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Date : 20051024

Dossier : IMM-43-05

Référence : 2005 CF 1439

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

MOHAMMED JAHANGIR ALAM

(également appelé ALAM JAHANGIR)

MOSHAMMATH SHAMSHAD ROOHI

(également appelée ROOHI SHAMSHAD)

ZAIDAN MOHAMMAD JAHANGIR

AKRA MOSHAMMATH JAHANGIR

ADNAN JAHANGIR

KAMAL HOSSAIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         M. Mohammed Jahangir Alam est le demandeur principal dans cette procédure. Au début de 2003, le demandeur principal, son épouse, ses deux fils, sa fille et M. Kamal Hossain, son frère (le frère), sont arrivés au Canada depuis les États-Unis et ont présenté des demandes d'asile. À l'exception de la fille, qui est née aux États-Unis, tous sont des ressortissants du Bangladesh. Par une décision datée du 14 décembre 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leurs demandes d'asile. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

Points litigieux

[2]         Les demandeurs ont structuré ainsi les points à décider :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans ses conclusions relatives à la nature du rôle politique joué par les demandeurs?

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve relative au fondement objectif des demandes d'asile?

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans l'évaluation de la crédibilité des demandeurs?

Faits

[3]         Le demandeur principal était un membre actif de l'ancien parti politique au pouvoir au Bangladesh, le Parti Jatiyo (le PJ). Il dit que, entre 1988 et 1991, avant de s'enfuir aux États-Unis, il avait été repéré par un « fier-à-bras » du parti au pouvoir aujourd'hui, le PNB. Il a demandé l'asile aux États-Unis et, en 1995, sa famille l'a rejoint et s'est jointe à sa demande d'asile. Il affirme que les brutes du PNB sont encore à sa recherche et que, s'il retourne au Bangladesh, sa vie sera en danger.

[4]         Le frère, qui était lui aussi impliqué dans les activités du PJ, dit qu'il a été agressé et menacé par les fiers-à-bras du PNB et par la police. Il s'est enfui aux États-Unis en 1992 et y a demandé l'asile. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le frère court le risque, s'il est renvoyé au Bangladesh, d'être arrêté, torturé et liquidé en raison de son appartenance au PJ.

[5]         Toutes les demandes d'asile des demandeurs ont été rejetées aux États-Unis. Les demandeurs sont restés illégalement aux États-Unis durant quelque temps, puis sont arrivés au Canada le 22 février 2003, où ils ont demandé le même jour le statut de réfugiés au sens de la Convention.

Décision de la Commission

[6]         La Commission a décidé de ne pas croire le demandeur principal et son frère, en raison des contradictions et des lacunes entachant leurs FRP, leurs notes prises au point d'entrée et leurs témoignages. Plus précisément, la Commission a estimé que la crainte de persécution ressentie par chacun d'eux était rattachée à la vengeance personnelle d'un fier-à-bras du PNB, mais a retenu que le demandeur principal et son frère n'avaient pas nommé ces individus au point d'entrée et que le frère ne les avait pas nommés dans son FRP. S'agissant du demandeur principal, la Commission a aussi estimé qu'il était invraisemblable que Abu Mutaleb (un fier-à-bras nommément désigné) ait pu savoir que le demandeur d'asile était responsable de son emprisonnement et qu'il ait voulu pour cette raison se venger de lui. La Commission a aussi tiré une conclusion défavorable de ce que le demandeur principal n'ait pas fait état de renseignements clés dans son FRP à propos de la présumée persécution exercée contre son deuxième frère, resté au Bangladesh, et à propos de l'affirmation selon laquelle le deuxième frère avait déménagé plusieurs fois pour assurer sa sécurité. Les raisons données par le demandeur principal et par le frère pour expliquer cette omission (ils devaient, disaient-ils, quitter en toute hâte les États-Unis à cause d'un renforcement des contrôles exercés sur les immigrants illégaux) n'ont pas été retenues par la Commission.

[7]         En même temps qu'elle concluait à la non-crédibilité des demandeurs, la Commission s'est exprimée sur la preuve de nature psychologique produite par les demandeurs. Selon cette preuve, le frère était d'une intelligence limite et il aurait du mal à répondre à des questions. La Commission a dit qu'elle ne tirait pas une conclusion défavorable du comportement du frère ou de son incapacité à comprendre les questions, mais plutôt des lacunes et invraisemblances entachant la preuve.

[8]         En raison du « caractère subalterne » des activités du demandeur principal et de son frère au sein du PJ, et puisque 13 années s'étaient écoulées depuis leurs activités au Bangladesh, la Commission est arrivée à la conclusion qu'ils ne seraient pas exposés à un risque de préjudice grave s'ils étaient renvoyés dans leur pays. La Commission a pris note de l'inexistence d'une preuve documentaire indiquant que les militants subalternes du PJ étaient aujourd'hui persécutés.

[9]         Finalement, la Commission a estimé que la fille du demandeur principal, une citoyenne américaine, n'avait aucune raison valide de présenter une demande d'asile. Les demandeurs ne contestent pas cette dernière conclusion.

Analyse

Norme de contrôle

[10]       Les trois points soulevés se rapportent tous aux conclusions de fait tirées par la Commission, pour lesquelles la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. S'agissant des points de fait, la juridiction de contrôle ne peut intervenir que si elle estime que la Commission « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] » (Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d)).

Point no 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans ses conclusions relatives à la nature du rôle politique joué par les demandeurs?

[11]       Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle est arrivée à la conclusion que le rôle subalterne joué par le demandeur principal et son frère dans le PJ atténuait le risque qu'ils couraient. Ils disent que c'était là une considération hors de propos (Butucariu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 115 (C.A.); Ponce-Yon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 212, aux paragraphes 9 et 10). La Commission a commis une erreur en accordant du poids à la période de temps que les demandeurs d'asile avaient passée hors de leur pays d'origine plutôt qu'au risque de persécution future. Ils font valoir en particulier que la Commission a commis une erreur en laissant de côté l'affirmation claire du demandeur principal selon laquelle il poursuivrait ses activités politiques au Bangladesh (Ahmed c. Secretary of State for the Home Department, [1999] E.W.J. No. 5882 (C.A.)).

[12]       Le rôle politique des demandeurs était un facteur pertinent pour la Commission. La règle à tirer des décisions Butucariu et Ponce-Yon, précitées, est très étroite. Dans ces précédents, la crédibilité n'était pas en cause et il existait une preuve non contredite attestant que les demandeurs d'asile avaient été victimes de persécution et que les militants politiques de tous les niveaux étaient persécutés. La Cour avait jugé que la Commission ne pouvait pas se fonder sur le faible niveau d'influence politique des demandeurs d'asile pour leur refuser le statut de réfugié. Dans la demande dont je suis saisie, en revanche, la crédibilité des demandeurs a été mise en doute et il n'a pas été établi que les membres du PJ correspondant au profil des demandeurs étaient persécutés. Il était donc raisonnable pour la Commission de se demander si les positions occupées par les demandeurs appelleraient l'attention de leurs présumés persécuteurs au sein du PNB.

[13]       Je souscris à l'opinion du défendeur selon laquelle la Commission a tenu compte du rôle politique futur des demandeurs quand elle a évalué le fondement objectif de leur crainte. Le raisonnement de la Commission est de nature prospective. Il serait en effet absurde pour la Commission de se demander simplement si les demandeurs avaient été exposés à la persécution dans le passé, et rien n'indique, à mon avis, que c'est ce qu'elle a fait. En l'absence d'autres indications, la Commission était fondée à présumer que les demandeurs occuperaient à peu près les mêmes positions subalternes que celles qu'ils avaient occupées auparavant. En outre, il était raisonnable pour la Commission de prendre en compte la période au cours de laquelle les demandeurs s'étaient trouvés hors du Bangladesh; il est logique que cela soit un facteur à retenir lorsqu'on détermine si les demandeurs attireraient l'attention des partis politiques rivaux à leur retour.

[14]       Je relève que la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles, dans l'arrêt Ahmed, précité, un précédent invoqué par les demandeurs, avait affaire non pas à des activités politiques, mais à la persécution fondée sur des observances religieuses. Il est difficile de concevoir que les activités politiques d'une personne soient tout aussi impossibles à juguler que ses observances religieuses. Dans l'arrêt Ahmed, la Cour d'appel d'Angleterre admettait qu'il est sans doute raisonnable de penser que des demandeurs d'asile réduiront leurs activités politiques ou religieuses dans leur pays d'origine (au paragraphe 19). Elle a aussi jugé que l'affirmation d'un demandeur d'asile selon laquelle il poursuivrait dans son pays d'origine ses activités compromettantes aurait tendance à faire douter davantage de sa crédibilité et de sa crainte subjective, mais que, si telle affirmation était véridique, elle ne constituerait pas une raison suffisante pour que soit rejetée la demande d'asile (aux paragraphes 20 et 21). Je suis d'avis que, en l'espèce, la Commission pouvait parfaitement espérer des demandeurs qu'ils agiraient avec prudence en cas de retour au Bangladesh, et je crois qu'une intention contraire de leur part, compte tenu des autres discordances de leur dossier, aurait pu raisonnablement faire douter la Commission de leur sincérité.

[15]       Quoi qu'il en soit, la Commission semble avoir présumé que les demandeurs réintégreraient leurs anciens postes au sein du PJ, et je suis d'avis qu'elle a tenu compte du risque futur couru par les demandeurs.

Point no 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve relative au fondement objectif des demandes d'asile?

[16]       Dans sa décision, la Commission écrivait que la preuve documentaire « ne dit rien du préjudice que peuvent subir les militants du PJ de ce niveau subalterne, dans le Bangladesh d'aujourd'hui » . Ainsi que le font observer les demandeurs, il existe une preuve documentaire (encore que de sources peu connues) faisant état de sévices subis par des militants subalternes. Se fondant sur cette affirmation, les demandeurs disent que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire d'une persécution des sympathisants subalternes du PJ.

[17]       L'affirmation relevée par les demandeurs doit être considérée dans le cadre de la décision tout entière. Plus loin dans sa décision, la Commission note que « les demandeurs n'ont pas été des chefs de district, ni des chefs d'aile étudiante ni d'anciens députés » . C'est là une référence directe à la preuve documentaire dont les demandeurs disent qu'elle a été laissée de côté. Par ailleurs, après examen des documents en cause, je ne suis pas convaincue que ces documents prouvent que les membres subalternes du PJ courent un risque. La plupart des incidents signalés concernent des « chefs » du parti, ou l'ancien premier ministre lui-même, ou concernent des agressions sur des représentants du parti. Il était loisible à la Commission de dire que ces documents « ne di[saient] rien » de la persécution de membres subalternes du PJ. Par conséquent, il m'est impossible de dire que la Commission a laissé cette preuve de côté.

Point no 3 : La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans l'évaluation de la crédibilité des demandeurs?

[18]       Les demandeurs signalent plusieurs présumées erreurs dans les conclusions de la Commission touchant leur crédibilité. Les conclusions ou lacunes que les demandeurs mettent en doute sont notamment les suivantes :

  • les inférences tirées du fait que les notes prises au point d'entrée du demandeur principal n'indiquaient pas qu'il craignait la personne précise qui prétendument était un agent de persécution;

  • l'inférence défavorable tirée par la Commission relativement aux FRP du demandeur principal et de son frère, qui faisaient état de menaces proférées contre eux, ainsi que l'absence de mention, dans les motifs de la Commission, de l'affidavit d'un autre frère, qui était resté au Bangladesh et qui jurait qu'il avait été contraint de déménager en raison de la persécution ambiante et qu'il était encore l'objet de menaces; et

  • la conclusion de la Commission selon laquelle il était invraisemblable que des fiers-à-bras du PNB soient encore à la recherche des demandeurs après 13 ans d'absence.

[19]       Avec l'exception possible de l'affidavit du frère, chacune de ces conclusions ou inférences était, à mon avis, une conclusion ou inférence faisant intervenir une appréciation de la preuve. Je ne suis pas convaincue que la Commission a commis, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, une erreur susceptible de contrôle.

[20]       Il eût été préférable pour la Commission de s'exprimer sur l'affidavit du frère dans ses motifs. Toutefois, je ne crois pas que cet affidavit allait au coeur de la décision de la Commission comme le prétendent les demandeurs. Si la Commission a eu tort de ne pas tenir compte de cet affidavit, l'erreur n'était pas importante au sens où l'entend la Cour dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.).

Dispositif

[21]       En résumé, après lecture de la décision et du dossier soumis dans la présente affaire, et après examen des arguments des demandeurs, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. La décision, surtout si elle est lue globalement, ne permet pas de dire que la Commission « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] » . La demande sera rejetée. Aucune des parties n'a proposé qu'une question soit certifiée; aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée; et

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-43-05

INTITULÉ :                                        MOHAMMED JAHANGIR ALAM ET AL.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 18 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 24 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Stephen H. Gold                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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