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                                                                                                                                        Date : 20020128

                                                                                                                                  Dossier : T-783-01

OTTAWA (Ontario), le 28 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

                                                               WEN-CHUAN YANG

                                                                                                                                               demandeur

ET :

                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                    défendeur

                                                                    ORDONNANCE

[1]         L'appel est accueilli.

« P. ROULEAU »

     JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


Date : 20020128

Dossier : T-783-01

Référence neutre : 2002 CFPI 93

ENTRE :

                                                                WEN-CHUAN YANG

                                                                                                                                               demandeur

ET :

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   défendeur

                                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'un appel de la décision datée du 26 mars 2001 par laquelle le juge de la citoyenneté William Day (le juge de la citoyenneté) a rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur pour le motif qu'il n'avait pas centralisé sa vie au Canada dans la mesure exigée par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 et ses modifications (la Loi). Le demandeur sollicite un bref de certiorari annulant la décision du juge de la citoyenneté de rejeter sa demande de citoyenneté ainsi qu'un bref de mandamus ordonnant audit juge de lui attribuer la citoyenneté.

[2]                 Lorsqu'il a été admis pour la première fois au Canada, le 7 septembre 1993, le demandeur était muni d'un visa d'étudiant; il a ensuite été admis au Canada en qualité de résident permanent, le 13 janvier 1995. Il a demandé la citoyenneté canadienne le 15 septembre 1999. Ses parents ont le statut de résidents permanents et habitent au Canada depuis 1989. Le demandeur n'a pu immigrer au Canada en 1989 avec ses parents en raison d'obligations liées au service militaire. Il a plus tard été relevé de ces obligations et il a immédiatement immigré au Canada. Sa soeur aînée est citoyenne canadienne et habite à Taïwan, et son frère cadet est citoyen canadien et habite à Shanghaï où il étudie la médecine chinoise. Ses familles étendues, du côté maternel et du côté paternel, résident à Taïwan.


[3]                 Le demandeur a suivi des cours au Canada au Dorset College, au UBC English Language Institute et au Vancouver Premier College, au cours des deux années qui ont précédé la période d'évaluation de sa résidence aux fins de la citoyenneté. En tant qu'étudiant vivant au Canada, le demandeur a habité avec sa famille à Vancouver (Colombie-Britannique) dans une maison dont il est copropriétaire. À l'époque, la plupart de ses absences du Canada étaient liées à des questions familiales à court terme, comme les funérailles de sa grand-mère, le mariage de sa soeur et de courtes vacances.

[4]                 Du 15 septembre 1995 au 15 septembre 1999, période qui a été examinée pour déterminer si le demandeur satisfaisait aux exigences concernant la résidence aux fins de l'attribution de la citoyenneté, ses absences ont découlé de sa décision de poursuivre ses études dans un collège de San Mateo, en Californie. Il a passé neuf semestres au San Mateo Community College où il a suivi des cours d'informatique de la session du printemps 1995 à la session d'automne 1997. Il n'a pas terminé ses cours; il est rentré au Canada en octobre 1997 où il a habité avec ses parents. C'est parce qu'il avait décidé de suivre sa petite amie, une Américaine résidant à San Mateo, en Californie, que le demandeur a suivi des cours à San Mateo plutôt qu'au Canada. Leur liaison a pris fin en octobre 1997. Pendant son séjour à San Mateo, le demandeur n'a jamais demandé la citoyenneté américaine ni tenté d'obtenir un statut plus permanent aux États-Unis.


[5]                 Le 21 mars 2001, le demandeur s'est présenté à une entrevue devant le juge de la citoyenneté. Ce dernier a conclu que le demandeur satisfaisait à toutes les exigences pour l'attribution de la citoyenneté, sauf en ce qui concerne la résidence. Il a estimé que l'absence du demandeur pendant la période pertinente était de nature structurelle et constituait un mode de vie plutôt qu'une absence temporaire, et qu'il n'avait pas passé assez de temps au Canada pour satisfaire aux exigences de la Loi. Il a donc conclu que le demandeur n'avait pas encore assez centralisé sa vie au Canada, en vivant avec les Canadiens et en s'intégrant à la société canadienne. Le demandeur a déposé, le 9 mai 2001, son avis de demande pour interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté.

[6]                 Dans une lettre détaillée, datée du 26 mars 2001, dans laquelle il exposait sa décision de rejeter la demande de citoyenneté canadienne du demandeur, le juge de la citoyenneté a rédigé de longs motifs dont je souligne les passages importants :

[Traduction] POUR DÉTERMINER SI VOUS AVEZ DÉMONTRÉ QUE LE CANADA EST LE PAYS DANS LEQUEL VOUS AVEZ CENTRALISÉ VOTRE MODE DE VIE, J'AI EXAMINÉ LES QUESTIONS POSÉES PAR LE JUGE REED LORSQU'ELLE RENDU SA DÉCISION DANS RE: KOO (1992), 19 IMM. L.R. (2D) 1, 59 F.T.R. 27, [1993] 1 C.F. 286 (1RE INST.).

D'APRÈS NOS DOSSIERS ET LES RENSEIGNEMENTS QUE VOUS AVEZ FOURNIS DANS VOTRE DEMANDE ET À L'AUDIENCE, VOUS AVEZ ÉTÉ ADMIS POUR LA PREMIÈRE FOIS AU CANADA LE 7 SEPTEMBRE 1993 AVEC UN VISA D'ÉTUDIANT ET VOUS AVEZ ENSUITE ÉTÉ ADMIS COMME RÉSIDENT PERMANENT, LE 13 JANVIER 1995. VOUS AVEZ DEMANDÉ LA CITOYENNETÉ CANADIENNE LE 15 SEPTEMBRE 1999. PAR CONSÉQUENT, LA PÉRIODE QUI PEUT SERVIR AU CALCUL DE VOS JOURS DE RÉSIDENCE VA DU 15 SEPTEMBRE 1995 AU 15 SEPTEMBRE 1999, SOIT UN TOTAL DE 1 460 JOURS.


VOUS AVEZ FOURNI DIVERS ÉLÉMENTS DEVANT SERVIR À ÉTABLIR VOTRE RÉSIDENCE AU CANADA, SAVOIR VOS DOSSIERS SCOLAIRES, DES RELEVÉS D'EMPLOI, DES DOCUMENTS FISCAUX, VOTRE CARTE D'ASSURANCE SOCIALE, DES STATUTS D'INCORPORATION, DES FACTURES POUR LES SERVICES PUBLICS DE VOTRE DOMICILE, DES DOCUMENTS CONCERNANT L'ACHAT DE VOTRE RÉSIDENCE ET LES IMPÔTS FONCIERS, LA CARTE D'ASSURANCE SANTÉ DE LA C.-B., L'IMMATRICULATION DE VOTRE AUTOMOBILE AINSI QUE DES RELEVÉS DE CARTE DE CRÉDIT ET DES RELEVÉS BANCAIRES. IL S'AGIT DE RENSEIGNEMENTS UTILES PUISQU'ILS M'ONT AIDÉ À COMPRENDRE VOTRE MODE DE VIE. CE SONT TOUTEFOIS DES INDICES PASSIFS DE LA RÉSIDENCE QUI PEUVENT ÊTRE OBTENUS SANS QUE VOUS N'AYEZ VRAIMENT HABITÉ AU CANADA PENDANT UNE PÉRIODE PROLONGÉE, COMME L'EXIGE LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ.

PENDANT LA PÉRIODE SOUS EXAMEN, LE TOTAL POSSIBLE DE JOURS DE RÉSIDENCE EST DE 1 460. IL SEMBLE QUE VOUS AVEZ EN FAIT RÉSIDÉ AU CANADA PENDANT 737 JOURS ET EN AVEZ ÉTÉ ABSENT PENDANT 723 JOURS - UN DÉFICIT DE 358 JOURS OU D'ENVIRON UN AN PAR RAPPORT AU NOMBRE DE JOURS SPÉCIFIÉS DANS LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ.

CES ABSENCES ONT DÉCOULÉ DE VOTRE DÉCISION DE POURSUIVRE VOS ÉTUDES DANS UN COLLÈGE DE SAN MATEO, EN CALIFORNIE. VOUS AVEZ PASSÉ NEUF SEMESTRES - FRÉQUENTATION CONTINUE - AU SAN MATEO COMMUNITY COLLEGE, OÙ VOUS AVEZ SUIVI DES COURS D'INFORMATIQUE DE LA SESSION DU PRINTEMPS 1993 À LA SESSION D'AUTOMNE 1997. VOUS N'AVEZ PAS TERMINÉ VOS COURS ET VOUS ÊTES RENTRÉ AU CANADA EN OCTOBRE 1997. VOUS AVEZ DÉCLARÉ AVOIR SUIVI DES COURS À SAN MATEO PLUTÔT QU'AU CANADA PARCE QUE VOUS AVIEZ SUIVI VOTRE PETITE AMIE - UNE AMÉRICAINE, RÉSIDANT À SAN MATEO - EN CALIFORNIE. VOTRE LIAISON A PRIS FIN EN OCTOBRE 1997.

DE 1993 - LONGTEMPS AVANT QUE VOUS NE SOYEZ ACCEPTÉ À TITRE DE RÉSIDENT PERMANENT DU CANADA - À 1997, VOUS AVEZ PARTAGÉ VOTRE VIE ENTRE LES É.-U. ET LE CANADA ET, PENDANT CETTE PÉRIODE, VOUS AVEZ PASSÉ LA MAJEURE PARTIE DE VOTRE TEMPS AUX É.-U. APRÈS VOTRE RETOUR AU CANADA EN OCTOBRE 1997, VOUS AVEZ RÉSIDÉ PRINCIPALEMENT AU CANADA. EN TOUT, AU COURS DES QUATRE ANNÉES QUI ONT PRÉCÉDÉ VOTRE DEMANDE DE CITOYENNETÉ, VOUS AVEZ PASSÉ UN TEMPS ÉGAL DANS LES DEUX PAYS.

IL SEMBLE QUE, PENDANT LA PÉRIODE QUE VOUS AVEZ PASSÉE AUX É.-U., VOTRE VIE ÉMOTIVE, SOCIALE ET PROFESSIONNELLE (C.-À-D. COMME ÉTUDIANT) ÉTAIT CENTRALISÉE DANS CE PAYS. DEPUIS VOTRE RETOUR AU CANADA, IL SEMBLE ÉGALEMENT VRAI QUE VOTRE VIE ÉMOTIVE, SOCIALE ET PROFESSIONNELLE EST CENTRALISÉE ICI.

LES PRINCIPALES QUESTIONS À TRANCHER SONT DANS QUELLE MESURE VOUS AVEZ CENTRALISÉ VOTRE MODE DE VIE AU CANADA ET DANS QUELLE MESURE LE TEMPS QUE VOUS AVEZ PASSÉ AU CANADA VOUS AURA PERMIS DE DEVENIR CITOYEN CANADIEN EN VIVANT ET EN TRAVAILLANT AVEC DES CANADIENS ET EN VOUS INTÉGRANT À LA SOCIÉTÉ CANADIENNE.

AVANT DE ME PRONONCER SUR VOTRE DEMANDE, J'AI EXAMINÉ, CONFORMÉMENT AU PARAGRAPHE 15(1) DE LA LOI, S'IL Y AVAIT LIEU DE FAIRE UNE RECOMMANDATION EN VERTU DES PARAGRAPHES 5(3) ET (4) DE LA LOI. VOUS N'AVEZ PRODUIT AUCUN DOCUMENT ME PERMETTANT DE RECOMMANDER L'EXERCICE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE. APRÈS AVOIR EXAMINÉ ATTENTIVEMENT TOUTES LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE, J'AI DÉCIDÉ QUE VOTRE CAS NE JUSTIFIE PAS UNE RECOMMANDATION FAVORABLE PUISQUE RIEN DANS LA PREUVE N'INDIQUE L'EXISTENCE D'UNE MALADIE OU D'UNE SITUATION PARTICULIÈRE ET INHABITUELLE DE DÉTRESSE, OU LA NÉCESSITÉ DE RÉCOMPENSER DES SERVICES EXCEPTIONNELS RENDUS AU CANADA.

L'OBJET DE LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ EST CLAIR. VOUS N'AVEZ PAS SUFFISAMMENT CENTRALISÉ VOTRE VIE AU CANADA EN VIVANT PARMI LES CANADIENS ET EN VOUS INTÉGRANT À LA SOCIÉTÉ CANADIENNE.


[7]                 Le demandeur a soulevé deux questions quant à la décision du juge de la citoyenneté :

a) Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit ou a-t-il mal appliqué la politique en exigeant la présence physique au Canada aux fins de l'alinéa 5(1)c) de la Loi?

b) Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit en appréciant et en appliquant les faits de manière incompatible avec l'exigence concernant la résidence, laquelle a été clarifiée dans une décision antérieure de la Cour?

[8]                 Le demandeur soutient tout d'abord que la norme de contrôle des décisions d'un juge de la citoyenneté est une norme qui est proche de la décision correcte, une certaine retenue étant exigée envers les connaissances et l'expérience particulières des juges de la citoyenneté; c'est ce qu'a dit le juge Lutfy (aujourd'hui juge en chef adjoint) dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 à la p. 188 (C.F. 1re inst.).


[9]                 Le demandeur soutient que le contenu de l'exigence législative concernant la résidence peut être déterminé à l'aide de la décision de notre Cour Re Papadogiorkakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.) et des six facteurs et principes directeurs précisés par le juge Reed dans l'affaire Re Koo, précitée. Il allègue que le juge de la citoyenneté en l'espèce a mal interprété ou mal appliqué la jurisprudence concernant les exigences applicables à la résidence. L'application des six facteurs élaborés dans la décision Re Koo, précitée, démontre que le demandeur a satisfait à cette exigence.

[10]            En ce qui concerne le premier facteur, savoir si la personne a été présente physiquement au Canada pendant une période prolongée avant de s'absenter juste avant de demander la citoyenneté, le demandeur prétend qu'il est respecté en l'espèce. Le demandeur a été admis pour la première fois au Canada en qualité d'étudiant en 1993, six ans avant la date de sa demande de citoyenneté, et il a suivi des cours au Canada pendant la période de deux ans qui a précédé la période ayant servi à l'évaluation de sa résidence aux fins de la citoyenneté.


[11]            Pour ce qui est du deuxième facteur, c'est-à-dire l'endroit où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du demandeur, le demandeur affirme que cette condition est également remplie puisque ses parents ont le statut de résidents permanents et habitent au Canada, et que sa soeur et son frère sont citoyens canadiens et habitent et étudient à l'heure actuelle à l'étranger.

[12]            Quant aux troisième et cinquième facteurs, savoir si la forme de présence physique au Canada dénote que la personne revient dans son pays ou qu'elle n'est qu'en visite, et si l'absence physique est imputable à une situation temporaire, le demandeur attire l'attention de la Cour sur les faits suivants. Tout d'abord, en tant qu'étudiant dans son pays au Canada, il habitait avec sa famille au 5888, rue Churchill, à Vancouver (Colombie-Britannique), dans une maison dont il est copropriétaire. La plupart de ses absences du Canada étaient brèves et liées à des questions familiales comme les funérailles de sa grand-mère, le mariage de sa soeur et de courtes vacances.


[13]            Le demandeur souligne que les absences qui ont soulevé la question de savoir s'il satisfaisait aux conditions concernant la résidence avaient découlé de sa décision de suivre un cours d'informatique à San Mateo, en Californie, décision qu'il a prise parce que sa petite amie de l'époque habitait là-bas. Le demandeur a déclaré dans sa demande, à son entrevue ainsi que dans son affidavit du 26 juin 2001 qu'il n'avait jamais eu l'intention de s'installer aux États-Unis et qu'il avait toujours eu l'intention de revenir chez lui, au Canada. Il a expliqué que, depuis 1997, il avait passé plus de temps aux États-Unis qu'il n'avait eu l'intention de le faire parce que sa petite amie avait eu un accident d'automobile et qu'il souhaitait rester auprès d'elle pendant sa convalescence. Le demandeur n'a pas terminé son cours d'informatique et il est rentré au Canada où il a cherché du travail.

[14]            Enfin, en ce qui concerne le dernier facteur, c'est-à-dire la durée des absences physiques du demandeur du Canada pendant la période pertinente, le demandeur soutient que ses absences du Canada ont été brèves, sauf pendant la période où il a étudié aux États-Unis. Il ressort de l'appréciation de la preuve faite en tenant compte des décisions de notre Cour dans Re Papadogiorkakis, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Haggag, [2001] A.C.F. no 215 (QL) (C.F. 1re inst.) et Re Farajallah, [1994] A.C.F. no 2037 (QL) (C.F. 1re inst.) que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui concerne la résidence.


[15]            Le demandeur soutient qu'en l'espèce, le juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents ou ne les a pas examinés de façon adéquate parce qu'il a insisté principalement dans son analyse sur sa présence physique au Canada. Il est donc allégué que le juge de la citoyenneté a appliqué le mauvais critère ou qu'il n'a pas accordé l'importance requise à la situation particulière du demandeur. En ce qui concerne l'examen de la question de savoir si un demandeur a satisfait aux exigences concernant la résidence, les tribunaux et les lignes directrices du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ont donné pour mandat au décideur d'examiner si le demandeur a des attaches suffisantes au Canada malgré un déficit dans le nombre de jours de présence physique réelle au pays. En l'espèce, le juge de la citoyenneté a appliqué une norme fondée sur la « présence physique » et s'est donc trompé.

[16]            Depuis la décision Lam, précitée, du juge Lutfy, la jurisprudence de notre Cour indique qu'il faut faire montre d'une certaine retenue envers les connaissances et l'expérience particulières des juges de la citoyenneté. Ainsi, un juge de la citoyenneté a le droit de préférer une interprétation à une autre pour déterminer si les conditions concernant la résidence sont respectées. Tant et aussi longtemps que l'interprétation choisie par le juge de la citoyenneté est correctement appliquée, l'intervention de notre Cour n'est pas justifiée.

[17]            En l'espèce, j'ai examiné la décision du juge de la citoyenneté Day et j'ai conclu que ses motifs n'indiquent pas clairement l'interprétation qu'il a faite des exigences concernant la résidence. Le juge de la citoyenneté semble avoir fondé en grande partie sa décision sur une analyse des facteurs énoncés par le juge Reed dans la décision Re Koo, même s'il semble s'en être écarté dans certains passages de sa décision, et je suis convaincu qu'il a souscrit sans conviction réelle à ladite décision Re Koo, précitée.


[18]            Même si le juge de la citoyenneté n'a pas précisé quel critère législatif il a choisi d'appliquer pour déterminer si le demandeur avait satisfait à l'exigence concernant la résidence à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, j'ai néanmoins conclu à partir de sa décision qu'il avait utilisé un critère similaire à celui appliqué dans la décision Re Koo puisqu'il a expressément affirmé avoir tenu compte des facteurs qui y sont énoncés pour déterminer si le Canada est le pays dans lequel le demandeur a centralisé son mode de vie. Toutefois, compte tenu de mon examen des facteurs énoncés dans la décision Re Koo et de la preuve dont disposait le juge de la citoyenneté, je ne suis pas convaincu que le juge a bien compris la jurisprudence et, à mon avis, il n'a pas appliqué correctement l'interprétation choisie aux faits de l'espèce pour les motifs suivants.


[19]            L'attachement du demandeur au Canada remonte au 13 janvier 1995, date à laquelle il est devenu résident permanent. Sa première absence du Canada, et la plus longue, a eu lieu du 15 septembre 1995 au 15 septembre 1997 quand il a décidé de son plein gré de suivre des cours à San Mateo, en Californie, parce que c'était là que vivait sa petite amie de l'époque. Pendant cette période, le demandeur a payé l'impôt sur le revenu au Canada, il avait un compte bancaire au Canada, il avait une assurance médicale en Colombie-Britannique et il était copropriétaire avec ses parents de la maison située à Vancouver dans laquelle il réside habituellement. Le demandeur n'a pas terminé son programme d'études et dès que sa liaison avec sa petite amie a pris fin, il est rentré au Canada, en octobre 1997, où il a habité avec ses parents, des résidents permanents qui habitent au Canada depuis 1989. Il a en toute franchise admis avoir passé plus de temps aux États-Unis qu'il n'en avait l'intention parce que sa petite amie a eu un accident d'automobile et qu'il souhaitait rester auprès d'elle pendant sa convalescence. N'eût été cet accident, il serait rentré plus tôt au Canada qu'il n'a été en mesure de le faire. Il convient de souligner que, pendant son séjour à San Mateo, le demandeur n'a jamais demandé la citoyenneté américaine ni un statut plus permanent aux États-Unis. Tous ces éléments attestent qu'il avait l'intention de revenir au Canada où il avait sa maison, sa famille et ses biens. De plus, le juge de la citoyenneté a omis de mentionner dans sa décision que le demandeur était rentré chez lui pour des périodes de 24 jours lors des vacances de Noël de 1995, de 54 jours pour les vacances d'été 1996 et de 34 jours pour les vacances de Noël de 1996.


[20]            Qui plus est, à son retour au Canada, le demandeur s'est inscrit à des cours au Dorset College, au UBC English Language Institute et au Vancouver Premier College pour la période totale de deux ans précédant la période ayant servi à l'évaluation de sa résidence aux fins de la citoyenneté. En tant qu'étudiant dans son pays, au Canada, il habitait avec sa famille à Vancouver. À l'époque, la plupart de ses absences du Canada ont été de courte durée pour des questions familiales comme les funérailles de sa grand-mère, le mariage de sa soeur et de brèves vacances. Après avoir quitté le Premier College en décembre 1999, le demandeur a tenté sans succès de trouver du travail dans le domaine de l'hôtellerie en Colombie-Britannique, mais on lui a plutôt offert un emploi dans un hôtel de Taïwan, où il travaille depuis octobre 2000.

[21]            Le demandeur a déclaré dans sa demande, à son entrevue ainsi que dans son affidavit du 26 juin 2001 qu'il n'avait jamais eu l'intention de s'installer aux États-Unis et qu'il avait toujours eu l'intention de revenir chez lui, au Canada. L'intention de revenir au Canada, aussi ferme soit-elle, ne suffit pas pour établir la résidence continue. La personne doit en outre avoir maintenu des signes suffisants de sa résidence canadienne, signes qui peuvent être déduits dans les cas où cette résidence a été maintenue et qu'il n'y avait pas simplement intention de la reprendre. En l'espèce, le demandeur a fourni au juge de la citoyenneté ses dossiers scolaires, ses relevés d'emploi au Canada, des documents fiscaux, sa carte d'assurance sociale, des statuts d'incorporation puisqu'il est l'un des actionnaires de la société familiale K.C. Yang Enterprises Ltd., des factures pour les services publics pour sa maison à Vancouver, des documents concernant l'achat de sa résidence et les impôts fonciers, une carte d'assurance santé de la Colombie-Britannique, l'immatriculation de son automobile ainsi que des relevés de carte de crédit et des relevés bancaires. Malgré ces éléments de preuve, le juge de la citoyenneté a dit dans ses motifs :

il s'agit de renseignements utiles puisqu'ils m'ont aidé à comprendre votre mode de vie. Ce sont toutefois des indices passifs de la résidence qui peuvent être obtenus sans que vous n'ayez vraiment habité au Canada pendant une période prolongée, comme l'exige la Loi sur la citoyenneté.


[22]            À mon avis, le juge de la citoyenneté a adopté une approche très restrictive dans son interprétation de l'exigence concernant la résidence en plaçant une emphase démesurée sur l'obligation pour le demandeur d'être présent physiquement pendant au moins trois ans au Canada et en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve pertinents concernant l'existence d'un pied-à-terre au Canada : Badjeck c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1804 (QL) au par. 42 (C.F. 1re inst.); Re Cheung (1996), 113 F.T.R. 318 (C.F. 1re inst.). Il a insisté davantage sur l'exigence qu'un demandeur soit physiquement présent au Canada et il a commis une erreur en concluant que le quatrième facteur énoncé dans Re Koo (présence physique) peut être considéré comme le plus important des six. C'est ce que l'on peut constater à la lecture de divers passages de sa décision :

[Traduction] Les principales questions à trancher sont dans quelle mesure vous avez centralisé votre mode de vie au Canada et dans quelle mesure le temps que vous avez passé au Canada vous aura permis de devenir citoyen canadien en vivant et en travaillant avec des Canadiens et en vous intégrant à la société canadienne.

Le temps que vous avez passé au Canada n'indique pas que vous avez été assez longtemps dans ce pays pour satisfaire à l'objet de la Loi sur la citoyenneté. Au mieux, votre vie a été partagée entre le Canada et les É.-U. (et, depuis octobre 2000, Taïwan). Vous n'avez pas centralisé votre vie dans ce pays depuis l'obtention du droit d'établissement, mais vous avez également vécu aux É.-U. Vos absences étaient d'ordre structurel. C'est-à-dire qu'elles semblent avoir constitué un mode de vie plutôt qu'un phénomène temporaire. Elles n'étaient pas liées à une urgence humanitaire, à l'affectation temporaire à l'étranger d'un employé d'une compagnie canadienne, à un programme d'éducation unique ou à l'affectation à des fonctions à l'étranger par le gouvernement canadien.

[...] L'objet de la Loi sur la citoyenneté est clair. Vous n'avez pas suffisamment centralisé votre vie au Canada en vivant parmi les Canadiens et en vous intégrant à la société canadienne.

(Non souligné dans l'original.)


[23]            Une personne qui est physiquement absente doit tout d'abord avoir établi sa résidence au Canada, avant son absence, et ensuite, maintenir sa résidence au Canada d'une certaine manière pendant qu'elle se trouve à l'étranger. Lorsque l'absence physique se produit pendant la période prévue par la loi, il faut, pour faire la preuve de la résidence continue, présenter des éléments de preuve démontrant le caractère temporaire de l'absence, une intention claire de revenir au Canada et l'existence de liens factuels suffisants avec le Canada pour affirmer que l'on résidait en fait au Canada durant la période prévue par la loi : Re Sun (1992), 58 F.T.R. 264 (C.F. 1re inst.). Ce fardeau devient plus exigeant au fur et à mesure que la période d'absence physique se prolonge. Comme je l'ai dit dans la décision Badjeck, précitée, au par. 43 :

À mon avis, dans des cas extrêmes d'absences prolongées, comme en l'espèce, le demandeur devra faire la preuve non-contestée que la justification pour ses absences est compatible avec son intention d'élire et de maintenir résidence au Canada et d'y retourner, et que ses absences prolongées ne résultent pas de l'adoption d'un pays autre que le Canada comme pays de résidence.


[24]            En l'espèce, le demandeur a été absent pendant 723 des 1 460 jours ayant précédé la demande de citoyenneté, ce qui constituait, comme l'a fait remarquer le juge de la citoyenneté, un déficit de 358 jours aux fins de l'évaluation de l'exigence concernant la résidence. Cette absence n'avait rien d'extraordinaire si on tient compte du fait qu'elle avait pour but de poursuivre des études à l'étranger. Le demandeur a démontré qu'il avait établi une sorte de pied-à-terre au Canada avec l'intention d'y résider. Notre Cour a statué dans de nombreuses affaires qu'un demandeur qui a clairement et définitivement établi un foyer au Canada avec l'intention claire de maintenir des racines permanentes dans ce pays ne devrait pas être privé de la citoyenneté du simple fait qu'il poursuit des études ou occupe un emploi à l'étranger, même s'il a accumulé un nombre plutôt limité de jours de résidence physique au Canada.

[25]            En l'espèce, je suis convaincu que la preuve dont disposait le juge de la citoyenneté permettait de conclure que le demandeur avait démontré que son mode de vie était centralisé au Canada depuis qu'il était devenu résident permanent et notamment, pendant la période de deux ans qui a précédé sa demande de citoyenneté, et que le temps passé aux États-Unis était très temporaire puisqu'il ne s'y était trouvé qu'aux fins de ses études. Le demandeur n'avait pas l'intention de cesser de résider en permanence au Canada. De plus, je suis convaincu que ses attaches au Canada sont beaucoup plus importantes que celles dans tout autre pays. Enfin, je suis d'avis que le demandeur a satisfait aux exigences concernant la résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi et, par conséquent, que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en rejetant sa demande de citoyenneté.


[26]            Pour les motifs qui précèdent, j'annule par les présentes la décision du juge de la citoyenneté et j'accueille l'appel.

      « P. ROULEAU »

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

28 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-783-01

INTITULÉ :                                           Wen-Chuan Yang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 17 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                        28 janvier 2002

COMPARUTIONS:

Mme Thora Sigurdson                               POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Fasken, Martineau, DuMoulin    POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

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