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Date : 20190430


Dossier : T‑1226‑10

Référence : 2019 CF 546

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 30 avril 2019

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

OFFSHORE INTERIORS INC.

demanderesse

et

WORLDSPAN MARINE INC., CRESCENT CUSTOM YACHTS INC., LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « QE014226C010 » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR CE NAVIRE, AINSI QUE LE NAVIRE « QE014226C010 »

défendeurs

et

WOLRIGE MAHON LIMITED, EN SA QUALITÉ D’AGENT DÉSIGNÉ POUR LA CONSTRUCTION DU NAVIRE DÉFENDEUR « QE014226C010 », HARRY SARGEANT III, MOHAMMED ANWAR FARID AL‑SALEH ET 642385 B.C. LTD.

intervenants

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

I.  INTRODUCTION

[1]  Dans les présents motifs, la Cour examine trois requêtes interlocutoires concernant le caractère prioritaire des réclamations présentées à l’égard du produit de la vente du navire « QE014226C010 » (le « navire ») ainsi que l’ordre de priorité de ces réclamations.

[2]  Par avis de requête en date du 1er août 2017, Harry Sargeant III sollicite une ordonnance déclarant qu’il n’est ni pertinent ni nécessaire de déterminer s’il y a eu rupture du contrat de construction de navire (le « contrat de construction ») pour établir de façon définitive l’ordre de priorité des réclamations réelles à l’égard du navire. Il demande également des dépens de 1 500 $ contre chaque partie qui s’oppose à la requête.

[3]  Dans la deuxième requête datée du 22 août 2017, Worldspan Marine Inc. (« Worldspan »), demande une ordonnance déclarant que M. Sargeant ou Comerica Bank (« Comerica ») a rompu le contrat de construction en ne lui payant pas à échéance les certificats de réclamation.

[4]  La troisième requête, qui est datée du 1er décembre 2017 et qui a été déposée par Offshore Interiors Inc. (« Offshore »), Restaurant Design and Sales LLC (« Restaurant Design ») et Continental Hardwood Co. (« Continental »), sollicite un jugement déclaratoire portant que les réclamations déposées par ces créanciers commerciaux ont préséance sur la réclamation de M. Sargeant.

[5]  Ces requêtes ont été débattues le 16 octobre 2017 ainsi que les 13 et 14 décembre 2017. Le 13 décembre 2017, des observations ont également été présentées au sujet de l’ordre de priorité.

II.  CONTEXTE

[6]  La présente action découle de la construction d’un yacht de luxe — le navire — en vertu du contrat de construction daté du 29 février 2008 conclu entre M. Sargeant et Worldspan. Bien des recours ont été engagés devant la Cour et devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique au sujet du contrat de construction.

[7]  Conformément aux modalités du contrat de construction, une hypothèque de constructeur (l’« hypothèque de constructeur») a été consentie par Worldspan à M. Sargeant, qui l’a ensuite cédée à Comerica.

[8]  La construction du navire a commencé en mars 2008. Différents gens de métiers ont participé aux travaux, y compris Offshore Interiors Inc. (« Offshore »). Offshore a avancé près de 20 millions de dollars jusqu’à la fin d’avril ou de mai 2010, date à laquelle les travaux de construction ont cessé. Le contrat de construction a été résilié en 2010.

[9]  Le 28 juillet 2010, Offshore a intenté la présente action personnelle et réelle contre Worldspan, Crescent Custom Yachts Inc. (« Crescent »), le navire et ses propriétaires. Le navire a été saisi le 28 juillet 2010, et une garantie a par la suite été versée pour le récupérer.

[10]  Le 31 mai 2011, un jugement par défaut a été rendu en faveur d’Offshore. L’appel de ce jugement a été rejeté.

[11]  Le 29 août 2011, le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre, a rendu une ordonnance concernant les réclamations réelles présentées à l’égard du navire. L’ordonnance en question, appelée [traduction« l’ordonnance relative aux réclamations », limitait expressément les réclamations sur le produit de la vente aux personnes qui présentent des réclamations réelles.

[12]  Le 30 novembre 2011, la réclamation réelle de Worldspan a été rejetée par ordonnance. L’appel de cette ordonnance a été rejeté le 18 janvier 2012.

[13]  Le 27 juin 2014, une ordonnance a été rendue en vue de la vente du navire. Le juge Mosely a été saisi du contrôle judiciaire de cette ordonnance et il l’a confirmée par ordonnance en date du 4 juillet 2014.

[14]  Dans la présente action, des requêtes ont été présentées quant au statut de l’hypothèque de constructeur liant M. Sargeant et Worldspan. Dans une ordonnance datée du 5 mars 2013, le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre, a conclu que l’hypothèque de constructeur détenue par M. Sargeant ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était une garantie quant à la livraison.

[15]  Cette décision a été portée en appel devant la Cour fédérale et, par ordonnance en date du 19 décembre 2013, la juge Strickland a accueilli l’appel et conclu que l’hypothèque de constructeur garantissait non seulement les sommes avancées par M. Sargeant, mais aussi la livraison du navire (voir Offshore Interiors Inc. c Worldspan Marine Inc. (2013), 444 F.T.R. 283).

[16]  Saisie de l’appel de cette décision, la Cour d’appel fédérale l’a rejeté par ordonnance en date du 16 février 2015 (voir Offshore Interiors Inc. c Worldspan Marine Inc. (2015), 467 N.R. 355 (C.A.F.)).

[17]  Worldspan a ensuite déposé une requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que les sommes dues par M. Sargeant à Worldspan en vertu du contrat de construction ont préséance sur toute garantie détenue par M. Sargeant et Comerica, son cessionnaire.

[18]  Dans une ordonnance datée du 8 janvier 2016, le juge Southcott a rejeté la requête en question après avoir conclu que M. Sargeant n’était pas tenu de verser à Worldspan les sommes au paiement desquelles il pourrait être tenu responsable en vertu du contrat de construction avant de pouvoir exercer les droits que lui confère l’hypothèque de constructeur (voir Offshore Interiors Inc. c Worldspan Marine Inc., 2016 CF 27).

[19]  Le juge Southcott a également conclu que l’article 12.1 du contrat de construction permet à Worldspan de déduire les montants que lui doit M. Sargeant des montants que ce dernier réclame relativement à l’hypothèque de constructeur.

[20]  Le 1er décembre 2016, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de l’ordonnance du juge Southcott (voir Worldspan Marine Inc. c Sargeant, 2016 CAF 307).

III.  AVIS DE REQUÊTE

A.  Avis de requête en date du 1er août 2017 déposé par M. Sargeant

[21]  Le dossier de requête déposé le 1er août 2017 au nom de M. Sargeant contient plusieurs affidavits à l’appui.

[22]  M. Sargeant a déposé l’affidavit de Nadine Abram, assistante administrative juridique au cabinet d’avocats Norton Rose. Mme Abram décrit certaines procédures judiciaires intentées par M. Sargeant contre Worldspan qui sont en cours devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Des copies des actes de procédure déposés à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique accompagnent son affidavit en tant que pièces.

[23]  Mme Abram a également joint comme pièce les observations écrites déposées au nom de Worldspan dans la présente action, en réponse à un avis de requête daté du 20 février 2017 par lequel M. Sargeant a demandé que le produit de la vente du navire consigné à la Cour lui soit versé, moins la somme de 3 millions de dollars à conserver en garantie relativement aux réclamations réelles présentées à l’encontre du produit de la vente.

[24]  Le dossier de requête déposé le 1er août 2017 comprenait également les affidavits de M. Sargeant, de Mme Cynthia Jones, et de M. Michael Nesbit.

[25]  Dans son affidavit souscrit le 13 octobre 2011, M. Sargeant expose le fondement de sa réclamation réelle, conformément à l’ordonnance du protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre, rendue le 29 août 2011. M. Sargeant réclame 20 945 924,05 $ US, ainsi que la somme de 20 000 $ CAN. Plusieurs pièces sont jointes à son affidavit, y compris des copies du contrat de construction et de l’hypothèque de constructeur (pièces « A » et « C » respectivement).

[26]  Mme Cynthia Jones est vice‑présidente du groupe responsable des actifs spéciaux chez Comerica. Elle a fourni des renseignements détaillés sur le contrat de prêt à la construction conclu par M. Sargeant et Comerica pour financer la construction du navire. Elle a déclaré que M. Sargeant avait cédé en garantie du contrat de prêt à la construction le contrat de construction et l’hypothèque de constructeur, ajoutant que Worldspan avait consenti à la cession, qui est datée du 14 août 2009.

[27]  Mme Jones a également fait référence à l’affidavit de M. Mervyn Monger qui a été déposé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique au nom de M. Sargeant.

[28]  M. Michael Nesbit est comptable agréé et agit pour le compte de Worldspan et d’Offshore. M. Sargeant a versé à son dossier de requête l’affidavit que M. Nesbit a souscrit le 7 juin 2017 au nom de Worldspan afin de s’opposer à sa requête visant à obtenir le versement partiel du produit de la vente.

[29]  Dans cet affidavit, M. Nesbit a fait référence aux ordres de modification donnés pendant la construction du navire ainsi qu’à l’avis de résiliation du 28 octobre 2010 que Worldspan a remis à M. Sargeant et à l’avis de résiliation du 29 novembre 2010 que M. Sargeant a donné à Worldspan.

[30]  Worldspan a déposé un dossier de requête en réponse à la requête du 1er août 2017 de M. Sargeant. Worldspan a versé à ce dossier l’affidavit susmentionné que M. Michael Nesbit a souscrit le 7 juin 2017.

B.  Avis de requête en date du 22 août 2017 déposé par Worldspan

[31]  Des affidavits ont également été fournis à l’appui de l’avis de requête déposé par Worldspan le 22 août 2017.

[32]  Le dossier de requête de Worldspan contient deux affidavits de M. Nesbit, comptable agréé. Le premier affidavit, qui a été souscrit le 14 octobre 2011, fait état des réclamations de Worldspan et de Crescent contre M. Sargeant.

[33]  Dans cet affidavit souscrit le 14 octobre 2011, M. Nesbit a déclaré que M. Sargeant n’avait pas effectué les paiements requis et qu’un solde de 6 643 082,59 $ US était toujours exigible. Des pièces jointes à son affidavit renfermaient des renseignements détaillés sur les paiements en retard et les montants en souffrance.

[34]  Worldspan a également déposé l’affidavit susmentionné que M. Nesbitt a souscrit le 7 juin 2017.

[35]  Worldspan a aussi présenté l’affidavit de Mme Cynthia Jones. Cet affidavit, souscrit le 7 octobre 2011, avait déjà été déposé au nom de M. Sargeant, par suite de l’ordonnance du 29 août 2011.

C.  Avis de requête en date du 1er décembre 2017 présenté par Offshore et les créanciers commerciaux réels

[36]  Plusieurs affidavits ont été déposés relativement à l’avis de requête daté du 1er décembre 2017.

[37]  Offshore a déposé les affidavits de M. Robert Ruzzi, le président d’Offshore, et de M. David Kelly, un associé d’Offshore.

[38]  Dans son affidavit souscrit le 17 mai 2011, M. Ruzzi a fourni des renseignements détaillés sur la construction du navire et plus particulièrement sur le fait qu’il avait cru comprendre, au moment où Offshore a entamé des discussions sur la prestation de services et de matériaux, que Crescent était propriétaire du navire.

[39]  M. Ruzzi a déclaré avoir appris par la suite que le navire était construit pour M. Sargeant et que Worldspan, la société mère de Crescent, était la propriétaire enregistrée du navire. Par ailleurs, M. Ruzzi a fait l’historique des paiements effectués dans le cadre du contrat liant Offshore et Crescent et précisé que le montant exigible en mai 2011 s’élevait à 357 421,52 $.

[40]  Dans son deuxième affidavit souscrit le 5 octobre 2011 et déposé à l’appui de la réclamation d’Offshore sur le produit de la vente, M. Ruzzi a parlé de l’inscription du jugement par défaut contre certains défendeurs, y compris le navire (273 754,58 $), d’une réclamation pour les travaux impayés jusqu’à présent (83 666,94 $), ainsi que des intérêts calculés et exigibles en date du 9 septembre 2011 (121 457,98 $) et des intérêts futurs à calculer au taux de 235,02 $ par jour.

[41]  Offshore a déposé l’affidavit souscrit par M. David Kelly le 5 octobre 2011, dans lequel ce dernier décrit les travaux à venir sur le navire et leurs coûts, qui s’élèvent à 169 183,98 $. M. Kelly a calculé que la réclamation totale d’Offshore s’élevait à 659 011,85 $.

[42]  Offshore a présenté un deuxième affidavit souscrit par M. Kelly le 29 novembre 2017. Conformément à une directive donnée le 8 décembre 2017, le dépôt de l’affidavit en question a été refusé au motif qu’il avait été présenté en dehors des délais prévus dans l’ordonnance relative au processus de réclamation du 29 août 2011. En outre, l’affidavit n’ajoutait rien aux éléments de preuve présentés précédemment par M. Kelly.

[43]  Restaurant Design a déposé l’affidavit souscrit par M. Fred Lillian le 3 octobre 2011. M. Lillian est directeur général et directeur de l’exploitation de Restaurant Design. Il a décrit les services fournis par Restaurant Design relativement au navire, c’est‑à‑dire les services de conception de cuisine dont il est fait état dans le contrat en date du 22 janvier 2009 conclu avec Crescent, à titre personnel et à titre de mandataire de Worldspan.

[44]  M. Lillian a également abordé la question de la réclamation de Restaurant Design concernant la fourniture d’appareils électroménagers, d’accessoires en acier inoxydable faits sur mesure, de mobilier et de matériaux, conformément à une entente datée du 14 septembre 2009 conclue avec Crescent, encore une fois, à titre personnel et à titre de mandataire de Worldspan.

[45]  M. Lillian a déclaré que, même si certains paiements ont été effectués, un solde de 259 574,78 $ US est encore dû en relation avec le contrat et avec l’entente.

[46]  Restaurant Design a présenté un deuxième affidavit souscrit par M. Lillian le 30 novembre 2017. Par directive donnée le 8 décembre 2017, le dépôt de l’affidavit en question a été refusé au motif qu’il a été présenté en dehors des délais prévus dans l’ordonnance relative au processus de réclamation du 29 août 2011 et qu’il n’ajoutait rien de nouveau au dossier de preuve.

[47]  Continental Hardwood a déposé l’affidavit souscrit par M. Mikael Virta le 30 septembre 2011. M. Virta est vendeur chez Continental Hardwood. À ce titre, il était au courant de certains enjeux liés à la construction du navire et à la fourniture de bois d’œuvre et de feuilles de bois devant servir à la confection des meubles, des revêtements muraux, des armoires et des diverses finitions de bois du navire.

[48]  M. Virta a déclaré s’être occupé du dossier en question et avoir interagi avec M. Roberson, de Crescent. M. Roberson a [traduction« avalisé » le contrat de vente conclu avec Continental Hardwood. En date de l’affidavit de M. Virta, un solde de 15 933,66 $ US, y compris les intérêts, n’était toujours pas payé.

[49]  Cascade Raider a déposé l’affidavit de M. Dennis Brown, son coprésident et chef de l’exploitation. Dans son affidavit souscrit le 22 septembre 2011, M. Brown a présenté les faits entourant la participation de Cascade Raider aux travaux de construction du navire.

[50]  Cascade Raider a fourni des pièces et des outils industriels d’une valeur de 62 511,04 $. Ce compte n’a pas été payé, et une action en recouvrement du montant en question a été intentée devant la Cour fédérale.

[51]  Capri a également déposé un affidavit à l’appui de sa réclamation, soit l’affidavit de M. Timothy Miller, son dirigeant principal des finances et directeur. Dans son affidavit souscrit le 27 septembre 2011, M. Miller a déclaré que Capri avait vu à l’assurance du navire de 2008 à 2012 pour Crescent et ses sociétés affiliées, y compris Worldspan. Il a déclaré que, en date de son affidavit, le solde impayé relativement aux polices d’assurance s’élevait à 108 850,90 $.

[52]  Ce montant se divise entre une réclamation portant précisément sur la construction du navire — d’une somme de 41 366,46 $, que M. Miller appelle le [traduction« montant de la réclamation maritime » — et la somme de 71 314,85 $, appelée [traduction« montant de la réclamation non garantie ».

[53]  M. Sargeant a répondu à la requête déposée le 1er décembre 2017 au nom d’Offshore, de Restaurant Design et de Continental. Le dossier de requête qu’il a produit en réponse comprenait des affidavits ainsi que des observations écrites renvoyant aux affidavits déposés précédemment.

[54]  M. Sargeant a déposé un affidavit souscrit par M. Nesbit le 24 mai 2011. Dans cet affidavit, M. Nesbit a décrit les sommes que M. Sargeant devait à Worldspan relativement à la construction du navire, précisant que M. Sargeant était en retard dans le paiement des factures depuis quasiment le début des travaux de construction.

[55]  M. Sargeant a également déposé l’affidavit souscrit par M. Jim Hawkins le 25 mai 2011. Ce dernier, qui est gestionnaire chez Queenship Marine Industries (« Queenship »), a déclaré que Queenship avait construit le navire [traduction« dans la mesure où les travaux avaient été réalisés ». Il a dit que Crescent est une filiale en propriété exclusive de Worldspan et que Worldspan est propriétaire du navire.

[56]  M. Sargeant a également fait référence à d’autres affidavits déposés dans le cadre de la présente instance et sur lesquels il s’est appuyé, y compris l’affidavit de Mme Jones, daté du 7 octobre 2011, l’affidavit de Mme Adams, daté du 1er août 2017, l’affidavit de M. Mervyn Monger, daté du 27 novembre 2017, et son propre affidavit, qui est daté du 13 octobre 2011.

[57]  M. Sargeant a déposé l’affidavit souscrit par M. Mervyn Monger le 27 novembre 2017 dans lequel ce dernier fait référence à deux autres affidavits qu’il a souscrits dans le cadre de procédures intentées devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et concernant M. Sargeant et Worldspan.

[58]  Dans son dossier de requête déposé en réponse, M. Sargeant a également fait référence aux affidavits présentés pour le compte d’Arrow Transportation Systems Inc. (« Arrow ») et de CCY Holdings Inc. (« CCY »), ainsi que pour le compte de Paynes Marine Group (« Paynes »).

[59]  Arrow et CCY ont présenté les affidavits que M. Tim Charles et M. Archie Campbell ont chacun souscrits le 3 octobre 2011. Arrow et CCY réclament le paiement de la redevance contractuelle que Worldspan et Crescent auraient dû verser pour leur utilisation du moule de coque dans le cadre de la construction de la coque du navire. La redevance dont le paiement est réclamé viserait la période du 28 août 2006 au 31 août 2011.

[60]  Paynes a déposé l’affidavit que M. Blair Jason Chapman a souscrit le 30 septembre 2011 et réclame le paiement de certaines marchandises et fournitures, plus les intérêts afférents aux factures impayées.

IV.  OBSERVATIONS

A.  Observations de M. Sargeant et de Commercia au sujet de la rupture du contrat de construction et de sa pertinence pour établir l’ordre de priorité

[61]  M. Sargeant et Comerica soutiennent qu’il n’est aucunement pertinent de déterminer s’il y a eu rupture du contrat de construction pour établir l’ordre de priorité des réclamations présentées à l’égard du produit de la vente du navire.

[62]  M. Sargeant et Comerica soutiennent que la question de la rupture du contrat de construction, ou autre, n’a aucune incidence sur l’établissement de l’ordre de priorité des réclamations présentées à l’égard du produit de la vente du navire.

[63]  Comerica et M. Sargeant soutiennent que ce dernier affirme que sa réclamation a priorité en vertu de l’hypothèque de constructeur. Ils soulignent que la question de la validité de l’hypothèque de constructeur a été tranchée et que la décision de la juge Strickland — selon laquelle l’hypothèque de constructeur garantissait le prêt de 20 millions de dollars consenti par M. Sargeant à Worldspan en vue de la construction du navire — a été confirmée par la Cour d’appel fédérale.

[64]  M. Sargeant et Comerica soutiennent également que le juge Southcott a conclu que l’hypothèque de constructeur permettait la compensation entre M. Sargeant et Worldspan des sommes réclamées pour la construction du navire et que cette décision avait également été confirmée par la Cour d’appel fédérale.

[65]  Dans de telles circonstances, M. Sargeant et Comerica soutiennent que les conclusions judiciaires antérieures lient la Cour et que, sous sa forme actuelle, celle‑ci ne peut aucunement s’en écarter. Ils ajoutent que la seule question qu’il reste à trancher concerne l’ordre de priorité des réclamations présentées à l’égard du produit de la vente et que la réclamation réelle que M. Sargeant fait valoir est valide, compte tenu de l’hypothèque de constructeur.

B.  Observations de Worldspan au sujet de la rupture du contrat de construction et de sa pertinence pour établir l’ordre de priorité

[66]  En revanche, Worldspan soutient qu’aucun [traduction« jugement » n’a été rendu au sujet de l’hypothèque de constructeur, que le navire peut toujours être livré conformément à l’ordonnance du protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre, et que M. Sargeant ne peut pas invoquer sa conduite — qui a empêché l’achèvement et la livraison du navire — pour faire valoir la priorité de sa réclamation à l’égard du produit de la vente.

[67]  Worldspan renvoie aux dispositions de la Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, c 410 et soutient que l’obligation de payer des marchandises ne saurait prendre naissance avant la livraison de celles‑ci.

[68]  De plus, Worldspan soutient qu’il est bien établi en droit qu’une partie ne peut invoquer son propre manquement pour demander une réparation fondée sur une rupture de contrat. Elle ajoute que la question de la violation du contrat de construction doit être tranchée avant que soit rendue toute décision établissant l’ordre de priorité des réclamations.

[69]  Worldspan soutient également que le produit de la vente du navire « représente » le navire lui‑même et que le navire peut toujours être livré.

C.  Modification de l’ordre de priorité

[70]  Offshore, Continental, Restaurant Design, Capri et Cascade soutiennent qu’il convient de modifier l’ordre de priorité habituel afin qu’elles puissent avoir droit à une part du produit de la vente, au motif que les principes d’equity exigent une telle modification à la lumière de la conduite de M. Sargeant.

[71]  Ces créanciers font valoir que M. Sargeant n’a pas honoré les certificats de réclamation et qu’il a ainsi privé Worldspan des fonds nécessaires pour payer ses comptes. Chacun des créanciers a présenté des affidavits de réclamation et des observations écrites à l’appui de la requête en modification de l’ordre de priorité.

[72]  M. Sargeant, appuyé par Comerica, soutient qu’il n’y a aucune raison de modifier l’ordre de priorité habituel. M. Sargeant et Commercia font valoir qu’il n’y a aucun élément de preuve relatif à la conduite de M. Sargeant qui justifie de modifier la répartition du produit de la vente pour des motifs d’equity.

[73]  De plus, M. Sargeant fait valoir que sa réclamation réelle, qui est fondée sur l’hypothèque de constructeur, a préséance sur toutes les autres réclamations. Comme il n’y a pas suffisamment de fonds pour satisfaire l’ensemble des réclamations et qu’il n’a pas agi de façon inéquitable, il soutient que le solde du produit de la vente lui revient.

V.  ANALYSE

A.  Est‑il pertinent ou nécessaire de déterminer s’il y a eu rupture du contrat de construction pour établir l’ordre de priorité des réclamations?

[74]  J’examinerai d’abord les deux requêtes qui remettent en cause la pertinence de déterminer s’il y a eu violation du contrat de construction avant de traiter de la question de l’ordre de priorité des réclamations concurrentes à l’égard du produit de la vente.

[75]  À mon avis, une telle détermination n’est pas nécessaire.

[76]  Le contrat de construction est une entente en vue de la construction du navire. Il autorise le constructeur (c.‑à‑d. Worldspan) à consentir une hypothèque de constructeur à l’acheteur (c.‑à‑d. M. Sargeant).

[77]  M. Sargeant s’est prévalu de cette possibilité. Dans le cadre d’une instance ultérieure, la juge Strickland a conclu que l’hypothèque de constructeur garantissait les fonds — soit 20 millions de dollars — avancés par M. Sargeant pour la construction du navire. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision.

[78]  Bien qu’elle soit autorisée par le contrat de construction, cette hypothèque de constructeur en est indépendante. Deux juges de la Cour fédérale ont interprété l’hypothèque de constructeur, et la Cour d’appel fédérale a confirmé leurs décisions.

[79]  Dans une requête subséquente concernant le contrat de construction, le juge Southcott a conclu que l’article 12.1 du contrat conférait un droit de compensation liant Worldspan et M. Sargeant relativement aux sommes que ce dernier devait à Worldspan. La Cour d’appel fédérale a aussi confirmé cette décision.

[80]  Dans son jugement, le juge Southcott a examiné certains aspects du contrat de construction ainsi que son lien entre avec l’hypothèque de constructeur qui y est prévue.

[81]  Dans ces décisions, beaucoup d’attention a été accordée à l’interprétation des articles 12 et 24 du contrat de construction. Dans la présente requête, Worldspan a plutôt mis l’accent sur la nature de la présente action, qui est une [traduction« affaire contractuelle ». L’entreprise fait valoir que le défaut de livrer le navire constitue une rupture du contrat de construction et que pour établir l’ordre de priorité il faut examiner les circonstances qui sont à l’origine de ce défaut.

[82]  Worldspan soutient que l’article 4.2 du contrat de construction s’applique toujours et que la juge Strickland n’a pas [traduction« rendu » de [traduction« jugement », que le défaut de livraison est un événement futur attendu et que le navire peut toujours être livré — nonobstant sa vente — à la lumière du libellé de l’ordonnance rendue le 27 juin 2014 par le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre.

[83]  À cet égard, Worldspan s’appuie sur le paragraphe 7 de l’ordonnance en question, qui prévoit ce qui suit :

[traduction]

Le produit de la vente ou la garantie de Comerica, le cas échéant, doit remplacer le navire, et tous les créanciers auront accès au produit de la vente ou à la garantie de Comerica, le cas échéant, en fonction du même statut et de la même priorité que si la vente ou le versement de la garantie de Comerica n’avait pas eu lieu et que le navire était toujours saisi.

[84]  L’argument selon lequel la décision de la juge Strickland n’est pas un [traduction« jugement » n’est pas fondé. Il appartient à une cour d’appel — et non à un juge de la Cour fédérale — d’interpréter cette décision par laquelle la juge a conclu que l’hypothèque de constructeur garantissait à la fois les sommes avancées par M. Sargeant en vue de la construction du navire et la livraison du navire.

[85]  Selon les principes du stare decisis, une décision d’une cour d’appel lie une cour inférieure (voir Allergan Inc. c Canada (Ministre de la Santé) (2012), 440 N.R. 269 (C.A.F.)).

[86]  Je me reporte également au récent arrêt Carter c Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, au paragraphe 44, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 42).

[87]  Worldspan ne soulève aucune nouvelle « question juridique » susceptible de modifier les décisions antérieures de la Cour d’appel fédérale. Je ne suis pas convaincue que Worldspan a démontré une telle modification de la situation qui « change radicalement la donne » quant au statut de l’hypothèque de constructeur ou aux droits de M. Sargeant, à titre de créancier hypothécaire, et de Worldspan, à titre de débitrice hypothécaire.

[88]  Les décisions de la juge Strickland et du juge Southcott, qui ont toutes deux été confirmées par la Cour d’appel fédérale, décrivent la position de M. Sargeant en droit.

[89]  À mon avis, il importe peu que la juge Strickland ait [traduction« rendu » un jugement ou non.

[90]  Le navire a été vendu en vertu d’une ordonnance de la Cour, et non en conséquence — indirecte ou directe — de la décision de la juge Strickland.

[91]  La Cour a déjà statué que l’hypothèque de constructeur crée une charge en faveur de M. Sargeant et une dette qui doit être remboursée, avec un droit de compensation en faveur de Worldspan.

[92]  M. Sargeant n’était pas obligé de conclure une hypothèque de constructeur avec Worldspan; il a choisi de le faire.

[93]  Des décisions judiciaires ont été rendues au sujet de l’effet et des conséquences de l’hypothèque de constructeur qui lie M. Sargeant et Worldspan. L’ordonnance de vente a été contrôlée et confirmée. Le navire a été vendu le 7 juillet 2014.

[94]  Worldspan a soumis à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique des réclamations personnelles dans le cadre de procédures actuellement en cours. Ces réclamations s’appuient, entre autres, sur des violations alléguées du contrat de construction. Les réclamations personnelles relatives au contrat de construction sont pertinentes en l’espèce seulement dans la mesure où une partie qui présente une réclamation réelle doit démontrer la responsabilité personnelle de tout défendeur à l’égard d’une telle réclamation.

[95]  Les arguments fondés sur la rupture du contrat de construction se rapportent uniquement à une réclamation personnelle qui fait l’objet de procédures devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Seuls les créanciers réels peuvent présenter des réclamations à l’égard du produit de la vente.

[96]  En toute déférence, j’estime que, à ce stade‑ci, les arguments de Worldspan quant à l’utilité d’interpréter des clauses précises du contrat de construction ne sont pas fondés. La saisie du navire par un tiers, c’est‑à‑dire Offshore, le 28 juillet 2010, a déclenché une série d’événements qui dépassent la portée du contrat de construction.

[97]  Dans sa décision, la juge Strickland a commenté les articles 2.3, 4.1, 4.2, 5, 8.1, 12.1, 13.1, 13.5 et 24 du contrat de construction. Elle a expressément fait référence à la formule prévue à l’article 24, qui s’applique en cas de vente du navire par suite du non‑respect du contrat de construction par M. Sargeant.

[98]  Aux paragraphes 72 et 74 de sa décision, la juge Strickland a déclaré ce qui suit :

Même sans arriver à ce résultat, j’aurais conclu qu’en interprétant l’opération comme un tout pour déterminer l’intention des parties, au sein de la matrice factuelle pertinente, l’hypothèque de constructeur et le contrat de construction prévoyaient implicitement l’obligation de rembourser les avances dont le droit à celles‑ci n’était pas acquis, ce qui créait une dette potentielle, une dette qui, en fait, se concrétiserait en cas de non‑livraison du navire dans ces circonstances. Même s’il n’y avait pas de « prêt » à proprement parler, il existait une dette potentielle créée par les dispositions du contrat de construction, et M. Sargeant a garanti l’acquittement de la dette potentielle au moyen de l’hypothèque de constructeur.

[…]

En l’espèce, la dette potentielle a été créée par le droit aux avances qui ne serait acquis qu’au moment de la livraison. Cette dette aurait été acquittée par la livraison du navire. Comme cela n’a pas eu lieu, et comme les dispositions du contrat de construction qui auraient par ailleurs régi les parties en cas de défaut ne s’appliquent pas dans ces circonstances, la dette s’est concrétisée et on l’aurait acquittée en remboursant les avances, au sujet desquelles les deux parties tenaient des comptes.

[99]  Au paragraphe 99, la juge Strickland a ajouté ceci :

Compte tenu de la matrice factuelle, c’est l’explication de Comerica qui est la plus plausible : l’hypothèque de constructeur avait pour objet de garantir les droits prioritaires de M. Sargeant sur le navire par rapport à des tiers dans des circonstances comme celles‑ci, où les dispositions du contrat de construction ne régissent pas la manière de disposer du navire entre Worldspan et M. Sargeant parce qu’il a été saisi par des tiers et qu’il sera vendu par la Cour.

[100]  Dans la décision par laquelle elle a confirmé celle de la juge Strickland, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 110 :

De même, aux termes de l’article 24 du contrat de construction, si M. Sargeant vend le navire dans les trois années suivant la date de livraison (que le navire soit achevé ou non), quatre formules distinctes seront appliquées pour établir les sommes dues entre M. Sargeant et Worldspan. Comme l’a fait remarquer la juge, si le navire est vendu à profit, M. Sargeant sera tenu de verser une partie de ce profit à Worldspan. En revanche, si le navire est vendu à perte, Worldspan sera tenue de rembourser une partie de la perte à M. Sargeant. Qui plus est, aux termes de l’article 24.8, au moment du versement d’un paiement en vertu de l’une des formules prévues à l’article 24, chaque partie a le droit de déduire de la somme due à l’autre partie le montant qui lui est dû en vertu du contrat de construction. Compte tenu de ces formules, je suis parfaitement d’accord avec la conclusion de la juge, à savoir que le produit de la vente du navire à payer à M. Sargeant constitue, en fait, un remboursement des avances.

[101]  La Cour d’appel fédérale a commenté l’article 12.1 du contrat de construction au paragraphe 113 :

Finalement, en toute déférence, je suis d’avis qu’Offshore confond les moyens et les fins en affirmant que l’hypothèque visait à garantir la livraison du navire. Comme les avances sont « au titre du » prix d’acquisition final, qui, comme le prévoit l’article 24.2, tient compte de la totalité des sommes versées, ces avances pourraient être remboursées par la livraison du navire. Toutefois, aucune disposition de l’hypothèque de constructeur ou du contrat de construction ne réfute le principe général selon lequel, avant la forclusion ou la vente, le débiteur hypothécaire a le droit de racheter le navire hypothéqué en remboursant la dette, et, au moment de la vente, le créancier hypothécaire est tenu de remettre l’excédent au débiteur hypothécaire. En fait, ce principe est étayé par les dispositions relatives aux recours du contrat de construction et les formules de vente. Ainsi, je suis du même avis que Comerica et M. Sargeant sur le fait que, après un examen complet du fondement factuel, on peut conclure que l’article 12.1 du contrat de construction et les conditions générales de l’hypothèque de constructeur garantissent expressément le remboursement des avances à titre de « compte courant ».

[102]  La Cour d’appel fédérale a ajouté l’observation suivante au paragraphe 120 :

L’argument présenté par Offshore au sujet de la livraison est fondé sur l’affirmation voulant que M. Sargeant soit endetté envers Worldspan en raison de son défaut de verser ses avances. Donc, selon le raisonnement d’Offshore, Worldspan n’était nullement tenue de livrer le navire. Toutefois, cette affirmation est contestée par M. Sargeant. Ce dernier soutient qu’il y a eu surfacturation de la part de Worldspan. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si M. Sargeant ou Worldspan ou les deux ont contrevenu au contrat de construction n’a pas encore été tranchée par un tribunal. Cela dit, le contrat de construction ne traite manifestement pas de l’éventualité que le navire soit saisi par un créancier tiers avant que M. Sargeant ou Comerica ait la possibilité d’en demander la livraison, puis qu’il soit vendu par la Cour. Bien qu’il soit vrai que le contrat de construction impose à Worldspan l’obligation de livrer le navire, une telle obligation ne figure pas dans l’hypothèque de constructeur ni dans la partie du contrat de construction qui stipule que Worldspan doit enregistrer une hypothèque en faveur de M. Sargeant à la demande de ce dernier. Par conséquent, on peut difficilement affirmer que l’hypothèque de constructeur n’avait pour objet que de garantir la livraison du navire.

[103]  Pour sa part, le juge Southcott a énoncé sa conclusion au sujet du droit de compensation existant entre M. Sargeant et Worldspan, au paragraphe 64 de ses motifs :

L’article 24.8 stipule expressément que, au moment du versement d’un paiement en vertu de l’article 24, chaque partie aura droit de déduire du montant dû à l’autre partie tout montant qui lui est alors dû par cette partie en vertu du CCN. Je tiens particulièrement à souligner que l’article 13.5 entre en jeu dès lors que M. Sargeant n’a pas versé les paiements dus à Worldspan. La formule qui s’applique alors n’empêche pas M. Sargeant d’obtenir un remboursement de ses avances avant d’avoir payé Worldspan, mais prévoit plutôt un remboursement de ces avances sous réserve des ajustements prescrits. Il est difficile de concilier les mécanismes prévus au contrat et l’interprétation de l’article 12.1 proposée par Worldspan. Il est en revanche possible de faire le rapprochement avec l’interprétation de M. Sargeant selon laquelle l’article 12.1 donne le droit à Worldspan de déduire des montants qui lui sont dus aux termes du CCN pour toute réclamation hypothécaire émanant de M. Sargeant.

[104]  La saisie a mené à l’enregistrement d’un jugement en faveur d’Offshore et, ultimement, à une ordonnance de vente du navire, conformément aux Règles.

[105]  L’ordonnance de vente a été rendue dans l’exercice de la compétence de la Cour en matière réelle et conformément à la jurisprudence bien connue et établie.

[106]  Worldspan affirme que le navire peut toujours être livré, malgré la vente, et se fonde à cet égard sur le paragraphe 7 de l’ordonnance rendue le 27 juin 2014, c’est‑à‑dire l’ordonnance de vente du navire.

[107]  Une telle affirmation n’est pas fondée. Au paragraphe 66 de ses motifs, le juge Southcott a déclaré ce qui suit au sujet de l’effet de l’ordonnance rendue le 27 juin 2014 :

J’ai aussi pris en considération l’argument de Worldspan selon lequel l’ordonnance de vente a entraîné la substitution du navire par le produit de la vente aux fins du CCN et selon laquelle M. Sargeant a maintenant droit de recevoir le produit, mais qu’il doit d’abord payer intégralement Worldspan. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il s’agit d’une interprétation correcte de l’ordonnance de vente. Une ordonnance de vente judiciaire d’un navire a pour effet que le produit de la vente devient l’objet des réclamations de nature réelle concomitantes en lieu et place du navire. Contrairement à ce que Worldspan avance, l’ordonnance ne vient pas remplacer les dispositions du CCN.

[108]  En conséquence de la vente, le navire est maintenant en la possession d’une autre partie, libre de tout privilège et autre charge, y compris l’hypothèque de constructeur. Je me reporte ici à la décision Boudreau c Registrar of Shipping, [1984] 1 CF 990, à la page 995 (C.F. 1re inst.).

[109]  Le navire n’« existe » plus aux fins de la présente espèce. Il y a plutôt un fonds monétaire à distribuer aux créanciers admissibles.

[110]  Il est bien établi en droit que, par suite de la vente judiciaire d’un navire, le produit de la vente représente le navire en vue de satisfaire les réclamations présentées à l’égard dudit navire.

[111]  Il convient de souligner que le navire a été vendu en vertu d’une ordonnance de la Cour et non en vertu d’une quelconque disposition de l’hypothèque de constructeur. M. Sargeant, à titre de créancier hypothécaire, n’a pas pris possession du navire. Je rappelle que, à la demande d’Offshore, le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre, a rendu une ordonnance de vente du navire le 27 juin 2014.

[112]  En l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider s’il y a eu rupture du contrat de construction pour établir l’ordre de priorité. À mon avis, les responsabilités respectives de M. Sargeant et de Worldspan en vertu du contrat de construction ne sont pas pertinentes pour décider de la répartition du produit de la vente du navire.

[113]  Comme l’a souligné Worldspan, le contrat de construction est un contrat. Ce contrat confère des droits et impose des responsabilités aux parties qui l’ont conclu, c’est‑à‑dire M. Sargeant et Worldspan. L’exécution du contrat de construction, en tant que contrat, a eu des répercussions sur d’autres parties, y compris Offshore et d’autres fournisseurs de biens et de services.

[114]  Cependant, la question des réclamations présentées à l’égard du produit de la vente du navire concerne uniquement les créanciers réels et non les créanciers qui ont déposé des réclamations personnelles contre M. Sargeant ou Worldspan. Ces dernières pourront être réglées dans le cadre des procédures actuellement en cours devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, comme je l’ai mentionné.

[115]  L’hypothèque de constructeur est aussi un contrat. La Cour et la Cour d’appel fédérale en ont examiné à maintes reprises la portée et la signification. L’hypothèque de constructeur, bien qu’autorisée par le contrat de construction, est indépendante de celui‑ci.

[116]  L’avantage de l’hypothèque de constructeur revient à M. Sargeant. Les tribunaux ont conclu que ce dernier est un créancier garanti. À mon avis, les droits qu’il a à cet égard n’ont rien à voir avec les poursuites intentées contre lui relativement au contrat de construction.

[117]  La vente du navire — en vertu d’une ordonnance de la Cour et non en vertu d’une clause de l’hypothèque de constructeur — a généré des fonds qui font l’objet de réclamations concurrentes.

[118]  Comme le prévoit l’ordonnance relative aux réclamations du 29 août 2011, seules des réclamations réelles peuvent être déposées contre ces fonds.

[119]  Le contrat de construction n’est pas pertinent pour établir l’ordre de priorité des réclamations déposées à l’égard du produit de la vente. Dans la mesure où un tribunal a dû interpréter certaines dispositions de cet accord afin de décider de la validité et de la portée de l’hypothèque de constructeur, il n’est ni nécessaire ni approprié pour moi de revenir sur ces clauses et sur les conclusions qui ont été tirées.

[120]  Selon moi, il n’est ni utile ni pertinent de déterminer s’il y a eu rupture du contrat de construction pour statuer sur les réclamations concurrentes présentées à l’égard du produit de la vente.

B.  Les réclamations des créanciers réels doivent‑elles avoir préséance?

[121]  Un certain nombre de réclamations ont été présentées à l’égard des fonds en question, comme cela a été mentionné ci‑dessus et conformément à l’ordonnance relative au processus de réclamation rendue le 29 août 2011 par le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre.

[122]  On peut faire une distinction entre la réclamation de M. Sargeant, qui vise l’ensemble du produit de la vente, et les réclamations des créanciers réels, qui visent à ce que la répartition du produit de la vente soit modifiée en leur faveur, au motif que les principes d’equity exigent une telle modification.

[123]  En l’espèce, les créanciers commerciaux réels demandent que l’ordre de priorité soit modifié au motif qu’Offshore, Restaurant Design, Continental Hardwood, Capri et Raider cherchent à ce que le produit de la vente soit réparti selon un ordre de priorité différent. Les représentants de ces parties ont déposé des affidavits à l’appui des réclamations ainsi que des observations écrites.

[124]  J’ai examiné ces affidavits déposés au nom d’Offshore, de Restaurant Design, de Continental Hardwood, de Capri et de Raider, tout comme j’ai examiné les observations, écrites et orales, présentées en leur nom.

[125]  La teneur générale de ces observations est que M. Sargeant, qui n’a pas payé les certificats de réclamation, est responsable du fait que Worldspan n’a pas payé ses sous‑traitants et autres fournisseurs, alors qu’il a bénéficié des travaux effectués sur le navire. Il serait donc inéquitable qu’il reçoive la totalité du produit de la vente.

[126]  Worldspan soutient, entre autres, que le défaut de modifier la répartition du produit de la vente crée un enrichissement sans cause en faveur de M. Sargeant. Worldspan soutient également que M. Sargeant a sciemment omis de continuer à payer les certificats de réclamation, ce qui lui a conféré une position avantageuse par rapport aux créanciers commerciaux.

[127]  Le droit est clair au sujet de l’ordre de priorité.

[128]  Je me reporte à la décision Comeau Sea Foods Ltd. C The « Frank and Troy », [1971] 1 CF 556 (C.F. 1re inst.) où, aux pages 557 et 558, la Cour énonce les catégories de privilège qui peuvent être rattachées à un navire. Ces catégories sont importantes lorsqu’un tribunal est appelé à statuer sur une demande visant à établir l’ordre de priorité à respecter pour le partage du produit de la vente d’un navire. Voici ce que dit la Cour :

Les privilèges qui peuvent grever un navire, une cargaison ou le fret d’un navire en vertu des principes du droit maritime peuvent être classés de la façon suivante :

1.  les privilèges maritimes;

2.  les privilèges possessoires;

3.  les privilèges légaux.

Le privilège maritime peut se définir comme un droit privilégié sur un bien maritime, en raison des services qui lui ont été rendus ou des dommages qu’il a pu causer. Il existe à partir du moment où le droit grève le navire, il accompagne le bien sans réserve et on le fait valoir en intentant une action in rem.

[129]  Aux pages 559 et 560, la Cour a établi l’ordre de priorité, comme suit :

Les hypothèques prennent rang après les privilèges maritimes et les privilèges possessoires. J’extrais la citation suivante à la p. 55 de la 5e édition de l’ouvrage Admiralty Practice de M. Roscoe :

[TRADUCTION] Le créancier hypothécaire prend rang après les personnes qui ont soit des privilèges maritimes, soit des privilèges possessoires, mais avant les personnes qui sont uniquement titulaires d’un droit in rem. L’hypothèque constitue un droit valide grevant un navire à compter du jour où il est accordé, mais les droits d’un demandeur in rem ne deviennent exécutoires que lorsque celui‑ci intente en fait son action.

Rang des privilèges : Le rang des privilèges devient important lorsque la valeur de la chose est insuffisante pour satisfaire toutes les revendications portées sur elle. Certaines règles générales ont été énoncées dans le but de déterminer un ordre de préférence, mais ces règles souffrent de nombreuses exceptions.

L’ordre de préférence des privilèges peut généralement être établi de la façon suivante :

(i)  les frais de mobilisation du capital consécutifs à la vente de la chose : The Immacolata Concezione (1873) 9 P.D. 37;

(ii)  les privilèges maritimes;

(iii)  les privilèges possessoires;

(iv)  les hypothèques;

(v)  les privilèges légaux.

[130]  Dans la décision Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c Atlantis Two (The), (11 juin 1999), T‑111‑98 (CFPI), le regretté protonotaire Hargrave a tranché une requête portant sur les réclamations concurrentes de créanciers réels à l’égard du produit d’une vente dans laquelle un créancier demandait que l’ordre de priorité habituel soit modifié. Voici ce qu’il a dit aux paragraphes 187 et 192 :

En examinant les circonstances exceptionnelles qui pourraient entraîner la modification de l’ordre de priorité, je me suis au départ fondé dans la décision Edmonton Queen sur la thèse énoncée dans Thomas on Maritime Liens, Stevens and Sons, 1980, à la page 234, à savoir que l’ordre de priorité des créances maritimes a été déterminé en fonction de considérations d’équité, d’ordre public et de commodité commerciale dans le but d’atteindre un résultat juste eu égard aux circonstances de chaque cas :

Jusqu’à maintenant, le législateur n’a pas essayé d’établir un ordre de priorité précis. Il s’est contenté de reconnaître par voie législative une priorité au privilège maritime que détient la personne qui sauve des vies. Les tribunaux ne se sont pas non plus attaqué à cette question. Au contraire, les cours d’amirauté et les cours d’appels ont retenu une conception discrétionnaire large selon laquelle les créances concurrentes sont colloquées en fonction de considérations se rapportant à l’équité, à l’ordre public et aux commodités commerciales avec l’objectif ultime d’en arriver au résultat le plus juste possible eu égard aux circonstances de chaque cas. Je ne veux cependant pas laisser entendre que le droit est capricieux, instable ou imprévisible. À partir du cadre relatif à la « valeur » dans lequel ils fonctionnent, les tribunaux en sont venus à dégager divers principes qui donnent des repères fiables en ce qui concerne l’attitude probable des tribunaux.

J’ai donc conclu que toute modification apportée à l’ordre de priorité habituel des privilèges maritimes en vue d’en arriver au résultat le plus juste possible eu égard aux circonstances doit être effectuée par application de principes d’équité et j’ai alors fait remarquer que, même si la Cour d’amirauté anglaise et notre Cour ont récupéré leur pleine compétence en equity, peu de juges se sont aventurés à modifier l’ordre de priorité habituel prévu.

[…]

En me fondant sur ces arrêts, j’arrive à la thèse selon laquelle la Cour ne devrait recourir à sa compétence en equity pour modifier l’ordre de priorité établi depuis longtemps que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante; bref, il est possible de se prévaloir de pareils pouvoirs en vue d’empêcher un résultat manifestement injuste :

L’opinion du juge Rouleau et celle du juge Brandon ne sont pas particulièrement différentes. Dans l’affaire Le Galaxias, le juge Rouleau s’est dit d’avis que la Cour ne devait recourir à sa compétence en equity pour modifier l’ordre de priorité établi depuis longtemps en droit maritime canadien que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante, tandis que, dans la décision The Lyrma (No. 2), le juge Brandon a statué qu’on ne devait pas s’écarter des principes régissant l’ordre de priorité établi [traduction] « à moins peut‑être qu’on puisse démontrer que, vu les faits particuliers d’une affaire déterminée, l’application de ce principe produirait un résultat manifestement injuste ». Il ressort cependant de ces deux formulations du critère ‑ en particulier celle qui découle des faits de l’affaire Le Galaxias ‑ que la Direction du Trésor doit s’acquitter d’une lourde charge de preuve avant que l’ordre de priorité qui est établi depuis longtemps puisse être modifié.

[L’Edmonton Queen, page 901‑902]

[131]  Quoi qu’il en soit, la somme des réclamations présentées dans l’affaire The Atlantis Two dépassait les fonds disponibles. L’ordre de priorité habituel a été modifié pour permettre qu’une partie de la revendication du demandeur soit de rang égal à celles des fournisseurs américains d’approvisionnements nécessaires. Le protonotaire Hargrave a commenté le rôle joué par le demandeur dans l’augmentation de la valeur du Atlantis Two et a déclaré ce qui suit au paragraphe 204 :

En l’espèce, le résultat est injuste en ce sens que si Fraser Shipyard n’avait pas exécuté le travail, le navire aurait probablement été vendu pour sa valeur de rebut, plus une certaine valeur intrinsèque. Cependant, il a été vendu à un prix plus élevé qui, si l’ordre de priorité n’était pas modifié, profiterait aux fournisseurs américains d’approvisionnements nécessaires, dont certains n’ont rien fait pendant des mois ou des années à l’égard de leurs réclamations, ainsi qu’à ABN‑Amro qui, tout en ne manifestant pas une inertie blâmable, aurait bien pu se montrer plus diligente lorsqu’il s’agissait de se protéger en traitant d’une façon générale avec ses clients. […] Comme l’a souligné Monsieur le juge Anglin dans l’arrêt Montreal Dry Docks, aux pages 369 et 370 :

D’une part, on ne peut laisser le constructeur de navires l’emporter sur les demanderesses en ce qui concerne le droit réel qu’elles ont obtenu au moyen de la saisie. Leur droit consistait à ce que le navire soit saisi et vendu tel quel à leur profit et on ne saurait y porter atteinte, comme cela serait peut‑être bien le cas si l’on retenait intégralement la prétention de M. Burchell, à savoir que parce que l’intimée avait un droit contractuel opposable au propriétaire, soit le droit de faire immobiliser le navire et d’achever les réparations qu’elle s’était engagée à effectuer, la garantie que les demanderesses ont obtenue au moyen de la saisie est assujettie à ce droit et que l’intimée peut donc avoir priorité sur les demanderesses à l’égard de toutes les dépenses qu’elle a engagées, et ce, peu importe que la chose ait entraîné une augmentation du prix de vente du navire.

[132]  Dans la décision Cameco Corporation c Ship MCP Altona (2013), 425 F.T.R. 80, le juge Harrington a passé en revue les principes généraux applicables à la modification de l’ordre de priorité alors qu’il était saisi d’une affaire où des réclamations concurrentes étaient présentées à l’égard du produit de la vente du MCP Altona.

[133]  Au paragraphe 59, le juge Harrington a expliqué comme suit le problème lié à la possible modification de l’ordre de priorité :

Des quatre arguments présentés par Cameco, c’est le plus difficile à évaluer. La loi ne fixe pas les priorités. Dans l’intérêt de la justice, il est arrivé que la Cour modifie les priorités habituelles. Le principal argument de Cameco est qu’il serait inéquitable de permettre à la banque de ne rien faire alors qu’elle a ellemême dépensé plus de 8 millions de dollars pour décharger sa cargaison et décontaminer le navire et de la laisser profiter ensuite de tout ce travail. Avant que Cameco n’intervienne, le navire avait une valeur négative. C’était un passif et non un actif.

[134]  Au paragraphe 70, le juge Harrington a ajouté que le principe de l’enrichissement sans cause est essentiel pour déterminer s’il convient de modifier l’ordre de priorité habituel et conclut que, dans l’affaire en question, l’ordre de priorité ne devait pas être modifié :

Le fil conducteur qui relie toutes ces affaires est celui de l’enrichissement sans cause. Il y a eu effectivement des cas dans lesquels le créancier hypothécaire avait dépensé en vain beaucoup d’argent dans le vague espoir que les choses s’arrangent. Il l’avait fait parce que ce financement supplémentaire faisait partie de l’hypothèque, comme cela a été effectivement mentionné dans Kinguk, ce qui a pu aussi avoir pour effet d’écarter les créanciers ordinaires.

[135]  Le dénominateur commun qui ressort des décisions susmentionnées est que, de façon générale, l’ordre de priorité sera modifié lorsque les intérêts de la justice et l’examen des principes d’equity exigent que la règle générale applicable à l’ordre de priorité soit modifiée.

[136]  Je me reporte aux observations du juge Harrington dans la décision Ballantrae Holdings Inc. c « Phoenix Sun » (The) (2016), 6 P.P.S.A.C. (4th) 48, aux paragraphes 6, 7 et 12 :

Lorsque les fonds ne sont pas suffisants pour rembourser les réclamations de tous les créanciers, ces derniers doivent convaincre la Cour que leurs réclamations bénéficient d’une priorité. Sinon, les réclamations valides sont de rang égal.

Il n’existe aucune loi ni aucune décision qui établit une liste exhaustive des priorités. […]

[…]

En outre, à l’occasion, lorsque les intérêts de la justice l’exigent, notre Cour dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté et d’equity peut modifier le classement traditionnel.

[137]  Offshore, avec l’appui de Continental et de Restaurant Design, soutient que M. Sargeant [traduction« aurait pu » prendre livraison du navire en juin 2014 en fournissant une garantie. Une telle possibilité a été abordée dans l’ordonnance de vente du 27 juin 2014, ordonnance qui a été examinée et confirmée par le juge Mosley dans une ordonnance rendue le 4 juillet 2014.

[138]  L’ordonnance du 27 juin 2014 offrait à M. Sargeant et à Comerica une solution de rechange à la vente du navire. L’article 6 de cette ordonnance prévoit ce qui suit :

[traduction]

Dans le cas où Harry Sargeant III ou Comerica Bank fournit une garantie conformément à l’article 485 des Règles des Cours fédérales, ou sous toute autre forme convenue par les parties, au plus tard à 12 h (HNP) le lundi 30 juin 2014, d’une somme en dollars canadiens équivalant à 5 000 000 $ US (la « garantie de Comerica »), le navire ainsi que les pièces et l’équipement mentionnés à l’annexe ne seront pas vendus à l’entreprise conformément au paragraphe 1.

[139]  Offshore soutient que M. Sargeant a en quelque sorte mal agi en refusant de déposer une garantie assurant l’achèvement et la livraison du navire parce que le fait de prendre livraison du navire aurait permis de rembourser la dette de Worldspan, qui était garantie par l’hypothèque de constructeur.

[140]  Je ne vois aucune preuve d’inconduite de la part de M. Sargeant. La preuve tend plutôt à indiquer qu’il a pris une décision commerciale fondée sur les faits dont il avait connaissance, y compris l’introduction d’une instance et la saisie simultanée du navire par Offshore.

[141]  Compte tenu de la preuve et des observations présentées, je ne suis pas convaincue qu’une modification de l’ordre de priorité habituel s’impose.

[142]  Par ordonnance rendue le 30 novembre 2011, la réclamation réelle présentée par Worldspan a été rejetée par le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre. Le juge Lemieux a rejeté l’appel de cette ordonnance par ordonnance rendue le 18 janvier 2012.

[143]  Il n’est pas nécessaire d’examiner les réclamations réelles présentées par Offshore, Restaurant Design, Continental, Cascade, Raider et Capri. Selon les principes énoncés ci‑dessus, la réclamation de M. Sargeant, en tant que créancier hypothécaire, a préséance sur ces autres réclamations.

[144]  Rien ne permet de conclure que l’un ou l’autre des créanciers réels a effectué des travaux qui ont augmenté la valeur du navire — qui était encore en chantier au moment de la vente — de façon à justifier une modification de l’ordre de priorité établi.

[145]  Je ne vois rien dans les éléments de preuve présentés — c’est‑à‑dire dans les affidavits de réclamation — qui démontre que M. Sargeant a eu un comportement inapproprié ou sournois dont il faudrait tenir compte pour déterminer si la Cour doit exercer sa compétence en equity afin de modifier l’ordre de priorité des réclamations.

[146]  Je conclus que la demande de M. Sargeant a préséance sur les autres réclamations réelles.

[147]  Par conséquent, la requête visant à ce que la répartition du produit de la vente soit modifiée est rejetée, avec dépens en faveur de M. Sargeant et de Comerica.

VI.  ORDRE DE PRIORITÉ

[148]  M. Sargeant est le créancier hypothécaire. Comme l’ont conclu la Cour et la Cour d’appel fédérale, l’hypothèque de constructeur garantissait les avances versées à Worldspan. M. Sargeant a établi une réclamation qui s’élève à 20 millions de dollars.

[149]  Il est admis que le navire a été vendu pour 5 millions de dollars.

[150]  Certaines sommes versées au titre d’honoraires du shérif et autres frais du genre ont préséance sur la réclamation de M. Sargeant.

[151]  Les fonds restants sont inférieurs au montant de la réclamation de M. Sargeant, mais, à mon avis, M. Sargeant y a droit. Il ne reste aucuns fonds à répartir entre les autres créanciers réels.

[152]  Dans ces circonstances, il s’ensuit que M. Sargeant a droit au solde du produit de la vente.

VII.  CONCLUSION

[153]  Toutes les requêtes ont été examinées et rejetées, avec dépens en faveur de M. Sargeant et de Comerica. Des ordonnances seront rendues en conséquence.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de juin 2019.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1226‑10

 

INTITULÉ :

WORLDSPAN MARINE INC., CRESCENT CUSTOM YACHTS INC., LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « QE014226C010 » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR CE NAVIRE, AINSI QUE LE NAVIRE « QE014226C010 » et WOLRIGE MAHON LIMITED, en sa qualité d’agent désigné pour la construction du navire défendeur « QE014226C010 », HARRY SARGEANT III, MOHAMMED ANWAR FARID AL SALEH et 642385 B.C. LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIEBRITANNIQUE)

DATE DES AUDIENCES :

Le 16 OCTOBRE 2017

Les 13 ET 14 DÉCEMBRE 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 AVRIL 2019

COMPARUTIONS :

Gary Wharton

POUR LA DEMANDERESSE

ET POUR LA défenderesse

WORLDSPAN MARINE INC.

John W Bromley

Keiran Siddall

Kaitlin Smiley

POUR L’INTERVENANT

HARRY SARGEANT III

John McLean

POUR L’INTERVENANTE

COMERICA BANK

Jason Yamashita

POUR LES CRÉANCIERS RÉELS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L’INTERVENANT

HARRY SARGEANT III

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L’INTERVENANTE

COMERICA BANK

 

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