Date : 20031014
Dossier : IMM-5955-02
Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2003
En présence de Monsieur le juge von Finckenstein
ENTRE :
MOHAMED (A.M.) ALHABOOB
NAJLA (A.) NOAMAN
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.
« K. von Finckenstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20031014
Dossier : IMM-5955-02
ENTRE :
MOHAMED (A.M.) ALHABOOB
NAJLA (A.) NOAMAN
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre d'une décision rendue le 5 novembre 2002 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans sa décision, la Commission a tranché que Mohamed (A.M.) Alhaboob et Najla (A.) Noaman (demandeur et demanderesse respectivement) n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
CONTEXTE FACTUEL
[2] Jusqu'en 1997, le demandeur était artiste dans son pays d'origine, le Yémen. Il prétend avoir été persécuté, au cours des années 1990, principalement par le gouvernement, du fait de ses opinions politiques imputées qu'il exprimait par l'art. Plus gravement, en 1994, il prétend avoir été arrêté puis averti par le ministre de l'Intérieur de cesser ses activités artistiques. En 1997, soi-disant avec l'aide d'un parent, il est allé aux États-Unis où il est devenu chargé de liaison culturelle à l'ambassade du Yémen.
[3] Son épouse, la demanderesse, prétend avoir été persécutée au cours des années 1990 par la Fraternité islamique, un groupe d'extrémistes musulmans ayant l'appui du gouvernement yéménite, en raison de sa participation à des activités liées aux questions concernant les femmes. Elle a quitté le Yémen avec le demandeur en 1997.
[4] Environ six mois après son arrivée aux États-Unis, elle est retournée au Yémen pour terminer ses études. Elle prétend avoir participé de nouveau à des activités liées aux questions concernant les femmes. À la fin de 1997, le demandeur est également retourné au Yémen.
[5] Le couple prétend avoir été victime d'une tentative d'assassinat le 15 mars 1998. À la suite de cet événement, le demandeur et la demanderesse sont retournés aux États-Unis où ils ont passé environ un an et demi et présenté une demande d'asile. Ils prétendent que, durant cette période, quelqu'un s'est introduit par effraction dans leur résidence et qu'ils ont été victime d'une attaque violente, le tout à l'instigation du gouvernement du Yémen. En août 2000, le couple est venu au Canada et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[6] La Commission, dans une décision datée du 5 novembre 2002, a tranché que le demandeur et la demanderesse n'avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention. L'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été accordée en juillet 2002.
DÉCISION DE LA COMMISSION
[7] La Commission a conclu que le demandeur et la demanderesse n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce que leur crainte de persécution n'était pas fondée et que leur récit n'était pas crédible. Ses motifs pour les périodes de 1994 à 1997, 1997 à 1998 et 1998 à 2000 sont résumés dans les paragraphes qui suivent.
Période de 1994 à 1997
[8] La Commission n'a pas cru qu'il était possible que le demandeur ait pu être persécuté par l'État et en même temps se voir offrir le poste de chargé de liaison culturelle auprès de l'ambassade du Yémen aux États-Unis. Elle a estimé que son retour au Yémen en 1997 était incompatible avec une crainte subjective de persécution. En outre, elle a fait remarquer qu'il avait fourni des témoignages contradictoires sur des questions connexes. Par exemple, dans son témoignage de vive voix, il a déclaré avoir quitté le Yémen en 1997 pour accompagner son épouse lors d'une visite médicale. Par ailleurs, il a précisé dans sa déclaration écrite, qu'il avait quitté son pays avec l'aide du parent dont il a été fait mention précédemment pour occuper un poste à l'ambassade.
[9] La Commission n'a pas cru la demanderesse lorsqu'elle a déclaré avoir été persécutée par un groupe d'extrémistes musulmans ayant l'appui du gouvernement, compte tenu d'un rapport publié en 2001 qui indiquait que le gouvernement expulsait les extrémistes étrangers. En outre, la Commission a relevé des contradictions dans ses revendications. Par exemple, elle a donné des dates différentes dans son témoignage de vive voix et dans son exposé narratif écrit pour l'incident où on avait tenté de la poignarder. Finalement, la Commission a conclu que la prétention selon laquelle elle avait été persécutée était incompatible avec le fait qu'elle était retournée au Yémen en 1997 et qu'elle n'avait pas averti son mari concernant la situation qui régnait au pays avant qu'il y revienne lui aussi.
Période de 1997 à 1998
[10] La Commission a écarté la prétention selon laquelle le demandeur et la demanderesse avaient été persécutés après leur retour au Yémen en 1997, pour les motifs suivants :
1. La demanderesse s'est contredite en alléguant que les membres de son groupe clandestin d'étudiants se sont vu offrir la protection de partis politiques et qu'elle n'a reçu aucune protection lorsqu'elle a décidé de ne pas adhérer à un parti.
2. La preuve documentaire sur la situation qui régnait au pays était incompatible avec la prétention selon laquelle on avait tenté d'assassiner le demandeur et la demanderesse.
3. Les photocopies des articles que la demanderesse a soi-disant rédigés ont été jugées peu fiables.
4. La prétention selon laquelle le couple avait été persécuté était incompatible avec le fait que l'État aurait eu bien des occasions de l'arrêter mais ne l'a pas fait.
5. Le couple a donné des témoignages contradictoires sur plusieurs autres questions.
Période de 1998 à 2000
[11] La Commission a estimé que les demandeurs s'étaient contredits en ce qui a trait au moment où ils ont présenté leur demande d'asile aux États-Unis. S'appuyant sur l'ensemble de la preuve, les commissaires ont conclu que le demandeur et la demanderesse étaient venus au Canada uniquement parce qu'ils craignaient de ne pas se voir accorder l'asile aux États-Unis. De plus, la Commission était d'avis que les copies du mandat soi-disant délivré pour l'arrestation du demandeur ne constituaient pas une preuve fiable principalement parce qu'il était peu probable que le gouvernement du Yémen ait délivré un mandat six ans après un prétendu acte de trahison.
QUESTIONS EN LITIGE
[12] Les demandeurs soulèvent essentiellement les deux points suivants :
1. La Commission a-t-elle écarté les témoignages et la preuve documentaire?
2. La Commission a-t-elle écarté la totalité de la preuve?
[13] En particulier, les demandeurs allèguent que :
1. La Commission a reconnu que le demandeur était un artiste et que, par son art, il s'exprimait sur des thèmes politiques, mais elle a refusé la preuve documentaire sur les méthodes utilisées pour restreindre la liberté d'expression au Yémen.
2. Elle a écarté le témoignage du demandeur concernant son exposition à Sanaa, qui devait durer dix jours mais qui a été fermée par les forces de sécurité après deux jours seulement, ainsi que le témoignage où il a déclaré que, à la suite de la proposition de l'ambassadeur de France de déménager l'exposition à l'Institut culturel français, il a été averti par les forces de sécurité que ce geste équivaudrait à de la trahison.
3. Elle a amplifié le fait que le demandeur n'ait pas mentionné, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), que la maladie de son épouse était la raison pour laquelle il était allé aux États-Unis en 1997, bien qu'il en ait fait état dans son témoignage de vive voix.
4. Elle a fait erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas été persécutés par le gouvernement du Yémen puisqu'ils étaient allés aux États-Unis avec un visa diplomatique. Les demandeurs ont soutenu qu'un parent, qui travaillait à l'ambassade du Yémen, leur a procuré le visa pour leur faire une faveur et que les actions de ce dernier ne pouvaient donc pas être attribuées au gouvernement du Yémen.
5. Elle s'est appuyée sur le rapport du Département d'État de 2001 pour réfuter le témoignage des demandeurs qui ont affirmé que l'État soutenait le terrorisme islamique en 1994.
6. Elle a trop mis l'accent sur le fait que la demanderesse a confondu les années 1994 et 1996 dans son témoignage. Cette situation était attribuable au stress émotionnel qu'elle a subi en témoignant à propos d'événements traumatiques. Il a été allégué que cette situation de confusion ne devrait pas servir à miner la crédibilité de la demanderesse.
7. Elle a mal interprété le témoignage concernant leur retour au Yémen. Il est allégué que la demanderesse a décidé de retourner à l'université d'État afin de terminer ses études, au lieu de s'inscrire dans une université privée, en raison de la qualité de l'enseignement à laquelle elle aurait droit dans cet établissement public. Les demandeurs font valoir que la qualité de l'enseignement, plutôt que le coût, était la préoccupation déterminante, contrairement à ce qu'a conclu la Commission.
8. Elle a mal interprété les déclarations de la demanderesse quant à savoir si elle était la seule personne ciblée ou si d'autres personnes l'étaient également et a fait des inférences exagérées quant à sa crédibilité.
9. Elle a mal interprété les différences entre le FRP de la demanderesse et son témoignage à propos de ses activités antérieures à 1996. En outre, les demandeurs ont soutenu que le fait, pour la demanderesse, de ne pas avoir mentionné certains événements parce qu'elle croyait qu'ils étaient exposés dans le FRP de son mari ne devrait pas être utilisé pour attaquer sa crédibilité.
10. Elle a mal interprété la preuve concernant leur demande du statut de réfugié aux États-Unis. Ils ont allégué que le fait de ne pas avoir eu recours aux services d'un avocat au début parce qu'ils n'en avaient pas les moyens ne devrait pas être interprété comme un témoignage ambivalent.
11. Elle a à tort écarté les documents présentés à titre de mandats d'arrestation et omis de les considérer comme faisant partie intégrante de l'ensemble de la preuve.
[14] À mon avis, aucun des points soulevés n'équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable. La Commission a bien examiné l'ensemble de la preuve et tenu compte des contradictions, mais elle n'était tout simplement pas convaincue que le récit des demandeurs était crédible et que leur crainte était fondée. La crédibilité est une question qui doit être tranchée par la Commission. La Cour doit se garder d'intervenir à moins que la Commission ait écarté de la preuve ou tiré une conclusion manifestement déraisonnable. Comme l'a affirmé le juge Noël (maintenant juge à la Cour d'appel) dans Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. 385 :
La Cour doit se montrer très prudente afin de ne pas substituer sa propre décision à celle du tribunal, en particulier lorsque la décision repose sur une évaluation de la crédibilité.
[15] Après avoir pris connaissance de la transcription et m'être particulièrement intéressé aux onze points mentionnés par l'avocate, je ne puis conclure que la Commission a commis une erreur en venant à la conclusion qu'elle a tirée. Même s'il se peut que j'en sois venu à une conclusion différente sur certains points dans le cas où j'aurais moi-même entendu la preuve, je ne vois rien au dossier qui laisserait à penser que la Commission n'aurait raisonnablement pas pu en venir à la conclusion qu'elle a tirée.
[16] Les demandeurs se sont appuyés particulièrement sur le point 5 de l'énumération précédente. Le paragraphe pertinent de la décision de la Commission fait référence au rapport de 2001 du Département d'État sur le Yémen. Il est rédigé comme suit :
Événements antérieurs à 1996 - Selon elle, la demandeure a toujours dénoncé l'absence de démocratie au Yémen, la police militaire et politique oppressive, et le gouvernement. À l'université, entre 1984 et 1987, et ensuite entre 1993 et 1996, elle soutient s'être heurtée à l'opposition de la Fraternité islamique qui, selon elle, a l'appui du gouvernement. Dans la preuve documentaire on peut lire ceci :
[traduction]
En décembre, le gouvernement a expulsé environ 100 étrangers, dont bon nombre étudiaient dans des écoles religieuses musulmanes, qui seraient entrés au pays illégalement. Le gouvernement a soutenu que ces personnes étaient soupçonnées d'avoir incité à la violence ou d'avoir commis des actes criminels en faisant la promotion de l'extrémisme religieux.
Cela réfute clairement la prétention du demandeur selon laquelle l'État appuie les extrémistes islamiques.
[17] La demanderesse a allégué que l'examen par la Commission de la situation qui régnait au pays en 2001 n'est pas pertinent quant à la soi-disant menace à laquelle elle a dû faire face à partir du milieu des années 1980 jusqu'au milieu des années 1990. Il me semble que la Commission, sur le fondement de l'ensemble de la preuve dont elle a été saisie, y compris le rapport de 2001, avait conclu que la demanderesse ne serait pas menacée par les extrémistes islamiques si elle retournait au Yémen. En fait, dans la décision de la Commission, il aurait été préférable que la phrase « [c]ela réfute clairement la prétention du demandeur selon laquelle l'État appuie les extrémistes islamiques » ait été formulée comme suit : « [c]ela réfute clairement la prétention du demandeur selon laquelle l'État appuie encore les extrémistes islamiques » . Toutefois, le fait de ne pas avoir expressément employé cet adverbe de temps sous-entendu n'entraîne pas une erreur donnant matière à révision.
[18] La demande sera par conséquent rejetée.
« K. von Finckenstein »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 14 octobre 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5955-02
INTITULÉ : MOHAMED (A.M.) ALHABOOB
NAJLA (A.) NOAMAN
c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 OCTOBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE von FINCKENSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 14 OCTOBRE 2003
COMPARUTIONS :
Linda Martschenko POUR LES DEMANDEURS
Bridget O'Leary POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Linda Martschenko POUR LES DEMANDEURS
176, avenue University, bureau 700
Windsor (Ontario) N9A 5P1
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada