Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
(Prononcés à l'audience, puis revus et rédigés pour éclaircissements)
[1] Viktor Dokaj, de souche albanaise, est un ressortissant de l'ex-Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro). Il dit avoir une crainte fondée de persécution en Serbie-et-Monténégro parce qu'il était soupçonné d'avoir été mêlé à des activités d'espionnage contre l'État, en raison de travaux qu'il avait faits pour une chaîne télévisée française durant le conflit du Kosovo. Il affirme aussi qu'il a été torturé et battu durant son service militaire au début des années 90.
[2] La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile présentée par M. Dokaj, estimant que son témoignage n'était tout simplement pas crédible. Pour arriver à cette conclusion, la Commission s'est référée à la décision défavorable d'un juge américain de l'immigration, une décision qui se rapportait à la demande d'asile présentée par M. Dokaj aux États-Unis. Selon M. Dokaj, la Commission n'aurait pas dû s'en rapporter aux conclusions de fait des autorités américaines pour dire qu'il n'était pas crédible. M. Dokaj proteste aussi contre l'importance accordée par la Commission à divers éléments de preuve.
[3] À la fin de l'audience, j'ai informé les parties que je rejetterais la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Dokaj. Les motifs qui me conduisent à rejeter la demande sont les suivants.
Analyse
[4] Selon l'avocat de M. Dokaj, son argument est pour l'essentiel que le président d'audience de la Commission n'a pas accordé une attention suffisante au fait que la preuve présentée par son client à la Commission était cohérente sur le plan interne. Le président d'audience a plutôt fait siennes les conclusions du juge américain de l'immigration. Il les a comparées au témoignage produit par M. Dokaj dans la procédure canadienne d'immigration, pour finalement constater des contradictions.
[5] Je reconnais avec l'avocat de M. Dokaj qu'un tribunal administratif ne peut se limiter à considérer les conclusions tirées auparavant par une instance décisionnelle sur un ensemble de faits et sur la crédibilité des témoins, pour ensuite faire siennes lesdites conclusions. Cela équivaudrait pour la Commission à abdiquer son obligation de procéder à une évaluation indépendante des faits, en se fondant sur la preuve qui lui est soumise. Autrement dit, il n'aurait pas été loisible à la Commission de dire que, parce que le juge américain de l'immigration ne croyait pas le récit de M. Dokaj, la Commission ne le croyait pas elle non plus. Cependant, ce n'est pas ce qui s'est produit dans la présente affaire.
[6] Un examen de la décision de la Commission montre clairement que ce que la Commission a fait en réalité, c'est de considérer le témoignage produit par M. Dokaj devant le juge américain et de le comparer à la version des faits qu'il a donnée à la Commission. La Commission a trouvé qu'il y avait d'importantes divergences entre les deux versions, surtout pour ce qui concernait les dates auxquelles il avait censément travaillé pour la chaîne de télévision française. La Commission s'est ensuite fondée sur ces contradictions pour dire que le témoignage de M. Dokaj n'était pas crédible.
[7] À mon avis, il n'y avait là rien d'irrégulier. Le témoignage produit par M. Dokaj devant le juge américain de l'immigration constituait une déclaration incompatible antérieure. Rien ne distingue le cas où la Commission s'en est rapportée à des contradictions entre un témoignage antérieur de M. Dokaj et son témoignage devant la Commission, et le cas où la Commission se serait fondée sur des contradictions entre le témoignage d'un demandeur d'asile devant elle et les déclarations faites par le demandeur d'asile au point d'entrée ou dans son Formulaire de renseignements personnels.
[8] M. Dokaj ne nie pas que son témoignage devant le juge américain de l'immigration était différent du témoignage qu'il a produit devant la Commission. Il explique les divergences en disant qu'il était attristé et confus lorsqu'il avait témoigné devant le juge américain, à cause des décès récents de son père et de son oncle. Il ressort clairement des motifs de la Commission que la Commission a examiné cette explication et l'a repoussée. Il s'agissait là d'une conclusion qu'elle avait le loisir de tirer, et je ne vois aucune raison de la modifier.
[9] Finalement, l'avocat de M. Dokaj trouve à redire au poids que la Commission a accordé aux cartes d'affaires des journalistes de la télévision française, cartes que M. Dokaj a produites comme preuve de son emploi auprès de l'agence française. Il dit aussi que la Commission n'a pas accordé un poids suffisant à des certificats qui censément montraient qu'il avait été agréé comme employé des journalistes français.
[10] Il ressort clairement des motifs de la Commission que ces points ont été étudiés par la Commission lorsqu'elle a évalué la preuve. La Commission a expliqué précisément pourquoi elle a choisi de ne pas accorder beaucoup de poids à cette preuve. Le poids qu'il convient d'accorder à la preuve relève de la Commission, et je ne vois aucune raison de modifier ici la décision de la Commission.
Dispositif
[11] Pour ces motifs, la demande est rejetée.
Question à certifier
[12] Aucune des parties n'a proposé une question à certifier, et la présente affaire n'en soulève aucune.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.
« Anne Mactavish »
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-514-05
INTITULÉ : VIKTOR DOKAJ
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 OCTOBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 17 OCTOBRE 2005
COMPARUTIONS :
J. Norris Ormston POUR LE DEMANDEUR
Matina Karvellas POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ormston, Bellissimo, Younan POUR LE DEMANDEUR
Avocats
1000, avenue Finch, pièce 900
Toronto (Ontario)
M3J 2V5
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada