Date : 20010816
Dossier : IMM-4915-00
Référence neutre : 2001 CFPI 883
Entre :
OLUSHOLA IJAGBEMI
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 11 août 2000 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention selon la définition prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
[2] La demanderesse, une citoyenne du Nigéria âgée de 31 ans, prétend avoir une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social. Plus précisément, elle soutient que M. Dagbolu, l'herboriste principal dans son village, veut qu'elle devienne son épouse contre sa volonté.
[3] La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas suffisamment crédible en raison des observations suivantes :
- La Commission a jugé non crédible le fait que, malgré son allégation selon laquelle l'ensemble de la communautécraignait M. Dagbolu en raison de ses pouvoirs vaudou et des atrocités qu'il avait commises, la demanderesse aurait continué de vivre dans son village pendant plusieurs mois. Elle a jugé non crédible son allégation de fétichisme pour la même raison.
- La Commission doutait de l'allégation de la demanderesse selon laquelle M. Dagbolu avait chassé sa mère parce qu'elle s'était opposée au mariage; en effet, rien ne prouvait que la demanderesse, le frère ou le cousin de celle-ci avait essayé d'obtenir de l'aide pour la retrouver.
[4] L'allégation de partialité qu'a faite M. Istvanffy contre la Commission dans les observations qu'il a déposées pour le compte de la demanderesse est dénuée de tout fondement. Il n'a pas jugé opportun de mentionner à la Cour un seul exemple dans la preuve qui tendrait à établir l'existence d'une telle partialité. Comme l'a récemment rappelé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt AndréArthur c. Le Procureur général du Canada (4 juillet 2001), A-333-99, les allégations de partialité sont sérieuses et ne devraient pas être faites à la légère. De telles allégations devraient à tout le moins s'appuyer sur la preuve dont est saisie la Cour.
[5] Les arguments relatifs à la Charte canadienne des droits et libertés soulevés aux paragraphes 34 à 38 des observations de la demanderesse sont sans fondement et devraient être rejetés, compte tenu du nombre d'affaires où M. Istvanffy (l'avocat de la demanderesse) a soulevé des arguments semblables, lesquels ont toujours été rejetés par la Cour en raison de leur caractère prématuré. Cette position trouve appui dans les commentaires suivants du juge Teitelbaum qui, en refusant des arguments semblables soulevés par M. Istvanffy dans Cota c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 872 (QL), au paragraphe 30, a indiqué :
Cet argument est sans mérite. La Cour d'appel fédérale a déterminé dans l'affaire Barrera c. Canada (M.E.I.), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.F.) qu'il était prématuré de déterminer si la déportation du demandeur serait cruelle et inusité puisque le Ministre n'avait pas encore déterminé si le demandeur constituait un danger pour le public et le mettant en danger imminent de déportation. Il s'ensuit qu'il est tout aussi prématuré de déterminer si une décision refusant d'accorder le statut de réfugié au demandeur enfreint l'article 12 de la Charte.
[6] Enfin, pour ce qui est de la crédibilité et de la preuve, il est bien établi que la cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de la Commission sur la crédibilité, dans la mesure oùcelles-ci s'appuient régulièrement sur la preuve. La Commission est fondée à conclure que le demandeur n'est pas digne de foi en raison d'invraisemblances dans son témoignage, dans la mesure où ses conclusions ne sont pas déraisonnables (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315, à la page 316 (C.A.F.)) et que ses motifs sont exprimés en « termes clairs et explicites » (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199, à la page 201 (C.A.F.)).
[7] Sauf preuve du contraire, la Commission est présumée avoir examiné l'ensemble des éléments de preuve qui lui ont été soumis, qu'elle l'ait ou non mentionné dans ses motifs : voir Florea c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (11 juin 1993), A-1307-91 (C.A.F.) et Hassan c. Canada (M.E.I.) (1992), 147 N.R. 317, à la p. 318 (C.A.F.). Cependant, quand la Commission n'a pas mentionné des éléments de preuve qui ont directement trait à la question centrale du litige, sa décision est susceptible de contrôle : Atwal c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 82 F.T.R. 73, le juge Gibson.
[8] En l'espèce, j'ai des réserves quant au fait que la Commission ne s'est pas penchée sur les viols et les volées de coups qu'aurait fait subir à la demanderesse M. Dagbolu, son ravisseur. C'est encore plus déconcertant si l'on tient compte du fait que l'appréciation de la Commission se fondait uniquement sur de soi-disant invraisemblances plutôt que de s'appuyer sur des invraisemblances internes précises dans le témoignage de la demanderesse, et si l'on prend en considération la preuve documentaire sur la situation au Nigéria, où il y a notamment des meurtres rituels et des inégalités entre les sexes.
[9] Comme la revendication de la demanderesse portait entièrement sur ces allégations de violence, je suis d'avis que l'omission de la Commission d'examiner ces questions dans ses motifs était suffisamment grave pour justifier l'intervention de la Cour.
[10] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à une nouvelle audition.
« Yvon PINARD »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 16 août 2001
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
Date : 20010816
Dossier : IMM-4915-00
Ottawa (Ontario), le 16 août 2001
En présence de monsieur le juge Pinard
Entre :
OLUSHOLA IJAGBEMI
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 11 août 2000 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à une nouvelle audition.
« Yvon PINARD »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-4915-00
INTITULÉ: OLUSHOLA - c - MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 10 juillet 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : Le 16 août 2001
COMPARUTIONS:
M. Stewart Istvanffy POUR LA DEMANDERESSE
M. Guy M. Lamb POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
M. Stewart Istvanffy POUR LA DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada