :
1. La Commission a commis une erreur en concluant que les actes et la conduite qui faisaient l'objet de sa crainte ne constituaient pas une forme de persécution.
2. La Commission n'a pas jugé sa revendication au regard de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), ni motivé ce jugement.
3. La Commission a commis une erreur en omettant d'apprécier la disponibilité de la protection de l'État.
LA COMMISSION A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LES ACTES ET LA CONDUITE QUI FAISAIENT L'OBJET DE SA CRAINTE NE CONSTITUAIENT PAS UNE FORME DE PERSÉCUTION?
[4] En droit, les conclusions de fait tirées par la Commission sont sujettes à révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. La décision de la Commission concernant les éléments constitutifs de la persécution, c'est-à-dire l'identification de la persécution, est une question mixte de droit et de fait sujette à révision selon la norme du caractère raisonnable simpliciter. Par conséquent, la Cour n'est pas habilitée à intervenir - sous réserve d'une conclusion déraisonnable de la SPR - lorsque cette dernière s'est livrée à « une analyse minutieuse de la preuve présentée [...] en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve » . Voir l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), au paragraphe 3.
[5] En l'instance, le fondement de la revendication de M. Malik était qu'il serait détenu, interrogé et torturé s'il était renvoyé au Pakistan, vu sa détention et sa désignation comme suspect de terrorisme au Canada. La Commission s'est donc penchée sur la preuve dont elle était saisie à l'égard des traitements infligés à d'autres détenus s'étant trouvés dans des situations semblables et qui sont rentrés au Pakistan. La Commission a résumé de la manière suivante la preuve sur cette question :
- Certains détenus, mais non pas tous, ont été interrogés à l'aéroport. Dans tous les cas, l'interrogatoire a duré moins de 24 heures. Ils ont tous été libérés, certains après avoir versé un pot-de-vin ou un cautionnement. Au moins l'un des détenus s'est fait confisquer son passeport, qui ne lui a pas été rendu.
- Certains détenus se sont plaints de leur incapacité d'obtenir un emploi dans les cinq à six mois suivant leur retour au Pakistan.
- Quelques détenus ont reçu des menaces.
- Deux détenus ont été battus une fois chacun.
- Un détenu s'est fait voler son automobile.
- Quelques détenus ont déclaré qu'ils avaient peur de se déplacer ouvertement.
[6] L'exactitude de ce résumé n'est pas contestée et je suis convaincue que cette conclusion, s'attachant essentiellement aux faits, n'était pas manifestement déraisonnable.
[7] La Commission s'est ensuite penchée sur la question de savoir si ce genre de conduite équivalait à de la persécution. La Commission a écrit que [traduction] « pour que le préjudice soit considéré comme une forme de persécution, il est habituellement nécessaire de prouver qu'il est soutenu et sérieux » .
[8] Dans l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 63, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la définition juridique de la persécution de la manière suivante :
Par exemple, on a donné le sens suivant au mot « persécution » qui n'est pas défini dans la Convention: [TRADUCTION] « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l'absence de protection de l'État » ; voir Hathaway, op. cit., aux pp. 104 et 105. Goodwin-Gill, op. cit., fait lui aussi remarquer, à la p. 38, que [TRADUCTION] « l'analyse exhaustive exige que la notion générale [de persécution] soit liée à l'évolution constatée dans le domaine général des droits de la personne » . C'est ce que la Cour d'appel fédérale a récemment reconnu dans l'affaire Cheung.
[9] Dans l'arrêt N.K. c. Canada (Solliciteur Général) (1995), 107 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23, ma collègue la juge Tremblay-Lamer a noté que « [l]es situations factuelles qui ont donné lieu en jurisprudence à une telle caractérisation comportent en général des actes de violence lesquels sont souvent accompagnés de menaces de mort » . Compte tenu de l'arrêt Ward de la Cour suprême et de la jurisprudence similaire tel l'arrêt N.K., je suis persuadée que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en définissant la nature de la conduite qui s'élève au niveau de la persécution.
[10] La Commission a conclu ensuite que le traitement accordé à d'autres détenus placés dans des situations semblables à leur retour au Pakistan n'avait pas atteint le niveau de la persécution. À cet égard, la Commission a tiré les conclusions suivantes :
· Le fait d'être interrogé pendant moins de 24 heures à son retour dans son pays d'origine, sans qu'aucune lésion physique soit infligée, dans des circonstances où la déportation vers le pays d'origine est justifiée par des contraventions aux lois de l'immigration (ce qui était le cas des autres détenus) ne constitue pas un préjudice sérieux.
· L'incapacité de trouver un emploi pendant quelques mois après le retour au Pakistan n'est pas exceptionnelle, et il existe de nombreuses raisons pour lesquelles un individu qui s'est trouvé en dehors du pays pourrait avoir des difficultés à trouver du travail. Selon la prépondérance des probabilités, la preuve était insuffisante pour conclure que les rapatriés seraient au chômage à l'avenir en conséquence de l'enquête et de la détention au Canada.
· Les menaces proférées par des inconnus ne constituent pas une forme de persécution en soi, non plus qu'un incident isolé de voies de fait n'ayant provoqué aucune lésion permanente ou sérieuse, le vol de son automobile ou encore le versement d'un pot-de-vin à une seule occasion.
· La plainte relative à l'incapacité de se déplacer librement au Pakistan a été contredite par les rapports d'autres détenus. Le dossier indiquait qu'un détenu était apparu dans un débat télévisé pour discuter de son arrestation, qu'un certain nombre d'articles de journaux ont été écrits à partir d'entrevues avec des détenus, et qu'une conférence de presse publique s'est tenue lors de laquelle un certain nombre de détenus avaient menacé de poursuivre le Canada.
[11] Après avoir examiné d'une manière quelque peu détaillée les conclusions tirées par la Commission selon lesquelles la situation des autres détenus rapatriés ne constituait pas une forme de persécution, je conclus que la conclusion de la Commission est étayée par des motifs qui résistent à l'examen. La conclusion tirée par la Commission n'était pas déraisonnable.
[12] M. Malik s'est plaint que la Commission ait démontré [traduction] « une grande incompréhension et un préjugé culturel » en concluant que [traduction] « le versement d'un pot-de-vin unique n'est pas inhabituel au Pakistan et, à nouveau, ne satisfait pas - indépendamment ou en combinaison avec d'autres problèmes mineurs - au critère du caractère grave et soutenu » et que « à de nombreux endroits dans le monde, comme le Pakistan, l'obligation de verser des pots-de-vin aux fonctionnaires est à la fois reconnue et attendue » . Il se peut que le libellé du commentaire de la Commission ait été regrettable dans la mesure où il infère incorrectement que les gens au Pakistan s'attendent à devoir verser des pots-de-vin. Cependant, l'extorsion isolée ne constitue pas nécessairement une forme de persécution et, vu l'ensemble des circonstances (y compris la preuve concernant la fréquence des demandes de pots-de-vin), la Commission a conclu que cette conduite ne constituait pas une forme de persécution. Il ne s'agissait pas d'une conclusion déraisonnable, surtout si la crainte d'extorsion n'avait pas même été soulevée par M. Malik dans son formulaire de renseignements personnels.
LA COMMISSION A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN NE JUGEANT PAS LA REVENDICATION EN APPLICATION DE L'ARTICLE 97 DE LA LOI?
[13] M. Malik prétend que la Commission a commis une erreur en ne jugeant pas sa revendication au regard de l'article 97 de la Loi, et qu'elle a commis une nouvelle erreur en n'effectuant aucune analyse et en ne fournissant aucun motif concernant sa revendication.
[14] Je crois qu'il est toujours souhaitable que la Commission effectue une analyse distincte au regard de l'article 97. Toutefois, l'absence d'une telle analyse ne constitue pas une erreur susceptible de donner lieu à révision s'il n'existe aucun élément de preuve qui exige une analyse distincte.
[15] En l'espèce, la seule assise de la revendication de M. Malik est un motif fondé sur la Convention : son appartenance à un groupe social particulier. Ayant estimé que l'analyse que la Commission a faite du risque que M. Malik courrait s'il rentrait au Pakistan lui permettait de conclure que M. Malik ne court aucun risque de persécution, il en découle que celui-ci n'est pas non plus une personne à protéger.
[16] La Commission paraît avoir reconnu ceci dans l'étude pêle-mêle qu'elle a faite du risque de persécution et du caractère sérieux du préjudice. Effectivement, la Commission a indiqué à l'avocate de M. Malik qu'elle ne ferait pas une analyse séparée des motifs au regard des articles 96 et 97 de la Loi si l'avocate ne lui en faisait pas la demande. Rien au dossier n'indique qu'une telle demande ait été faite. Dans ces circonstances, je conclus que les motifs de la Commission dans l'analyse pêle-mêle des motifs au regard des articles 96 et 97 suffisaient pour trancher la revendication au regard de l'article 97.
LA COMMISSION A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN OMETTANT D'APPRÉCIER LA DISPONIBILITÉ DE LA PROTECTION DE L'ÉTAT?
[17] M. Malik prétend qu'étant donné que les actes qu'il craint seraient ceux de la police, c'est-à-dire d'un représentant de l'État, la Commission aurait dû étudier la capacité du Pakistan de protéger ses ressortissants. À mon avis, une telle analyse distincte n'était pas nécessaire après la conclusion de la Commission que M. Malik n'avait pas prouvé une crainte bien fondée non plus qu'un risque de préjudice de la part de la police.
CONCLUSION ET CERTIFICATION
[18] Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. L'avocate de M. Malik a posé la question suivante pour certification :
[Traduction] Quelle que soit la conclusion de la Section de protection des réfugiés en ce qui concerne l'existence d'un motif relié à la Convention, un revendicateur a-t-il droit à une décision concernant chacun des articles 96 et 97 de la Loi, ainsi qu'aux motifs de cette décision?
[19] Le Ministre s'est opposé à la certification, au motif que cette question ne permettrait pas de trancher un appel. J'en conviens, ayant conclu que la Commission a étudié chacun des articles de la Loi et que les motifs qu'elle a fournis étaient suffisants dans les circonstances. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
[20] LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3446-05
INTITULÉ : MOHAMMAD IMRAN AKHTAR MALIK
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 29 NOVEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 16 DÉCEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Amina Sherazee POUR LE DEMANDEUR
John Provart POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Amina Sherazee
Downtown Legal Services
Toronto (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR