Date : 20041208
Dossier : IMM-10164-03
Référence : 2004 CF 1713
Toronto (Ontario), le 8 décembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
TAE EUN KIM
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande porte sur le caractère raisonnable d'une décision prise à l'égard d'une mère coréenne qui invoquait des raisons humanitaires, et en particulier, eu égard à l'intérêt de son jeune enfant né au Canada.
[2] La demanderesse a déclaré ce qui suit dans le dossier de demande du 29 octobre 2003 qu'elle a présenté elle-même :
[traduction] En tant que jeune mère célibataire en Corée, Joshua et moi serions, en raison des coutumes et de la culture coréennes, l'objet de sarcasmes si nous retournions en Corée. La société ne permet pas à de jeunes mères célibataires de s'établir dans la société. De plus, mes parents et ma jeune soeur qui n'a que 14 ans feront l'objet de sarcasmes et de quolibets. Ces personnes m'ont beaucoup aidé à m'établir au Canada pendant ces moments difficiles; je ne voudrais pas les humilier davantage en retournant en Corée. L'honneur de la famille est une chose très importante dans la culture coréenne et si j'ai perdu mon honneur, je ne voudrais pas compromettre celui de ma famille en retournant en Corée et en faisant connaître ma triste situation. Je ne veux plus être un fardeau pour mes parents. Je les ai déjà déshonorés et humiliés tellement que je pense parfois qu'il serait mieux pour tout le monde que je disparaisse...
(Dossier de demande de la demanderesse, page 70)
[3] Au sujet de la déclaration de la demanderesse, l'agent d'immigration a déclaré ce qui suit dans sa décision relative à des considérations humanitaires prononcée le 18 novembre 2003 :
[traduction] Mme Kim déclare qu'il lui sera difficile de retourner en Corée en tant que mère célibataire. Elle n'a pas fourni des preuves suffisantes pour appuyer son opinion selon laquelle elle serait ridiculisée en Corée parce qu'elle est une mère célibataire.
La Corée est un vaste pays. Mme Kim habite sans sa famille au Canada et pourrait retourner n'importe où en Corée évitant ainsi de placer sa famille dans une situation gênante. Elle dispose de suffisamment d'argent pour refaire sa vie en Corée.
J'ai tenu compte de l'intérêt de l'enfant canadien. Mme Kim a la garde exclusive de son enfant. L'ex-conjoint n'a même pas comparu devant le tribunal pour obtenir un droit de visite. L'enfant est jeune et s'intégrera facilement en Corée. Il est dans l'intérêt de l'enfant de rester avec sa mère.
(Dossier de demande de la demanderesse, page 8)
[Non souligné dans l'original]
[4] L'avocat de la demanderesse soutient que l'agent d'immigration a pris cette décision sans respecter le critère énoncé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; à savoir, qu'il n'a pas été « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt de l'enfant de la demanderesse. L'avocat du défendeur réplique que compte tenu des maigres preuves fournies par la demanderesse en ce qui concerne l'intérêt de l'enfant, la décision de l'agent d'immigration est tout à fait raisonnable.
[5] Pour ce qui est de l'argument concernant les preuves, l'avocat du défendeur cite les paragraphes suivants de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 F.C.R. 635 (C.A.F.) :
¶ 5 L'agent d'immigration qui examine une demande pour des raisons d'ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l'expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l'obligation n'existe que lorsqu'il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée.
.....
¶ 8 Le demandeur qui invoque des raisons d'ordre humanitaire n'a pas un droit d'être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n'a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l'intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l'agente n'ait d'autre choix que d'en tenir compte.
[Non souligné dans l'original]
L'avocat du défendeur soutient que les preuves fournies par la demanderesse ne sont pas « suffisamment claires » , qu'il n'y a pratiquement « aucune preuve » appuyant son allégation » et que l'intéressée n'a pas « suffisamment insisté » sur l'intérêt de l'enfant pour justifier que soit prise une décision différente.
[6] Il est admis que l'agent d'immigration a toute latitude, même s'il n'est pas obligé de le faire, pour demander des preuves supplémentaires concernant une question importante que soulèvent les documents accompagnant la demande.
[7] Il est admis que la question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la demanderesse a « suffisamment insisté » sur les répercussions possibles de son expulsion pour l'intérêt de l'enfant. J'estime que la réponse à cette question est « oui » .
[8] À mon avis, la déclaration de la demanderesse citée ci-dessus est si particulière et d'une telle importance qu'il est déraisonnable que l'agent d'immigration se soit contenté d'y répondre de façon aussi laconique. À mon avis, la déclaration de la demanderesse n'est pas une opinion, c'est un énoncé de fait. Si cette affirmation avait été considérée comme un énoncé de fait, comme il fallait le faire, le risque que l'enfant soit ridiculisé en Corée aurait dû amener l'agent d'immigration à réfléchir, à examiner les différents éléments et sans doute, à demander des renseignements supplémentaires. À mon avis, compte tenu de la déclaration de la demanderesse, il n'est pas possible d'affirmer que l'enfant « s'intégrera facilement en Corée » .
[9] Pour ces motifs, je conclus que la décision de l'agent d'immigration est déraisonnable.
ORDONNANCE
Par conséquent, j'annule la décision de l'agent d'immigration et renvoie l'affaire à un autre agent d'immigration pour nouvel examen.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-10164-03
INTITULÉ : TAE EUN KIM
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 DÉCEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 8 DÉCEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Edward F. Hung POUR LA DEMANDERESSE
Michael Butterfield POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edward F. Hung
Avocat
Toronto (Ontario)
POUR LA DEMANDERESSE
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041208
Dossier : IMM-10164-03
ENTRE :
TAE EUN KIM
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE