Date : 20020128
Dossier : IMM-4728-00
Référence neutre : 2002 CFPI 87
ENTRE :
AMAR SINGH RAWAL
Demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après le « tribunal » ] rendue le 9 août 2000 selon laquelle le demandeur ne rencontre pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » .
FAITS
[2] Le demandeur est originaire du Népal, né à Dadeldhura le 7 avril 1961. Plus tard il a déménagé avec sa famille à Mahendranagar.
[3] Il a travaillé pour PLAN International, une organisation non-gouvernementale (ONG) oeuvrant au Népal.
[4] Le 9 avril 1999, le demandeur a appris que la police est entrée de force dans l'entreprise d'imprimerie de son père et a arrêté ce dernier. La police cherchait le frère du demandeur, Bharat Singh, le chef d'un mouvement extrémiste.
[5] Le demandeur est allé au poste de police pour avoir des nouvelles de son père. Le demandeur allègue qu'il a alors été arrêté, incarcéré et interrogé par l'inspecteur Thapa au sujet de son frère.
[6] Grâce à un pot-de-vin payé à la police, le demandeur et son père se sont enfuis.
[7] Le 28 avril 1999, le père du demandeur a appris que son fils, Bharat Singh, avait été arrêté. L'inspecteur Thapa a nié cette arrestation. Au cours des événements entourant l'arrestation de son frère, le demandeur a été battu, menacé et arrêté de nouveau. Après trois (3) jours, le demandeur a été libéré.
[8] Le 17 mai 1999, l'entreprise du père du demandeur a été attaquée par des extrémistes pour le fait d'avoir informé la police au sujet des activités de Bharat Singh.
[9] Par la suite, le demandeur a appris qu'un séminaire était planifié pour les membres du Lion's Club aux États-Unis. Le demandeur a alors profité de cette occasion pour quitter le Népal.
[10] Le demandeur a été aux États-Unis pendant deux (2) semaines sans toutefois revendiquer le statut de réfugié.
[11] Le demandeur est arrivé au Canada le 16 juillet 1999 et a revendiqué le statut de réfugié le 26 juillet 1999, alléguant avoir une crainte bien fondée de persécution en raison d'opinions politiques présumées et de son appartenance à un groupe social particulier, celui de la famille.
QUESTION EN LITIGE
[12] Le tribunal a-t-il rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?
ANALYSE
Norme de contrôle judiciaire applicable
[13] Dans l'affaire Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (C.F. (1re inst.)), le juge Evans a énoncé:
[para 45] D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable.
[14] Plus tard dans l'affaire Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. (1re inst.)), le juge Pelletier a conclu:
[para 5] La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.
[15] En l'espèce, les conclusions tirées par le tribunal par rapport à la crédibilité du demandeur sont basées sur des faits. En conséquence, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de manifestement déraisonnable.
Crédibilité du demandeur
[16] Dans l'affaire Aguebor c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 732 (C.F.A.), la Cour d'appel fédérale a indiqué les circonstances justifiant une intervention judiciaire relativement aux conclusions d'un tribunal au sujet de la crédibilité d'un demandeur:
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.
[17] Dans Razm c. MCI, [1999] A.C.F. no 373 (C.F. (1re inst.)), il fut indiqué:
Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Étant donné que les motifs de la décision qu'elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites, cette cour n'interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.
[18] Le procureur du demandeur a soulevé plusieurs problèmes reliés à l'analyse qu'a effectuée le tribunal dans ce dossier particulier. D'abord, dans ses conclusions, le tribunal spécule quant à ce que le revendicateur ou son père aurait dû faire après la disparition de son frère. À mon avis, l'explication fournie par le demandeur à l'effet qu'il avait très peur était une explication tout à fait plausible, dans les circonstances, et n'aurait pas dû être rejetée du revers de la main, comme le tribunal l'a fait. Le tribunal bénéficiait d'une version des faits non contredite et les rejeter en se basant sur des spéculations, constitue, dans les circonstances, une erreur manifeste.
[19] Dans la décision Le-Naem c. Canada, 37 Imm. L.R. (2d) (C.F. (1ère inst.)), le juge Gibson conclut qu'une cour doit prendre en considération les explications plausibles et raisonnables données par un revendicateur dans l'évaluation de sa crédibilité:
Here the Applicant, who was nineteen years of age at the time he was in Greece, explained that he had a brother in Canada who had successfully claimed refugee status and that he was therefore anxious to get to Canada. He testified that he had no money and that he stayed in Greece to accumulate sufficient money to come to Canada. He testified that he had heard that refugee protection in Greece was problematic and that he feared deportation to Syria if he exposed his illegal status and tested refugee protection there.
The Tribunal, without reference to the Applicant's age, lack of experience and need for money if he were to be able to achieve his ultimate objective, rejected the Applicant's explanation.
On the facts of this case, I reach an opposite conclusion from that reached by Mr. Justice MacKay. I am persuaded that, in the circumstances of this case, the conclusion of the tribunal that an individual such as the Applicant, with an alleged well-founded fear of persecution, would not sojourn for, in this case approximately a year, in Greece, at risk of being returned to Syria, the country where he claims to fear persecution, was not reasonably open to it.
The explanation provided by the Applicant, considering all of his circumstances, was not an unreasonable one. It is too heavy a burden to place on a young person, impecunious and on his own, in a support, to assume he would inevitably act in a manner that reasonable person, secure in Canada, might regard as the only rational manner. The explanation provided to the Tribunal, I conclude, was not so irrational as to support outright rejection. The Applicant chose to weigh one risk, that of being returned to Syria by reason of his of his illegal presence in Greece, against another risk, that of finding himself stranded, perhaps forever, or perhaps without success on a refugee claim, with the result that he would summarily be returned to Syria before realizing his desire to get to Canada. After succeeding in his gamble, on arrival in Canada, he immediately made his Convention refugee claim.
[20] Le procureur du demandeur a soulevé également que les conclusions quant à un article de journal du Ampaper du début de mai 1999 était également déraisonnable. Le tribunal précise:
The long, evasive and inconsistent answers given by the claimant lead the panel to accord no probative value to Exhibit P-12. There is more on that subject.
The claimant left Nepal on June 27, 1999, nearly two months after this article would have been published. He said that he would have lost his job if this employer would have been aware of his problems with the police. The claimant was very vague about the paper's circulation. But he said that nobody at his office ever mentioned that article to him; he, himself, was unaware of it while in Nepal.
[21] Je n'ai pas été en mesure de réconcilier les conclusions du tribunal au paragraphe précédent avec la transcription de l'audition devant le tribunal qui démontre plutôt des réponses claires:
Applicant: I didn't know that has been published. I ask him if there is anything published about ... inaudible... and about the disappearance of the people and ...inaudible... yes and I asked him to send it to me.
Member: ... inaudible...
Applicant: May 1st, 1999.
Member: Sorry?
Applicant: May 1st, 1999.
Member: ... inaudible...
[...]
Interpreter: It's Saturday 1999 May 1st.
Member: May 1st?
Interpreter: Yes.
Counsel: Okay ... inaudible... understand that you were not aware ... inaudible... published, my question is how do you explain that ... inaudible... was this ... inaudible... in a newspaper. How do explain that what happened ... inaudible... was described in the newspaper, how do you explain that?
Applicant: It was published in the paper, I don't know, I went to ask for my brother. I went to the police station and whatever happened ... inaudible... after that.
Member: See sir, the problem is that the inspector does not want anybody to know. He tells you that, yet at the same time there is an article in the newspaper, so the question is it looks odd it got in the newspaper when ... inaudible... are trying to be quiet about it?
Applicant: I don't know who printed it in the newspaper and who did that, I don't have any idea.
[...]
Member: ... inaudible... from the original article that as in North America there is a by-law as to the author of the article is, is there anything there that would indicate who wrote the article? Would you translate that for the claimant please?
Interpreter: ... inaudible...
Member: Would you translate for the claimant what we're looking for please?
Applicant: I don't know I just received it.
Member: Yes, but I don't, wasn't expecting the claimant to comment, I wanted to know if there is a name of? No, okay.
Counsel: You just received it that way, you didn't receive the whole newspaper?
Member: Thank you.
Counsel: Okay. After again that, the release, where did you go?
Applicant: I went back to the ... inaudible...
Counsel: Okay, and what happened after?
[...]
Member: Sir, after the April 28th event when you were arrested, when did you return to your office?
Applicant: Second of May 1999.
Member: May the 2nd.
Applicant: Yes.
Member: That would be a day after this newspaper article was published, correct?
Applicant: Yes.
Member: Did the, does this, do you know if this newspaper is circulated in Nepalgang, Nepalgang, if I pronounce it correctly. Sir, is it circulated in the town in which you work?
Applicant: I haven't seen it. Maybe it comes but I don't know. I haven't seen it.
Member: Because I'm curious to know if anyone in your office might have seen the article between the 2nd of May and the 17th of May when you went back home?
Applicant: I don't know because nobody told me they saw the news, so I don't know if they see it or not.
Member: Are you familiar with this publication, that's the Ampaper, A M P A P E R, are you familiar with that newspaper?
Applicant: I don't know.
Member: Never heard of it before? Sir, have you ever heard of the Ampaper newspaper before?
Applicant: You mean before?
Member: While yo were living in Nepal.
Applicant: I have ... inaudible... I don't like to read the newspapers. I never do that. I used to go to work and come back to my place.
Member: So, I find it strange to tell you the truth that to a question that requires yes or no, you gave such a long answer, which is besides the point.
Applicant: I'll try.
Member: Because you know there is always a question of credibility, and this panel thinks that you evaded the question, you evaded the answer I mean, and it is something visible. Madam we will take our break unless you still
Member: Just one final question, so are we to conclude sir that even when, as a member of an international association with 200 ... inaudible... that you don't read newspapers, or didn't read newspapers when you were in Nepal. Cause ... inaudible...you didn't read newspapers when you were in Nepal, that's what I understood from your question, answer.
Applicant: I used to read the national papers like ... inaudible... Raising Nepal, this one is from local paper, newspaper so.
Member: This one, what do you mean by this one?
Applicant: This one which you have, the local newspaper, so I'm not used to read that.
Member: This one, what to you mean by this one?
Applicant: This one which you have, the local newspaper, so I'm not used to read that.
Member: The way you talk about it, it is as if it wasn't that trustworthy or something?
Applicant: I'm telling you what I did and what I used to do.
Member: Well my final comment on that sir would be that when I initially asked you if you were familiar with the newspaper, your testimony certainly suggested that you know nothing about it and now I understand, we understand from you [sic] testimony that you know it was a local newspaper.
Applicant: I didn't understand.
Member: Initially sir, your testimony was that you had never seen this newspaper, the Ampaper, you did not appear to have any information as to how large, how wide-spread it was circulated, and now it appears that you know that it was a local paper.
Applicant: I didn't know that the news had been published in this paper. When I was there, I haven't seen this paper with this name.
Member: So, how do you know it's a local paper?
Applicant: When you see the paper you can find it out, it's a local or the national paper.
Member: Thank you.
[22] Comme l'a si bien représenté le procureur du demandeur, les réponses et les explications données par le demandeur n'apparaissaient pas être évasives ou contradictoires et apparaissaient tout à fait plausibles.
[23] Quant aux autres points soulevés par le demandeur quant à la plausibilité, il ne m'apparaît pas utile de les retenir pour fins d'analyse, puisqu'à mon avis, le tribunal a examiné avec attention les prétentions du demandeur et ses conclusions quant aux motifs invoqués par le demandeur, m'apparaissent raisonnables dans les circonstances.
[24] L'arrêt Armson c. MEI, 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.F.A.), pages 157-158 précise:
After carefully reading the applicant's evidence in its entirety, I agree with the explanation offered by counsel for the applicant. This is a small matter when considered in the context of the totally of the applicants evidence and, in my view is, inconsequential.
In summary, while this portion of the applicant's evidence may raise questions, it has not been contradicted in any way by other evidence. Actually, counsel for the respondent in his submissions to the Board agreed that "the story related today viva voce has been fairly consistent with that related in ‘86 at the examination under oath.
Accordingly I conclude, as I did in subpara. (c) supra, that since this portion of the applicant's evidence is not contradicted, is consistent, and is not inherently suspect or improbable, the Board erred in making adverse findings of credibility in respect thereof.
[...]
[...]In order that faith may be maintained in the legal system, it is necessary that losing parties be satisfied that they have been fairly dealt with, that their position has been understood by the judge, and that it has been properly weighed and considered. It is, therefore, important that the reasons for a decision be stated, and stated in language that the party who has been dealt the blow can comprehend.
[25] En conséquence, j'en arrive à la conclusion que le tribunal a fait une lecture davantage microscopique du témoignage du demandeur et que ses conclusions à l'effet que les réponses aux questions posées n'étaient pas plausibles dans les circonstances, m'apparaissent tout à fait déraisonnables et justifient tout à fait l'intervention de cette Cour.
[26] En conséquence, la Cour accueille la présente demande de contrôle judiciaire, le dossier est donc retourné à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour être examiné par un panel différemment constitué.
[27] Les procureurs n'ont soumis aucune question pour certification.
Pierre Blais
Juge
OTTAWA, ONTARIO
Le 28 janvier 2002
COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
N º DE LA COUR: IMM-4728-00
INTITULÉ: AMAR SINGH RAWAL c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL, QUÉBEC
DATE DE L'AUDIENCE: 16 JANVIER 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS EN DATE DU 28 JANVIER 2002
COMPARUTIONS
Me JEAN-FRANÇOIS BERTRAND POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me FRANÇOIS JOYAL POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Me JEAN-FRANÇOIS BERTRAND POUR r-A PARTIE DEMANDERESSE BERTRAND. DESLAURIERS
M. Morris Rosenberg POUR LA PARTIE DEMANDERESSE Sous-procureur général du Canada