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Date : 20011217

Dossier : IMM-5105-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1395

ENTRE :

                                                GNANESWARY SIVAGURUNATHAN

                                                  SAJINTHAN SIVAGURUNATHAN

                                                 THUVARAKA SIVAGURUNATHAN

                                                   NIJINTHAN SIVAGURUNATHAN

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                                                                                                       

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale, présentée suivant le paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi), d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 25 août 2000, selon laquelle les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Les demandeurs, Gnaneswary Sivagurunathan et ses trois enfants mineurs, Sajinthan Sivagurunathan, dix-sept (17) ans, Thuvaraka Sivagurunathan, quatorze (14) ans, et Nijinthan Sivagurunathan, onze (11) ans, qui revendiquent ensemble le statut de réfugié, sont tous citoyens du Sri Lanka. Leur revendication du statut de réfugié est fondée sur leur présumée appartenance à un groupe social, soit les Tamouls du Nord du Sri Lanka.

[3]                 La demanderesse est née dans le Nord du Sri Lanka. En mai 1981, elle a épousé un homme d'affaires d'Erlalai, une ville située aussi dans le Nord du Sri Lanka. Ils ont habité dans le Nord du Sri Lanka où ils ont exploité une entreprise, au moins jusqu'en 1989.

[4]                 Après 1989, le mari de la demanderesse a vécu en Europe et au Canada. La Suisse lui a refusé le statut de réfugié en 1991 et, selon les autorités suisses, il avait disparu vers le milieu du mois d'août 1994. Il a par la suite revendiqué le statut de réfugié au Canada.

[5]                 La demanderesse prétend qu'elle est demeurée dans le Nord du Sri Lanka jusqu'en octobre 1998.


[6]                 La demanderesse prétend qu'elle a dû, alors qu'elle vivait dans le Nord du Sri Lanka, payer aux Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (TLET) des « taxes » et des frais exorbitants. Elle prétend en outre avoir subi du harcèlement de la part des TLET qui en 1990 avaient pris le contrôle du Nord du Sri Lanka. Ses enfants avaient aussi subi des menaces de recrutement obligatoire alors qu'ils vivaient dans le Nord.

LA QUESTION EN LITIGE

[7]                 La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée d'une manière abusive ou arbitraire ou sans qu'elle ait tenu compte des éléments dont elle disposait?

ANALYSE

Norme de contrôle

[8]                 La norme de contrôle des questions de crédibilité a été établie dans la décision Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1329 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a statué :

La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.


[9]                 La Commission peut, afin de tirer ses conclusions quant à la crédibilité, prendre en compte les contradictions ou les incohérences du témoignage d'un revendicateur du statut de réfugié. Dans l'arrêt Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F no 1271 (C.A.F.), M. le juge Stone a fait la déclaration suivante qui illustre l'affirmation précédemment mentionnée :

S'il appert qu'une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s'est formée adéquatement, aucun principe juridique n'habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l'absence de crédibilité.

[10]            Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour a déclaré :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent?    Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[11]            La Commission doit toutefois énoncer des motifs suffisants relativement à ses conclusions quant à la crédibilité. Dans l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.F.), M. le juge Heald, au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré ce qui suit :

Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. L'évaluation (précitée) que la commission a faite au sujet de la crédibilité de l'appelant est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l'incapacité de l'appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.


LA CRÉDIBILITÉ DE LA DEMANDERESSE

[12]            La Commission a conclu que, de façon générale, la demanderesse n'était pas crédible.

Contradictions entre le témoignage de la demanderesse et le FRP de son mari

[13]            Il y avait des contradictions entre le témoignage sous serment lors de l'audience et les FRP de la demanderesse et de son mari. Notamment, lors de l'audience, la demanderesse a témoigné que son mari avait quitté le Nord du Sri Lanka parce que les TLET voulaient qu'il travaille pour eux et qu'il devienne membre de leurs forces auxiliaires. La Commission a toutefois conclu que le FRP de la demanderesse ne mentionnait aucune de ces demandes de la part des TLET. On a fait remarquer à la demanderesse que son témoignage et celui de son mari étaient contradictoires, mais elle a réitéré que son témoignage quant aux difficultés vécues par son mari était véridique. La Commission n'en était pas convaincue.

Le passeport sri lankais de la demanderesse


[14]            Il y avait des contradictions entre le témoignage de la demanderesse au sujet de l'obtention d'un passeport et la preuve documentaire à cet égard. La Commission a par conséquent conclu que le passeport que la demanderesse avait présenté était un faux passeport étant donné son témoignage selon lequel elle avait payé un agent pour obtenir un passeport. Le Service d'immigration danois et le Conseil danois pour les réfugiés ont cependant déclaré, lors du séjour qu'ils effectuaient au Sri Lanka dans le but de procéder à la mise à jour de leurs renseignements, qu'aucun changement n'était survenu dans la procédure d'obtention de passeport, ce qui signifiait qu'une demande de passeport devait se faire en personne. Les passeports ne sont pas délivrés de la manière décrite par la demanderesse. La Commission a par conséquent conclu à la page 3 de sa décision :

Nous concluons donc que le témoignage de la revendicatrice est en contradiction totale avec la preuve documentaire fiable et objective dont nous disposons. Le passeport présenté par la revendicatrice n'est pas un authentique passeport sri-lankais. Nous concluons que la revendicatrice n'est pas digne de foi.

  

[15]            La demanderesse n'était pas au courant des procédures récentes d'obtention d'un passeport au Sri Lanka. Étant donné qu'elle n'était pas au courant de la procédure simple qui existait pour l'obtention d'un passeport, la Commission a pu conclure que la demanderesse n'était pas présente dans le Nord du Sri Lanka à l'époque pertinente.

[16]            L'allégation de la demanderesse selon laquelle le passeport avait pu être obtenu en payant un pot-de-vin n'est qu'une pure hypothèse non appuyée par la preuve et elle devrait par conséquent être rejetée.

Absence de documentation en provenance du Nord du Sri Lanka


[17]            La Commission était préoccupée par le fait qu'aucun élément de preuve attestant la présence de la demanderesse dans le Nord du Sri Lanka après 1989 n'avait été soumis. Si la demanderesse avait vécu dans le Nord du Sri Lanka, comme elle le prétendait, elle aurait été capable de fournir des dossiers scolaires pour ses enfants, des dossiers relatifs à son entreprise ou d'autres éléments de preuve permettant de corroborer sa prétention qu'elle y avait vécu pendant les neuf (9) années. La Commission a écrit aux pages 4 et 5 de sa décision :

Selon nous, la revendicatrice devrait raisonnablement pouvoir présenter, relativement aux neuf années que les revendicateurs prétendent avoir passées au Sri Lanka après 1989, de la documentation comme des dossiers scolaires ou des pièces provenant de l'entreprise que la famille exploitait àJaffna. En effet, l'absence d'explications raisonnables pour justifier le défaut de présenter la documentation voulue peut amener un tribunal à tirer une inférence négative au moment où il évalue la crédibilité d'un revendicateur ou statue sur le fondement objectif de sa revendication. Nous trouvons déraisonnable que la revendicatrice n'ait absolument rien fait pour obtenir les dossiers scolaires de ses enfants et nous en tirons une inférence négative.

[18]            La question de la récente résidence dans le Nord du Sri Lanka est pertinente pour décider du bien-fondé de la revendication parce que la preuve documentaire démontre que le gouvernement du Sri Lanka respecte généralement les droits des citoyens qui résident dans les régions qui ne sont pas touchées par le conflit. Bien que les Tamouls se déplacent passablement peu, un grand nombre d'entre eux vivent à Colombo et il n'y a aucune preuve qu'il existe des restrictions quant à la possibilité de vivre à Colombo pour les Tamouls qui reviennent de l'étranger. La Commission n'était pas convaincue que la demanderesse avait récemment vécu dans le Nord du Sri Lanka et elle l'a déclaré à la page 6 de sa décision :

Nous arrivons à la conclusion que les revendicateurs ne sont ni crédibles, ni dignes de foi. Ils n'ont pas vécu dans le Nord du Sri Lanka au cours des dernières années. Nous acceptons qu'ils sont nés dans le Nord et y ont résidé un certain temps. Toutefois, nous n'avons aucune idée de l'endroit où ils ont vécu après 1989, et nous tirons la conclusion de fait que cet endroit, quel qu'il soit, n'était pas le Nord du Sri Lanka.

[19]            La Commission a décidé que la demanderesse n'avait pas de motifs valables de craindre d'être persécutée au Sri Lanka. Par conséquent, la Commission a conclu aux pages 7 et 8 de sa décision :


Pour les motifs qui précèdent et après avoir soigneusement examiné l'ensemble de la preuve présentée à l'audience, nous n'avons pas la conviction que les revendicateurs ont établi qu'ils avaient de bonnes raisons de craindre d'être persécutés [...]

  

[20]            En l'espèce, la Commission a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse en termes très clairs à la page 3 de sa décision : « Nous concluons que la revendicatrice n'est pas digne de foi. » Les fondements des conclusions quant à la crédibilité sont nombreux. Étant donné la retenue de la Cour à l'endroit de la Commission, et vu que les conclusions quant à la crédibilité sont énoncées clairement et non pas en termes vagues ou généraux, il n'est pas justifié que la Cour intervienne à l'égard de ces conclusions.

[21]            La preuve documentaire appuyant le récit de la demanderesse est insuffisante pour justifier l'intervention de la Cour à l'égard des conclusions de la Commission. L'existence d'une telle preuve ne démontre pas que la Commission a commis une erreur de droit, elle ne fait plutôt que démontrer que la Commission a tiré une conclusion après avoir apprécié la preuve, comme il lui était loisible de le faire suivant les principes de l'arrêt Hassan v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] F.C.J. No. 946 (F.C.A.).

[22]            Finalement, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse parce que cette dernière était incapable de fournir des documents qui auraient confirmé l'allégation selon laquelle elle avait vécu dans le Nord du Sri Lanka au cours des neuf (9) dernières années. De plus, aucune explication raisonnable n'a été fournie quant au manque de documentation. À mon avis, cette conclusion était raisonnable.


[23]            Il n'y a eu aucune erreur qui justifierait que la Cour intervienne à l'égard des conclusions de la Commission dans la présente affaire.

                                                                     ORDONNANCE

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Aucun des avocats n'a soumis une question aux fins de la certification.

  

                                                                                                                                  « Pierre Blais »             

                  Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-5105-00

INTITULÉ :                               Gnaneswary Sivagurunatham et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :           Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :            Le 13 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE    :          MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :         Le 17 décembre 2001

COMPARUTIONS :

Jack Davis                                           POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John W. Grice                                       POUR LES DEMANDEURS

North York (Ontario)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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