Date : 20190312
Dossier : T-1252-17
Référence : 2019 CF 301
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 mars 2009
En présence de madame la juge Kane
ENTRE :
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TIM GREY ET MUHANNAD MALAS
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demandeurs
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
Les demandeurs, Tim Gray et Muhannad Malas, interjettent appel de l’ordonnance de la protonotaire Mandy Aylen, datée du 10 septembre 2018, en vertu du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. La protonotaire Aylen [la protonotaire] est responsable de la gestion de l’instance dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Par son ordonnance, la protonotaire a rejeté la requête des demandeurs, fondée sur l’article 318 des Règles, en production de documents supplémentaires qui ne figuraient pas dans le dossier certifié du tribunal [le DCT] produit en réponse à une demande présentée conformément à l’article 317 des Règles.
[2]
La question en litige dans le présent appel est de savoir si la protonotaire a commis une erreur en tirant comme conclusion principale que les documents dont la production a été demandée par les demandeurs conformément à l’article 317 des Règles n’étaient pas pertinents quant aux motifs allégués dans l’avis de demande, ou en tirant comme conclusion subsidiaire que les documents demandés ne pouvaient pas par ailleurs être produits parce que la décideure ne les avait pas en sa possession et que les documents ne faisaient pas partie du dossier dont elle disposait.
[3]
Pour les motifs qui suivent, je conclus que la protonotaire n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion principale ni dans sa conclusion subsidiaire.
[4]
La demanderesse, Kim Perrotta, s’est désistée de sa demande et, par conséquent, l’intitulé est modifié par suppression de son nom.
I.
Le contexte
[5]
En 2015, la United States Environmental Protection Agency a délivré un avis de violation contre Volkswagen AG, alléguant que certains modèles de voitures diesel Volkswagen, Audi et Porsche comprenaient un « dispositif de mise en échec »
permettant aux voitures de contourner les normes d’émissions. Peu de temps après, Environnement et Changement climatique Canada [ECCC] a annoncé la tenue d’une enquête sur cette affaire au Canada. Le communiqué de presse d’ECCC daté du 22 septembre 2015 annonçant l’enquête indiquait que la loi canadienne interdit aux constructeurs de véhicules d’équiper les véhicules de tels « dispositifs de mise en échec »
et que si une preuve suffisante de violation est établie, des mesures d’application seront prises conformément à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33 [la LCPE].
[6]
Les demandeurs font remarquer que la conduite de Volkswagen lors de la mise au point du « dispositif de mise en échec »
a causé de graves dommages à l’environnement et, surtout, à la santé de certaines personnes. Les demandeurs font également remarquer que des mesures décisives ont été prises en Allemagne et aux États‑Unis. Les déclarations de culpabilité prononcées aux États‑Unis ont entraîné d’énormes sanctions pécuniaires et autres.
[7]
En 2017, conformément à l’article 17 de la LCPE, M. Gray et M. Malas ont demandé séparément qu’ECCC ouvre des enquêtes sur les violations qui auraient été commises par Volkswagen et ses entités liées [Volkswagen]. Les demandes alléguaient que Volkswagen :
a importé illégalement des voitures diesel non conformes;
a appliqué illégalement la marque nationale aux voitures diesel non conformes et a vendu ces voitures;
a fourni sciemment des renseignements faux ou trompeurs;
a repris illégalement la vente des modèles 2015 après n’avoir réglé qu’en partie le problème.
[8]
La directrice générale de la Direction de l’application de la loi en environnement d’ECCC, Heather McCready, a répondu à chaque demande à titre de déléguée du ministre. Mme McCready a refusé d’ouvrir une enquête sur les allégations 1 à 3 et a accepté d’enquêter sur l’allégation 4 et d’informer les demandeurs du déroulement de l’enquête tous les 90 jours, comme le prévoit l’article 19 de la LCPE.
[9]
La lettre de décision de Mme McCready énonce ce qui suit :
[traduction]
En ce qui concerne les allégations 1 à 3, la Direction de l’application de la loi en environnement d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a déjà ouvert une enquête, qui se poursuit, sur les violations potentielles résultant de l’importation au Canada de véhicules équipés d’un dispositif de mise en échec. Les infractions alléguées dans votre demande sont visées par l’enquête en cours. Par conséquent, aucune enquête ministérielle ne sera ouverte à l’égard de ces allégations.
En ce qui concerne l’allégation 4, ECCC enquêtera sur toutes les questions jugées nécessaires pour déterminer les faits relatifs à l’infraction alléguée. Comme l’exige la LCPE, je vous tiendrai au courant du déroulement de cette enquête tous les 90 jours.
[10]
En août 2017, les demandeurs ont signifié et déposé des avis de demande de contrôle judiciaire, qui ont ensuite été regroupés. L’avis de demande décrit M. Malas et M. Gray comme des représentants d’organismes environnementaux ou de santé publique préoccupés par la conduite de Volkswagen, souligne que les demandeurs ont invoqué le droit que leur confère la LCPE de demander au ministre de faire enquête, affirme que la décision du ministre énoncée dans la lettre est une décision [traduction] « passe-partout »
, et indique que le personnel d’ECCC a précisé que le ministre ne leur soumettrait aucun rapport concernant les trois allégations pour lesquelles aucune enquête n’a été ouverte.
[11]
Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision et enjoignant au ministre d’ouvrir une enquête sur les allégations 1 à 3 conformément à l’article 17 de la LCPE et de les informer du déroulement de l’enquête, entre autres mesures de redressement.
[12]
Les demandeurs allèguent que le refus d’ouvrir des enquêtes excède les pouvoirs conférés par la LCPE. Voici un extrait du paragraphe 11 de l’avis de demande :
[traduction]
11. La décision du ministre de reconnaître les allégations et la demande d’enquête de M. Malas, mais de refuser d’ouvrir une enquête pour trois de ces allégations, est ultra vires. En vertu des articles 17 à 21 de la LCPE, M. Malas a le droit de demander au ministre d’ouvrir des enquêtes et, une fois que le ministre a accusé réception de ses demandes, celui-ci doit l’informer régulièrement du déroulement de l’enquête ou des motifs pour refuser ab initio d’ouvrir les enquêtes demandées, qu’ECCC mène actuellement ou non une enquête prétendument similaire.
[13]
Au paragraphe 12, les demandeurs allèguent que la décision du ministre porte gravement atteinte à leurs autres droits garantis par la LCPE, affirmant qu’en refusant d’ouvrir une enquête et de les informer du déroulement de celle-ci, le ministre [traduction] « réduit à néant les droits de participation du public, ce qui est incompatible avec une interprétation téléologique de la LCPE, irresponsable envers les Canadiens et illégal »
.
[14]
L’avis comprend également une demande de production de documents présentée en vertu de l’article 317 des Règles, qui est ainsi formulée :
[traduction]
22. Compte tenu du raisonnement relatif à l’article 317 des Règles exposé dans la décision Cooke c Canada, 2005 CF 712, tous les documents en possession du défendeur concernant « l’enquête en cours » d’ECCC dont il est question dans la décision contestée;
23. Tout autre document en la possession du défendeur concernant les demandes présentées [par les demandeurs] en vertu de l’article 17 et les décisions du ministre d’ouvrir ou non des enquêtes ministérielles.
[15]
Le 5 octobre 2017, le défendeur a produit un certificat énumérant 20 documents. Ces documents constituent le DCT. Les éléments 1 à 15 étaient joints en annexe. Les éléments 16 à 20 du DCT ont été soustraits à la divulgation sur la foi du secret professionnel de l’avocat et également du privilège d’enquête, dans le cas de l’élément 20. Les demandeurs font remarquer qu’une seule page des documents produits était nouvelle; toutes les autres étaient déjà en leur possession.
[16]
Le défendeur s’est opposé à la production d’autres documents au motif que :
(i)
la demande s’apparente plutôt à une demande de communication préalable et est contraire à l’article 317 des Règles;
(ii)
les autres documents ne sont pas pertinents quant aux demandes;
(iii)
la décideure n’a pas utilisé d’autres documents dans le cadre de ses délibérations et ces documents ne font pas non plus partie du dossier relatif aux décisions;
(iv)
la demande est trop large, trop vague ou trop générale pour permettre une recherche ciblée de documents potentiellement pertinents quant aux décisions qui font l’objet des demandes;
(v)
les documents demandés font l’objet du privilège d’enquête puisqu’ils font partie d’une enquête en cours;
(vi)
certains documents sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.
[17]
Les demandeurs ont ensuite déposé une requête en production de documents au titre de l’article 318 des Règles. Ils ont demandé des documents liés à l’enquête en cours qui ne figuraient pas dans le DCT, ainsi que les éléments 16 à 20.
[18]
Le dossier de réponse du défendeur à l’encontre de la requête comprenait un affidavit du directeur exécutif de l’application de la loi en environnement d’ECCC, M. Michael Enns. M. Enns a été longuement contre-interrogé par les demandeurs.
[19]
La protonotaire a ordonné que la requête présentée par les demandeurs au titre de l’article 318 des Règles soit scindée. La première phase de la requête porterait sur la question de savoir si la Cour devrait ordonner qu’une copie certifiée conforme de l’ensemble ou d’une partie des documents demandés soit transmise au greffe. La deuxième phase de la requête ne se déroulerait que dans le cas où l’on ordonnerait que les documents soient transmis au greffe et servirait à déterminer si ces documents contiennent des renseignements confidentiels de Volkswagen Group Canada Inc. qui justifient la protection de la Cour ou toute autre restriction.
[20]
Le jour ouvrable précédant l’audience relative à la première phase de la requête présentée au titre de l’article 318 des Règles, le défendeur a remis aux demandeurs une copie partiellement caviardée de l’élément 20, une note de service qui semble avoir été préparée pour Mme McCready, qui fournissait le contexte, résumait la demande présentée par les demandeurs en vertu de l’article 17 de la LCPE et les obligations d’ECCC, et énonçait trois options pour répondre à cette demande.
II.
La décision de la protonotaire faisant l’objet du contrôle
[21]
La protonotaire a rejeté la requête des demandeurs. Un résumé de sa décision, au paragraphe 5 de son ordonnance, dit ceci :
[traduction]
Pour les raisons qui suivent, je conclus que les documents supplémentaires demandés par les demandeurs, en plus des documents figurant dans le dossier certifié du tribunal, ne sont pas pertinents quant à la demande telle qu’elle est présentée, et n’ont pas à être produits. Même si je me trompe à cet égard, je ne suis pas convaincue que les documents supplémentaires pourraient par ailleurs être produits en vertu de l’article 317 des Règles. De plus, je conclus que le défendeur a invoqué à juste titre le secret professionnel de l’avocat relativement aux éléments 16 à 20 du dossier certifié du tribunal. La deuxième phase de la requête présentée au titre de l’article 318 des Règles ne portera donc que sur les caviardages restants à l’élément 20 du dossier certifié du tribunal.
[22]
En ce qui concerne la production de documents supplémentaires, la protonotaire s’est fondée sur l’arrêt Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, [2017] ACF no 601 (QL) [Tsleil‑Waututh]. La protonotaire a constaté que les seuls documents accessibles par application de l’article 317 des Règles sont ceux qui sont pertinents quant à la demande, qui se trouvent effectivement en la possession du décideur administratif et dont celui-ci disposait au moment de prendre sa décision. La protonotaire a également constaté que la pertinence est déterminée par rapport aux motifs de contrôle invoqués dans l’avis de demande suivant une lecture globale. La protonotaire a souligné que tous les éléments de preuve admissibles ne peuvent pas nécessairement être obtenus en vertu de l’article 317 des Règles, car ces notions doivent être abordées de façon distincte, citant l’arrêt Tsleil‑Waututh, au paragraphe 117.
[23]
La protonotaire a conclu que les documents demandés par les demandeurs ne sont pas pertinents quant aux motifs de contrôle invoqués dans l’avis de demande. La protonotaire a souligné que les demandeurs ont fait valoir qu’ils avaient besoin de documents supplémentaires pour vérifier l’affirmation de la décideure selon laquelle l’enquête en cours porte sur les allégations des demandeurs. Toutefois, dans les avis de demande, il est allégué que le refus d’ouvrir une enquête est ultra vires [traduction] « qu’ECCC mène actuellement ou non une enquête prétendument similaire »
. La protonotaire a ajouté que l’affirmation des demandeurs selon laquelle la portée et l’état de l’enquête sont en cause [traduction] « est entièrement contredite par les actes de procédure des demandeurs »
.
[24]
La protonotaire a également rejeté l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils avaient contesté l’actualité et la portée de l’enquête en déclarant dans leurs actes de procédure que [traduction] « le ministre a refusé d’ouvrir des enquêtes pour trois des quatre demandes, parce qu’elles étaient prétendument ‟visées par l’enquête en cours [d’ECCC]” »
. La protonotaire a conclu qu’il s’agissait d’une allégation factuelle.
[25]
Dans l’éventualité où elle aurait eu tort de conclure que les documents demandés n’étaient pas pertinents quant aux motifs allégués dans l’avis de demande, la protonotaire s’est également penchée sur la question de savoir si la décideure, Mme McCready, avait en sa possession d’autres documents au moment de prendre sa décision. La protonotaire a conclu qu’elle n’était pas en possession de tels documents.
[26]
La protonotaire a conclu que la preuve montrait clairement que Mme McCready s’était fondée sur les documents figurant dans le DCT, sur les conseils qu’elle avait reçus de vive voix de M. Enns et du directeur régional de la région de l’Ontario, et sur sa connaissance personnelle de l’enquête en cours. La protonotaire a reconnu que Mme McCready possédait des connaissances suffisantes, compte tenu de son poste et de sa participation aux enquêtes.
[27]
La protonotaire a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel le ministre (que les demandeurs ont qualifié de décideur administratif de façon générale) disposait techniquement du dossier d’enquête et qu’il y avait donc lieu de présumer que le dossier était en la possession de Mme McCready.
[28]
En ce qui concerne les arguments des demandeurs relatifs à la crédibilité de M. Enns et au défaut de Mme McCready de déposer un affidavit, la protonotaire était convaincue que la crédibilité de M. Enns n’était pas mise en doute et qu’il n’était pas justifié de tirer une conclusion défavorable en raison de l’absence de témoignage direct de Mme McCready.
[29]
La protonotaire a conclu que Mme McCready ne disposait pas des documents demandés lorsqu’elle a pris sa décision et que ceux-ci ne sont pas, à première vue, tenus d’être produits en vertu de l’article 317 des Règles.
[30]
La protonotaire a ensuite examiné si les documents demandés devaient être produits au motif qu’ils satisfont à une exception au principe général selon lequel seuls les documents dont le décideur disposait devraient être produits. Elle a conclu que ce n’était pas le cas, faisant remarquer que les avis de demande ne soulèvent aucune allégation relevant d’une exception.
[31]
La protonotaire a également formulé des préoccupations au sujet de l’ampleur de la demande des demandeurs et de son manque de précision.
[32]
En ce qui a trait à la production des éléments 16 à 20, la protonotaire a examiné les copies non caviardées que le défendeur lui avait fournies sous scellés et a convenu que les revendications du secret professionnel de l’avocat formulées par le défendeur relativement à chaque document étaient fondées.
[33]
La protonotaire a accordé au défendeur des dépens de 1 500 $ relativement à la requête. La protonotaire a rejeté les affirmations des demandeurs selon lesquelles ils ont eu gain de cause en partie dans la mesure où la Cour a ordonné au défendeur de produire les éléments 16 à 20 sous scellés devant la Cour et parce que le défendeur a transmis aux demandeurs une version partiellement non caviardée de l’élément 20. La protonotaire a fait remarquer qu’il s’agissait d’une pratique courante lorsque le secret professionnel de l’avocat est revendiqué.
III.
La position générale des demandeurs
[34]
Les demandeurs allèguent que la protonotaire a commis des erreurs de droit et des erreurs mixtes de fait et de droit manifestes et dominantes, et qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue. Les demandeurs ont présenté des arguments détaillés sur toutes les questions qui ont été abordées par la protonotaire.
[35]
Les demandeurs font remarquer que, dans sa décision, le ministre n’a fourni qu’un seul motif pour refuser d’ouvrir une enquête : [traduction] « Les infractions alléguées dans votre demande sont visées par l’enquête en cours. Par conséquent, aucune enquête ministérielle ne sera ouverte à l’égard de ces allégations. »
Les demandeurs soutiennent que la lettre de décision soulève la question de l’actualité et de la portée de l’enquête d’ECCC. Ils font valoir qu’ils ont besoin des documents pour vérifier le motif invoqué, faute de quoi la décision échappera au contrôle judiciaire. Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a perdu de vue le fait que le contrôle judiciaire serait déterminé en fonction de la norme de la décision raisonnable.
[36]
Les demandeurs soutiennent que les documents demandés sont pertinents au sens de l’article 317 des Règles. Ils font valoir que la protonotaire a commis une erreur en déterminant les éléments pertinents aux fins du contrôle judiciaire parce qu’elle a mal interprété la jurisprudence et fait une lecture technique et formelle de l’avis de demande, plutôt qu’une lecture globale et pratique.
[37]
Les demandeurs soutiennent en outre que l’article 317 des Règles ne limite pas la production aux documents que Mme McCready avait en sa possession et qu’elle a examinés. Il s’étend plutôt aux documents qui auraient dû être en sa possession, d’autant plus qu’elle se trouvait au sommet de la « chaîne de commandement »
de l’enquête sur Volkswagen.
[38]
Les demandeurs soutiennent également que la protonotaire a commis une erreur dans son appréciation de la preuve concernant les documents qui étaient réellement en la possession de Mme McCready lorsqu’elle a pris sa décision, et que la preuve n’appuie pas la conclusion de la protonotaire.
IV.
La position générale du défendeur
[39]
Le défendeur soutient que la protonotaire n’a pas commis d’erreur dans sa compréhension du droit à l’égard de l’article 317 des Règles ou en concluant que les documents demandés n’étaient pas pertinents quant aux motifs invoqués dans l’avis de demande et, subsidiairement, qu’ils n’avaient pas par ailleurs à être produits parce que la décideure, Mme McCready, ne disposait pas des documents demandés. La protonotaire n’a pas non plus commis d’erreur en concluant que la demande était d’une portée excessive.
[40]
Le défendeur constate que la production de documents aux fins du contrôle judiciaire diffère de la communication préalable plus générale dans le contexte d’une action. Le défendeur conteste l’argument des demandeurs selon lequel ils ont besoin d’un dossier plus complet pour vérifier leurs soupçons voulant que l’enquête d’ECCC ne soit pas en cours et ne vise pas leurs allégations. L’argument des demandeurs selon lequel leur cause sera plus solide si leur dossier est plus étoffé n’est pas le critère prévu à l’article 317 des Règles.
[41]
Le défendeur fait remarquer que, dans l’avis de demande, il était seulement allégué que la décision de refuser d’ouvrir une enquête était ultra vires, et non que l’enquête en cours ne visait pas les allégations.
[42]
Le défendeur conteste que les documents doivent être produits, qu’ils aient été examinés ou non par Mme McCready. Il soutient que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en se fondant sur la preuve par affidavit, laquelle a établi ce qui a été examiné par Mme McCready et ce qui ne l’a pas été.
