Date : 20010608
Dossier : IMM-3890-00
Référence neutre : 2001 CFPI 628
ENTRE :
MARTIN ORLANDO TELLO OSTOS
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Le juge Muldoon
1. Introduction
[1] Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, en vue du contrôle judiciaire d'une décision par laquelle une formation composée d'un seul membre de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a rejeté, le 28 juin 2000, la demande que le demandeur avait présentée en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. La demande a été entendue à Toronto le 5 juin 2001.
2. Énoncé des faits
[2] Aux pages 2 et 3 de sa décision, la SSR a résumé les faits comme suit :
Le revendicateur a déclaré qu'il était à l'emploi d'une usine située à Trujillo, au Pérou. La société propriétaire de l'usine et pour laquelle travaillaient près de 4 000 employés possédait également plusieurs autres usines. Le revendicateur a joint les rangs du syndicat et a été élu au poste de secrétaire, un poste de direction au sein du syndicat.
Au milieu des années 80, le Sendero Luminoso (SL) était en force et actif dans de nombreuses régions du pays; il prenait notamment pour cible les syndicalistes.
En 1986, le revendicateur a reçu une lettre du SL qui lui « demandait » de faire en sorte que sa section du syndicat appuie le SL. La demande a été portée à l'attention du syndicat et les membres et le syndicat ont décidé de ne pas soutenir le SL en alléguant l'assassinat de chefs syndicaux et d'ouvriers par le SL.
Plus tard en 1986, le revendicateur a reçu un autre communiqué dans lequel il était tenu responsable de l'échec du SL auprès du syndicat.
Plusieurs années plus tard, en 1992, le revendicateur a déclaré que le SL l'avait emmené à une plage où on l'a accusé de ne pas soutenir le SL, et battu et brûlé avec des cigarettes. Le SL voulait avoir des renseignements sur l'usine.
Le revendicateur a déclaré avoir été traité pour la blessure qu'il a signalée à la police. Le revendicateur a fourni des copies des rapports médical et policier à l'appui de son témoignage.
En 1994, le SL a également exigé de l'argent du revendicateur; on lui a dérobé l'argent qu'il avait sur lui et on l'a menacé. Craignant pour sa vie, le revendicateur a fermé son entreprise.
Le dernier incident est survenu en octobre 1998, lorsque l'acheteur de la maison du revendicateur a déclaré à ce dernier que quatre hommes et deux femmes s'étaient présentés chez lui à la recherche du revendicateur.
Le revendicateur a par la suite quitté le Pérou; sa famille y vit toujours.
[3] La SSR a défini deux questions, à savoir si le demandeur craignait avec raison d'être persécuté par le Sentier lumineux (le Sendero Luminoso ou le SL) et si le demandeur satisfait à l'exception prévue au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.
[4] Aux pages 3, 4 et 5 de sa décision, la SSR a tiré les conclusions ci-après énoncées :
Même si le SL est toujours en activité au Pérou, ses effectifs sont bien moindres. Les remarques suivantes sont tirées du rapport du département d'État américain sur le Pérou :
[TRADUCTION]
La capture ou la mort de plusieurs chefs terroristes indique que l'élimination de la grave menace déjà posée par le Sendero Luminoso (Sentier lumineux) fait continuellement des progrès. Le gouvernement a réduit davantage l'étendue des zones d'urgence qui couvrent environ 6 % du pays et 5 % de la population.
Le nombre de rapports de conscriptions forcées par le MRTA (dont la plupart des membres survivants sont emprisonnés) et par le groupe terroriste Sendero Luminoso, qui est très affaibli, a beaucoup diminué. Le Sentier lumineux a toutefois continué de forcer les Autochtones à joindre ses rangs.
Le Sendero Luminoso a continué d'être un des principaux violateurs des droits de la population autochtone. Principalement isolés le long de la rivìère Ene dans le département de Junin, les membres du Sendero Luminoso ont continué de forcer les indigènes Ashaninkas à joindre leurs rangs. Cette pratique a entraîné un déplacement supplémentaire à l'intérieur de la région.
Le rapport du département d'État américain ne signale pas d'attaques du SL contre des syndicalistes.
La pièce C-2 fait allusion à des attaques du SL pas plus tard qu'en 1998, mais ces attaques sont survenues dans des régions distinctes où le SL est toujours présent, y compris Hualanga et des incursions à Lima. Il n'est pas fait mention d'attaques dans la région de Trujillo.
La partie du rapport d'Amnistie Internationale de 1999 qui traite du Pérou remarque que les opérations armées du SL et du MRTA [TRADUCTION] « restent limitées à des régions isolées de la forêt pluviale tempérée du Pérou » .
Compte tenu de la diminution importante de la taille, de la force et de la capacité du SL, du fait que ses activités se limitent à des régions éloignées de Trujillo, de la présence de la famille du revendicateur, dont les membres vivent sans incident, le tribunal détermine qu'il n'existe qu'une simple possibilité de persécution par le SL si le revendicateur retourne à Trujillo ou à Lima.
Pour que le tribunal puisse déterminer si le revendicateur satisfait aux exigences du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, il doit d'abord décider si le revendicateur satisfaisait aux exigences du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, et que des événements ultérieurs placent le revendicateur dans les paramètres du paragraphe 2(2) de la Loi sur l'immigration.
Même si l'on suppose que c'est le cas, la situation du revendicateur ne satisfait pas aux exigences d'exception du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.
Le revendicateur a été frappé brutalement à une occasion et il ne voit plus d'un oeil. Ses souvenirs sont douloureux et il reçoit du counseling d'un ami et de l'Église.
Sa famille vit toujours au Pérou. Il n'y a rien qui prouve que le retour du revendicateur au Pérou entraînerait de graves problèmes psychologiques; il serait également réuni avec les membres de sa famille. Même s'il a reçu des coups graves, il est resté au Pérou plusieurs années après l'incident.
Sans vouloir minimiser les souffrances du revendicateur et sa crainte d'être persécuté par le SL, le témoignage présenté n'est pas suffisant pour permettre au tribunal de déterminer si le revendicateur satisfait aux exigences d'exception qui figurent dans le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.
Pour ces raisons, la Section du statut de réfugié conclut que Martin Orlando Tello Ostos n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
3. Le point litigieux
[5] La SSR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve dont elle disposait ou en fondant ses conclusions sur des considérations non pertinentes?
4. Arguments du demandeur
[6] Le demandeur a fondé sa revendication sur le fait qu'il craignait avec raison d'être persécuté entre les mains du SL au Pérou. Il a relaté que le SL s'était livré à des actes d'intimidation et de violence à son encontre et à l'encontre de personnes qui étaient dans une situation semblable à la sienne. Au mois d'octobre 1998, des membres du SL qui le cherchaient sont entrés de force dans son ancienne résidence, à Trujillo. Après cet événement, le demandeur s'est enfui du Pérou.
[7] Le demandeur soutient que la SSR n'a pas tiré de conclusions défavorables au sujet de sa crédibilité et qu'il doit donc être considéré qu'elle a cru son témoignage. La SSR a rejeté la revendication parce que la preuve documentaire montrait que la taille, la force et la capacité du SL étaient réduites de beaucoup et que le SL limitait ses activités à des régions fort éloignées de Trujillo et parce que la famille du demandeur continue à vivre au Pérou sans incident.
[8] Le demandeur soutient que le SL ne s'en est jamais pris à sa famille et qu'il était le seul à être visé par les actes de harcèlement et de persécution. Le fait que la famille du demandeur n'a pas été persécutée n'est pas pertinent et la SSR a commis une erreur en fondant sa décision sur ce fait. [Salamat c. MEI (1998), 8 Imm. L.R. (2d) 58 (C.A.F.).]
[9] Le demandeur affirme que l'erreur la plus sérieuse que la SSR a commise découle de la conclusion selon laquelle les activités du SL étaient limitées à des régions qui étaient fort éloignées de Trujillo. La preuve documentaire contredit cette conclusion. Le 2000 Human Rights Watch Report on Peru, que la SSR avait à sa disposition, énumère de nombreuses régions où le SL était actif, dont certaines étaient situées à 200 ou 300 kilomètres de Trujillo. La SSR a également omis de tenir compte du fait que le SL s'était livré à une attaque armée chez le demandeur au mois d'octobre 1998. Les conclusions de la SSR étaient donc incorrectes parce que, en fait, le SL avait effectué une opération contre le demandeur à Trujillo. Le demandeur déclare que cette preuve mine la conclusion selon laquelle sa crainte n'était pas objectivement fondée.
[10] Le demandeur soutient qu'étant donné que le SL est en mesure de se livrer à une attaque armée à Trujillo, la réduction générale des ressources et des activités de l'organisation n'a rien à voir avec sa situation personnelle et qu'elle ne peut pas rationnellement étayer la conclusion selon laquelle il n'était pas en danger à Trujillo. [Dhillon c. MEI (1990), 12 Imm.L.R. (2d) 118 (C.A.F.).]
5. Arguments du défendeur
[11] Le défendeur soutient que la preuve sur laquelle la présente demande est fondée, à savoir l'affidavit de Hall Ahlfeld, assistant juridique de l'avocat du demandeur, ne fait pas état de ce que le déposant sait personnellement au sujet des questions soulevées par le demandeur. L'affidavit renferme simplement à titre de pièces le Formulaire de renseignements personnels du demandeur et le Human Rights Watch Annual Report 2000 for Peru. Martin Tello Ostos n'a déposé aucun affidavit et, partant, il n'existe pas de preuve déposée sous serment au sujet du fondement factuel de la demande. En l'absence d'un fondement factuel à l'appui de l'argument du demandeur, la demande doit être rejetée.
[12] Le défendeur affirme en outre que le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la SSR avait refusé de tenir compte de certains éléments de preuve ou qu'elle n'avait pas tenu compte de certains éléments de preuve ou encore qu'elle avait tiré une conclusion erronée au sujet de la preuve.
[13] La preuve documentaire sur laquelle la SSR s'est fondée faisait partie de l'ensemble de la preuve que celle-ci pouvait apprécier pour déterminer si cette preuve était digne de foi et convaincante. La SSR peut à bon droit se fonder sur la preuve documentaire plutôt que sur la preuve soumise par le demandeur. L'importance accordée à la preuve documentaire est une question qui relève carrément du domaine de compétence de la SSR si ses motifs sont raisonnables et s'ils peuvent être étayés par la preuve dont la SSR dispose. [Hassan c. MEI (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Woolaston c. MEI, [1973] R.C.S. 102; Florea c. MEI [1973] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL), 11 juin 1993, A-1307-91). Selon le défendeur, les conclusions de la SSR sont raisonnables et elles peuvent être étayées par la preuve qui a été fournie en l'espèce. Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas démontré que la SSR a rendu une décision abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Les arguments du défendeur sont inexacts.
6. Ordonnance sollicitée
[14] Le demandeur sollicite l'annulation de la décision par laquelle le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été refusé et demande que l'affaire soit renvoyée à une formation différente de la SSR. Qu'il en soit ainsi. La demande est accueillie. Aucune question ne doit être certifiée.
« F.C. Muldoon »
Juge
Ottawa (Ontario)
le 8 juin 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU DOSSIER : IMM-3890-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Martin Orlando Tello Ostos
c.
MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 5 juin 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge Muldoon
DATE DES MOTIFS : le 8 juin 2001
ONT COMPARU
M. D. Clifford Luyt POUR LE DEMANDEUR
Mme Mielka Visnic POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. D. Clifford Luyt POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada