Date : 20021015
Dossier : T-1382-00
Référence neutre : 2002 CFPI 1066
Entre :
HILDA HACIKYANER,
546 Inverness, Ville Mont-Royal, Qc. H3R 1C3
Demanderesse
- et -
AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA,
305 Ouest Boul. René Lévesque, Mtl, Qc. H2Z 1A6
Défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD :
La présente demande de contrôle judiciaire vise l'annulation de la décision de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ci-après l'ADRC) rendue le 19 juin 2000 par le chef intérimaire des appels, M. Jean Laporte, rejetant la demande d'annulation des intérêts et des pénalités, faite par la demanderesse, conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (ci-après la Loi).
Le 15 décembre 1995, l'ADRC a émis une cotisation à l'endroit de la demanderesse, conformément à l'article 160 de la Loi.
Pour établir cette cotisation, l'ADRC a tenu compte du fait qu'au moment où le conjoint de la demanderesse était endetté pour de l'impôt dû au ministre du Revenu national pour les années 1987 à 1990, la demanderesse a bénéficié du transfert d'un immeuble d'une valeur excédant la dette de son mari, transfert pour lequel aucune contre-partie n'a été donnée à son conjoint.
En effet, ce transfert fut effectué par acte notarié daté du 31 janvier 1991 visant à changer le régime matrimonial des conjoints de la société d'acquêts à la séparation de biens.
Par ce changement de régime matrimonial, la demanderesse a reçu la résidence familiale d'une valeur marchande de plus de 300 000 $, cet immeuble étant alors grevé d'une hypothèque de 100 000 $. Aucune contre-partie n'a été donnée au mari en considération de ce transfert au moment duquel ce dernier avait une dette d'impôt impayée au ministre du Revenu national.
La demanderesse a contesté par avis d'opposition et, plus tard, par avis d'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, la cotisation qui lui a été émise en raison de ce transfert. La cotisation a été confirmée par jugement de la Cour canadienne de l'impôt daté du 16 octobre 1997.
Le montant de la cotisation de la demanderesse est composé de la dette d'impôt de son conjoint au montant de 21 067,49 $, pour les années 1987 à 1990, plus les intérêts qui se sont accumulés sur cette dette jusqu'au moment de la cotisation émise entre les mains de la conjointe, bénéficiaire du transfert en vertu de l'article 160 de la Loi.
Vers la fin de 1998, la demanderesse s'est adressée au bureau des services fiscaux de Montréal de l'ADRC afin de demander que le montant de la dette fiscale qui lui a été imposée soit réduit en intérêts suivant les pouvoirs discrétionnaires conférés au Ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi.
Le 5 janvier 1999, un agent de l'ADRC a rejeté cette demande d'annulation des intérêts et la demanderesse a demandé à la direction du bureau des services fiscaux de Montréal de réviser la décision.
Dans l'examen de la demande de révision, le comité d'équité de la division du recouvrement des dettes a examiné les faits du dossier et a ensuite remis son rapport au chef intérimaire des appels, M. Jean Laporte, qui a pris la décision en cause du 19 juin 2000.
Monsieur Jean Laporte a refusé la demande d'annulation des intérêts et des pénalités de la cotisation ainsi :
[. . .]
In your representation, you have exposed the burden of this liability on your financial situation and the impact of the accumulation of interest on the unpaid debt. While I sympathize with your difficulties, you have not demonstrated the willingness to seek all avenues for an early resolution of the tax liability. Our information indicates that you have sufficient equity in your residence which would enable you to acquire sufficient funds to pay the arrears.
The fairness provisions are designated to permit the Agency to assist clients in resolving problems through no fault of their own.
I have considered the Agency's position with respect to the fairness provision and made a thorough and impartial review of the facts and representations that you have submitted to support your request. While I understand your concerns, I must deny your request to cancel the penalties and interest.
[. . .]
La disposition pertinente de la Loi de l'impôt sur le revenu, le paragraphe 220(3.1), se lit comme suit :
220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to (5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.
220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.
Dans l'affaire Boudreault c. Canada (A.D.R.C.), 2002 CFPI 84, [2002] A.C.F. no 126 (1re inst.) (QL), le juge Blais a confirmé la norme de contrôle énoncée par le juge Rouleau dans l'affaire Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.F. no 349 (1re inst.) (QL), 93 F.T.R. 66, lorsque l'on demande à la Cour de réviser une décision prise en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, comme c'est le cas en l'espèce :
[8] L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.
[9] La jurisprudence a établi une norme que sont tenus d'appliquer les tribunaux lorsqu'ils doivent contrôler l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme celui dont il est question en l'espèce. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. p. 2, (1982), 137 D.L.R. (3d) 558 (C.S.C.), le juge McIntyre a dit aux pages 7 et 8 :
En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l'espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. À mon avis, lorsqu'elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c'est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l'intention du législateur appliquée à l'arrangement administratif en cause. C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
Dans l'affaire Braceland c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 434 (1re inst.) (QL), le juge Teitelbaum a appliqué la norme de contrôle énoncée dans Kaiser, supra :
[14] Il est clairement établi que la décision que rend le ministre en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est discrétionnaire et, à ce titre, la portée du contrôle est limitée. La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision que rend le ministre en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi fait l'objet d'une analyse dans Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) (C.F. 1re inst.) (1995), 93 F.T.R. 66, . . .
Pour ma part, j'ai aussi récemment appliqué la même norme de contrôle dans Grace Edwards et al. v. Canada Customs and Revenue Agency (31 mai 2002), T-1030-01, 2002 FCT 618 :
[13] Subsection 220(3.1) of the Act vests a discretionary power to the Minister. The courts have the responsibility to ensure that the taxpayer is heard, and that he is entitled to a decision that is the outcome of a fair process in the course of which the submissions he is raising were indeed considered (see Courchesne v. Canada (Revenue), [1996] F.C.J. No. 1469 (T.D.) (QL)).
[14] Based on the evidence here, I am satisfied that there has been a proper exercise of the statutory discretion bestowed on the Minister by subsection 220(3.1) of the Act. A discretionary power of this nature must be exercised in good faith, in accordance with the principles of natural justice, taking into account all relevant considerations and without regard to irrelevant or extraneous ones. As stated in Kaiser, supra, at page 69:
. . . Every case is required to be decided on its own merit in order that circumstances unique to that individual taxpayer are properly taken into account. . . . [W]hen the Minister exercises his discretion under subsection 220(3.1), he is required to take into account considerations relevant and unique to that taxpayer alone. . . .
En l'espèce, il appert que l'ensemble des faits au dossier a été dûment considéré. Le rapport préparé par le comité d'équité, subséquemment remis à M. Jean Laporte, mentionne en détail les faits et circonstances qui ont donné lieu à l'examen de la demande. La preuve au dossier démontre essentiellement qu'en tout temps pertinent : (1) la demanderesse était propriétaire d'une propriété évaluée à 300 000 $ et hypothéquée pour un montant de 100 000 $; (2) la demanderesse avait un revenu annuel supérieur à 45 000 $; et (3) la demanderesse avait contribué à son RÉER depuis 1992 pour un montant total de 9 700 $.
Dans les circonstances, considérant la norme de contrôle applicable définie dans la jurisprudence ci-dessus, l'intervention de cette cour n'est pas justifiée. Au contraire, je suis satisfait que la décision est non seulement conforme au droit, mais qu'elle est également raisonnable.
Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 15 octobre 2002
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1382-00
INTITULÉ : HILDA HACIKYANER c. AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 17 septembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : L'honorable juge Pinard
EN DATE DU : 15 octobre 2002
ONT COMPARU :
Mme HILDA HACIKYANER LA DEMANDERESSE AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE
Me PIERRE LAMOTHE POUR LA DÉFENDERESSE
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
HILDA HACIKYANER LA DEMANDERESSE AGISSANT POUR SON
Mont-Royal (Québec) PROPRE COMPTE
MORRIS ROSENBERG POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)