Date : 20000928
Dossier : IMM-5472-99
Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2000
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE
ENTRE :
TEJINDER KAUR BHOGAL
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 23 septembre 1999 par W.R. Hetherington (l'agent des visas), qui a rejeté les demandes de résidence permanente au Canada.
Le contexte factuel
[2] La demanderesse, tout comme son mari, avait présenté une demande d'immigration au Canada dans la catégorie des demandeurs indépendants, demandant à être évaluée dans la profession envisagée de modéliste (CNP 5243.2). Le 22 septembre 1999, la demanderesse a passé une entrevue au Haut-commissariat du Canada à Kingston, Jamaïque.
[3] Relativement à la profession de modéliste, la CNP prévoit : |
Fonctions principales
· . concevoir et créer des vêtements et des accessoires pour hommes, femmes et enfants |
Conditions d'accès à la profession |
· . Un baccalauréat en beaux-arts ou en arts plastiques avec spécialisation dans le design [...] des vêtements [...] |
ou
un diplôme d'études collégiales ou d'établissement d'enseignement des arts avec spécialisation dans [...] le design de vêtements [...] sont exigés. |
· . Un dossier de présentation démontrant les aptitudes créatives est exigé. |
[4] À l'entrevue, on a posé des questions à la demanderesse au sujet de ses études et de son expérience de travail. Elle a répondu qu'elle avait suivi un cours d'un an en « création de mode » au YWCA. Ce cours comptait vingt heures de classe par semaine et les étudiants recevaient des cours théoriques et de dessin. L'agent des visas avait l'impression que ce cours enseignait le dessin technique et non la « haute couture » . L'agent des visas a conclu que ce programme n'était pas l'équivalent d'un programme de design de vêtements d'un collège ou d'un établissement d'enseignement des arts, comme le requièrent les conditions d'accès à la profession prévues par la CNP. La demanderesse a aussi un baccalauréat ès arts.
[5] En ce qui concerne la question de l'emploi, la demanderesse avait fourni des renseignements relatifs à deux emplois de modéliste qu'elle avait occupés auprès de deux compagnies indiennes. Paulson Enterprises était l'une d'elles. Afin de vérifier les renseignements que la demanderesse lui avait fourni dans sa lettre de référence, l'agent des visas a tenté de communiquer avec cette compagnie, sans succès. La demanderesse a prétendu que dans cet emploi, elle passait 40 % de son temps à « faire du design » . La demanderesse a expliqué que « faire du design » signifiait dessiner des patrons et aider les patronniers.
[6] La deuxième compagnie était Non Stop Sportswear, où la demanderesse était portait le titre de coordonnatrice de mode. Elle passait 35 % de son temps à dessiner. Elle faisait des esquisses d'après les directives des acheteurs; il ne s'agissait pas de son propre travail de création indépendant.
[7] À l'entrevue, on a demandé à la demanderesse de produire un dossier de présentation démontrant ses aptitudes créatives. Elle a affirmé qu'elle en avait un, mais qu'elle ne l'avait pas apporté. Elle a fourni un relieur comprenant plusieurs esquisses de vêtements. Dans son affidavit, la demanderesse affirme qu'elle dispose d'un dossier de présentation, mais qu'elle avait omis de l'apporter à l'entrevue.
[8] L'agent des visas, se fondant sur les renseignements recueillis lors de l'entrevue, a conclu que la demanderesse ne disposait pas des études et de l'expérience requises pour être considérée comme une modéliste au sens de la CNP. La demanderesse a obtenu les points d'évaluation suivants :
Âge 10 |
Facteur professionnel 01 |
Formation 15 |
Expérience 00 |
Facteur démographique 08 |
Études 15 |
Anglais 09 |
Français 00 |
Bonus 05 |
Personnalité 03 |
TOTAL 66 |
Les arguments de la demanderesse
[9] La demanderesse soutient que l'agent des visas a conclu à tort qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études pour les modélistes, et qu'il a donc commis une erreur de droit.
[10] La demanderesse allègue aussi que l'agent des visas a commis une erreur susceptible de révision en accordant, d'une manière incompatible, un point d'évaluation pour le facteur professionnel et aucun point pour le facteur de l'expérience. Étant donné que l'agent des visas avait accordé des points pour le facteur professionnel, il devait avoir conclu que la demanderesse satisfaisait aux conditions d'accès à la profession et il aurait donc dû accorder des points d'évaluation pour le facteur de l'expérience.
[11] Enfin, la demanderesse allègue que l'agent des visas a manqué à son obligation d'agir équitablement en ne lui donnant pas la possibilité de répondre aux questions qui le préoccupaient.
Les arguments du défendeur
[12] Le défendeur soutient que la demanderesse n'a présenté aucune preuve selon laquelle le YWCA de New Delhi était accrédité comme « collège » ou « établissement d'enseignement des arts » . La conclusion de l'agent des visas, selon laquelle ce n'était pas le cas et selon laquelle le programme suivi par la demanderesse n'était qu'un cours technique et non créatif ou intellectuel, était raisonnable.
[13] Le défendeur allègue aussi que la demanderesse n'avait pas accompli les fonctions principales de la profession à l'égard de laquelle elle voulait être évaluée. L'agent des visas a indiqué qu'elle n'avait pas prétendu qu'elle « concevait et créait des vêtements » .
[14] Le défendeur soutient que le point accordé pour le facteur professionnel est une erreur matérielle et qu'à cet égard, l'intention de l'agent des visas n'était pas équivoque.
[15] Le défendeur allègue qu'il n'y a pas eu manquement à l'obligation d'agir équitablement en l'espèce et que la faute appartient à la demanderesse, qui a, entre autres, omis d'apporter son dossier de présentation à l'entrevue.
Les questions en litige
[16] La demanderesse a soulevé les questions suivantes : |
1. L'agent des visas a-t-il conclu à tort que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études pour une modéliste, commettant ainsi une erreur de droit? |
2. L'agent des visas a-t-il commis une erreur susceptible de révision en accordant un point d'évaluation à la demanderesse pour le facteur professionnel et en ne lui accordant aucun point pour le facteur de l'expérience? |
3. L'agent des visas a-t-il omis de donner à la demanderesse une possibilité juste et raisonnable de répondre aux questions qui le préoccupaient, commettant ainsi une erreur susceptible de révision? |
[17] Question 1 |
L'agent des visas a-t-il conclu à tort que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études pour une modéliste, commettant ainsi une erreur de droit?
Voici les exigences relatives aux études pour la profession de « modéliste » :
Un baccalauréat en beaux-arts ou en arts plastiques avec spécialisation dans le design des décors de théâtre, le design des vêtements ou l'aménagement des étalages |
ou
un diplôme d'études collégiales ou d'établissement d'enseignement des arts avec spécialisation dans le design des décors de théâtre, le design des vêtements ou l'aménagement des étalages sont exigés. |
Un dossier de présentation démontrant les aptitudes créatives est exigé.
[18] L'agent des visas a noté que même si la demanderesse avait un baccalauréat ès arts, celui-ci n'était pas lié à la conception de mode. L'agent des visas a aussi examiné le contenu des cours suivis par la demanderesse dans le cadre du programme offert au YWCA et a conclu que les cours étaient d'une nature plus technique que créative. Il a dit que le programme du YWCA ne comprenait pas l'élément créativité et le côté intellectuel. Après avoir examiné les cours, il a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux [traduction] « exigences relatives aux études pour une modéliste prévues dans la Classification nationale des professions » . Mon examen des conclusions de l'agent des visas à cet égard m'amène à conclure qu'à la lumière des faits de l'affaire, sa décision était raisonnable. Même si la Cour était d'avis qu'elle arriverait à une autre conclusion à cet égard, son rôle n'est pas de substituer son opinion à celle de l'agent des visas. Dans la présente affaire, la preuve démontre que l'agent des visas a analysé la preuve relative à la nature des cours du programme offert par le YWCA et qu'il a conclu que ce programme ne satisfaisait pas aux exigences de la profession de modéliste (CNP 5243.2), pour laquelle un programme d'un collège ou d'un établissement d'enseignement des arts avec spécialisation dans le design des vêtements est exigé. Je suis d'avis qu'il s'agissait d'une conclusion raisonnable et non d'une erreur de droit. L'agent des visas a tranché la question qu'il devait trancher et, ce faisant, il a tenu compte des éléments de preuve qui lui avait été présentés.
[19] Question 2 |
L'agent des visas a-t-il commis une erreur susceptible de révision en accordant un point d'évaluation à la demanderesse pour le facteur professionnel et en ne lui accordant aucun point pour le facteur de l'expérience?
L'agent des visas a accordé un point d'évaluation pour le facteur professionnel et aucun point pour le facteur de l'expérience. Les parties conviennent que le fait d'accorder un point d'évaluation pour le facteur professionnel et aucun point pour le facteur de l'expérience constituait une erreur, étant donné que le facteur 4(1)a) présuppose que la demanderesse avait satisfait, du moins, d'une certaine manière, aux exigences relatives à l'expérience. Je suis également d'avis que, dans les circonstances, le fait d'accorder un point d'évaluation pour le facteur professionnel constituait une erreur (voir Dauz c. M.C.I., (le 20 août 1999), dossier no IMM-3402-98 (C.F. 1re inst.)).
[20] La question qu'il faut maintenant se poser est de savoir si cette erreur de l'agent des visas a eu un effet déterminant sur sa décision. En d'autres termes, la demanderesse aurait-elle pu obtenir le visa si cette erreur n'avait pas été commise? J'ai examiné la décision de l'agent des visas et il a dit clairement, d'une manière inéquivoque, que la demanderesse n'avait aucune expérience en tant que modéliste. Il a expliqué, par exemple, qu'elle avait bien conçu des vêtements, mais qu'elle ne faisait qu'apporter des modifications à des designs déjà existants, ou qu'elle faisait des esquisses de vêtements d'après les idées des acheteurs. L'agent des visas était aussi d'avis que chez Paulson Enterprises, faire le design signifiait :
[traduction] |
[...] « faire le design » , vous avez dit que vous aidiez les patronniers et que vous apportiez votre aide pour « dessiner » des patrons. De temps à autre, vous discutiez avec les acheteurs, vous en avez rencontré trois au cours de votre emploi, et vous faisiez des esquisses à partir de leurs idées. Par exemple, les acheteurs vous indiquaient où placer les poches sur les vêtements, quel type de poche utiliser et leur couleur. Vous travailliez avec l'acheteur et vous prépariez des esquisses de ces idées. Ces esquisses étaient ensuite remises au patronnier. |
[21] Je ne peux qu'être en accord avec la décision de l'agent des visas de n'accorder aucun point d'évaluation pour le facteur de l'expérience. Puisque la demanderesse ne pouvait obtenir de visa si elle n'obtenait aucun point d'évaluation pour le facteur de l'expérience, l'erreur commise par l'agent des visas n'aurait pas pu avoir d'incidence sur le résultat final de la demande.
[22] La jurisprudence de la Cour a établi que lorsqu'un agent des visas a commis une erreur, la Cour n'interviendra pas si cette erreur n'est pas pertinente, c'est-à-dire si le résultat de la demande aurait été le même n'eut été de cette erreur (voir Barua c. MCI (1998), 157 F.T.R. (C.F. 1re inst.) et Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 44 IMM. L.R. (2nd) 176 (C.F. 1re inst.)). J'ai déjà conclu que d'une manière ou d'une autre, aucun visa ne pouvait être émis, étant donné que la demanderesse n'a reçu aucun point d'évaluation pour le facteur de l'expérience; par conséquent, je conclus qu'aucune intervention judiciaire n'est justifiée sur cette question.
[23] Question 3 |
L'agent des visas a-t-il omis de fournir à la demanderesse une possibilité juste et raisonnable de répondre aux questions qui le préoccupaient, commettant ainsi une erreur susceptible de révision?
La demanderesse soutient que l'agent des visas aurait dû lui dire d'apporter son dossier de présentation, ou lui demander si le document qu'elle avait présenté était son dossier de présentation, et qu'il aurait dû lui donner la possibilité de répondre aux questions qui le préoccupaient à l'égard de son expérience, de sa motivation et de ses qualifications. Elle prétend qu'il s'agit d'un manquement à l'obligation d'agir équitablement. Tous les éléments soulevés par l'agent des visas se rapportaient directement à l'évaluation qu'il était tenu de faire en vertu de l'article 8 du Règlement sur l'immigration de 1978. Rien n'oblige l'agent des visas à permettre à la demanderesse d'aborder ces questions autrement qu'en présentant ses éléments de preuve à l'entrevue (voir Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et autre) (1990), 36 F.T.R. 296). Il appartient à la demanderesse d'établir qu'elle a le droit de venir au Canada. Les paragraphes 6(1) et 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), prévoient :
6. (1) Subject to this Act and the regulations, any immigrant, including a Convention refugee, and all dependants, if any, may be granted landing if it is established to the satisfaction of an immigration officer that the immigrant meets the selection standards established by the regulations for the purpose of determining whether or not and the degree to which the immigrant will be able to become successfully established in Canada, as determined in accordance with the regulations. |
6. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, tout immigrant, notamment tout réfugié au sens de la Convention, ainsi que toutes les personnes à sa charge peuvent obtenir le droit d'établissement si l'agent d'immigration est convaincu que l'immigrant satisfait aux normes réglementaires de sélection visant à déterminer s'il pourra ou non réussir son installation au Canada, au sens des règlements, et si oui, dans quelle mesure. |
8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person. |
8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements. |
[24] Je suis d'avis que l'agent des visas n'a pas omis de donner à la demanderesse une possibilité juste et raisonnable de répondre aux questions qui le préoccupaient, et qu'il n'a donc pas commis d'erreur susceptible de révision. |
[25] Les parties n'ont présenté aucune question pour certification en vertu de l'article 83(1) de la Loi. |
[26] La demanderesse réclamait les dépens, mais puisqu'elle n'a pas eu gain de cause, ils ne lui seront pas accordés. |
[27] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. |
ORDONNANCE |
[28] LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. |
« John A. O'Keefe » |
J.C.F.C. |
Ottawa (Ontario) |
Le 28 septembre 2000 |
Traduction certifiée conforme |
Martin Desmeules, LL.B. |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-5472-99 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : TEJINDER KAUR BHOGAL |
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 5 SEPTEMBRE 2000 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE
EN DATE DU : JEUDI, 28 SEPTEMBRE 2000 |
ONT COMPARU
M. Stephen Green
POUR LA DEMANDERESSE |
M me Ann Margaret Oberst
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Green et Spiegel
Bureau 2200, C.P. 114
121, rue King Ouest
Toronto (Ontario)
M5H 3T9
POUR LA DEMANDERESSE
Ministère de la Justice
Bureau 3400, The Exchange Tower
130, rue King Ouest
Toronto (Ontario)
M5X 1K6
POUR LE DÉFENDEUR