Toronto (Ontario), le 18 janvier 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
FINLAHY CAROLYN CORTEZ ALVAREZ
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié porte principalement sur la question suivante : le tribunal examinant la demande d'asile de Mme Alvarez avait-il l'obligation, pendant l'audience, de confronter la demanderesse avec les contradictions présentes dans sa preuve? Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d'avis qu'il n'y a eu aucun manquement à l'équité de la procédure ni d'autre erreur susceptible de révision et que la demande doit être rejetée.
[2] La demanderesse, Finlahy Carolyn Cortez Alvarez, est une citoyenne du Venezuela de 23 ans qui demande l'asile au Canada en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.
[3] Mme Alvarez allègue qu'elle serait victime de persécution du fait de son appartenance à un certain groupe social, soit les membres de sa famille, en raison de leurs convictions politiques. Mme Alvarez, qui vient d'un milieu relativement bien nanti, soutient que pour cette seule raison, sa famille était considérée comme faisant partie de l'opposition au gouvernement Chavez au Venezuela. Sa mère était aussi une activiste reconnue contre le régime de Chavez. La demanderesse avait, elle-même, pris part à quelques manifestations et avait été visée par des menaces et victime d'un cambriolage, qu'elle attribue à des motifs politiques.
[4] La Commission a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée ni une personne à protéger pour plusieurs raisons. La demanderesse n'a pas présenté assez de preuves crédibles et dignes de foi pour prouver qu'il y avait une possibilité raisonnable qu'elle risquait d'être victime de persécution si elle retournait au Venezuela. De plus, la Commission a conclu qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour la demanderesse à Cumana ou à Ciudad Guayana.
[5] Pour conclure qu'il existait une PRI viable pour la demanderesse, la Commission a suivi le critère en deux parties établi par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706; (1991), 140 N.R. 138. La première partie du critère est une évaluation quant à savoir s'il y a une possibilité sérieuse que le demandeur puisse être persécuté dans les lieux considérés comme PRI. En l'espèce, la Commission a examiné consciencieusement le profil politique de la demanderesse et de sa famille avant de conclure qu'il était peu probable qu'elle serait persécutée dans la PRI considérée. La demanderesse a témoigné qu'elle ne faisait pas partie d'un parti politique et que sa participation à des protestations antigouvernementales se limitait à avoir pris part à entre cinq et huit manifestations pacifiques tenues pendant des grèves nationales.
[6] La Commission avait des réserves à l'égard des différentes versions que la demanderesse a données au sujet du présumé cambriolage. En bout de ligne, il n'y avait pas suffisamment de preuves crédibles et dignes de foi devant la Commission pour démontrer que le présumé cambriolage était lié aux activités politiques de la demanderesse et de sa famille. Aucun lien de ce genre n'avait été fait dans les déclarations précédentes de la demanderesse dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) ni lors de l'entrevue avec des agents de l'immigration au point d'entrée. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas conclure qu'il existait un risque sérieux de persécution dans les endroits envisagés comme PRI.
[7] La deuxième partie du critère établi dans Rasaratnam, susmentionnée, porte sur la question de savoir s'il serait déraisonnablement difficile pour le demandeur de se rendre à l'endroit offrant apparemment la PRI. En l'espèce, la Commission a tenu compte de l'âge, de l'éducation et de l'expérience de la demanderesse avant de conclure qu'il ne serait pas déraisonnablement difficile pour elle de déménager dans une autre partie du Venezuela. Tel qu'il l'a été établi dans Farooq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 867, [2005] A.C.F. no 1081 (QL), la demanderesse devait satisfaire à une exigence préliminaire très rigoureuse afin d'établir qu'il serait déraisonnable pour elle de trouver refuge dans une autre partie du pays, et la Commission n'a pas été convaincue qu'il avait été satisfait à cette exigence préliminaire.
[8] La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable fondée sur d'apparentes incohérences entre son témoignage, son exposé des faits qu'elle a reformulé deux fois et l'entrevue au point d'entrée. La demanderesse a témoigné que ses parents ont dû se cacher et mettre leur propriété à vendre parce qu'ils avaient été menacés en raison de leurs activités politiques. Elle a aussi témoigné que sa soeur avait été victime d'un enlèvement « express » (de courte durée) et qu'elle s'était enfuie aux États-Unis. Les reformulations de l'exposé des faits et l'entrevue ne font pas mention des parents de la demanderesse ni de l'enlèvement de sa soeur.
[9] La Commission n'a pas reconnu de force probante à une lettre écrite par un avocat, qui avait été soumise juste avant l'audience, parce que cette lettre était incompatible avec le témoignage sous serment de la demanderesse. La lettre ne faisait aucune mention de la situation des parents de la demanderesse et affirmait que la demanderesse et sa soeur avaient toutes deux été victimes d'enlèvements.
[10] La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de lui faire savoir ce qu'elle considérait comme des omissions et des incohérences, et qu'elle n'a par conséquent pas eu la possibilité de s'expliquer ou de clarifier sa preuve : Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 135 N.R. 300, [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.F.) (QL).
[11] Dans la décision Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (C.F. 1re inst.) (QL), la juge Danielle Tremblay-Lamer a examiné la jurisprudence et a conclu que, pour déterminer si le tribunal a l'obligation de montrer au demandeur les contradictions présentes dans sa preuve, il faut examiner dans chaque dossier un certain nombre de facteurs ou de lignes directrices, qu'elle a énoncés au paragraphe 16 comme suit :
1. La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse
minutieuse de la transcription ou de l'enregistrement de l'audience
ou était-elle évidente?
2. S'agissait-il d'une réponse à une question directe du tribunal?
3. S'agissait-il d'une contradiction réelle ou uniquement d'un lapsus?
4. Le demandeur était-il représenté par un avocat, auquel cas celui-ci pouvait l'interroger sur toute contradiction?
5. Le demandeur communiquait-il au moyen d'interprète? L'usage d'un interprète rend les méprises attribuables à l'interprétation (et alors, les contradictions) plus probables.
6. Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances?
[12] Ce critère a reçu de nombreuses fois l'approbation de la Cour : Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1233, [2005] A.C.F. no 1499 (QL); Demaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1333, [2005] A.C.F. no 1628 (QL); Farooq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 867, [2005] A.C.F. no 1081 (QL); Toure c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1388, [2004] A.C.F. no 1668 (QL).
[13] Pour ces motifs, je conclus que pour le cas en l'espèce, le tribunal n'était pas requis d'exposer à la demanderesse les incompatibilités entre son témoignage et les déclarations qu'elle avait faites précédemment. La demanderesse a été représentée par un avocat chevronné pendant toute la durée de la procédure, de la tâche initiale de remplir son FRP jusqu'à l'audience devant la Commission. Rien n'indique que les incompatibilités ont été causées par des problèmes de traduction, ni qu'elles étaient le résultat d'un lapsus. Les contradictions étaient évidentes et n'ont pas été découvertes à la suite d'une analyse minutieuse de la part du tribunal afin de justifier une décision défavorable au sujet de la crédibilité.
[14] Il était aussi possible pour la Commission de tirer une conclusion défavorable compte tenu de l'absence de renseignements substantiels dans la preuve documentaire présentée par la demanderesse. Étant donné que les activités politiques des parents de la demanderesse constituaient l'élément central de la demande, il aurait été tout à fait pertinent que la lettre de l'avocat mentionne l'allégation de la demanderesse portant sur le fait que ses parents avaient dû se cacher. Cette omission, ainsi que l'erreur au sujet des enlèvements étaient évidentes et la demanderesse aurait dû clarifier la situation dans son témoignage afin de s'acquitter de la charge qui reposait sur elle. En ne mettant pas la demanderesse directement devant ces faits, la Commission n'a manqué à aucune de ses obligations.
[15] Par conséquent, la demande sera rejetée. Aucune question de portée générale n'a été énoncée, et aucune ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.
« Richard G. Mosley »
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-703-05
INTITULÉ : FINLAHY CAROLYN CORTEZ ALVAREZ
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 JANVIER 2006
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
COMPARUTIONS:
Loftus Cuddy POUR LA DEMANDERESSE
Jamie Todd POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gertler & Associates
Etobicoke (Ontario) POUR LA DEMANDERESSE
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR