T-2366-95
OTTAWA (Ontario), le 6 février 1997
EN PRÉSENCE de M. le juge Nadon
ENTRE :
HIEN DO-KY,
VIETNAMESE REFUGEE SPONSORSHIP COMMITTEE,
requérants,
- et -
LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
DU COMMERCE INTERNATIONAL,
intimé.
ORDONNANCE
La demande de révision présentée sous le régime de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information est rejetée.
«Marc Nadon» Juge
TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME Ghislaine Poitras, LL.L.
T-2366-95
ENTRE :
HIEN DO-KY,
VIETNAMESE REFUGEE SPONSORSHIP COMMITTEE,
requérants,
- et -
LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
DU COMMERCE INTERNATIONAL,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE NADON
La Cour est saisie de la demande de révision de la décision rendue en application de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la «Loi»), à l'effet de ne pas divulguer des notes diplomatiques échangées entre le Canada et un autre pays. La demande de révision est fondée sur l'article 41 de la Loi, lequel dispose que :
41.La personne qui s'est vu refuser communication totale ou partielle d'un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l'information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.
J'exposerai brièvement les faits de la présente affaire de façon à me conformer au paragraphe 47(1) de la Loi, lequel prévoit ce qui suit :
47(1)À l'occasion des procédures relatives aux recours prévus aux articles 41, 42 et 44, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c'est indiqué, par la tenue d'audiences à huis clos et l'audition d'arguments en l'absence d'une partie, pour éviter que ne soient divulgués de par son propre fait ou celui de quiconque :
a) des renseignements qui, par leur nature, justifient, en vertu de la présente loi, un refus de communication totale ou partielle d'un document; [...]
Il convient de signaler que les mémoires des parties et l'affidavit sur lequel l'intimé s'appuie ont été déposés sous le sceau de la confidentialité, en application de l'ordonnance rendue par le juge McGillis le 3 avril 1996, et que l'audience s'est déroulée à huis clos. Les requérants ont contre-interrogé l'auteur de l'affidavit soumis par l'intimé, et la transcription du contre-interrogatoire est également confidentielle.
Les requérants demandaient initialement la communication de deux notes précises et de toute note diplomatique ayant trait à un sommaire de cas joint à leur demande. Le ministère des Affaires étrangères a par la suite recensé quatre notes, au total, qui étaient visées par la demande du 28 mars 1994.
Le coordonnateur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels a informé les requérants, dans une lettre datée du 28 juillet 1994, que les documents demandés étaient exemptés de communication en vertu du paragraphe 15(1), et que leur divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice aux relations internationales du Canada. Le 19 août 1994, le coordonnateur a reçu un avis du Commissaire à l'information lui faisant savoir que les requérants avaient déposé une plainte à l'égard de l'exception invoquée.
Après de nouveaux échanges avec le Commissaire à l'information et après communication et discussion avec les ministères concernés, le coordonnateur a émis l'opinion, au mois de février 1995, qu'un délai suffisant s'était écoulé depuis les échanges et qu'il était possible de s'enquérir auprès du pays en cause de la possibilité de communiquer les notes. Au mois de septembre 1995, toutefois, le gouvernement de ce pays a fait savoir au gouvernement du Canada qu'il s'opposait à la divulgation des notes car les sujets qui y étaient abordés revêtaient toujours un caractère délicat dans ce pays. Le coordonnateur, à cause de la position prise par le pays, a déclaré que le gouvernement canadien, ayant reçu une demande expresse visant le maintien de leur confidentialité, ne pouvait absolument pas communiquer les documents.
Le Commissaire à l'information a donné raison au ministère des Affaires étrangères, et il a donc informé les requérants que la divulgation des renseignements risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales car elle irait directement à l'encontre des voeux exprimés par le pays en cause. Il a donc maintenu, à l'égard des documents, l'application de l'exception prévue au paragraphe 15(1).
Trois des notes avaient été adressées par le gouvernement canadien au gouvernement de l'autre pays (le «pays D»). La dernière note émanait du pays D, et répondait à l'une des trois notes susmentionnées.
Il a été établi que la note envoyée par le pays D avait été obtenue à titre confidentiel et donc, que le refus de la communiquer reposait initialement sur l'alinéa 13(1)a) de la Loi. Le Commissaire à l'information, en se fondant sur le paragraphe 15(1) de la Loi, a maintenu le refus de communication formulé à l'égard de tous les documents, parce que la divulgation [TRADUCTION] «risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales», car [TRADUCTION] «...en l'absence du consentement du [pays D], le Canada risquerait, s'il divulguait ces notes, d'enfreindre les conventions diplomatiques [...] ce qui pourrait nuire aux échanges diplomatiques du Canada [...] avec d'autres pays également».
Les requérants soutiennent que l'intimé a commis les erreurs de droit suivantes en refusant de communiquer les renseignements demandés :
1.Il a posé la prémisse que les notes diplomatiques ne doivent pas être communiquées, laquelle pèche contre l'économie de la Loi et impose des limites au pouvoir discrétionnaire du décideur.
2.Il a omis de prendre en considération les faits particuliers de l'affaire pour formuler sa décision.
3.Il a traité les quatre notes comme un ensemble indivisible, ce qui l'a amené à appliquer l'exception obligatoire énoncée à l'article 13 à toutes les notes au lieu d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 15. Aucun pouvoir discrétionnaire n'a été exercé.
4.Il a appliqué le critère des [TRADUCTION] «usages diplomatiques habituels» au lieu du critère plus exigeant énoncé au paragraphe 15(1), savoir [TRADUCTION] «le risque vraisemblable d'atteinte à la conduite des affaires internationales».
5.Il a examiné les effets qu'aurait la communication du document lui-même au lieu de s'attacher à ceux de la communication des renseignements contenus dans le document. La Loi fait obligation de communiquer les documents en fonction de la nature des renseignements qu'ils renferment, et non en fonction de la nature propre des documents.
6.Il a invoqué le paragraphe 13(1) pour refuser de communiquer des renseignements qui avaient été rendus publics et qui étaient donc visés par l'exception prévue au paragraphe 13(2).
7.Il a justifié sa décision en expliquant que les renseignements contenus dans les notes soulèveraient des doutes sur la fermeté de la volonté du pays D de respecter ses obligations internationales. Cette interprétation des renseignements ne s'impose pas d'emblée, il est donc déraisonnable de conclure qu'elle serait évidente pour tout le monde.
8.Il n'a pas évalué si les motifs donnés par le pays D ou par ses propres fonctionnaires étaient justifiables compte tenu du critère énoncé dans la Loi.
9.Il n'a pas examiné les deux notes faisant l'objet d'une demande distincte de la demande visant [TRADUCTION] «toute note diplomatique ayant trait à l'affaire». Il s'est attaché uniquement à l'ensemble de quatre notes.
10.Il a demandé le consentement du gouvernement du pays D et, ne l'ayant pas obtenu, il n'a pas examiné de façon indépendante la question de savoir si la communication des renseignements porterait préjudice à la conduite des affaires internationales.
En réalité, il n'est nécessaire de répondre qu'à trois questions pour régler tous les points soulevés par les requérants. Il faut déterminer, premièrement, si toutes les notes requièrent une analyse fondée sur l'article 15 ou si les deux catégories de notes doivent être examinées en fonction de dispositions distinctes de la Loi. À cet égard, il s'impose d'établir s'il est possible de traiter chaque note de façon indépendante ou si elles doivent être considérées comme un tout nécessitant un examen unique. Il faut, deuxièmement, déterminer si les dispositions de l'article 15 s'appliquent en raison du caractère particulier de la correspondance diplomatique ou si elles ne visent que les renseignements contenus dans ce type de correspondance. La troisième question est celle de savoir si le gouvernement s'est acquitté du fardeau de prouver que le responsable de l'institution qui a refusé de divulguer les notes avait des «motifs raisonnables» de le faire, ainsi que le requiert l'article 50.
Analyse
J'ai examiné les notes en cause en tenant compte des principes directeurs formulés par le juge Rothstein dans la décision Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427. Pour parvenir à mes conclusions, j'ai pris en considération les principes suivants (ibid., aux p. 444 à 446) :
1.Les exceptions au droit d'accès doivent être justifiées par un risque vraisemblable de préjudice probable (voir Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), à la p. 60, juge MacGuigan).
2.On doit tenir compte de l'avis mûrement réfléchi du Commissaire à l'information (voir Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.), à la p. 272, juge Heald).
3.Il faut présumer que les renseignements demandés seront utilisés, lorsqu'il s'agit d'examiner si la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un préjudice probable (voir Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre du Transport) (1989), 27 F.T.R. 194, à la p. 216, juge MacKay).
4.Il convient d'examiner si les renseignements dont la communication est refusée peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a normalement accès, ou peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef (voir Air Atonabee, précité, à la p. 210).
5.La couverture par la presse d'un renseignement confidentiel est un facteur à prendre en considération dans l'examen du risque de préjudice probable résultant de la divulgation (voir Canada Packers, précité, à la p. 63);
6.Est admissible la preuve relative à l'intervalle séparant la date du renseignement confidentiel et celle de sa divulgation (voir Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F.480 (1re inst.), à la p. 488, juge Strayer (tel était alors son titre)).
7.La preuve des conséquences susceptibles de découler de la divulgation, qui donne une description générale de ces conséquences, ne satisfait pas à la norme de preuve applicable à l'exemption de communication (voir Ottawa Football Club, précité, à la p. 488).
8.Chaque document distinct doit être considéré à part et dans le contexte de tous les documents demandés car la teneur totale d'une communication doit influer énormément sur les conséquences vraisemblables de sa divulgation (voir Canada Packers, précité, à la p. 64).
9.L'article 25 de la Loi prévoit la possibilité de séparer dans un document les renseignements qui peuvent être divulgués de ceux qui sont protégés par une exception. Le prélèvement doit être raisonnable. Il ne servirait à rien de divulguer quelques lignes hors de contexte (voir Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1988] 5 W.W.R. 151 (C.F. 1re inst.), à la p. 166, juge en chef adjoint Jerome).
10.Le refus de communication doit être justifié au moyen de témoignages par affidavit expliquant clairement la raison de l'exemption de chaque document (voir Ternette c. Canada (Solliciteur général), [1992] 2 C.F. 75 (1re inst.), aux p. 109 et 110, juge MacKay).
La Loi prévoit clairement un traitement particulier à l'égard des documents obtenus à titre confidentiel du gouvernement d'un État étranger :
13(1)Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements obtenus à titre confidentiel :
a) des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes; [...]
[...]
(2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements visés au paragraphe (1) si le gouvernement, l'organisation, l'administration ou l'organisme qui les a fournis :
a) consent à la communication;
b) rend les renseignements publics.
Toutefois, l'article 15 régit également les documents dont la divulgation pourrait porter préjudice à la conduite des affaires internationales :
15(1)Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d'États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d'activités hostiles ou subversives, notamment :
[...]
h) des renseignements contenus dans la correspondance diplomatique échangée avec des États étrangers ou des organisations internationales d'États, ou dans la correspondance officielle échangée avec des missions diplomatiques ou des postes consulaires canadiens; [...]
S'agissant de missives reçues d'un État étranger, il existe une possibilité de chevauchement, car elles peuvent relever des deux catégories. L'article 15 établit une catégorie de portée plus large qui englobe beaucoup plus que la correspondance avec des gouvernements étrangers. Une distinction supplémentaire s'impose du fait qu'il doit exister un risque vraisemblable de préjudice probable pour que l'exemption prévue à l'article 15 puisse jouer, alors que les lettres de gouvernements étrangers sont d'emblée exemptées de communication à moins d'exceptions.
Aucune disposition de la Loi n'interdit au responsable d'une institution fédérale de fonder un refus de communication sur plus d'une disposition. La Loi n'exige pas non plus que le responsable invoque toutes les dispositions de la Loi susceptibles de s'appliquer. Il n'y a rien à redire à ce qu'il conclue qu'un document doit être exempté de communication par suite d'une disposition particulière de la Loi.
À cet égard, il importe de signaler l'argument des requérants selon lequel il s'imposait de communiquer la note du pays D parce que les renseignements qui y figuraient avaient été rendus publics. Le paragraphe 13(2) n'exige pas la communication de documents contenant des renseignements qui ont été rendus publics, il ne fait que permettre au gouvernement de les divulguer en vertu d'une exception restreinte à la règle générale interdisant la communication. Toutefois, l'économie générale du régime d'accès impose au responsable d'une institution fédérale qui formule un refus de communication, de justifier sa décision. Relativement à des renseignements obtenus d'un État étranger et rendus publics par cet État, le responsable d'institution fédérale chargé d'appliquer la Loi peut toujours se prévaloir d'autres dispositions de celle‑ci. De plus, il n'existe pas, en l'espèce, d'éléments de preuve établissant clairement que le gouvernement du pays D a rendu les renseignements publics. Bien que le sommaire fasse état de certains de ces renseignements, les requérants n'ont établi ni quelle était leur source ni s'ils étaient véritablement «publics» ou s'ils relevaient simplement de la connaissance personnelle des requérants. La Cour ne peut se contenter de présumer que c'est le gouvernement du pays D qui a rendu les renseignements publics.
Le gouvernement fédéral n'a pas à prouver que la note diplomatique envoyée au Canada n'est pas publique, pas plus qu'il n'est obligé, dans de tels cas, de prouver une prémisse négative. En l'espèce, il n'a été établi ni que les renseignements étaient publics ni que le gouvernement du pays D les avait officiellement rendus publics.
L'intimé a fait valoir qu'il n'était pas possible de traiter les notes séparément car elles constituaient, ensemble, un dialogue unique. Le ministère des Affaires étrangères, dans les discussions qu'il a eues avec le gouvernement du pays D au sujet des notes, a traitées celles-ci comme un ensemble et son interlocuteur a répondu de la même façon. Bien que ce traitement ait des conséquences sur l'évaluation du caractère raisonnable du refus de divulguer quelques-unes de ces notes ou la totalité de celles‑ci, il ne constitue d'aucune façon une transgression manifeste de la Loi. Puisque les notes forment en fait une conversation entre gouvernements, il ne serait, en vérité, pas très utile de garder confidentielle la moitié de la conversation quand la lecture de l'autre moitié pourrait permettre d'en inférer la teneur. Je conclus donc, relativement à la première question, que la totalité des notes peut être traitée sous le régime de l'article 15 même si les documents qui peuvent également relever du paragraphe 13(1) jouiraient d'un protection supplémentaire. J'estime en outre qu'il est inévitable, compte tenu des circonstances de la présente espèce, que les quatre notes soient traitées comme un ensemble unique.
Dans la lettre qu'il a envoyée aux requérants, l'intimé a invoqué l'alinéa 15(1)h) pour justifier le refus de communication de chacune des quatre notes, c'est-à-dire que les documents demandés constituent de la correspondance diplomatique dont la divulgation «risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales». Il faut donc, en deuxième lieu, trancher la question de savoir si les notes peuvent être exemptées, non pas nécessairement en raison des renseignements qu'elles renferment mais à cause de leur nature.
Le droit international s'est développé à partir de la coutume et de la courtoisie. Le droit coutumier international repose, à son tour, sur les usages suivis fidèlement et généralement par les États et sur la reconnaissance générale de ces usages. Les coutumes régissant la conduite des affaires entre États ont permis aux relations internationales de se dérouler de façon prévisible en temps de paix et en temps de guerre. De la même façon que le secret professionnel de l'avocat permet une communication franche et honnête entre un avocat et son client, la confidentialité des communications internationales permet aux États de régler rapidement et dans la franchise des questions délicates. On peut raisonnablement penser que si le Canada ou un autre pays se mettait à révéler de la correspondance diplomatique, un tel acte porterait atteinte à la conduite des affaires internationales.
Les relations internationales peuvent être fragiles. Les notes diplomatiques sont le type de communications ayant le caractère le plus officiel, et elles forment une conversation entre deux gouvernements souverains. Il convient ici de citer quelques passages généraux de l'affidavit déposé par l'intimé. Bien que le juge McGillis ait ordonné qu'il soit déposé sous le sceau de la confidentialité, les extraits cités n'énoncent que des généralités et ne révèlent aucun détail précis de l'affaire dont la Cour est saisie. Le déposant a déclaré :
[TRADUCTION]
Quelle que soit leur teneur, toutes les notes diplomatiques ont ceci de commun qu'elles constituent la voie officielle de communication choisie par les gouvernements pour dialoguer ou conduire leurs affaires. Le fait d'ouvrir et d'utiliser cette voie est tout aussi important que les renseignements transmis.
Il convient de signaler ici que le déposant est un diplomate de carrière qui a travaillé plus de vingt ans pour les Affaires étrangères, dans diverses fonctions. Il a donné, sur la nature des relations diplomatiques et sur le rôle des notes diplomatiques, un témoignage convaincant qui, en l'absence de preuves le contredisant, mérite qu'on y ajoute foi. Le déposant a affirmé de plus :
[TRADUCTION]
Ces traditions revêtent une grande importance en diplomatie [...] au cours des siècles, leur évolution en a fait des moyens pour les États souverains de conduire leurs affaires d'une façon harmonieuse et empreinte de respect mutuel. De fait, elles ont souvent constitué des moyens d'éviter des incidents graves ou même des guerres découlant de querelles relatives à des précédents, d'offenses perçues ou de comportements pouvant susciter des doutes, par exemple, sur la souveraineté ou l'intégrité d'un État ou sur la légitimité de son dirigeant. Quand s'affaiblissent les moyens habituels d'assurer le déroulement d'une conversation courtoise et respectueuse entre des nations qui ne le sont pas toujours les unes envers les autres, la capacité de la communauté internationale de régler les différends et d'entretenir des relations diplomatiques normales s'en trouve pareillement affaiblie.
La Loi, de façon générale, met l'accent sur les renseignements et non sur les documents en eux-mêmes. Cette orientation ressort clairement du texte anglais du paragraphe 2(1), lequel fait mention de l'«access to information in records».
2(1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.
Le libellé de l'article 2 et celui de l'article 4 indiquent clairement aussi que l'accessibilité des documents se présume et que le refus de communication devrait être l'exception. L'article 4 est ainsi conçu :
4(1)Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :
a) les citoyens canadiens;
b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration.
Malgré le fait que les articles 13 et 15 figurent sous le titre général «Exceptions», les articles 2 et 4 ont pour effet d'imposer une interprétation aussi étroite et aussi précise que possible de ces exceptions.
La Cour doit statuer ici sur la question particulière de savoir si l'alinéa 15(1)h) vise des renseignements contenus dans un document ou s'il porte expressément sur des renseignements revêtant la forme de correspondance diplomatique. Le texte du paragraphe 15(1) fait état de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'être préjudiciable. Les alinéas suivants, qui formulent des exemples de ce principe général, parlent de «renseignements» «d'ordre [...]» «relatifs aux [...]», «concernant», d'«éléments d'information recueillis ou préparés aux fins [...]» et de «renseignements concernant les méthodes [...]». Seul l'alinéa h), toutefois, fait état, dans sa version anglaise, de renseignements «that constitutes diplomatic correspondence». Le législateur n'a certainement pas employé pour rien cette formulation particulière. S'il voulait exprimer dans cet alinéa la même idée que dans les autres, il aurait pu employer les mots «information relating to diplomatic correspondence» ou «information contained in diplomatic correspondence».
Que signifie alors, pour des renseignements, le fait de «constituer» quelque chose? Brièvement, cela doit signifier qu'ils sont constitutifs, c'est-à-dire qu'ils [TRADUCTION] «font qu'une chose est ce qu'elle est» (The Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd. rév., vol. 1, C.T. Onions, dir., Oxford, Clarendon Press, 1990, à la p. 408). Il s'agit de quelque chose de plus que des renseignements simplement contenus dans un document. Cette interprétation cadre bien avec le statut particulier conféré à ces notes et avec la nature générale de la correspondance diplomatique et des relations internationales dont il a été question ci-dessus. Sur ce fondement, le gouvernement qui cherche à exempter de communication des notes diplomatiques pourrait raisonnablement refuser de les communiquer parce qu'il s'agit de notes diplomatiques et non à cause des renseignements qu'elles renferment.
Par conséquent, le gouvernement peut légitimement exempter de communication des notes diplomatiques parce que leur divulgation risquerait vraisemblablement de porter atteinte aux relations internationales. Il peut le faire non pas nécessairement parce que les notes portent sur des renseignements de nature délicate mais simplement parce qu'elles constituent des communications diplomatiques confidentielles, et que la communauté internationale peut raisonnablement s'attendre à ce que de telles notes demeurent confidentielles. Cela est d'autant plus vrai lorsque la confidentialité a été expressément requise.
La troisième question s'apparente étroitement à la deuxième. On peut se demander, vu la nature des documents, si le gouvernement avait des motifs raisonnables de conclure que la communication de ceux-ci serait préjudiciable aux relations internationales. C'est sur l'intimé que repose le fardeau de la preuve à cet égard :
48.Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d'un document incombe à l'institution fédérale concernée.
Le critère qu'il convient d'appliquer est énoncé à l'article 50, lequel devrait se lire avec l'article 49.
49.La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d'une décision de refus de communication totale ou partielle d'un document fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l'article 50, ordonne, aux conditions qu'elle juge indiquées, au responsable de l'institution fédérale dont relève le document en litige d'en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l'estime indiqué.
50.Dans les cas où le refus de communication totale ou partielle du document s'appuyait sur les articles 14 ou 15 ou sur les alinéas 16(1)c) ou d) ou 18d), la Cour, si elle conclut que le refus n'était pas fondé sur des motifs raisonnables, ordonne, aux conditions qu'elle juge indiquées, au responsable de l'institution fédérale dont relève le document en litige d'en donner communication totale ou partielle à la personne qui avait fait la demande; la Cour rend une autre ordonnance si elle l'estime indiqué.
Les dispositions énumérées à l'article 50 concernent toutes des «renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice». Lorsque le gouvernement refuse de communiquer des documents visés à l'article 49, la Cour n'examine que la catégorie ou le type de documents en cause. C'est tout ce qu'exige l'article 49. Toutefois, lorsque la Cour examine un refus de communication visé par l'article 50, le gouvernement doit démontrer que les documents relèvent de la catégorie mentionnée et qu'une personne raisonnable estimerait que leur communication serait préjudiciable. Le juge Rothstein a examiné le rôle de la Cour sous le régime de l'article 50 dans la décision Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Premier ministre), précitée, aux p. 478 à 480.
En l'espèce, ce qui est en cause, c'est la validité de l'avis d'un fonctionnaire selon lequel la communication de certains documents spécifiques de l'administration fédérale risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite par le gouvernement des affaires fédérales-provinciales. Bien qu'aucune règle générale ne puisse être établie quant à la norme de preuve requise dans le cadre de l'article 14, ce qu'examine la Cour, c'est le bien-fondé de l'opinion honnête mais peut-être subjective des témoins cités par le gouvernement, opinion basée sur une référence générale aux documents. Les descriptions de préjudice possible, même détaillées, ne suffisent pas en elles-mêmes. À tout le moins, il faut qu'il y ait un lien clair et direct entre la divulgation de tel ou tel renseignement et le préjudice invoqué. La partie intéressée doit expliquer à la Cour comment ou pourquoi le préjudice invoqué résulterait de la communication de tel ou tel renseignement. Si le comment ou le pourquoi de ce préjudice est évident, l'explication ne doit pas être bien longue. Mais si une déduction est nécessaire ou si le lien n'est pas clair, l'explication doit être plus longue. Plus les preuves et témoignages sont spécifiques et concluants, plus forte est la défense de la confidentialité. Plus les preuves et témoignages sont généraux, plus il serait difficile pour la Cour de conclure au lien entre la divulgation de documents donnés et le préjudice invoqué.
En outre, les allégations de préjudice résultant de la communication doivent être examinées à la lumière de tous les faits et circonstances de la cause. Ce qui s'entend notamment de la question de savoir dans quelle mesure les renseignements dont une partie tient à protéger la confidentialité ou des renseignements similaires sont déjà du domaine public. Certes, le fait que les mêmes renseignements ou des renseignements similaires soient déjà du domaine public ne règle pas nécessairement la question de savoir s'il y a un risque vraisemblable de risque résultant de la divulgation des renseignements dont la confidentialité est en cause, mais cette circonstance fait qu'il est plus difficile de se décharger du fardeau de la preuve justifiant la confidentialité.
[...]
Voilà autant de raisons pour lesquelles le gouvernement pourrait subir, mais non pas nécessairement, un préjudice du fait de la divulgation de ses renseignements confidentiels. Je peux même apprécier l'argument relatif aux malentendus bien que la jurisprudence tende à ignorer les préoccupations de ce genre, parce qu'il est normalement loisible à la partie forcée de communiquer les documents d'ajouter des renseignements complémentaires pour prévenir tout malentendu. S'il pouvait démontrer que, vu tous les faits et circonstances de la cause, la communication des renseignements spécifiques en question causerait vraisemblablement le préjudice invoqué, le gouvernement aurait le droit de les garder confidentiels. À cette fin, il lui faut faire la preuve du lien entre le préjudice invoqué et la divulgation de pages spécifiques du document, et expliquer pourquoi, vu les circonstances de la cause, la divulgation du contenu du document causerait ce préjudice.
Compte tenu du fait qu'il faut prendre en considération la nature de ces notes pour évaluer la probabilité de préjudice associée à leur divulgation, et vu la preuve par affidavit présentée par l'intimé, je n'éprouve aucune difficulté à conclure que le gouvernement a craint et continue de craindre avec raison que la divulgation de ces notes ne cause un préjudice.
Le préjudice n'est pas qu'hypothétique puisque le pays D, qu'on a expressément consulté au sujet de la communication des notes, a répondu qu'il s'opposait à cette divulgation. Ce fait à lui seul justifie le refus de communication en dépit de l'accès que les requérants ont déjà eu à certains renseignements contenus dans l'une des notes. La communication de ces notes contreviendrait aux règles de la diplomatie. Si le Canada devait passer outre à une demande expresse d'un État étranger, il ternirait la réputation qu'il a au sein de la communauté internationale de traiter ses partenaires avec équité. Comme, en outre, le processus diplomatique repose entièrement sur l'intégrité et la confiance, le Canada compromettrait l'efficacité de son action en matière internationale s'il communiquait des notes diplomatiques en faisant fi de l'opinion des États étrangers visés.
L'article 15 prévoit des «exemptions pour préjudice», non pas des «exemptions par catégorie» comme le fait l'article 13 (X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] 1 C.F. 77 (1re inst.), juge Denault). Les notes ne sont pas exemptées de communication parce que ce sont des notes diplomatiques, mais parce que leur caractère diplomatique en fait des documents de nature délicate car on s'attend à ce que leur confidentialité soit préservée quelle qu'en soit la teneur. À preuve, même le gouvernement reconnaît qu'il arrive parfois que des documents ne soient pas exemptés de communication, même s'il s'agit de notes diplomatiques, parce qu'on ne s'attend pas à ce qu'ils soient traités comme confidentiels. Citons l'exemple des notes ayant valeur de traités, des communications à l'égard desquelles les gouvernements concernés ont établi le précédent qu'elles peuvent être rendues publiques ou de certaines communications avec des organismes internationaux. Toutefois, la nature des documents joue incontestablement un rôle dans l'évaluation du préjudice. C'est ce qui justifie le libellé différent employé par le législateur, lequel était indispensable pour continuer d'assurer le déroulement harmonieux des relations internationales du Canada.
L'auteur de l'affidavit déposé par l'intimé a décrit les préjudices particuliers que la communication des notes risquerait vraisemblablement de causer :
[TRADUCTION]
[D]'autres pays attachent une grande importance à ces traditions. Ils perçoivent la communication d'une note diplomatique sans l'autorisation du destinataire ou sans que celui-ci ait eu le temps de réagir comme de la diplomatie-mégaphone, de la propagande, de l'impolitesse ou même de l'intimidation. Le fait que deux nations se parlent au moyen de notes diplomatiques publiées, comme le fait que deux personnes dialoguent dans les colonnes d'un journal, est perçu comme un signe que les lignes de communication habituelles sont rompues et que les deux parties ne font que jouer pour la galerie.
La convention régissant les notes diplomatiques, comme toutes les conventions diplomatiques, peut être modifiée, et la tradition ne doit jamais faire obstacle à l'utilité. Toutefois, le Canada ne peut se permettre, lorsqu'il s'agit des attentes de ceux avec qui il est en relation, de dépasser les bornes. Nous ne sommes pas une grande puissance. Si nous ne répondons pas aux attentes de nos partenaires ou s'ils estiment que nous ne le faisons pas, ils ne changent pas leurs usages pour nous être agréables, ils modifient simplement leurs attentes et réagissent en conséquence.
Bref, si la communication de notes diplomatiques sans égard à leur teneur (quoique celle-ci puisse aussi, en elle-même et par elle-même, être confidentielle ou de nature à causer préjudice) devenait une pratique courante, la conduite des affaires internationales en subirait probablement un préjudice réel et actuel, car s'en trouverait ébranlée la confiance des autres pays dans le fait que le Canada ne puisse observer les normes et les conventions diplomatiques, notamment celles qui régissent la protection des sources et des renseignements confidentiels, de même que la discrétion avec laquelle ils doivent être traités. Le doute ressenti quant à l'un de ces éléments s'étend à l'ensemble.
Cet affidavit et les documents qui m'ont été soumis me convainquent que les critères énoncés à l'article 50 ont été respectés.
Il me reste, en conclusion, à aborder quelques affirmations des requérants.
Premièrement, on ne renonce pas à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'on consulte les ministères les plus au fait de la situation visée et les plus directement concernés par elle. En vérité, il serait irresponsable de ne pas le faire. Si le titulaire du pouvoir discrétionnaire étudie les questions soulevées et s'il examine et soupèse tous les faits, il exerce pleinement son pouvoir discrétionnaire. De plus, il n'appartient pas à la Cour de contrôler le processus décisionnel suivi sous le régime de la Loi; son rôle se limite à examiner le caractère vraisemblable du risque appréhendé.
Deuxièmement, il faut dire clairement que les notes ont en définitive été exemptées de communication parce qu'il s'agissait de correspondance diplomatique et parce que l'État étranger concerné, lorsqu'on l'a consulté, a expressément demandé qu'elles demeurent confidentielles. La question de savoir si l'intimé approche avec prudence les cas de correspondance diplomatique n'est pas pertinente. L'élément pertinent, en l'espèce, est que l'autre gouvernement a requis la confidentialité et que le Canada ne peut trahir la confiance qui a été placée en lui sans que sa réputation au sein de la communauté internationale et, par le fait même, ses relations internationales ne subissent un préjudice considérable.
Troisièmement, l'intimé pouvait à bon droit tenir compte des usages diplomatiques habituels dans son appréciation du préjudice que la divulgation risquait de causer car c'était le meilleur critère à appliquer pour évaluer le préjudice probable.
Quatrièmement, l'intimé a le droit de chercher à savoir si les renseignements sont propres à faire douter de la volonté d'un autre pays de respecter ses obligations internationales. Le caractère raisonnable de cette interprétation influera sur la question du bien-fondé de la crainte du préjudice.
Finalement, lorsqu'un État demande que de la correspondance diplomatique demeure confidentielle, le gouvernement canadien n'a pas à examiner les motifs de ce pays. Il suffit que cette requête lui ait été faite. De fait, sauf circonstances exceptionnelles, le gouvernement canadien commettrait une faute diplomatique s'il se posait en juge des raisons de l'État étranger.
«MARC NADON» JUGE
Ottawa (Ontario)
Le 6 février 1997
TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME Ghislaine Poitras, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE :T-2366-95
INTITULÉ :Hien Do-Ky, Vietnamese Refugee Sponsorship Committee c. Le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 18 novembre 1997
MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE NADON
EN DATE DU 6 février 1997
COMPARUTIONS :
M. David Matas pour les requérants
M. Geoffrey S. Lester pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas pour les requérants
George Thomson
Sous-procureur général
du Canada pour l'intimé