[43]
Le défendeur ajoute que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en refusant de tirer une conclusion défavorable de l’utilisation de la preuve par affidavit sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, soulignant que cela est expressément permis dans ce genre de requête et que la protonotaire possède entière discrétion pour en tirer ou non une conclusion.
V.
Les questions en litige
[44]
Les demandeurs ont soulevé plusieurs arguments dans le cadre du présent appel, que j’ai reformulés afin de les aligner sur les conclusions de la protonotaire.
[45]
En ce qui concerne la principale conclusion de la protonotaire selon laquelle les documents demandés ne sont pas pertinents au regard des motifs allégués dans l’avis de demande, les demandeurs soutiennent ce qui suit :
- la protonotaire a commis une erreur de droit dans son interprétation de la jurisprudence applicable en matière de pertinence, notamment en s’appuyant sur le résumé énoncé dans l’arrêt Tsleil‑Waututh plutôt que sur la jurisprudence principale, y compris celle qui établit qu’il convient de donner une interprétation libérale à la
« pertinence »
au sens de l’article 317 des Règles;- la protonotaire a commis une erreur de droit en interprétant l’avis de demande de façon formaliste et en ne tenant pas compte de l’ensemble des allégations, ce qui l’a amenée à conclure à tort que les documents n’étaient pas pertinents;
- la protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que la demande de contrôle judiciaire serait traitée selon la norme de la décision raisonnable, ce qui a également amené la protonotaire à commettre une erreur lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir si les documents demandés étaient pertinents.
[46]
En ce qui concerne la conclusion subsidiaire ou additionnelle de la protonotaire selon laquelle les documents ne pouvaient pas par ailleurs être produits parce qu’ils n’étaient pas en la possession de la décideure et n’ont pas été examinés par celle-ci, les demandeurs soutiennent ce qui suit :
- la protonotaire a commis une erreur de droit dans son interprétation de la jurisprudence régissant la possession, encore une fois en s’appuyant sur les principes généraux résumés dans l’arrêt Tsleil‑Waututh plutôt que sur la jurisprudence principale;
- la protonotaire a commis une erreur de droit et une erreur mixte de droit et de fait manifeste et dominante dans son appréciation de la preuve concernant les documents qui étaient en la possession de Mme McCready, notamment en acceptant le ouï-dire inadmissible dans l’affidavit de M. Enns, qui ne s’est pas avéré nécessaire ou fiable, et en ne tirant aucune conclusion défavorable du fait que le défendeur n’a pas fourni d’affidavit souscrit par Mme McCready, qui était autrement disponible et possédait une connaissance directe des faits.
[47]
Les demandeurs ont précisé qu’ils ne poursuivent pas leur appel interjeté contre l’ordonnance relative aux dépens adjugés par la protonotaire. Toutefois, ils soulignent qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’adjuger des dépens à leur encontre étant donné qu’ils agissent dans l’intérêt public.
VI.
La norme de contrôle
[48]
Les parties conviennent que le critère applicable pour procéder au contrôle des ordonnances discrétionnaires des juges des requêtes, y compris les protonotaires chargés de la gestion de l’instance, est énoncé dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au paragraphe 66, [2017] 1 RCF 331 [Hospira]. Ces ordonnances doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme civile d’appel ordinaire établie dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, aux paragraphes 19 à 37 [Housen]. Les questions de droit doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, et les questions de fait appellent la retenue, à moins d’une erreur manifeste et dominante. Les questions mixtes de fait et de droit appellent également la retenue en l’absence d’une erreur manifeste et dominante, à moins que l’analyse ne contienne une erreur de droit ou un principe juridique isolable. Le cas échéant, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue (Hospira, au paragraphe 66).
[49]
Les parties ne s’entendent pas quant à savoir si certaines questions sont des questions de droit, des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, ou s’il existe une question de droit isolable dans certaines questions mixtes de fait et de droit. Elles ne s’entendent pas non plus sur le sens de l’expression « erreur manifeste et dominante »
.
[50]
La distinction entre les trois types de questions a été expliquée dans l’arrêt Teal Cedar Products Ltd c Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 RCS 688, au paragraphe 43 [Teal Cedar] :
En particulier, personne ne conteste que les questions de droit « concernent la détermination du critère juridique applicable » (Sattva, par. 49, citant Southam, par. 35); les questions de fait « portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties » (Southam, par. 35; Sattva, par. 58); et les questions mixtes « consistent à déterminer si les fait [sic] satisfont au critère juridique » ou, en d’autres termes, supposent « l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits » (Southam, par. 35; Sattva, par. 49, citant Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
[51]
En ce qui concerne le sens de l’expression « erreur manifeste et dominante », les demandeurs soutiennent que la description donnée dans l’arrêt Hospira s’applique, puisque la décision dans cette affaire a été rendue par un comité de cinq juges de la Cour d’appel fédérale. Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 68 de l’arrêt Hospira assimile l’erreur manifeste et dominante à des situations où un juge des requêtes a mal apprécié les faits ou n’a pas accordé de poids aux circonstances pertinentes.
[52]
Je ne pense pas que les déclarations de la Cour d’appel dans l’arrêt Hospira définissent ce qu’est une erreur manifeste et dominante. Le passage invoqué par les demandeurs au paragraphe 68 s’inscrit dans le contexte de la conclusion de la Cour selon laquelle la norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire d’un protonotaire et à celle d’un juge des requêtes est la même. La Cour a constaté que la jurisprudence avait employé des termes différents pour établir les normes et que la simplicité et la clarté devraient prévaloir et, par conséquent, que seule la norme établie dans l’arrêt Housen devrait s’appliquer aux décisions discrétionnaires tant des juges que des protonotaires.
[53]
Une erreur manifeste et dominante est une norme plus élevée qu’une mauvaise appréciation des faits ou un manquement à l’obligation d’évaluer correctement les circonstances pertinentes. La Cour d’appel a donné une définition uniforme de l’erreur manifeste et dominante dans sa jurisprudence avant et après l’arrêt Hospira. Par exemple, dans l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corp, 2012 CAF 165, au paragraphe 46, [2012] ACF no 669 (QL), le juge Stratas a déclaré ce qui suit :
[46] L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.
[54]
Plus récemment, dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2017] ACF no 726 (QL), le juge Stratas a donné la même définition de l’erreur manifeste et dominante (aux paragraphes 61 à 64). Le juge Stratas a donné des exemples d’une erreur manifeste au paragraphe 62 :
À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.
[55]
Le juge Stratas a en outre expliqué au paragraphe 64 qu’une erreur dominante est « une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas “dominante”. Le jugement du tribunal de première instance demeure. »
[56]
Dans l’arrêt Housen, la Cour suprême du Canada a donné des exemples d’une question de droit ou d’un principe juridique isolable au paragraphe 36, notamment « l’application d’une norme incorrecte, [...] l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou [...] une autre erreur de principe semblable »
. Dans l’arrêt Teal Cedar, la Cour suprême du Canada a mis en garde les juridictions inférieures contre le fait de conclure trop rapidement à des erreurs de droit isolables, faisant valoir au paragraphe 45 que « les questions mixtes, par définition, comportent des aspects de droit »
, ajoutant que les avocats sont motivés à « qualifie[r] stratégiquement une question mixte de question de droit »
.
[57]
Un dernier principe s’applique dans les circonstances actuelles. Un protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, et il doit être fait preuve de retenue à son égard en l’absence d’erreur susceptible de révision (Hospira, au paragraphe 103).
VII.
La protonotaire responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en concluant que les documents demandés n’étaient pas pertinents?
A.
Les observations des demandeurs
[58]
Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en interprétant mal la jurisprudence et en écartant d’autres décisions qui appellent une interprétation libérale de la pertinence au sens de l’article 317 des Règles, en lisant l’avis de demande d’une manière formaliste plutôt que globale, et en ne comprenant pas que la norme de la décision raisonnable régit le contrôle judiciaire.
[59]
Premièrement, les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur de droit en interprétant la pertinence de façon trop étroite. Ils soutiennent qu’un décideur est tenu de produire les documents pertinents et que la jurisprudence a établi que le terme « pertinent »
doit être interprété de façon libérale. Les demandeurs font valoir que les documents pertinents sont ceux qui peuvent avoir une incidence sur la décision de la Cour à l’égard de la demande. Les demandeurs soutiennent que les documents relatifs à l’actualité et à la portée de l’enquête sont pertinents et nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur leur demande de contrôle judiciaire.
[60]
Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en se fondant sur le résumé des principes énoncé dans l’arrêt Tsleil‑Waututh plutôt qu’en évaluant la jurisprudence initiale et d’autres décisions qui n’ont pas été infirmées, notamment Canada (Procureur général) c Telbani, 2014 CF 1050, 251 ACWS (3d) 457 [Telbani]; Premières Nations Deh Cho c Canada, 2005 CF 374, [2005] ACF no 474 (QL) [Premières Nations Deh Cho]; Friends of the West Country Assn c Canada (ministre des Pêches et des Océans) (1997), 130 FTR 206, [1997] ACF no 557 (QL) (1re inst.) [Friends of the West]; et Canada (Commission des droits de la personne) c Pathak, [1995] 2 CF 455, [1995] ACF no 555 (QL) (CA) [Pathak]. Les demandeurs soutiennent que ces décisions appuient une vision plus large de ce qui est pertinent et de ce qui devrait être versé au dossier du décideur. Les demandeurs soutiennent également que la principale question en litige dans l’arrêt Tsleil‑Waututh était de savoir si un élément de preuve exceptionnel – c.-à-d. un élément de preuve dont ne disposait pas le décideur – pouvait être produit, et que les remarques du juge Stratas concernant l’article 317 des Règles en général sont incidentes.
[61]
Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en interprétant l’avis de demande d’une manière étroite et formaliste, plutôt que globale, ce qui l’a amenée à conclure que l’actualité et la portée de l’enquête en cours ne sont pas liées aux motifs de contrôle. Bien que la protonotaire ait souligné le principe directeur établi dans l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250, [2013] ACF no 1155 (QL) [JP Morgan], elle ne l’a pas appliqué.
[62]
Les demandeurs soutiennent que le défaut de la protonotaire de lire l’acte de procédure de façon globale est une erreur de droit ou, subsidiairement, une erreur mixte de fait et de droit comportant un principe juridique isolable, et qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la lecture de l’avis par la protonotaire.
[63]
Les demandeurs renvoient au paragraphe 9 de leur avis de demande, qui énonce ce qui suit : [traduction] « Encore une fois, le ministre a refusé d’ouvrir des enquêtes pour trois des quatre allégations, parce qu’elles étaient prétendument “visées par l’enquête en cours [d’ECCC]” »
. Les demandeurs soutiennent que l’emploi du mot [traduction] « prétendument »
indiquait qu’ils contestaient l’actualité et la portée de l’enquête d’ECCC – autrement dit, le caractère raisonnable de la décision.
[64]
Troisièmement, les demandeurs soutiennent que la protonotaire n’a pas compris que leur demande de contrôle judiciaire sera examinée selon la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.
[65]
Les demandeurs font valoir que même s’ils affirment dans l’avis de demande que la décision du ministre de refuser d’ouvrir une enquête pour trois allégations est ultra vires, un contrôle selon la norme de la décision correcte sur la question de la compétence ne suffit pas. Ils font valoir qu’il est clair qu’ils contestent le caractère raisonnable de la décision selon laquelle leur demande est [traduction] « visée »
par l’enquête en cours d’ECCC. Ils soutiennent que la protonotaire s’est concentrée sur leur allégation d’excès de compétence et qu’elle n’a pas compris que le contrôle judiciaire serait fondé sur la norme de la décision raisonnable, qui aurait dû éclairer sa décision quant à la pertinence aux fins de la production en vertu de l’article 317 des Règles.
[66]
Les demandeurs reconnaissent que la protonotaire a fait remarquer que le caractère suffisant du dossier peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Toutefois, ils soutiennent que leurs arguments seraient plus solides s’ils disposaient des documents pertinents permettant de déterminer si la décision est raisonnable.
B.
Les observations du défendeur
[67]
Le défendeur souligne que la production de documents est plus limitée dans le cadre d’un contrôle judiciaire que dans le cadre d’une action. Les documents doivent être effectivement pertinents pour tomber sous le coup de l’article 317 des Règles et les documents qui pourraient être pertinents ne sont pas visés par cette disposition. La pertinence dépend des motifs de contrôle invoqués dans l’avis de demande, qui appelle une lecture globale.
[68]
Le défendeur fait remarquer que dans l’avis de demande, il est seulement allégué que la décision du ministre de refuser d’ouvrir une enquête sur les allégations des demandeurs était ultra vires. Il soutient que la protonotaire n’a pas commis d’erreur.
C.
Les articles 317 et 318 des Règles
[69]
Les dispositions appliquées par la protonotaire en matière de production de documents sont les suivantes :
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D.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant que les documents n’étaient pas pertinents au sens de l’article 317 des Règles
(1)
La protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit dans son interprétation de l’article 317 des Règles
[70]
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en se fondant sur la jurisprudence qui régit l’appréciation de la pertinence au sens de l’article 317 des Règles ou dans sa compréhension de celle-ci.
[71]
Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs selon lequel la protonotaire a commis une erreur en s’appuyant sur les principes résumés dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, à l’exclusion de la jurisprudence initiale. Je ne suis pas non plus d’accord avec les demandeurs pour dire que l’arrêt Tsleil‑Waututh porte sur une preuve exceptionnelle et que le résumé du droit fait par le juge Stratas concernant de façon générale l’article 317 des Règles est incident. Contrairement à l’opinion des demandeurs, dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, la Cour d’appel a répondu à la requête des demandeurs en vue d’obtenir des renseignements supplémentaires conformément à l’article 317 des Règles. Plusieurs questions ont été soulevées, à commencer par l’importance du dossier de contrôle judiciaire, la fonction et les limites de l’article 317 des Règles et l’admissibilité de la preuve autre que celle dont disposait le décideur (c.-à-d. les exceptions à la règle générale en matière d’admissibilité). Le juge Stratas a souligné, aux paragraphes 64 à 66, la nécessité de voir la forêt entière dans les affaires où des règles de procédure ont été invoquées, et d’examiner le fondement des règles et des principes généraux. Il a fait remarquer que cette approche était nécessaire pour replacer l’article 317 dans son contexte. Le juge Stratas a expliqué l’importance du dossier du décideur pour la Cour aux fins du contrôle judiciaire. Il a ensuite exposé, aux paragraphes 88 à 93 et 106 à 119, les principes régissant l’article 317 et a abordé les exceptions à la règle. Ces principes découlent de la jurisprudence de la Cour d’appel et ont été précisés davantage.
[72]
Les principes énoncés dans l’arrêt Tsleil‑Waututh ne sont pas, comme le laissent entendre les demandeurs, incidents. Ils reflètent le droit qui lie notre Cour, qui liait la protonotaire et qui a été appliqué par celle-ci.
[73]
La jurisprudence privilégiée par les demandeurs n’est pas, à l’exception de l’arrêt Pathak, une jurisprudence d’appel. De plus, elle doit être considérée dans son contexte approprié. Le fait de se concentrer sur des passages isolés ou de ne pas se reporter aux décisions qui y sont citées peut conduire à des extrapolations et à des interprétations erronées. Dans l’ensemble, la jurisprudence invoquée par les demandeurs, même si elle invite à une interprétation large ou libérale de la pertinence au sens de l’article 317 des Règles, ne contredit pas le principe selon lequel la pertinence est déterminée en fonction des motifs invoqués. Il convient également de souligner que la jurisprudence invoquée par les demandeurs cite le même passage de l’arrêt Pathak que l’arrêt Tsleil‑Waututh.
[74]
En ce qui a trait au fait que les demandeurs se fondent sur la décision Telbani au paragraphe 40 pour étayer leur argument selon lequel la pertinence est un concept large et que le dossier s’étend aux documents dont le décideur aurait dû disposer, il convient de souligner le contexte de l’affaire Telbani. Dans l’affaire Telbani, le procureur général avait interdit la divulgation de documents provenant du dossier d’un office fédéral en invoquant l’article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada (alléguant que les renseignements pouvaient porter atteinte à la sécurité nationale). Pour déterminer si les documents devraient être exclus de la divulgation ou caviardés, la Cour a souligné que la première étape consiste à déterminer si l’information dont on demande l’exclusion est pertinente. Il est à noter que le défendeur a admis que la plupart des documents non communiqués étaient pertinents.
[75]
Dans l’affaire Telbani, la Cour a cité quelques mots de l’arrêt Pathak, au lieu du paragraphe entier, pour indiquer que la pertinence s’entend de tout document qui « peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande »
.
[76]
Dans l’arrêt Pathak, la Cour d’appel fédérale a examiné l’ancienne disposition remplacée par l’article 317 des Règles. Le juge des requêtes avait conclu que tous les documents utilisés pour la préparation du rapport de l’enquêteur à l’intention de la Commission canadienne des droits de la personne devaient être fournis au demandeur parce que l’enquêteur avait mené l’enquête en tant que prolongement de la Commission. La Cour d’appel n’était pas d’accord.
[77]
Le juge Pratte (le juge Décary ayant souscrit à ses motifs) a conclu que la disposition prévoit que les documents à produire doivent être pertinents quant à la demande de contrôle judiciaire. La pertinence est établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de demande. Si les documents ne sont pas pertinents, il n’est pas nécessaire de les produire. Le juge Pratte a conclu que l’avis de demande ne laissait rien voir qui permette de douter du rapport de l’enquêteur et que ce rapport devait être considéré comme un résumé complet de la preuve dont il disposait. En conséquence, les documents demandés ne seraient pas utiles. Le passage cité dans l’affaire Telbani fait partie du paragraphe suivant de l’arrêt Pathak, à la page 460 :
Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l’intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par l’intimé.
[78]
Le juge MacGuigan a souscrit à cette importante conclusion du juge Pratte et a formulé des remarques supplémentaires. Il a conclu, aux pages 463 et 464, que tous les documents utilisés par l’enquêteur étaient sous la garde de la Commission, mais qu’ils n’étaient pas tous effectivement devant la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Ils ne devraient donc pas être produits.
[79]
Dans l’affaire Friends of the West, la Cour a souligné que la possession et la pertinence quant aux motifs de contrôle judiciaire sont les deux critères liés à l’ancienne disposition remplacée par l’article 317 des Règles. Les demandeurs semblent invoquer le paragraphe 21, où la Cour a déclaré :
Si elle compte faire valoir dans le cadre de cette cause que la portée est trop restreinte, la requérante doit disposer de tous les documents pertinents qui lui permettront de faire la preuve de son argument, si elle le peut. Conclure autrement causerait un préjudice à la requérante.
[80]
Dans l’affaire Friends of the West, la Cour a ensuite examiné chaque demande et objection, soulignant (aux paragraphes 31 à 33) que la pertinence doit être déterminée en fonction des motifs énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance. La Cour a autorisé la production d’autres documents et a rejeté d’autres demandes.
[81]
En l’espèce, bien que les demandeurs aient soutenu que la question en litige visait la portée de l’enquête, la protonotaire a conclu que celle-ci n’avait pas été invoquée comme motif du contrôle judiciaire. Le principe demeure que la pertinence est déterminée en fonction des motifs invoqués. Dans la jurisprudence subséquente, la décision Friends of the West a également été qualifiée d’exception à la règle générale, parce que des questions de procédure avaient été soulevées.
[82]
Dans l’affaire Premières Nations Deh Cho, également invoquée par les demandeurs, le protonotaire Hargrave a fait remarquer que l’article 317 des Règles limite la production de documents aux documents et éléments matériels pertinents quant à la demande qui sont en la possession du demandeur. Il a également cité l’arrêt Pathak et d’autres décisions qui ont mis l’accent sur le fait que la pertinence doit être déterminée en fonction des motifs de contrôle. Le protonotaire Hargrave a également fait remarquer, au paragraphe 11, que le principe général qui limite la production aux documents qui étaient en la possession du décideur au moment où la décision a été prise « a pour effet d’empêcher la communication complète et intégrale de tous les documents qui peuvent se trouver en la possession du ministre »
.
[83]
Le protonotaire Hargrave s’est penché sur la décision Friends of the West, soulignant qu’elle s’est écartée de ce principe général. Il a ajouté que la décision a été considérée dans bon nombre d’affaires subséquentes comme un cas d’espèce.
[84]
Le protonotaire Hargrave a conclu que les documents pertinents que le ministre a pu avoir en sa possession à la date à laquelle la décision a été prise doivent être produits, mais il a fondé cette conclusion sur le fait que le ministre avait supervisé directement le processus décisionnel et que des questions de procédure avaient été soulevées. Autrement dit, une exception au principe général s’appliquait. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, je ne crois pas que la décision Premières Nations Deh Cho suggère une interprétation plus libérale de la pertinence ou de la possession que ne le laisse entendre l’arrêt Pathak.
[85]
Les demandeurs soutiennent que la jurisprudence sur laquelle ils s’appuient n’a pas été infirmée. Ils soutiennent que cette jurisprudence appuie la proposition selon laquelle la question de savoir ce qui est pertinent et ce dont dispose le décideur devrait être interprétée de manière libérale, et que les documents dont aurait dû disposer le décideur devraient également être produits. Toutefois, les décisions invoquées par les demandeurs n’appuient pas cette proposition, à l’exception des remarques formulées dans les décisions Friends of the West et Telbani, qui, comme il a été mentionné précédemment, ont été formulées dans un contexte distinct et n’ont pas été rendues en appel. En outre, les décisions sur lesquelles se sont appuyés les demandeurs renvoient toutes à l’arrêt Pathak, qui établit que la pertinence sera déterminée en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de demande.
[86]
Les principes invoqués par la protonotaire, tels qu’ils sont énoncés par le juge Stratas dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, reflètent la jurisprudence établie en appel.
[87]
Par exemple, dans l’arrêt Access Information Agency Inc. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, au paragraphe 20, [2007] ACF no 814 [Access Information Agency], la Cour d’appel a souligné la distinction entre la communication de la preuve dans une action et la production de documents aux fins du contrôle judiciaire. Au paragraphe 21, la Cour a expliqué que l’objet de l’article 317 des Règles est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et d’exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. La Cour d’appel a ajouté ce qui suit :
Il n’est pas question, lorsqu’il s’agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l’encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire.
[88]
Dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, [2012] ACF no 93, la Cour d’appel a de nouveau confirmé, au paragraphe 19, le principe général selon lequel le dossier de la preuve qui est soumis à la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur.
[89]
Dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’intégrité du secteur public) c Canada (Procureur général), 2014 CAF 270, au paragraphe 4, [2014] ACF no 1167, la Cour d’appel a souligné qu’un contrôle judiciaire doit être décidé « sur la base de l’information devant le décideur au moment de sa prise de décision »
. La Cour a fait remarquer que pour obtenir d’autres renseignements, le demandeur doit invoquer un motif de contrôle qui relève d’une exception, par exemple un manquement à l’équité procédurale ou la partialité.
[90]
Dans l’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268, [2015] ACF no 1397, aux paragraphes 13 et 14 [Access Copyright 2015], la Cour a reconnu la nécessité pour la cour de révision d’avoir un dossier suffisant pour déceler une erreur susceptible de révision, mais a également souligné que l’article 317 des Règles donne aux demandeurs le droit « de recevoir tout ce dont était saisi le décideur au moment où celui-ci a rendu sa décision »
. La Cour d’appel n’a pas, à mon avis, suggéré de s’écarter du principe général de la pertinence et de la possession.
[91]
Dans son résumé de l’interprétation de l’article 317 des Règles, que les demandeurs qualifient à tort d’incident, le juge Stratas a cité la jurisprudence initiale ou principale qui a été établie en appel et qui a énoncé les principes fondamentaux.
[92]
Le juge Stratas a précisé, aux paragraphes 107 et 108 :
[107] L’article 317 a l’effet que prévoit son libellé. Les seuls documents accessibles en vertu de cet article sont ceux qui sont « pertinents quant à la demande » et « en la possession » du décideur administratif, et de lui seul. Le paragraphe 318(1) dispose que les documents visés par l’article 317 doivent venir d’un décideur administratif, et non d’une autre source.
[108] Les documents doivent être pertinents. Le document qu’un demandeur sollicite, car il « pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite », n’est pas visé par l’article 317 (Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, par. 21). Les principes abordés plus haut — tout particulièrement ceux qui sont prévus au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales et à l’article 3 des Règles des Cours fédérales quant à la célérité et à la bonne marche des contrôles judiciaires découragent les recherches à l’aveuglette.
[93]
Le juge Stratas a réitéré, au paragraphe 109, que la pertinence dépend des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de demande, citant l’arrêt Pathak à la page 460, soit le même passage invoqué dans la jurisprudence privilégiée par les demandeurs.
[94]
Sans vouloir insister sur ce point, la jurisprudence actuelle et contraignante établie en appel et résumée dans l’arrêt Tsleil‑Waututh confirme le principe général selon laquelle « ne sont visés par l’article 317 que »
les documents pertinents, déterminés en fonction des motifs énoncés dans l’avis de demande, qui étaient en la possession du décideur au moment de la prise de décision (au paragraphe 112). La protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit en s’appuyant sur cette jurisprudence.
(2)
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en lisant l’avis de demande de façon trop étroite
[95]
Contrairement à l’argument des demandeurs selon lequel l’exigence de lire les actes de procédure de façon globale comporte un principe de droit isolable, la jurisprudence a établi que l’interprétation des actes de procédure, notamment d’un avis de demande, est une question mixte de fait et de droit (Apotex Inc. c Canada (Santé), 2012 CAF 322, au paragraphe 9, [2012] ACF no 1659 (QL)). L’appréciation par la protonotaire des motifs invoqués en faveur du contrôle judiciaire appelle la retenue, à moins qu’il n’y ait une erreur manifeste et dominante. Or, il n’a pas été démontré qu’une telle erreur avait été commise.
[96]
La protonotaire a correctement souligné et appliqué le principe selon lequel la Cour doit faire une appréciation réaliste de la nature essentielle des motifs de contrôle en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme (Tsleil‑Waututh, au paragraphe 110; JP Morgan, au paragraphe 50).
[97]
Comme l’a fait remarquer la protonotaire, il est allégué dans l’avis de demande que le refus d’ouvrir une enquête est ultra vires. L’avis de demande énonce que des particuliers ont le droit de demander au ministre d’ouvrir une enquête et que [traduction] « la LCPE ne confère pas au ministre le pouvoir discrétionnaire de refuser ab initio d’ouvrir les enquêtes demandées, “qu’ECCC mène actuellement ou non une enquête prétendument similaire” »
.
[98]
Bien que les demandeurs soutiennent qu’il est évident qu’ils remettent en question la portée et l’actualité de l’enquête et le motif du refus d’ouvrir l’enquête et qu’ils demandent des documents pour déterminer le caractère raisonnable de la décision, rien dans l’avis de demande ne l’indique. Comme l’a conclu la protonotaire, cette affirmation est [traduction] « entièrement contredite par les actes de procédure des demandeurs »
.
[99]
L’emploi par les demandeurs du mot [traduction] « prétendument »
dans l’avis de demande ne signifie pas que les demandeurs contestent la portée ou l’actualité de l’enquête ou que le motif invoqué dans la décision n’est pas justifié (c.‑à‑d. qu’il n’est pas raisonnable). Le terme « prétendument »
signifie apparemment ou présumément; il ne signifie pas déraisonnablement, comme le prétendent maintenant les demandeurs. Comme l’a conclu la protonotaire, l’allégation selon laquelle l’enquête vise prétendument (ou apparemment) les allégations 1 à 3 est une allégation de fait. Il ne s’agit pas d’un motif de contrôle.
[100]
La protonotaire n’a pas commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu, au paragraphe 21, que l’avis de demande ne contient aucune affirmation selon laquelle l’enquête en cours ne fait pas double emploi avec les enquêtes demandées ou que l’enquête d’ECCC n’est pas en cours. Autrement dit, il n’est pas affirmé que l’enquête d’ECCC n’est pas en cours ou qu’elle ne vise pas les allégations 1 à 3 des demandeurs.
[101]
La protonotaire a compris qu’en matière de contrôle judiciaire, la norme de contrôle pourrait être celle de la décision raisonnable. Rien n’appuie l’argument des demandeurs selon lequel la protonotaire n’a pas tenu compte du fait qu’en matière de contrôle judiciaire, la norme de contrôle pourrait être celle de la décision raisonnable, ce qui l’aurait amenée à commettre une erreur lorsqu’elle a décidé de ce qui était pertinent et devait être produit.
[102]
La décision de la protonotaire voulant que, dans l’avis de demande, il soit allégué que le refus d’ouvrir les enquêtes était ultra vires, ne l’a pas amenée à tirer des conclusions sur la norme de contrôle fondamentale, et n’a pas non plus limité son examen de la pertinence des documents demandés. En réponse à ce même argument selon lequel les décisions ne peuvent être justifiées sur la base du DCT parce qu’il n’y a aucune preuve de l’actualité et de la portée des enquêtes d’ECCC, la protonotaire a expressément indiqué au paragraphe 30 de sa décision que [traduction] « la question de savoir si le dossier certifié du tribunal fournit ou non une preuve suffisante pour démontrer le caractère raisonnable des décisions en cause n’est pas le critère applicable à la présente requête. Quoi qu’il en soit, les décideurs dont les décisions ne peuvent être appréciées équitablement dans le cadre d’un contrôle judiciaire en raison d’un manque de preuve dans le dossier certifié du tribunal sur un élément essentiel peuvent voir leurs décisions annulées »
[non souligné dans l’original]. La protonotaire a clairement envisagé qu’en cas de contrôle judiciaire, le caractère raisonnable de la décision pourrait être soulevé. En outre, même lorsque des questions de compétence sont soulevées, la norme de contrôle est généralement celle de la décision raisonnable, à moins qu’il n’y ait des questions touchant véritablement à la compétence (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] ACS no 31 (QL), au paragraphe 31).
[103]
L’argument des demandeurs selon lequel la norme de la décision raisonnable applicable au contrôle judiciaire élargit le cadre de la communication de la preuve et leur donne droit à tout document relatif à la justification de la décision n’est pas appuyé par la jurisprudence (Access Information Agency, au paragraphe 21).
[104]
De plus, l’alinéa 301e) des Règles exige qu’une demande de contrôle judiciaire énonce de façon complète et concise les motifs invoqués. L’énoncé complet des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui appellent l’octroi de la mesure demandée (JP Morgan, au paragraphe 39). Pour contester une décision, il faut exposer les faits essentiels et les moyens de droit qui détermineront à leur tour la pertinence des documents dont la production est demandée.
[105]
En ce qui concerne l’argument des demandeurs voulant que la protonotaire ne soit pas au courant de la façon dont les actes de procédure sont rédigés et qu’il ne soit pas nécessaire d’alléguer chaque question dans un acte de procédure, je ne crois pas qu’il existe une nouvelle façon de rédiger les actes de procédure. Un protonotaire responsable de la gestion de l’instance n’est pas tenu d’aller au-delà d’une lecture globale et d’ajouter des mots qui ne figurent pas dans les actes de procédure, mais que le demandeur fait valoir, a posteriori, qu’ils étaient implicites.
[106]
En conclusion, la protonotaire n’a pas commis d’erreur dans sa principale conclusion selon laquelle les documents demandés ne sont pas pertinents par rapport aux motifs de contrôle qui ont été invoqués.
VIII.
La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que les documents demandés n’étaient pas en la possession de la décideure et n’ont pas été examinés par celle-ci?
A.
Les observations des demandeurs
[107]
Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur de droit en interprétant l’article 317 des Règles comme se limitant à ce qui est physiquement en la possession du décideur. Les demandeurs soutiennent que cette interprétation étroite soustrairait les décisions à tout contrôle judiciaire et ne tiendrait pas compte de la complexité des décisions prises par le gouvernement.
[108]
Les demandeurs soutiennent que les documents pertinents comprennent ceux dont aurait dû disposer le décideur et qui doivent être produits, soulignant qu’il n’y a aucune limite quant à la taille du dossier. Les demandeurs réitèrent qu’ils ont droit aux documents qui sont sous le contrôle du décideur, et pas seulement à ceux qui sont en sa possession effective. Ils soutiennent que la décision en l’espèce a été prise par Mme McCready, chef de la chaîne de commandement de l’enquête en cours sur Volkswagen, et qu’elle avait accès au dossier d’enquête, qui est pertinent quant aux questions faisant l’objet du contrôle judiciaire et devrait donc être produit.
B.
Les observations du défendeur
[109]
Le défendeur soutient que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant que l’article 317 des Règles se limite généralement aux documents dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a pris sa décision. La protonotaire a ensuite examiné si des exceptions s’appliquaient, par exemple lorsque des documents relatifs à des allégations d’équité procédurale ou de partialité pourraient être pertinents, et a conclu qu’il n’y en avait pas.
C.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant que les documents demandés n’étaient pas en la possession de la décideure et n’ont pas été examinés par celle-ci
[110]
La question de savoir si les documents demandés en vertu de l’article 317 des Règles sont en la possession d’un décideur est une question mixte de droit et de fait. La protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur la jurisprudence contraignante qui a interprété l’article 317 des Règles. La protonotaire n’a pas non plus commis d’erreur manifeste et dominante en appliquant le droit aux faits et en concluant que les documents demandés ne pouvaient être produits.
[111]
Comme il a été constaté dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, la loi faisant autorité sur laquelle s’est fondée la protonotaire, soit l’article 317 des Règles, permet aux demandeurs d’obtenir le dossier déposé devant un décideur (aux paragraphes 89 et 91). Le but est de permettre aux parties de se prévaloir efficacement de leur droit de contester des décisions administratives et de permettre aux cours de révision d’examiner la preuve présentée au décideur (Access Copyright 2015, paragraphes 13 et 14).
[112]
Le poids de la jurisprudence appuie une interprétation limitée de ce que l’on entend par les documents dont dispose le véritable décideur. La jurisprudence ne peut être invoquée à l’appui de l’argument des demandeurs selon lequel les documents accessibles par la [traduction] « chaîne de commandement »
de l’enquête d’ECCC sur Volkswagen doivent être produits. Bien qu’il n’y ait pas de limite quant à la taille du dossier, la production se limite toujours aux documents qui sont pertinents, qui étaient en la possession du décideur et que celui-ci a examinés, à moins qu’une exception ne s’applique.
[113]
Dans l’arrêt Pathak, le juge MacGuigan, dans ses motifs concordants, a précisé que seuls les documents qui étaient effectivement devant le décideur devaient être produits. Le juge MacGuigan a conclu que même si les documents consultés par l’enquêteur étaient sous la garde de la Commission et accessibles, ils n’étaient pas tous effectivement devant la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision (p. 463‑464).
[114]
Le principe général énoncé dans l’arrêt Pathak a été réitéré dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, aux paragraphes 111 à 114 : l’article 317 des Règles ne peut être invoqué pour obtenir des documents détenus par des tiers; ne sont visés par l’article 317 que les documents devant le décideur administratif avant qu’il rende sa décision.
[115]
Les demandeurs continuent de s’appuyer sur la décision Friends of the West, qui a été soulignée dans des décisions subséquentes comme dérogeant à la règle générale de la possession véritable. On l’a également distinguée par ses faits dans des affaires subséquentes, notamment en la qualifiant de cas d’exception. Par ailleurs, elle n’est pas conforme à la jurisprudence rendue en appel, qui est contraignante.
[116]
Les demandeurs invoquent également Premières Nations Deh Cho pour appuyer leur point de vue selon lequel la « possession »
dans l’ensemble de la chaîne de commandement devrait être visée par l’article 317 des Règles. Dans cette affaire, le protonotaire Hargrave a conclu que le ministre et ses assistants supervisaient directement le processus décisionnel et que les documents qui ont conduit à l’étape finale pouvaient être produits (au paragraphe 17). Toutefois, le protonotaire Hargrave a réitéré le principe général de la pertinence et de la possession aux termes de l’article 317 des Règles, puis a conclu qu’une exception au principe général établi dans l’arrêt Pathak s’appliquait parce que l’équité procédurale était remise en question (aux paragraphes 11 et 13).
[117]
Les exceptions au principe général ont récemment été examinées dans l’arrêt Humane Society of Canada Foundation c Canada (Revenu national), 2018 CAF 66, aux paragraphes 5 et 6, 289 ACWS (3d) 875. La Cour d’appel fédérale a confirmé que les documents autres que ceux dont disposait le décideur sont susceptibles d’être communiqués lorsqu’une violation de l’équité procédurale ou une crainte raisonnable de partialité est alléguée.
[118]
Étant donné qu’en l’espèce, les avis de demande ne soulèvent aucune question d’équité procédurale ou de partialité, aucune exception au principe général ne s’applique, comme l’a fait remarquer la protonotaire.
[119]
Le point de vue des demandeurs selon lequel le décideur administratif devrait être considéré comme étant l’ensemble de l’institution ou du ministère n’est pas étayé par la jurisprudence (Ecology Action Centre Society c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1164, au paragraphe 6, [2001] ACF no 1588 (QL)). Il était injustifié pour les demandeurs de se fonder sur la décision Cooke c Canada (Service correctionnel), 2005 CF 712, au paragraphe 20, 274 FTR 44 [Cooke], où la Cour a déclaré que le décideur aux fins de l’article 317 des Règles « n’est pas l’individu en tant que tel qui a rendu la décision dans le dossier, mais plutôt l’office fédéral saisi du dossier »
. Dans cette affaire, la Cour se penchait sur la question du rapport et de la recommandation d’un enquêteur qui avait été acceptée par la Commission canadienne des droits de la personne et, à ce titre, le dossier dont disposait l’enquêteur faisait partie du dossier du décideur. Je ne suis au courant d’aucune jurisprudence dans laquelle l’affaire Cooke a été invoquée pour appuyer le point de vue voulant que le décideur dispose des documents détenus par l’ensemble de l’institution.
[120]
En l’espèce, c’est Mme McCready qui a pris la décision. Bien qu’elle eût pu avoir accès aux documents sous la garde d’ECCC, la preuve acceptée par la protonotaire indique qu’elle ne disposait pas du dossier d’enquête volumineux lorsqu’elle a pris sa décision.
IX.
La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la preuve?
A.
Les observations des demandeurs
[121]
Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en admettant et en utilisant l’affidavit et le témoignage de M. Enns, qui comprenaient une grande quantité de ouï‑dire. Les demandeurs soutiennent que l’affidavit de M. Enns ne peut appuyer la conclusion selon laquelle Mme McCready a pris la décision en se fondant sur le DCT, les conseils reçus de vive voix de M. Enns et du directeur régional de l’Ontario et sa connaissance de l’enquête, c.‑à‑d. qu’elle l’aurait prise sans le dossier d’enquête. Les demandeurs soutiennent que M. Enns ne pouvait pas savoir ce que Mme McCready avait en tête à ce moment-là.
[122]
Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une erreur de droit en admettant une preuve par ouï-dire sans en analyser la nécessité ou la fiabilité et qu’elle a commis une erreur de fait manifeste et dominante en se fondant sur cette preuve non fiable. Les demandeurs soutiennent que la protonotaire a commis une autre erreur en ne tirant pas une conclusion défavorable de la preuve par ouï-dire suivant le paragraphe 81(2) des Règles. Les demandeurs soutiennent que cette erreur mixte de droit et de fait comprend un principe juridique isolable et, par conséquent, qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue.
[123]
Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la protonotaire selon laquelle il n’y avait aucun motif de mettre en doute la crédibilité de M. Enns ne peut être étayée. Les demandeurs font valoir que M. Enns n’est pas un témoin fiable.
[124]
Les demandeurs font remarquer qu’au cours du contre-interrogatoire, M. Enns s’est à plusieurs reprises montré évasif ou ne se souvenait pas des événements lorsqu’on lui posait la question de savoir s’il avait communiqué avec Mme McCready au cours des trois semaines précédant la préparation de son affidavit, puis qu’il a fait volte-face pour déclarer qu’ils s’étaient rencontrés pour discuter de la préparation de l’affidavit.
[125]
Les demandeurs soutiennent également que le témoignage de M. Enns n’était pas nécessaire, parce que Mme McCready aurait pu fournir directement un meilleur témoignage.
[126]
Les demandeurs ajoutent que M. Enns ne faisait pas partie de la « chaîne de commandement »
dans l’enquête sur l’affaire Volkswagen et laissent entendre qu’il a été présenté comme déposant pour soustraire d’autres membres de la chaîne de commandement au contre-interrogatoire, dont Mme McCready.
B.
Les observations du défendeur
[127]
Le défendeur souligne que le paragraphe 81(1) des Règles prévoit que les affidavits fondés sur ce que croit le déclarant sont admissibles à l’appui d’une requête (autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire). M. Enns a fourni un témoignage détaillé dans son affidavit, décrivant à la fois sa connaissance personnelle de l’affaire et les renseignements fondés sur sa croyance des faits, pour lesquels il a exposé les motifs de sa croyance.
[128]
Le défendeur soutient que le témoignage de M. Enns a démontré sa connaissance approfondie de l’enquête sur Volkswagen et de la structure d’ECCC. Le fait que M. Enns ne fasse pas officiellement partie de la chaîne de commandement de l’enquête sur Volkswagen n’a aucune incidence sur sa connaissance de l’enquête et ne relègue pas sa preuve au ouï-dire. Le défendeur fait valoir qu’il n’y a aucun problème à ce que M. Enns ait parlé à Mme McCready pendant la préparation de l’affidavit, puisqu’il a indiqué les moments où celle-ci était la source de ses renseignements et qu’elle ne lui a pas indiqué les éléments devant y figurer.
[129]
Le défendeur ajoute que la question de savoir si une conclusion défavorable est justifiée est hautement discrétionnaire et qu’il n’y avait pas d’erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la protonotaire selon laquelle aucune conclusion défavorable n’était justifiée. M. Enns a une connaissance approfondie de l’enquête, des documents et du processus ayant conduit à la décision, ce qui rend inutile le témoignage direct de Mme McCready.
C.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en admettant et en utilisant l’affidavit de M. Enns pour déterminer ce qui était en la possession de la décideure
[130]
La protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit en admettant l’affidavit qui comprenait une preuve par ouï-dire sans en analyser la nécessité ou la fiabilité, et n’a pas commis d’erreur de fait manifeste et dominante en se fondant sur la preuve.
[131]
L’affidavit de M. Enns est admissible en vertu du paragraphe 81(1) des Règles, qui prévoit ce qui suit :
|
|
[132]
Le paragraphe 81(1) des Règles reflète la règle qui interdit le ouï-dire en exigeant généralement que les affidavits soient fondés sur la connaissance personnelle. Le renvoi aux déclarations fondées sur la croyance du déclarant au paragraphe 81(1) a été reconnu comme étant synonyme de ouï-dire (Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, au paragraphe 32, [2018] ACF no 21 (QL)).
[133]
L’interdiction du ouï-dire ne s’applique pas à « une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire »
. Par conséquent, aux termes du paragraphe 81(1) des Règles, les affidavits contenant du ouï-dire sont présumés admissibles aux fins des requêtes interlocutoires (John Doe c R, 2015 CF 236, aux paragraphes 21 et 22, 256 ACWS (3d) 782), dont les requêtes en production de documents. Cette preuve n’a pas besoin de satisfaire aux exigences de nécessité et de fiabilité pour être admissible. L’application de ces exigences au ouï-dire dans les affidavits présentés dans le cadre de requêtes ne serait pas conforme au libellé du paragraphe 81(1) des Règles. Toutefois, l’article 81(1) des Règles prévoit comme condition que le déposant énonce les motifs à l’appui de ce qu’il croit être les faits. Le paragraphe 81(2) des Règles permet également de tirer une conclusion défavorable lorsqu’une partie omet d’offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels.
[134]
L’affidavit de M. Enns comprend des déclarations fondées sur sa croyance des faits, c.‑à‑d. du ouï-dire. Cela comprend la description qu’il a faite des connaissances personnelles de Mme McCready et des documents dont elle disposait au moment où elle a pris sa décision. M. Enns a toutefois indiqué les motifs de cette croyance au paragraphe 35 de son affidavit. Il a souligné que, compte tenu de son rôle dans les demandes présentées par les demandeurs en vertu de l’article 17, qu’il a décrites en détail dans les parties précédentes de son affidavit, il avait une connaissance personnelle des documents sur lesquels s’était fondée Mme McCready pour rendre la décision en cause. Il a ensuite indiqué qu’il avait [traduction] « été informé par Mme McCready et [qu’il croyait] sincèrement »
qu’elle s’était fiée au DCT, aux conseils reçus de vive voix de M. Enns et du directeur régional, aux avis juridiques et à ses connaissances personnelles. Il a poursuivi en décrivant de nouveau les catégories de documents du dossier d’enquête, en précisant qu’ils ne faisaient pas partie du dossier dont Mme McCready était saisie. Il a ajouté que, à sa connaissance directe, ni lui ni Mme McCready n’ont accès aux documents du dossier d’enquête, soulignant que ceux-ci se trouvent au bureau de Burlington. De plus, il a déclaré en contre-interrogatoire que Mme McCready n’avait jamais eu accès au dossier d’enquête. Par conséquent, l’affidavit de M. Enns satisfait aux exigences du paragraphe 81(1) des Règles, qui régit l’admissibilité. La protonotaire n’a pas commis d’erreur en l’admettant.
[135]
En outre, l’affidavit de M. Enns comprenait des renseignements fondés sur ses connaissances personnelles, attribuables à son rôle de directeur exécutif, au sujet de la structure de la Direction de l’application de la loi en environnement d’ECCC, des demandes présentées en vertu de l’article 17, du traitement général accordé à ces demandes, du contexte de l’enquête sur Volkswagen, de son travail lié à l’enquête sur Volkswagen et de sa participation avec Mme McCready aux réunions d’information concernant l’enquête sur Volkswagen. Il n’était pas justifié pour les demandeurs de qualifier M. Enns de déposant inutile.
[136]
La protonotaire n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant que la preuve qu’elle a acceptée établissait que Mme McCready ne disposait pas des documents demandés au moment où elle a pris sa décision et qu’elle ne les a pas examinés. Le témoignage de M. Enns – sur la foi de renseignements tenus pour véridiques – a permis d’expliquer quels étaient les documents dont disposait Mme McCready. De plus, à sa connaissance personnelle et directe, il a expliqué que le dossier d’enquête se trouvait à Burlington. Lors du contre-interrogatoire, il a réitéré qu’il n’y avait jamais eu accès.
[137]
Il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la conclusion de la protonotaire selon laquelle Mme McCready aurait pu avoir accès à la documentation, mais que [traduction] « la preuve est claire qu’elle n’y a pas eu accès et j’estime qu’il n’y a aucune raison de douter de la fiabilité de cette preuve »
.
D.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en refusant de tirer une conclusion défavorable de l’omission du défendeur de fournir un affidavit fondé sur la connaissance personnelle
[138]
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en refusant de tirer une conclusion défavorable de l’omission du défendeur de fournir un affidavit fondé uniquement sur la connaissance personnelle. Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation des demandeurs selon laquelle la décision de la protonotaire, qui a estimé qu’aucune conclusion défavorable n’était justifiée, soulève une question mixte de fait et de droit comportant un principe juridique isolable. Comme il a été indiqué précédemment, un principe juridique isolable comprend l’application d’une norme incorrecte, l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou une autre erreur de principe semblable.
[139]
Il relève du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire de tirer une conclusion défavorable en fonction de son examen des circonstances. La norme de contrôle demeure l’existence d’une erreur manifeste et dominante, qui n’a pas été démontrée en l’espèce.
