Date : 20040518
Dossier : T-2139-02
Référence : 2004 CF 713
Ottawa (Ontario), le 18 mai 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL
ENTRE :
OLIVIA ANN ELIZABETH BANKS
demanderesse
et
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesse
et
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
intervenante
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision (la décision) par laquelle l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), a rejeté, le 22 novembre 2002, la plainte déposée par la demanderesse, Olivia Ann Elizabeth Banks, à l'encontre de la défenderesse, la Société canadienne des postes (la défenderesse), à la suite d'une cessation d'emploi.
HISTORIQUE
[2] La demanderesse a travaillé pour la défenderesse de 1980 jusqu'à ce que, par une lettre en date du 15 juillet 1997, elle soit renvoyée, le renvoi devant prendre effet le 31 août 1997.
[3] Le motif énoncé à l'appui de la cessation d'emploi était [traduction] l' « incapacité [de la demanderesse] d'effectuer un travail productif utile » ; il était en outre déclaré que la défenderesse ne disposait [traduction] d' « aucun renseignement susceptible de démontrer la capacité [de la demanderesse] de retourner travailler d'une façon productive » . La défenderesse se fondait sur les dispositions relatives au renvoi pour incapacité figurant à l'article 10.10 de la convention collective.
[4] La demanderesse, par l'entremise de son syndicat, le Syndicat des postiers du Canada (le SPC), a présenté un grief à l'égard du renvoi au moyen de la procédure de présentation des griefs prévue dans la convention collective. Toutefois, sur les conseils du SPC, elle s'est désistée de son grief le 30 septembre 1997 ou vers cette date, du moins en partie, de façon à pouvoir obtenir le remboursement de ses contributions au compte de pension de retraite avant son 45e anniversaire de naissance.
[5] La demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission le 16 décembre 1997 ou vers cette date, en alléguant que la défenderesse [traduction] « a[vait] agi d'une façon discriminatoire à [s]on endroit en mettant fin à [s]on emploi à cause de [s]a déficience (blessure à la hanche gauche, douleur pelvienne et sacro-iliaque) en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (la Loi).
[6] Le 5 janvier 1997, la demanderesse a déposé une plainte de représentation injuste contre le SPC auprès du Conseil canadien des relations du travail à l'égard de son renvoi. Elle s'est désistée de cette plainte le 27 février 1998.
[7] Par une lettre en date du 20 novembre 1998, Mme Lucie Veillette, secrétaire à la Commission, a écrit à la demanderesse pour l'informer que la Commission avait [traduction] « décidé d'examiner la plainte [...] » .
[8] La défenderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du 20 novembre 1998; par une ordonnance rendue par la juge Tremblay-Lamer le 6 avril 2000, la demande a été rejetée.
DÉCISION VISÉE PAR L'EXAMEN
[9] La plainte de la demanderesse a fait l'objet d'une enquête de la part de l'enquêteur de la Commission, Mme Ivy Scott (l'enquêteur), qui a soumis un rapport d'enquête daté du 30 octobre 2001 (le rapport d'enquête). Après avoir examiné les faits et les assertions des parties, l'enquêteur a recommandé [traduction] « que la Commission nomme un conciliateur pour tenter d'en arriver à un règlement de la plainte » .
[10] La demanderesse a reconnu avoir reçu et lu le contenu du rapport d'enquête.
[11] La plainte a été renvoyée au conciliateur, Mme Penny Goldrick (le conciliateur), pour conciliation au mois de février 2002. La plainte n'a pas été réglée et le conciliateur a renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'elle prenne une décision. Le conciliateur a fait les recommandations suivantes :
[traduction]
a) que, conformément à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission demande la constitution d'un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte, ou
b) que, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission rejette la plainte parce que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci par un tribunal n'est pas justifié.
[12] Par une lettre en date du 24 septembre 2002, la Commission a envoyé à la demanderesse une copie des observations que la défenderesse avait présentées à la suite de la communication du rapport d'enquête. La Commission a en outre invité la demanderesse à faire part de ses commentaires par écrit au plus tard le 11 octobre 2002.
[13] Par une lettre en date du 10 octobre 2002, la demanderesse a écrit au conciliateur et lui a fait part de ses commentaires concernant les observations que la défenderesse avait soumises à la suite de la communication du rapport d'enquête.
[14] Par une lettre en date du 22 novembre 2002, Mme Veillette, pour le compte de la Commission, a écrit à la demanderesse et l'a informée de la décision de la Commission de rejeter la plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.
[15] Le 20 décembre 2002 ou vers cette date, la demanderesse a déposé et signifié un avis de demande dans lequel elle sollicitait le contrôle judiciaire de la décision.
POINTS LITIGIEUX
[16] La demanderesse, qui agit pour son propre compte, soulève les questions suivantes :
La Société canadienne des postes a omis d'accommoder la demanderesse d'une façon complète utile.
En faisant semblant de l'accommoder, la Société canadienne des postes a contribué à aggraver la déficience de la demanderesse.
Lorsque la demanderesse a été atteinte de sa déficience, la Société canadienne des postes a omis de lui offrir des solutions de rechange.
La Société canadienne des postes a congédié la demanderesse à cause d'une déficience attribuable au lieu de travail.
La Société canadienne des postes n'a pas traité l'indemnité de départ de la demanderesse et le remboursement de ses contributions au compte de pension de retraite en temps opportun et d'une façon conciliante.
La Société canadienne des postes a agi à maintes reprises de façon discriminatoire à l'endroit de la demanderesse.
La Commission canadienne des droits de la personne a excédé sa compétence en omettant de tenir compte de toute la preuve, qui était exacte.
La Commission canadienne des droits de la personne a commis un déni de justice naturelle à l'endroit de la demanderesse.
[17] La Commission déclare que le point pertinent, en ce qui la concerne, est le suivant :
La Commission canadienne des droits de la personne est-elle tenue de délivrer des motifs lorsqu'elle prend une décision fondée sur l'article 44?
ARGUMENTS
Arguments de la demanderesse
[18] La demanderesse affirme que la défenderesse a omis de l'accommoder d'une façon complète utile comme il en est fait mention dans une note de service que H.R. Sanders, chef des relations de travail, a envoyée le 11 septembre 1996 à Gil Hebert, directeur général, service du courrier; cette note de service avait été mise à la disposition de la Commission, mais cette dernière ne s'en est pas servi comme preuve en prenant sa décision.
[19] La demanderesse affirme qu'en faisant semblant de l'accommoder, la défenderesse a contribué à aggraver sa déficience.
[20] La demanderesse affirme également que, lorsqu'elle a été atteinte de sa déficience, la défenderesse n'a pas offert de solutions de rechange comme l'exige l'article 54.02 de la convention collective.
[21] La demanderesse allègue que la défenderesse l'a congédiée à cause d'une déficience attribuable au lieu de travail.
[22] La demanderesse déclare également que la défenderesse n'a pas traité son indemnité de départ et le remboursement de ses contributions au compte de pension de retraite en temps opportun et d'une façon conciliante.
[23] Selon la demanderesse, la défenderesse a agi d'une façon discriminatoire à son endroit en la congédiant avant que le rapport d'un médecin spécialiste qui avait été demandé soit soumis en preuve. La lettre de congédiement en date du 15 juillet 1997 et le rapport médical du docteur Wolfgang Shamberger en date du 27 juillet 1997 n'ont pas non plus été utilisés comme preuve par la Commission lorsque cette dernière a pris sa décision, même si les deux documents avaient été mis à sa disposition.
[24] La demanderesse déclare également que la Commission a utilisé une lettre se trouvant dans le dossier d'une autre personne dans le cadre de la prise de décision.
[25] Aux dires de la demanderesse, la défenderesse savait qu'elle était atteinte d'une déficience avant le mois de mars 1997. La demanderesse déclare avoir envoyé une lettre en date du 13 septembre 1996 du docteur D.C. McKenzie, de la clinique de médecine sportive Allan McGauin, à l'université de la Colombie-Britannique, indiquant la nature de la blessure et les conditions qui aggraveraient cette blessure. La demanderesse note que la Commission a refusé cet élément de preuve étant donné qu'il avait déjà été soumis dans la plainte W44388 déposée devant elle et parce que la lettre avait été rédigée avant la tenue de l'enquête en cours.
[26] La demanderesse soutient qu'il est injuste qu'après cinq années de travail acharné, la Commission ait rejeté sa demande sans lui donner de motifs.
Arguments de la défenderesse
Remarques générales
[27] La défenderesse prend la position selon laquelle la plupart des observations de la demanderesse figurant dans la partie III de son exposé des faits et du droit se rapportent aux allégations qu'elle avait faites au sujet de sa conduite, qui a été à l'origine du dépôt de la plainte. Aux dires de la défenderesse, la substance de ces observations ne peut pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire, sauf dans la mesure où ces observations se rapportent à une présumée omission de la part de la Commission de faire état comme il se doit de ces allégations dans sa décision.
Quelle est la norme de contrôle à appliquer à une décision rendue par la Commission conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi?
[28] Les paragraphes 44(1) et (3) de la Loi sont ainsi libellés :
44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.
[...] |
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44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.
... |
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(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission : |
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(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission |
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a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue : |
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(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied |
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(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié, |
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(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and |
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(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e); |
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(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or |
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b) rejette la plainte, si elle est convaincue : |
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(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied |
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(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié, |
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(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or |
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(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e). |
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(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).
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[29] En s'acquittant de ses fonctions en vertu du paragraphe 44(3), la Commission accomplit une fonction administrative d'examen préliminaire qui ne donne pas lieu à l'examen qui est fait dans le cas d'un organisme judiciaire ou quasi judiciaire. Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 44(3), la Commission peut décider de demander la constitution d'un tribunal chargé d'examiner la plainte ou elle peut décider que la constitution d'un tribunal n'est pas justifiée et elle peut rejeter la plainte. Dans une décision souvent citée qui a été rendue dans l'affaire S.E.P.Q.A. c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, la Cour suprême du Canada analyse ce point aux pages 899 et 900 :
[...] À mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) [maintenant alinéa 44(3)b)] pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale. À cet égard, je fais miens les propos, reproduits ci-dessous, que tient le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.) La Race Relations Board exerçait des fonctions analogues à celles de la Commission canadienne des droits de la personne. En décidant qu'il s'agissait d'un organisme d'enquête ayant l'obligation d'agir équitablement, lord Denning dit, àla p. 19 :
[traduction] Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion [...] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.
[30] La défenderesse soutient qu'une décision prise par la Commission conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) devrait donc uniquement être examinée par la Cour lorsqu'il s'agit de savoir si la décision est conforme à la loi et aux règles d'équité procédurale telles que ces règles ont été énoncées d'une façon générale par les tribunaux judiciaires.
L'omission de la Commission de motiver sa décision par écrit constitue-t-elle une erreur susceptible de révision et la Commission a-t-elle par ailleurs observé les règles d'équité procédurale?
[31] Dans les trois derniers paragraphes de la partie II du dossier de la demanderesse, il est déclaré que les trois points suivants sont en litige :
[traduction]
(i) la Commission canadienne des droits de la personne n'a pas assuré à la demanderesse l'application régulière de la loi;
(ii) la Commission canadienne des droits de la personne a excédé sa compétence en omettant de tenir compte de toute la preuve, qui était exacte;
(iii) la Commission canadienne des droits de la personne a commis un déni de justice naturelle à l'endroit de la demanderesse.
[32] La défenderesse souligne que, même si l'exposé des faits et du droit de la demanderesse ne fait pas expressément mention de l'omission de la Commission de fournir des motifs, tous les motifs d'examen énumérés dans l'avis de demande se rapportent à l'omission de la Commission de motiver sa décision. La défenderesse suppose que les points soulevés par la demanderesse se rapportent donc aux motifs énoncés dans la demande.
[33] Cela étant, la défenderesse prend la position selon laquelle le paragraphe 44(3) de la Loi n'exige pas que la Commission fournisse des motifs écrits à l'appui d'une décision. La demanderesse doit donc établir l'existence d'une telle obligation en common law.
[34] Selon la défenderesse, la présente cour, ainsi que la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada, a eu à maintes reprises l'occasion d'examiner l'argument invoqué par la demanderesse au sujet de l'obligation de la Commission de fournir des motifs à l'appui d'une décision prise conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i). Il est bien établi que l'omission de motiver une décision par écrit ne constitue pas une erreur susceptible de révision.
[35] Dans l'arrêt S.E.P.Q.A., précité, la majorité a expressément examiné ce point en ce qui concerne l'alinéa 36(3)b) (qui était en vigueur avant que le sous-alinéa 44(3)b)(i) soit édicté); elle a fait le raisonnement suivant, aux pages 902 et 903 :
[...] D'abord, on a fait valoir que la seule omission de motiver une décision justifierait son examen. À supposer que ce soit le cas sans toutefois trancher ce point, j'estime qu'un tel examen n'est pas justifié en l'espèce, en l'absence de disposition législative exigeant une décision motivée [...] La Commission a informé l'appelant de sa décision établissant la non-équivalence des postes comparés. Cette conclusion reposait sur le rapport très poussé de l'enquêteur, rapport que la Commission avait adopté comme la Loi l'y autorisait. Le rapport a été communiqué à l'appelant qui était donc parfaitement au courant des motifs de la décision de la Commission. Cela étant, on ne saurait prétendre qu'il y a eu déni de justice naturelle ou d'équité procédurale à cet égard.
[36] Depuis que la décision a été rendue dans l'affaire S.E.P.Q.A., précitée, cette question a fait l'objet d'examens détaillés. Dans la décision Brochu c. Banque de Montréal (1996), 45 Admin. L.R. (2d) 312, la Cour fédérale a accueilli une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise par la Commission en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) pour le motif que l'omission de la Commission de motiver sa décision « laisse grandement supposer que la décision a peut-être été rendue sur le fondement ou sous l'influence possible de ces considérations qui n'avaient rien à voir » (à la page 317).
[37] Dans l'arrêt Brochu c. Banque de Montréal (1999), 251 N.R. 207, la Cour d'appel fédérale a annulé la décision de la Cour fédérale et a dit ce qui suit, aux paragraphes 1 et 2 :
[...] Nous croyons en effet, avec égards, que le savant juge a eu tort d'annuler le rejet que la Commission canadienne des droits de la personne avait opposé à la plainte de l'intimé en se basant strictement sur le fait que l'avis de rejet n'était pas appuyé de motifs.
Considérant le caractère particulier et exceptionnel du recours attribué par la Loi canadienne sur les droits de la personne à celui qui se croit victime de discrimination; considérant le rôle assigné à la Commission au moment du dépôt d'une plainte, soit celui de se convaincre, sur la base d'un examen initial, du sérieux de la plainte et de l'opportunité de la soumettre à la sanction formelle d'un tribunal; considérant l'interprétation que la Cour suprême a donnée à ce rôle de la Commission exercé en vertu des articles 44(2) et 44(3) de la Loi et de la qualification de purement administrative et discrétionnaire que la jurisprudence à la suite de la Cour suprême a toujours reconnue à une décision de rejet prise sous le régime du sous-alinéa 44(3)b)i) ou de son prédécesseur, tout en la soumettant à des exigences procédurales sévères susceptibles d'en assurer l'équité et l'impartialité; considérant enfin que le Parlement s'est refusé à imposer à la Commission l'obligation de motiver ses refus de poursuivre l'étude de certaines des plaintes qu'on lui soumettait au motif, sans doute, que par leur nature même ces refus viennent de réactions souvent subjectives et difficiles à verbaliser et que la pure satisfaction personnelle (et non l'éclaircissement comme pour une décision sous l'article 42(1) de la Loi) que pourrait parfois retirer le plaignant d'une explication élaborée ne saurait balancer le fardeau qu'impliquerait sa composition. Considérant tout cela, nous croyons qu'il serait injustifiable de vouloir introduire des exceptions à la règle clairement établie et maintes fois réitérée que la Commission n'a pas à s'en expliquer lorsque, après avoir respecté intégralement les règles procédurales d'équité, elle rejette une plainte en application du sous-alinéa 43(3)b)1) parce qu'elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié.
[38] La position de la défenderesse est donc que, dans la mesure où la Commission a observé toutes les règles d'équité procédurale, l'omission de motiver la décision ne constitue pas une erreur susceptible de révision. Cette conclusion a également été tirée dans d'autres décisions : (Société Radio-Canada c. Paul, 2001 CAF 93; Houston c. Air Canada (1998), 144 F.T.R. 152 (1re inst.); Mercier c. Canada (Procureur général) (1996), 121 F.T.R. 89 (1re inst.)).
[39] Les règles d' « équité procédurale » mentionnées dans l'arrêt Brochu, précité, ont fait l'objet de commentaires dans d'autres décisions de la Cour d'appel fédérale et de la Cour fédérale.
[40] Dans l'arrêt Société Radio-Canada, précité, la Cour d'appel fédérale, en se fondant sur les arrêts S.E.P.Q.A., précité, et Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), a fait les remarques suivantes, au paragraphe 43 :
Les tribunaux, appliquant le principe de l'équité procédurale, ont imposé d'autres obligations que la Commission doit respecter avant d'agir en vertu du paragraphe 44(3). La Commission doit informer les parties « de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission » . Pour ce faire, la Commission doit divulguer le rapport d'enquête aux parties. La Commission est également tenue d'accorder aux parties la possibilité de formuler toutes les observations utiles en réponse au rapport et de tenir compte de ces observations pour rendre sa décision. Elle n'est pas tenue de motiver sa décision. Les tribunaux ont statué que les motifs de la Commission sont ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête lui-même.
[41] Dans l'arrêt Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, la Cour d'appel fédérale s'est également appuyée sur l'arrêt S.E.P.Q.A., précité, ainsi que sur l'arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; à la page 12, elle a fait les remarques suivantes au sujet des règles d'équité procédurale qui s'appliquent aux décisions prises par la Commission en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) :
Les exigences de l'équité procédurale, ainsi que le notait lord Denning, dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. Fondamentalement, il s'agit dans chaque cas de s'assurer que l'administré a été informé de la substance de la preuve sur laquelle le tribunal entend se fonder pour prendre sa décision et qu'il s'est vu offrir la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant. Le juge Cory rappelait récemment en ces termes les principes applicables [à la page 402] :
Notre Cour a souvent reconnu le principe général de common law selon lequel « une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne » (voir Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 653). Le sous-ministre était donc tenu de se conformer aux principes de l'équité procédurale dans le contexte des décisions en matière d'octroi des habilitations de sécurité. D'une manière générale, l'équité exige qu'une partie ait une possibilité suffisante de connaître la preuve contre laquelle elle doit se défendre, de la réfuter et de présenter sa propre preuve.
[42] La défenderesse dit que, selon les arrêts faisant autorité susmentionnés, la Commission n'était pas tenue de motiver sa décision, dans la mesure où elle informait les parties de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur. Comme il a été dit dans l'arrêt Société Radio-Canada, précité, cette exigence est respectée au moyen de la communication du rapport d'enquête aux parties. La Commission était également tenue de fournir aux parties la possibilité de présenter toutes les observations pertinentes en réponse au rapport d'enquête et de tenir compte de ces observations en prenant sa décision.
[43] D'une façon plus générale, comme il a été dit dans la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Mercier, précitée, la Commission devait veiller à ce que les parties soient informées de la substance de la preuve sur laquelle elle entendait se fonder pour prendre sa décision et offrir aux parties la possibilité de répondre à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant. La défenderesse soutient que l'examen du dossier mène inévitablement à la conclusion selon laquelle, en l'espèce, la Commission s'est acquittée de toutes les obligations qui lui incombaient à cet égard. Plus précisément, sur réception de la plainte de la demanderesse, la Commission a fait ce qui suit :
[traduction]
a) elle a décidé d'examiner la plainte conformément à l'alinéa 41a);
b) elle a chargé un enquêteur d'enquêter sur la plainte et elle a délivré un rapport d'enquête détaillé, qui a été communiqué aux parties;
c) elle a reçu une lettre de la demanderesse en réponse à cette communication; la demanderesse disait qu'elle « aimerai[t] exprimer [s]a reconnaissance pour la diligence avec laquelle la Commission a[vait] traité [s]a plainte » (la Commission a également reçu d'autres observations de la défenderesse);
d) elle a retenu la recommandation de l'enquêteur et elle a nommé un conciliateur pour chercher à en arriver à un règlement entre les parties;
e) sur réception du rapport du conciliateur, recommandant le rejet de la plainte ou son renvoi à un tribunal, elle a communiqué aux deux parties les observations reçues à la suite de la communication du rapport d'enquête et a invité celles-ci à soumettre d'autres observations;
f) elle a reçu d'autres observations de la demanderesse en réponse aux observations que la défenderesse avait soumises à la suite de la communication du rapport d'enquête; et
g) après avoir examiné le rapport d'enquête et toutes les observations découlant de ce rapport, elle a décidé qu'un examen par un tribunal des droits de la personne n'était pas justifié.
[44] La demanderesse a été informée de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur et de la substance de la preuve sur laquelle la Commission entendait se fonder pour prendre sa décision.
[45] La demanderesse a en outre eu la possibilité de présenter toutes les observations pertinentes en réponse au rapport d'enquête et, de fait, en réponse à toutes les observations de la défenderesse.
[46] Finalement, comme elle l'a expressément dit dans sa décision, la Commission a tenu compte des observations pour prendre sa décision.
[47] La Commission n'a pas motivé sa décision par écrit, mais la loi et la common law n'exigent pas que des motifs écrits soient prononcés, étant donné que la Commission a observé les règles pertinentes d' « équité procédurale » .
[48] La défenderesse soutient donc que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision et que la demande devrait être rejetée.
Si la Commission a commis une erreur susceptible de révision, quelle réparation convient-il d'accorder?
[49] Dans la partie IV de son exposé des faits et du droit, la demanderesse sollicite un bref de certiorari et une ordonnance, à savoir [traduction] « que la Cour accorde une ordonnance à l'égard de la demande d'examen de la demanderesse » , une ordonnance relative aux dépens, conformément aux paragraphes 400(1) à (3) des Règles, et une ordonnance accordant [traduction] « toute autre réparation juste et équitable que la Cour estime indiquée » .
[50] Dans la demande qu'elle a présentée le 20 décembre 2002, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :
[traduction] (1) une déclaration portant que l'omission de la Commission canadienne des droits de la personne de fournir des motifs constituait un déni de justice naturelle envers la demanderesse et que c'était fondamentalement inéquitable;
(2) une déclaration portant qu'il existe une question donnant matière à procès dans cette affaire de droits de la personne, laquelle peut uniquement être réglée au moyen de la constitution d'un tribunal des droits de la personne chargé d'instruire l'affaire;
(3) une ordonnance, conformément au sous-alinéa 44(3)a)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, prévoyant la constitution d'un tribunal des droits de la personne conformément à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ainsi que l'examen de la plainte de discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne tels qu'ils ont été constatés dans le rapport d'enquête de la Commission canadienne des droits de la personne et dans les observations additionnelles adressées au conciliateur;
(4) une décision par un tribunal des droits de la personne au sujet de la question de savoir si la Société canadienne des postes a agi d'une façon discriminatoire envers la demanderesse d'une façon prohibée par la Loi canadienne sur les droits de la personne;
(5) une ordonnance, conformément au paragraphe 317(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), enjoignant la défenderesse de fournir et de communiquer à la demanderesse les documents, jugements de la Cour fédérale, observations, dossiers, lettres, notes préliminaires, procès-verbaux de réunions, enregistrements de conversations téléphoniques, notes, manuels, politiques ou règlements administratifs visés à l'article 37 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et les documents se rapportant à cette affaire de droits de la personne;
(6) une décision concernant les dépens, conformément aux paragraphes 400(1) à (3) des Règles de la Cour fédérale (1998); et
(7) toute autre réparation juste et équitable que la Cour estime indiquée.
[51] La défenderesse soutient que, si la Cour décide que la Commission a commis une erreur susceptible de révision, il convient d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle prenne une nouvelle décision.
[52] La défenderesse soutient également que la Cour n'a pas compétence pour ordonner à la Commission de recommander la constitution d'un tribunal, pour ordonner la constitution d'un tribunal ou pour statuer sur la question ultime de la discrimination (Mercier, précité (C.A.F.)).
[53] La défenderesse soutient que si la Cour conclut qu'elle a compétence pour rendre les ordonnances sollicitées par la demanderesse en plus de renvoyer l'affaire à la Commission, elle ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour ce faire.
Document inclus d'une façon irrégulière dans le dossier de la demanderesse
[54] La demanderesse a inclus à l'appendice B, onglet 1, de son dossier, des documents qui provenaient apparemment d'un comité d'expertise médicale de la Workers Compensation Board de la Colombie-Britannique. La défenderesse signale que l'inclusion de ce document n'est pas étayée par un affidavit et qu'il n'est pas allégué que le document faisait partie du dossier dont disposait la Commission. La défenderesse affirme que le document ne devrait donc pas être inclus aux fins de l'examen de la demande par la Cour.
Arguments de la Commission
[55] La Commission souligne qu'elle est uniquement un organisme administratif chargé de procéder à un examen préliminaire. Elle n'est pas tenue de motiver les décisions qu'elle prend en vertu de l'article 44. Telle était l'intention du législateur. Tel est le régime exprès de la Loi; de plus, la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale se sont toujours prononcées en ce sens.
[56] Les droits de la personne sont des droits quasi constitutionnels; il va sans dire qu'ils ont une importance cruciale pour tous les Canadiens, mais le législateur a créé dans la Loi un système prévoyant une procédure en deux étapes à l'égard des décisions portant sur des plaintes en matière de droits de la personne. La Commission est uniquement chargée de la première étape d' « examen préliminaire » . La présente cour et la Cour suprême du Canada ont toujours statué que seules des obligations restreintes doivent s'appliquer pour ce qui est de la justice naturelle. Bref, la Commission est tenue de se montrer équitable sur le plan de la procédure.
[57] Il peut sembler incohérent que certains droits fondamentaux de la personne de nature quasi constitutionnelle fassent d'abord l'objet d'une décision prise par un organisme « administratif » chargé d'un « examen préliminaire » seulement, mais comme les tribunaux judiciaires l'ont constamment reconnu, telle était indubitablement l'intention du législateur telle qu'elle est exprimée dans la Loi (S.E.P.Q.A., précité, aux paragraphes 19 à 32; Mercier, précité, au paragraphe 13; Nielsen c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1995] A.C.F. no 963 (1re inst.) au paragraphe 27; Kallio c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [1996] A.C.F. no 725 (1re inst.), au paragraphe 11; Hogue c. Société canadienne des postes, [1994] A.C.F. no 1756 (1re inst.), au paragraphe 4; Holmes c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 598 (C.A.), au paragraphe 4; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), aux paragraphes 38 et 46; Loi canadienne sur les droits de la personne, articles 44, 48.9 et 50).
[58] La Commission signale que les tribunaux judiciaires ont toujours insisté sur la raison d'être des décideurs administratifs tels que la Commission, qu'ils ont pris connaissance d'office de leur charge de travail au niveau de l'examen préliminaire et qu'ils ont décrit ainsi les motifs selon lesquels ces organismes sont uniquement tenus de respecter les règles d'équité procédurale :
[...] les règles de justice naturelle doivent tenir compte des contraintes institutionnelles auxquelles les tribunaux administratifs sont soumis. Ces tribunaux sont constitués pour favoriser l'efficacité de l'administration de la justice et doivent souvent s'occuper d'un grand nombre d'affaires. Il est irréaliste de s'attendre à ce qu'un tribunal administratif [...] observe strictement toutes les règles applicables aux tribunaux judiciaires.
Consolidated-Bathurst Packaging Ltd. c. Syndicat international des travailleurs du bois d'Amérique, section locale 2-69, [1990] 1 R.C.S. 282 (ci-après Consolidated-Bathurst), au paragraphe 69.
[59] Comme c'est souvent le cas pour d'autres décideurs administratifs, la Commission « doit s'occuper d'un grand nombre d'affaires » , et a un « énorme volume de dossiers qui lui sont soumis » . (Consolidated-Bathurst, précité, au paragraphe 69; Kallio, précité, au paragraphe 13) :
[...] compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle [...] [Elle doit uniquement] observe[r] les règles de l'équité procédurale.
SEPQA, précité, au paragraphe 27.
La décision [...] de ne pas procéder à l'instruction d'une plainte, a été désignée comme étant administrative. Bien entendu, il faut observer les règles d'équité. Cependant, à la lecture de l'ensemble de la loi, il est clair que la CCDP doit respecter son rôle politique en matière d'ordre public, et ce rôle ne se résume pas aux litiges entre deux parties. Ses principes administratifs ne doivent pas tolérer une affluence de cas ayant essentiellement les mêmes caractéristiques judiciaires. La CCDP doit tenir compte de l'efficacité administrative [...]
Nielsen, précité, au paragraphe 28. Voir également Mercier, précité (C.A.), aux paragraphes 22 et 23; Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 1017 (1re inst.); Hogue, précité.
[60] L'obligation d'équité procédurale que la Commission a envers les parties qui s'adressent à elle, en sa qualité de décideur administratif, a été définie comme suit :
Fondamentalement, il s'agit dans chaque cas de s'assurer que l'administré a été informé de la substance de la preuve sur laquelle le tribunal entend se fonder pour prendre sa décision et qu'il s'est vu offrir la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.
Mercier, précité (C.A.), au paragraphe 14, citant SEPQA, précité, au paragraphe 27, citant Selvarajan c. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.).
[61] La Commission reconnaît que les parties ont le droit de connaître la preuve qu'elles doivent réfuter lorsque la Commission se prononce sur des plaintes. Ce droit a un contenu important et concret pour les plaignants et pour les défendeurs, mais il n'inclut pas le droit de recevoir des motifs dans le cas des décisions prévues à l'article 44.
[62] Selon la position prise par la Commission, la présente cour devrait confirmer les décisions non contredites de la Cour fédérale, de la Cour d'appel fédérale et de la Cour suprême du Canada, ainsi que le régime prévu par la Loi, et conclure que la Commission - un décideur administratif, un organisme chargé d'un examen préliminaire - n'est pas tenue de fournir des motifs lorsqu'elle prend une décision fondée sur l'article 44.
ANALYSE
[63] Étant donné qu'elle agit pour son propre compte dans un litige complexe, il est peut-être compréhensible que la plainte de la demanderesse contre la Commission passe d'une idée à l'autre. À l'audience, le 7 avril 2004, la demanderesse a soulevé dans son exposé des questions qui, strictement parlant, n'étaient pas énoncées dans sa demande et dans ses observations écrites. Bref, elle a soutenu qu'en arrivant à sa décision, la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve cruciaux qui étayaient sa position et en outre que la Commission a demandé un avis juridique indépendant sur lequel elle s'est fondée dans sa décision, avis qui ne lui a pas été communiqué.
[64] Selon la demande, les motifs invoqués par la demanderesse à l'appui de la plainte sont que la Commission n'a pas fourni de motifs justifiant sa décision, qu'elle n'a pas fait connaître le fondement factuel de sa décision et qu'elle n'a pas fait part de son raisonnement ou révélé les critères ou le fondement de sa conclusion. Selon la demanderesse, il s'agissait d'un manquement à la justice naturelle et à l'équité procédurale.
[65] Dans ses observations écrites, la demanderesse se plaint de la défenderesse sur plusieurs points, mais pour ce qui est de la Commission, les questions qu'elle soulève sont les suivantes :
[traduction]
1. la Commission canadienne des droits de la personne n'a pas assuré à la demanderesse l'application régulière de la loi;
2. la Commission canadienne des droits de la personne a excédé sa compétence en omettant de tenir compte de toute la preuve, qui était exacte;
3. la Commission canadienne des droits de la personne a commis un déni de justice naturelle à l'endroit de la demanderesse.
[66] Il est vrai que, dans ses arguments écrits, la demanderesse mentionne un avis juridique [traduction] « d'Andrea M. Wright, conseillère juridique, Commission canadienne des droits de la personne, en date du 28 janvier 2003 » et une lettre de Mme Wright également datée du 28 janvier 2003, qui l'informait qu'on lui avait remis tous les documents dont disposait la Commission en prenant sa décision [traduction] « à l'exception d'un avis juridique » et qui l'informait en outre de ce qui suit :
[traduction] Veuillez noter que la Cour fédérale a récemment rendu une décision dans laquelle elle a statué que la Commission avait commis un manquement procédural en tenant compte d'un avis juridique lorsqu'elle avait pris sa décision sans d'abord informer les parties de la substance de la question qui avait été renvoyée aux conseillers juridiques et sans donner aux parties la possibilité de soumettre des observations sur la question. La Commission en a appelé de la décision. Nous avons joint une copie de cette décision à titre de référence.
[67] La chose donne immédiatement lieu à la question de l'applicabilité de la décision rendue dans l'affaire Baltruweit c. Canada (Procureur général) [2002] A.C.F. no 1615 (1re inst.), où le juge Gibson avait ceci à dire, aux paragraphes 35 à 37, au sujet de l'omission de la Commission de communiquer la substance de l'avis juridique au demandeur :
35. D'après les faits de l'espèce, il est incontestable que l'avis juridique en question est daté du 7 mai 2001, tandis que la décision examinée a été prononcée en octobre 2001. Aucun élément ne m'a été présenté qui permettrait de soutenir que la Commission n'a pas pu, entre la date de l'avis juridique et la date à laquelle elle a pris sa décision, divulguer au demandeur, ainsi qu'au SCRS, le fait qu'elle avait demandé un avis juridique sur les questions découlant de cette affaire ainsi que la substance de la question soumise aux avocats, sans nécessairement aller jusqu'à en communiquer la formulation exacte. Cette information, accompagnée d'une déclaration assurant le demandeur et le SCRS que l'avis devait se fonder sur tous les documents éventuellement soumis à la Commission, à l'exception de l'avis juridique fourni en réponse, et sur rien de plus, aurait, j'en suis convaincu, informé le demandeur et le SCRS de, pour reprendre les paroles du juge Décary, « la substance » des preuves supplémentaires sur lesquelles la Commission envisageait de fonder sa décision. Le demandeur et le SCRS auraient alors pu présenter, par l'intermédiaire de leur avocat ou autrement, des observations, notamment au sujet de la réponse à apporter à la question posée aux avocats et sa pertinence, ou son absence de pertinence, par rapport à la décision que la Commission serait appelée à prendre. La Commission aurait ainsi divulgué « la substance de la preuve » et, j'en suis convaincu, elle aurait donné aux intéressés la possibilité de présenter des observations, sans qu'il y ait véritablement violation du privilège du secret professionnel de l'avocat.
36. Quant au secret des délibérations, je suis convaincu que, d'après les faits de l'espèce, cette question n'est pas en litige.
37. En me basant sur ce qui précède, je conclus que la Commission n'a pas respecté l'obligation de respecter l'équité procédurale qu'elle avait envers le demandeur en omettant, alors qu'elle avait la possibilité raisonnable de le faire sans véritablement porter atteinte au secret professionnel de l'avocat, d'informer le demandeur de la substance des preuves sur lesquelles la Commission aurait pu se fonder pour rendre sa décision et de donner au demandeur la possibilité raisonnable de commenter ces preuves et de présenter tous les arguments s'y rapportant. Je suis convaincu que la conclusion qui précède apporte non seulement une réponse complète aux questions soulevées pour le compte du demandeur concernant l'obligation de la Commission d'informer le demandeur des faits à réfuter et de lui fournir la possibilité de les commenter mais rend également sans objet la question soulevée pour le compte du demandeur, à savoir si l'avis juridique dont disposait la Commission et la question exacte qui en était à l'origine doit être divulguée pour permettre à notre Cour de se prononcer en toute connaissance de cause sur cette demande.
[68] Dans cette affaire, la Cour faisait face à la question de savoir si des arguments juridiques devaient être présentés au sujet de motifs qui n'avaient pas été soulevés ou du moins qui n'avaient pas été clairement soulevés par la demanderesse dans ses observations écrites. Cette décision devait également tenir compte du fait que la demanderesse agissait pour son propre compte lorsqu'elle avait préparé et déposé sa demande et à l'audience.
[69] Quant à l'omission de la Commission de tenir compte de toute la preuve, je considère qu'il s'agit d'un argument qu'il convient de soumettre à la Cour parce que, même s'il n'est pas invoqué comme motif dans la demande, la demanderesse soulève ce point dans la section de son exposé écrit portant sur les points litigieux et je crois que la défenderesse et la Commission ont été suffisamment avisées que la question était soumise.
[70] Quant à l'omission de divulguer le contenu de l'avis juridique, la question n'est pas soulevée d'une façon adéquate par la demanderesse comme motif ou comme point litigieux dans sa demande ou dans ses observations écrites. La demanderesse mentionne que Mme Wright a communiqué avec elle à ce sujet, mais elle n'allègue pas un manque d'équité procédurale découlant du fait qu'elle n'a pas été informée du contenu de l'avis juridique ou qu'elle n'a pas eu la possibilité, dans sa demande ou dans ses observations écrites, de répondre aux questions soulevées dans cet avis.
[71] Je tiens bien compte du fait que la demanderesse agit pour son propre compte et qu'on ne saurait s'attendre à ce que ses documents soient parfaits. D'autre part, la demanderesse a expressément été informée par un conseiller juridique de la Commission dès le 28 janvier 2003 que l'avis juridique n'avait pas été communiqué et qu'un manquement procédural pouvait être invoqué par suite de l'omission de la Commission d'informer les parties de la substance de cet avis et d'autoriser le dépôt d'observations sur les questions qui y étaient mentionnées avant d'arriver à sa décision.
[72] Malgré tout, la demanderesse a décidé de ne pas chercher à faire modifier ses documents ou à aviser la défenderesse et la Commission de la position qu'elle prendrait sur ce point à l'audience. À cet égard, la Cour s'est inspirée des remarques que la juge Heneghan avait faites dans la décision Thompson c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 615 (1re inst.), au paragraphe 54 :
[54] La question n'a pas été invoquée dans la demande de contrôle judiciaire et elle n'a pas été abordée dans le dossier de la demande. J'ai refusé d'entendre les arguments sur ce point, en l'absence d'un avis de la part du demandeur indiquant que la partialité constituait un fondement de la demande de contrôle judiciaire. Le fait que le demandeur agissait pour son propre compte ne permet pas à la Cour de ne pas tenir compte des règles de pratique et de procédure habituelles. À cet égard, je mentionnerai la décision Korompay c. Ontario Hydro, [1990] A.C.F. no 631, [1990] 3 C.F. D-26 (1re inst.).
[73] La Cour a donc pris la position selon laquelle elle n'avait pas été saisie d'une façon régulière de ce motif additionnel de plainte et que les parties devaient limiter leurs arguments aux motifs énoncés dans la demande, telle qu'elle avait été complétée par les questions soulevées dans les observations écrites de la demanderesse. La demanderesse n'a demandé aucun ajournement visant à lui permettre de remédier à la situation.
[74] La demanderesse a précisé à l'audience, le 7 avril 2004, que la décision qu'elle voudrait faire examiner par la Cour est celle qui est contenue dans la lettre que la Commission lui avait envoyée le 22 novembre 2002.
[75] Dans cette lettre, la Commission indique qu'elle a examiné la plainte faite par la demanderesse contre la défenderesse et qu'après avoir examiné le rapport communiqué à la demanderesse et les observations déposées en réponse, elle a décidé de rejeter la plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(1) de la Loi parce que, compte tenu des circonstances, l'examen de celle-ci n'était pas justifié.
[76] La demanderesse affirme que cette décision n'est pas adéquate : elle n'énonce pas les faits qui ont mené à la décision; elle ne dit pas pourquoi la constitution d'un tribunal n'est pas justifiée; elle ne donne pas le fondement de la décision. Elle affirme également que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve étayant sa position. La demanderesse affirme que ces lacunes constituent un manquement aux règles de justice fondamentale et à l'équité, une omission de motiver la décision et un déni de justice naturelle. Qui plus est, elle affirme qu'il s'agit d'une erreur susceptible de révision.
[77] La Cour a examiné les observations écrites de la demanderesse et a entendu son exposé oral; elle ne peut pas souscrire à l'avis exprimé par la demanderesse.
[78] La plainte que la demanderesse a faite contre la défenderesse a donné lieu à une enquête régulière. La demanderesse a reçu une copie du rapport d'enquête et elle a reconnu l'avoir lue. La plainte a été renvoyée à un conciliateur, mais elle n'a pas pu être réglée et l'affaire a été renvoyée à la Commission pour qu'elle prenne une décision. La Commission a invité la demanderesse à faire part de ses commentaires au sujet du rapport d'enquête avant de décider de rejeter la plainte.
[79] La jurisprudence de la présente cour et de la Cour d'appel fédérale établit clairement quelles sont les obligations de la Commission dans ces circonstances. Dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Paul, 2001 C.A.F. 93, au paragraphe 43 et (2001), 198 D.L.R. (4th) 633, à la page 648, la Cour d'appel fédérale a établi les principes suivants :
Les tribunaux, appliquant le principe de l'équité procédurale, ont imposé d'autres obligations que la Commission doit respecter avant d'agir en vertu du paragraphe 44(3). La Commission doit informer les parties « de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission » . Pour ce faire, la Commission doit divulguer le rapport d'enquête aux parties. La Commission est également tenue d'accorder aux parties la possibilité de formuler toutes les observations utiles en réponse au rapport et de tenir compte de ces observations pour rendre sa décision. Elle n'est pas tenue de motiver sa décision. Les tribunaux ont statué que les motifs de la Commission sont ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête lui-même.
[80] À mon avis, les faits dont le dossier fait état montrent que la demanderesse a été informée de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur et qu'elle a eu la possibilité de soumettre des observations pertinentes en réponse au rapport d'enquête ainsi qu'en réponse aux observations de la défenderesse. Il me semble également que la Commission a tenu compte de tous les éléments et arguments pertinents et qu'elle a pris sa décision en conséquence.
[81] À mon avis, l'obligation d'équité procédurale a été respectée dans ce cas-ci. La substance de la preuve contre la demanderesse a été divulguée par la Commission et la demanderesse a eu la possibilité de répondre. La Commission n'est pas tenue de suivre le rapport d'enquête (voir Houston, précité, au paragraphe 10). Pour reprendre les remarques que le juge Marceau a faites au nom de la Cour d'appel fédérale (dans Brochu, précité, au paragraphe 3), la décision a été « rendue au terme d'un processus d'enquête sans faille, en vertu de données établies ouvertement et au su des parties » .
[82] Compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire S.E.P.Q.A., précitée, aux pages 899 et 900, je suis d'avis que la présente cour peut uniquement examiner la décision pour s'assurer qu'elle est conforme à la Loi et aux règles d'équité procédurale, telles qu'elles ont été établies par les tribunaux. Cela veut dire que la Cour doit s'assurer que la demanderesse a été informée de la substance de la preuve sur laquelle la Commission entendait se fonder en prenant sa décision et qu'elle s'est vu offrir la possibilité de répondre à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant (voir Mercier, précité, aux paragraphes 5 et 14). Je crois que c'est ce qui s'est produit en l'espèce. La décision ne correspondait pas à ce que recherchait la demanderesse, mais je ne crois pas qu'une erreur susceptible de révision ait été commise.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est rejetée.
2. Aucuns dépens ne sont adjugés.
_ James Russell _
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2139-02
INTITULÉ : OLIVIA ANN ELIZABETH BANKS
c.
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 AVRIL 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS : LE 18 MAI 2004
COMPARUTIONS :
Olivia Banks POUR LA DEMANDERESSE
Craig T. Munroe POUR LA DÉFENDERESSE
Andrea Wright POUR L'INTERVENANTE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Olivia Banks POUR LA DEMANDERESSE
(agissant pour son propre compte)
Farris, Vaughan, Wills et Murphy POUR LA DÉFENDERESSE
Vancouver (Colombie-Britannique)
Contentieux - Commission canadienne POUR L'INTERVENANTE
des droits de la personne
Ottawa (Ontario)