Date : 20050224
Dossier : IMM-6893-04
Ottawa (Ontario), ce 24ièmejour de février, 2005
EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE SEAN HARRINGTON
ENTRE :
MARIE CARMELLE MARIUS GOURDET
EDVARD MARIUS
MELISSA MARIUS
ALAIN MARIUS
demandeurs
et
LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ
ET IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Mme Gourdet est citoyenne de l'Haïti. Elle travaillait comme fonctionnaire à la Direction générale des impôts (D.G.I.) comme vérificatrice d'impôts, et ensuite comme administratrice comptable pour une entreprise privée dans l'aire de l'Autorité portuaire national (APN). Mme Gourdet était très active en politique et faisait partie du parti de l'opposition, soit le parti Confédération-unité démocratique (KID) ainsi qu'au groupe « justice pour femmes » .
[2] Comme son emploi et sa vocalisation de ses opinions politiques la mettaient dans le domaine public, elle a attiré une haine mortelle des chimères lavalas armés (membres d'organisation populaires). Elle a été harcelée régulièrement par les chimères ainsi que par Ronald Cadavre, un meurtrier renommé, pendant les années 1993 jusqu'à son départ.
[3] L'évènement qui a causé à Mme Gourdet et sa famille de fuire l'Haïti pour le Canada fut celui du 28 juin 2002. Cet incident fut reporté par la revue mensuelle l'Ordre Nouveau en juillet 2002 disant :
Tandis que notre reporter assurait la couverture d'Évènements au Bureau Central de l'APN, il a pu remarquer des membres d'OP (Chimères lavalassiens) influents qui, dit-on, pourchassaient depuis plusieurs années une militante de l'opposition, Mme Gourdet, très active à travers les luttes démocratiques dénonçant l'impunité.
Les chimères se sont présentés ce jour là à son établissement de travail, une petite entreprise privée, munis de barres de fer, d'armes à feu, de pneus, de bidons d'essence, de pierres, etc. C'est leur méthode quand ils veulent éliminer physiquement un défenseur de la démocratie ou quand ils veulent l'appréhender pour lui faire subir des sévices corporels, le supplice du collier ou le torturer.
[4] L'article continue en confirmant ce que Mme Gourdet avait allégué, étant que les chimères se sont présentés pour la tuer puisqu'elle défendait pendant des années, la démocratie et qu'elle continuait à refuser d'être supplice des chimères. L'article corrobore aussi ce que le tribunal a conclu comme étant invraisembable, soit qu'elle s'est échappée par un trou à l'arrière du bureau.
[5] La demande d'asile de Mme Gourdet et de sa famille a été rejetée pour des raisons de crédibilité. Entres autres, le tribunal a tiré des inférences négatives du fait qu'elle a omis de faire mention du groupe « justice pour femmes » dans son formulaire de renseignements personnel (FRP), que le délai de quitter l'Haïti ne démontrait pas une crainte de persécution, et que les évènements du 28 juin 2002 étaient invraisemblables.
[6] Cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les raisons qui suivent.
[7] Bien que la plupart des conclusions visées sont des conclusion de fait, et que cette Cour ne peut intervenir que si la décision est manifestement déraisonnable, il doit exister une limite au-delà de laquelle les erreurs amèneront la Cour à rejeter les conclusions en raison de leur caractère manifestement déraisonnable, Canada (M.E.I.) c. Dan-Ash (1988), 93 N.R. 33; [1988] A.C.F. No. 571. En l'espèce, il est impossible de prétendre que cette limite n'a pas été atteinte.
[8] Premièrement, le défendeur a confirmé que le tribunal a erré en disant que Mme Gourdet aurait contredit son témoignage quand elle a répondu qu'elle n'a pas revendiqué l'asile aux États-Unis en 1995, 1998, 2001 et 2002 parce qu'elle n'avait pas de crainte durant ces années. En fait, Mme Gourdet n'a aucunement contredit son témoignage. Elle a répondu que bien qu'elle subissait des menaces de la part des chimères, elle n'a pas craint à sa vie avant l'évènement du 28 juin 2002.
[9] Deuxièmement, le tribunal a conclu que le délai d'un mois avant de quitter l'Haïti était preuve qu'elle ne craignait pas vraiment pour sa vie. En tenant compte du fait que Mme Gourdet avait un mari et quatre enfants, dont un souffrant d'un handicap, et que l'Haïti était en état d'insurrection faisant en sorte que d'obtenir un billet d'avion pour les citoyens d'Haïti n'était pas évident, la Cour n'est pas satisfaite qu'il était invraisemblable que la démarche de quitter le pays requiert un mois de délai.
[10] Troisièmement, la conclusion du tribunal, que Mme Gourdet n'aurait fait aucune mention du groupe « justice pour femmes » dans son FRP, est déraisonnable en tenant compte du fait que Mme Gourdet a clairement indiqué qu'elle appartenait à un syndicat dans son FRP et que lors de son témoignage, Mme Gourdet a expliqué que ce syndicat était bien le groupe « justice pour femmes » .
[11] Finalement, le tribunal n'a pas tenu compte de l'article haïtien dans l'Ordre Nouveau, pré-cité, qui corrobore les allégations de la demanderesse. Bien qu'un tribunal doit être présumé d'avoir considéré toute la preuve documentaire (Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. No. 598 (C.A.)(QL), cette présomption peut être réfutée, (Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. No. 1425 (1e inst.)(QL), lorsque la preuve est importante. En l'espèce, il est clair que l'article aurait dû être mentionné ainsi que les raisons pour la réfuter puisqu'elle corrobore toutes les allégations que le tribunal avait conclu comme étant invraisemblables.
[12] Pour ces raisons, la décision ne peut être maintenue.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés aux fins d'une nouvelle audition.
« Sean Harrington »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6893-04
INTITULÉ : MARIE CARMELLE MARIUS GOURDET, EDVARD MARIUS,
MELISSA MARIUS, ALAIN MARIUS
ET
LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ
ET IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 FÉVRIER 2005
MOTIFSDE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE: LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 24 FÉVRIER 2005
COMPARUTIONS:
Séverin Ndema-Moussa POUR LES DEMANDEURS
Marie Crowley POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Ndema-Moussa Law Office
Ottawa (Ontario) POUR LES DEMANDEURS
John H. Sims, c.r.,
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR