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Date : 20031209

Dossier : IMM-3423-02

Référence : 2003 CF 1435

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE                        

ENTRE :

                                                                        YU QING YU

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications, d'une décision rendue le 29 mai 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse demande que la décision de la Commission soit annulée et que sa revendication soit renvoyée à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision.

Les faits

Introduction

[3]                 La demanderesse est une citoyenne chinoise qui prétend craindre avec raison d'être persécutée par le gouvernement chinois parce qu'elle est catholique.

[4]                 La demanderesse a été baptisée dans la religion catholique alors qu'elle était enfant. Sa mère ainsi que ses frères et soeurs ont également été baptisés dans la religion catholique. En 1996, une église clandestine (également appelée maison-église) a ouvert ses portes dans le village de la demanderesse en Chine et celle-ci a régulièrement participé à des services religieux qui, parfois, étaient célébrés par un prêtre et une religieuse. Lorsqu'elle se trouvait au village, la religieuse passait la nuit à la maison de la demanderesse où celle-ci vivait avec son mari et ses deux enfants.


[5]                 Le 1er septembre 2001, un service auquel participait un prêtre, une religieuse et environ 15 personnes a été célébré dans la maison de la demanderesse. Le mari de la demanderesse était parti travailler ailleurs. Selon la demanderesse, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a frappé à sa porte durant le service. Elle-même ainsi que la plupart des autres personnes présentes ont réussi à s'échapper par la porte arrière de la maison. La demanderesse a laissé ses enfants dans la maison. Ils n'ont cependant pas été arrêtés par le BSP en raison de leur âge. La demanderesse et la religieuse sont allées se cacher dans une maison appartenant à un ami de la demanderesse. La religieuse et deux autres adeptes ont par la suite été arrêtés par le BSP. L'ami de la demanderesse a pris contact avec un passeur qui a aidé la demanderesse à se rendre au Canada moyennant une somme de 40 000 $US. La demanderesse est arrivée au Canada le 7 octobre 2001 et a revendiqué le statut de réfugiée.

Les motifs de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

[6]                 Une audience a été tenue le 15 mai 2002 par un tribunal composé d'un seul membre de la Commission. Dans une décision rendue le 29 mai 2002, la Commission a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. Elle a conclu qu'elle n'était pas un témoin crédible parce que son témoignage comportait de nombreuses contradictions et qu'elle avait adapté son témoignage de manière à étayer sa revendication.

[7]                 La Commission a relevé des contradictions entre les notes prises au point d'entrée, le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et le témoignage de cette dernière concernant l'arrestation de la religieuse. Lorsqu'elle a demandé à la demanderesse d'expliquer les événements cruciaux mentionnés dans son FRP initial, la Commission a remarqué que les réponses de la demanderesse étaient « incohérentes et évasives » .


[8]                 La Commission a donné un exemple pour illustrer de quelle façon la demanderesse avait adapté son témoignage. Elle a d'abord témoigné que les événements en question s'étaient déroulés le dimanche 1er septembre 2001. Quand on lui a dit que le 1er septembre 2001 était un samedi, elle a alors modifié son récit et a déclaré qu'ils avaient dû se réunir pour une quelconque autre raison ce soir-là.

[9]                 Étant donné les réserves qu'elle entretenait relativement à la crédibilité de la demanderesse, la Commission a conclu que celle-ci mentait et avait inventé son récit concernant la maison-église et la descente afin d'asseoir sa revendication du statut de réfugiée.

[10]            La Commission a également déclaré que la demanderesse n'avait pas fourni la preuve que les catholiques de Chine, dans l'ensemble, craignaient d'être persécutés et a souligné que ses frères et soeurs ainsi que sa mère n'ont pas fait l'objet de persécution. La demanderesse a produit une lettre émanant d'une église catholique de Toronto et portait un t-shirt arborant un logo catholique lors de son audience. Malgré cela, la Commission a conclu que la demanderesse s'était jointe à l'église afin d'asseoir sa revendication de réfugiée et non pas par conviction et engagement envers l'église. La Commission n'était pas convaincue qu'elle se joindrait à une maison-église clandestine lors de son retour en Chine.

[11]            La Commission a conclu que l'effet conjugué de ses réserves quant à la crédibilité était suffisant, à lui seul, pour qu'elle rejette la revendication.

Les prétentions de la demanderesse

[12]            La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de droit en concluant qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[13]            La demanderesse prétend que même si les présumés événements du 1er septembre 2001 ne se sont pas produits, elle ne serait pas autorisée à pratiquer sa religion librement si elle retournait en Chine.

[14]            La preuve documentaire montre que bien que le catholicisme soit l'une des cinq religions sanctionnées par l'État en Chine, les autorités ont interdit l'allégeance au pape et persécutent les catholiques romains.


[15]            La demanderesse prétend qu'il ressort de la jurisprudence qu'une personne n'a pas à exprimer ouvertement ses convictions religieuses pour obtenir protection en tant que réfugiée au sens de la Convention. Si la preuve montre qu'elle serait persécutée si elle pratiquait ouvertement, alors cela constitue un motif suffisant pour établir le bien-fondé d'une revendication du statut de réfugié : Ahmed c. Secretary of State for the Home Department, [1999] E.W.J. no 5882 (C.A.) (QL).

Les prétentions du défendeur

[16]            Le défendeur prétend que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en concluant que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[17]            Le défendeur prétend que la norme de contrôle en l'espèce consiste à savoir si la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable quant à la crédibilité.

[18]            Tant qu'un revendicateur n'a pas été déclaré réfugié au sens de la Convention, c'est à lui qu'incombe le fardeau de présenter une preuve claire et convaincante que sa revendication est bien fondée. La demanderesse a été incapable de relever une erreur de droit ou une violation de la justice naturelle qui justifierait l'intervention de la Cour.


[19]            Quant à la crédibilité, la Commission n'a pas commis d'erreur comme l'a prétendu la demanderesse. La Commission a motivé sa conclusion en l'espèce quant à la crédibilité en invoquant l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.). La Commission a donné trois exemples précis à l'appui de sa conclusion. Il est allégué que ces conclusions étaient raisonnables et étaient fondées sur la preuve soumise à l'audience. Comme il a été jugé dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), la Commission est autorisée à tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, comme elle l'a fait en l'espèce.

[20]            Le défendeur prétend également que la preuve documentaire démontre que, bien que le gouvernement chinois ne reconnaisse pas le pape, il autorise la pratique du catholicisme en chine.

La question en litige

[21]            La Commission a-elle-commis une erreur susceptible de révision?

Les dispositions législatives pertinentes

[22]            Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, est ainsi libellé :

"réfugié au sens de la Convention" Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or



(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

Analyse et décision

[23]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision?

La demanderesse prétend que la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble des facteurs et des questions qui lui ont été soumises et que même si les conclusions qu'elle a tirées quant à la crédibilité sont justes, elle n'a pas tenu compte de la question de savoir si la demanderesse était une catholique romaine qui craignait d'être persécutée si elle pratiquait sa religion à son retour en Chine.


[24]            La demanderesse, au cours de sa plaidoirie, a critiqué les conclusions que la Commission avait tirées quant à la crédibilité et le défendeur s'est objecté car cette prétention ne figurait pas dans le mémoire. J'ai déclaré que je trancherais cette question dans ma décision. Toutefois, je n'ai pas à trancher ce point car j'estime que même compte tenu des arguments invoqués à l'encontre des conclusions quant à la crédibilité, les conclusions de la Commission quant à celle-ci doivent être confirmées.

[25]                La Commission a conclu que l'effet cumulatif des conclusions quant à la crédibilité suffisait pour que l'on conclue que la demanderesse n'est pas crédible. Je reconnais que l'effet cumulatif des réserves quant à la crédibilité suffisait pour que l'on conclue à la non crédibilité. Je n'examinerai pas chacune des réserves mentionnées dans la décision de la Commission.

[26]            La Commission a été saisie d'une lettre provenant de l'Église Notre-Dame du Mont-Carmel dans laquelle il était mentionné que la demanderesse était une pratiquante catholique de Toronto.

[27]            La Commission a déclaré ce qui suit à la page 2 de sa décision :

Cependant, pour les motifs suivants, j'ai dû conclure que la revendicatrice avait inventé son récit afin d'étayer sa revendication du statut de réfugié.

La Commission, en statuant de la sorte, a conclu que la demanderesse n'était pas une catholique ayant des liens avec une maison-église clandestine en Chine, ce qui constituait le fondement de sa prétention selon laquelle elle craignait d'être persécutée.


[28]       La Commission a de plus conclu que, selon les motifs que l'on a avancés pour conclure que son récit n'était pas crédible, la demanderesse a joint l'église catholique à Toronto afin de donner plus de poids à sa revendication du statut de réfugiée. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve qui lui a été soumise.

[29]            La demanderesse a prétendu qu'il n'y avait aucune conclusion de fait quant à savoir si elle était une catholique pratiquante et elle s'est appuyée sur la décision rendue par le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel) dans Chong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 999 (1re inst.) (QL) afin d'étayer cette prétention. Il existe des différences entre les faits de l'espèce et les faits de la décision Chong, précitée. En l'espèce, la Commission a conclu que la demanderesse avait inventé son récit selon lequel elle était catholique en Chine et elle a également conclu que son appartenance à l'église catholique au Canada ne servait qu'à donner du poids à sa revendication du statut de réfugiée. La Commission a alors abordé la question de savoir si la demanderesse était une catholique en Chine. Dans la décision Chong, précitée, la Commission n'avait pas abordé cette question.

[30]            La Commission a de plus conclu que la demanderesse ne joindrait pas une maison-église clandestine à son retour en Chine. Compte tenu du fait que la Commission avait déjà décidé qu'elle avait inventé son récit selon lequel elle appartenait à une maison-église en Chine et qu'elle avait joint l'église catholique au Canada afin de donner du poids à sa revendication du statut de réfugiée, cette conclusion n'est pas déraisonnable.

[31]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[32]            Aucune des parties n'a souhaité me soumettre une question grave de portée générale pour que je l'examine.

ORDONNANCE

[33]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 _ John A. O'Keefe _             

                                                                                                                               Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 décembre 2003

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     IMM-3423-02

INTITULÉ :                                    YU QING YU

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 11 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                  LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                  LE 9 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Shelley Levine                                   POUR LA DEMANDERESSE

Jeremiah Eastman                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates                              POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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