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Date : 20051129

Dossier : IMM-341-05

Référence : 2005 CF 1607

 

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

GHANI ABDUL SUMAIR (ALIAS SUMAIR ABDUL GHANI)

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 23 décembre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu’il n’était pas crédible et n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté au Bangladesh.


LES FAITS

[2]        Le demandeur, un citoyen bangladais âgé de 22 ans, affirme craindre avec raison d’être persécuté par des membres du Parti national du Bangladesh (PNB) au pouvoir parce qu’il travaille pour la Ligue Awami (LA) et a refusé d’adhérer au PNB.

 

[3]        Le demandeur affirme qu’il a commencé à appuyer activement la LA en 2000, et qu’il a par la suite été nommé chef de la [traduction] « ligue des étudiants ». Le demandeur soutient qu’il est visé par des hommes de main du PNB, plus précisément en raison des faits suivants :

i.          pendant la campagne qui a précédé les élections d’octobre 2001, il a été menacé par des partisans du PNB et, à un moment donné, il a été roué de coups;

 

ii.         après l’élection du PNB, des partisans de la LA ont été arrêtés et torturés;

 

iii.         le 23 juin 2002, il a été arrêté et détenu pendant deux jours par la police;

 

iv.        son père a obtenu sa mise en liberté et l’a informé qu’il était sur la liste de la police du renseignement du Bangladesh et qu’il était recherché par elle, et c’est la raison pour laquelle il s’est caché;

 

v.         en décembre 2002, le demandeur est arrivé au Canada avec un visa d’étudiant et n’a demandé l’asile qu’en mai 2003, soit un mois après que son père eut quitté son entreprise de Dhaka par crainte d’être harcelé par la police et le PNB.

 

 

LA QUESTION EN LITIGE

[4]        Il s’agit de savoir si la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable en matière de crédibilité à l’égard d’une question touchant un aspect important de la demande d’asile du demandeur.

 

L’ANALYSE

[5]        Le demandeur soutient que la conclusion cumulative de la Commission au sujet de sa crédibilité est manifestement déraisonnable. Plus précisément, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur sur les points suivants :

i.          elle n’a accordé aucune force probante à la preuve documentaire présentée pour étayer son allégation de persécution;

 

ii.         elle a tiré une conclusion défavorable de son omission de présenter des preuves visant à résoudre la question d’identité quant à son droit de demander la protection au Pakistan et elle a jugé invraisemblable qu’il ne sache pas que le droit bangladais autorise la double citoyenneté;

 

iii.         elle a tiré une conclusion défavorable du fait qu’il ait pu quitter le Bangladesh en utilisant son propre passeport;

 

iv.        elle a tiré une conclusion défavorable du fait qu’il ait attendu un certain temps avant de présenter une demande d’asile au Canada et qu’il n’ait pas fourni d’explication raisonnable à ce sujet.

 

 

[6]        La Commission possède une expertise grâce à laquelle elle est mieux placée que toute autre instance pour évaluer la nature du risque de persécution auquel sera confronté le demandeur d’asile s’il retourne dans son pays d’origine. (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 47, le juge Bastarache). La Cour n’intervient que lorsque ces conclusions sont manifestement déraisonnables (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, aux paragraphes 4 et 5; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Dans la décision Chen, précitée, j’ai déclaré aux paragraphes 4 et 5 :

¶4            La Commission est un tribunal spécialisé en ce qui a trait aux revendications du statut de réfugié. En 2001, la Commission a instruit plus de 22 000 revendications du statut de réfugié, elle en a admis 13 336 et elle en a refusé 9 551. Par ailleurs, la Commission a un accès direct aux dépositions des témoins, et elle est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale s'était exprimée ainsi :

 

Qui, en effet, mieux que la section du statut de réfugié, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

 

Avant qu'une conclusion de la Commission en matière de crédibilité ne soit annulée (et avant que ne soit accordée l'autorisation de présenter une demande touchant une conclusion en matière de crédibilité), l'un des critères suivants doit être rempli (ou suffisamment défendable dans le cas d'une demande d'autorisation) :

 

1. la Commission n'a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n'était pas crédible;

 

2. les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d'invraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

 

3. la décision était fondée sur des conclusions qui n'étaient pas autorisées par la preuve; ou

 

4. la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.

 

Voir l'affaire Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11 (Madame le juge Reed).

 

5. Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n'annulera une décision de ce genre, ou n'autorisera une demande de contrôle judiciaire d'une telle décision, qu'en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C'est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s'acquitter d'une très lourde charge, à la fois au stade de la demande d'autorisation et au stade de l'audience si l'autorisation est accordée.

 

 

[7]        La Commission s’est fondée sur le fait que le demandeur a omis de fournir des preuves au sujet de son droit de résider au Pakistan pour conclure qu’il n’était pas crédible. Le demandeur avait résidé au Pakistan de l’âge de sept ans à l’âge de quatorze ans, la mère et le frère du demandeur résident actuellement au Pakistan où ils ont le statut de citoyen étant donné qu’ils sont tous deux nés au Pakistan, et la Commission a conclu que les preuves documentaires indiquaient que le Bangladesh autorisait dans certains cas la double nationalité. Le demandeur est né au Bangladesh, mais n’aime pas vivre au Pakistan à cause de la discrimination dont il avait fait l’objet à l’école, et ne savait pas qu’il avait le droit de résider au Pakistan pour échapper à la persécution dont il faisait l’objet au Bangladesh.

 

[8]        Le juge Sean Harrington a déclaré dans El Rafih c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1036, au paragraphe 10 :

¶10 La citoyenneté, y compris la double citoyenneté, est une question compliquée en droit international. Les lois nationales peuvent être modifiées. Nos propres lois ont subi d’importants changements au fil des ans (voir Wilson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1874).

 

Je reconnais qu’il n’est pas facile de comprendre le droit relatif à la double citoyenneté et que c’est une question complexe. En outre, les preuves documentaires mentionnées par la Commission au sujet du droit relatif à la double citoyenneté au Bangladesh ne sont pas claires du tout lorsqu’il s’agit de les appliquer à une personne dans la situation du demandeur. J’estime que la conclusion de la Commission selon laquelle le fait que le demandeur ne connaissait pas la nature de son statut relatif à sa citoyenneté au Pakistan et « [qu’il] n’ait pas présenté de preuve qui permettrait de savoir s’il a le droit de résider au Pakistan » n’appuie pas raisonnablement la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’est pas un témoin crédible.

 

[9]        Il convient de rappeler que la Commission n’a pas soulevé cette question avant l’audience, et que celle-ci ne l’a été qu’à l’occasion des questions posées par la Commission à la fin de l’audience. La Commission a fait à tort de cette conclusion relative à la crédibilité un élément central et essentiel de sa décision sur l’ensemble de l’affaire. Je dois par conséquent intervenir. La Commission ne peut soulever une question importante comme celle de l’existence d’un deuxième pays de référence sans en informer le demandeur et sans lui accorder la possibilité de présenter des observations à ce sujet, et se fonder sur cet aspect pour conclure que l’absence de connaissances du demandeur à ce sujet constitue un aspect important de la conclusion relative à la crédibilité.

 

[10]      Compte tenu de la conclusion de la Cour au sujet de cette question centrale touchant la crédibilité du demandeur, je ne ferai pas de commentaires sur la question de savoir si la Commission pouvait raisonnablement mettre en doute la crédibilité du demandeur en se basant sur d’autres motifs moins essentiels.

 

[11]      Les avocats nous ont informés que la présente demande ne soulevait pas une question grave de portée générale qui devait être certifiée en vue d’un appel. La Cour souscrit à cette opinion et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la Commission datée du 23 décembre 2004 est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-341-05

 

INTITULÉ :                                       GHANI ABDUL SUMAIR (ALIAS SUMAIR ABDUL GHANI)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 NOVEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avi J. Sirlin

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Angela Marinos

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avi J. Sirlin

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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