[140]
Lorsqu’une preuve par ouï-dire est admissible, une conclusion défavorable peut être tirée en vertu du paragraphe 81(2) des Règles et peut influer sur le poids à accorder à cette preuve (Ottawa Athletic Club inc. c Athletic Club Group inc., 2014 CF 672, au paragraphe 119, [2014] ACF no 743 (QL) [Ottawa Athletic Club]). Comme l’ont fait remarquer les demandeurs, la Cour a conclu qu’« une conclusion défavorable peut être tirée lorsqu’une preuve par ouï‑dire est présentée plutôt qu’une preuve directe et qu’aucune explication adéquate n’est fournie au sujet des raisons pour lesquelles la meilleure preuve n’est pas disponible »
(Ottawa Athletic Club, au paragraphe 117). Toutefois, le libellé permissif du paragraphe 81(2) des Règles ne laisse pas entendre qu’il est obligatoire de tirer une conclusion défavorable dans de tels cas.
[141]
Dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Santé), 2018 CAF 147, [2018] ACF no 820, au paragraphe 67 [Apotex], la Cour d’appel fédérale a souligné que la jurisprudence relative aux conclusions défavorables a évolué. Auparavant, il était accepté qu’il fallait tirer une conclusion défavorable dans les cas où une partie omettait de présenter les éléments de preuve matériels dont elle disposait. L’inférence était que la preuve aurait été inutile à la partie. Toutefois, des affaires plus récentes ont traité les conclusions défavorables comme une question de pouvoir discrétionnaire, en partie parce que l’affaire est inextricablement liée à la détermination des faits (Apotex, au paragraphe 68; Ellis‑Don Ltd c Ontario (Commission des relations de travail)), 2001 CSC 4, [2001] 1 RCS 221, au paragraphe 73).
[142]
Dans l’arrêt O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CAF 221, 270 ACWS (3d) 648, la Cour d’appel a expliqué que le juge de première instance peut examiner les conclusions à tirer de la preuve par affidavit, en soulignant, au paragraphe 11 :
Que l’auteur ait ou non une connaissance personnelle des faits, comme l’exige le paragraphe 81(1) des Règles, a une incidence sur la recevabilité de l’affidavit. Cependant, il convient de laisser au juge de première instance le soin de décider de l’opportunité de tirer une conclusion défavorable à partir d’éléments de preuve par ailleurs recevables, car il dispose du dossier complet et des arguments des avocats. À cette fin, une clarification des motifs du juge s’impose. La question de la conclusion, défavorable ou non, qu’il y a lieu de tirer relève du juge de première instance qui entend l’affaire sur le fond.
[143]
La protonotaire a conclu que [traduction] « les circonstances de l’espèce ne justifient pas une conclusion défavorable »
, soulignant en outre qu’il n’y avait [traduction] « aucune raison de mettre en doute la crédibilité de M. Enns »
. Je reconnais les préoccupations des demandeurs selon lesquelles M. Enns a été évasif lors du contre-interrogatoire concernant ses contacts réguliers avec Mme McCready dans les semaines précédant le dépôt de son affidavit. Toutefois, comme il a été indiqué précédemment, le témoignage de M. Enns ne s’est pas limité à cette question. Les renseignements qu’il a fournis – y compris les renseignements dont il avait une connaissance directe, les renseignements tenus pour véridiques, pour lesquels il a exposé les motifs à l’appui, et les renseignements fournis dans son témoignage en contre-interrogatoire – étaient suffisants pour appuyer la conclusion de la protonotaire. Cette dernière a peut-être exagéré en affirmant qu’il n’y avait [traduction] « aucun fondement »
pour contester sa crédibilité et aurait pu limiter cette remarque sur sa crédibilité à des aspects précis. Toutefois, il n’y a pas d’erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la protonotaire selon laquelle il n’y avait aucune raison de contester la crédibilité de M. Enns. La protonotaire aurait pu refuser de tirer une conclusion défavorable même si elle avait relevé des préoccupations quant à la crédibilité de certaines parties de l’affidavit.
[144]
En outre, la conclusion principale et déterminante de la protonotaire est que les documents demandés n’étaient pas pertinents quant aux motifs invoqués. Cette conclusion repose sur son interprétation des avis de demande des demandeurs, et l’affidavit de M. Enns n’a eu aucune incidence sur celle-ci. Par conséquent, le fait de ne pas tirer une conclusion défavorable n’est pas déterminant. L’arbre reste debout.
X.
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en accordant au défendeur les dépens afférents à la requête fondée sur l’article 318 des Règles
[145]
Dans leurs observations écrites, les demandeurs reconnaissent que l’adjudication des dépens est discrétionnaire, mais soutiennent que ce n’était pas dans l’intérêt de la justice d’en adjuger. Ils soulignent que le défendeur leur a donné des renseignements supplémentaires à la veille de l’audition de leur requête, après avoir résisté pendant des mois. Les demandeurs affirment que le défendeur n’a pas tenu compte de leur demande de précisions concernant les documents versés au dossier d’enquête d’ECCC, ce qui les a empêchés de restreindre la portée de leur demande.
[146]
Lors de l’audition du présent appel, les demandeurs ont précisé qu’ils ne poursuivent pas leur appel de l’ordonnance relative aux dépens. Les demandeurs soulignent que l’enquête sur Volkswagen revêt une grande importance pour le public et qu’ils ont tenté d’utiliser le processus de participation du public prévu à la LCPE pour défendre l’environnement et la santé de tous les Canadiens. Selon eux, il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens.
[147]
Le défendeur souligne la règle générale voulant que les dépens suivent l’issue de la cause et qu’ils doivent être adjugés à la partie ayant gain de cause. L’adjudication des dépens est discrétionnaire et ne peut être annulée que si le tribunal a commis une erreur de principe ou si l’adjudication est manifestement erronée. Le défendeur soutient qu’il a eu entièrement gain de cause. La divulgation d’un document partiellement caviardé est négligeable et ne signifie pas que les demandeurs ont eu gain de cause en partie. Le défendeur conteste également l’allégation des demandeurs selon laquelle ils ont tenté de restreindre la portée de leur requête.
XI.
Les mesures de redressement subsidiaires ne peuvent être accordées
[148]
Subsidiairement à une ordonnance enjoignant au défendeur de produire les documents demandés, les demandeurs sollicitent une ordonnance d’admission en preuve des documents qu’ils ont obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [LAI], à titre d’éléments du DCT.
[149]
Les demandeurs sollicitent également une ordonnance accordant l’autorisation d’obliger Mme McCready (la décideure) à assister à l’audition de la demande ou à se présenter à un autre moment pour être interrogée au sujet de la décision et de l’actualité et de la portée de l’enquête d’ECCC.
[150]
Le défendeur soutient que la mesure de redressement subsidiaire sollicitée par les demandeurs n’est pas appropriée, soulignant qu’elle n’est pas liée à la décision faisant l’objet de l’appel et qu’elle soulève de nouvelles questions qui n’ont pas été soulevées devant la protonotaire.
[151]
Le défendeur soutient que les documents obtenus en vertu de la LAI ne font pas partie du DCT parce que rien n’indique qu’ils ont été déposés devant Mme McCready.
[152]
Premièrement, il n’est pas nécessaire d’envisager des mesures de redressement subsidiaires, parce qu’aucune telle mesure n’est nécessaire. Ayant conclu que la protonotaire n’a pas commis d’erreur, l’ordonnance est maintenue et les demandeurs n’ont pas le droit d’exiger la production d’autres documents comme ils l’ont demandé.
[153]
Deuxièmement, contrairement à la façon dont les demandeurs qualifient les questions en litige, celles-ci sont effectivement nouvelles et ne peuvent être soulevées dans le contexte d’un appel de la décision de la protonotaire. La protonotaire est chargée de gérer ce litige; soulever des mesures de redressement subsidiaires dans le cadre du présent appel revient à contourner le rôle du juge chargé de la gestion de l’instance et la décision faisant l’objet de l’appel. En outre, la mesure de redressement subsidiaire semble être une autre tentative d’obtenir un dossier plus étoffé pour le contrôle judiciaire, même si le dossier doit se limiter aux documents qui étaient en la possession de Mme McCready et qu’elle a examinés au moment où sa décision a été prise.
[154]
Troisièmement, les mesures de redressement demandées – même si l’appel était accueilli – ne permettraient pas de remédier au défaut de production des documents demandés en vertu de l’article 317 des Règles. Plus particulièrement, la question de l’admissibilité de la preuve est distincte des exigences prévues à l’article 317 des Règles (Tsleil‑Waututh, au paragraphe 119). Rien n’indique que les documents obtenus en vertu de la LAI faisaient partie du dossier dont disposait Mme McCready au moment où sa décision a été prise. La question de savoir si les documents obtenus en vertu de la LAI sont admissibles dans le cadre du contrôle judiciaire est une question qui devrait être examinée par le juge de première instance.
XII.
Les dépens de la présente requête
[155]
Les dépens suivent généralement l’issue de la cause et pourraient de nouveau être adjugés contre les demandeurs. Le défendeur et les demandeurs conviennent que si les dépens sont adjugés, ils devraient être fixés à 1 000 $, non payables immédiatement.
[156]
Dans les circonstances actuelles, et reconnaissant l’argument des demandeurs selon lequel ils agissent dans l’intérêt public et n’ont rien à gagner personnellement, je refuse d’adjuger des dépens.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑1252‑17
LA COUR ORDONNE :
L’intitulé de la cause est modifié par la suppression du nom de Kim Perrotta à titre de demanderesse.
L’appel de l’ordonnance de la protonotaire Aylen en date du 10 septembre 2018 est rejeté.
Aucuns dépens ne sont ordonnés à l’égard de cet appel.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 14e jour de juin 2019
Julie Blain McIntosh
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑1252‑17
|
INTITULÉ :
|
TIM GRAY ET MUHANNAD MALAS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 4 février 2019
|
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LA JUGE KANE
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 12 mars 2019
|
COMPARUTIONS :
Amir Attaran
Randy Christensen
|
Pour les demandeurs
|
Michael Roach
Taylor Andreas
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ecojustice Environmental Law Clinic
Ottawa (Ontario)
|
Pour les demandeurs
|
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
Pour le défendeur
|