Date : 20001206
Dossier : T-992-92
OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2000
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EDMOND P. BLANCHARD
ENTRE :
ALMECON INDUSTRIES LIMITED,
demanderesse
- et -
ANCHORTEK LTD
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La défenderesse Anchortek a présenté une requête en vertu de la règle 227 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.
[2] Anchortek a présenté cette requête dans le but d'obtenir une ordonnance enjoignant à la demanderesse de signifier et de déposer un affidavit de documents supplémentaire complet et exact, énumérant dans l'annexe 1 jointe à l'affidavit tous les documents qui sont en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de la demanderesse et qui sont pertinents relativement aux modifications les plus récentes à la Défense modifiée et demande reconventionnelle additionnelle de Anchortek Ltd, notamment, sans limiter la généralité de ce qui précède, les projets de règlement entre la demanderesse et Austin Powder Ltd. dans le dossier T-609-96 de la Cour fédérale, les communications, y compris la correspondance, et les notes, y compris les notes de service internes, connexes, etc.
[3] Anchortek demande aussi une ordonnance enjoignant à la demanderesse de signifier et de déposer un affidavit de documents supplémentaire complet et exact, énumérant dans l'annexe 1 jointe à l'affidavit tous les documents qui sont en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de la demanderesse et qui sont pertinents relativement aux modifications les plus récentes à la Défense modifiée et demande reconventionnelle additionnelle de Anchortek Ltd, notamment, sans limiter la généralité de ce qui précède, les projets de règlement entre la demanderesse et Western Explosives Ltd., les communications, y compris la correspondance, et les notes, y compris les notes de service internes, connexes, etc.
La position de la défenderesse Anchortek
[4] L'avocat de la défenderesse a fait valoir essentiellement les arguments suivants :
(a) En vertu de la règle 223, une partie doit énumérer dans son affidavit de documents tous les documents pertinents qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde.
(b) Les documents demandés sont directement pertinents relativement à l'allégation d'Anchortek portant que la demanderesse a fait des déclarations trompeuses en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.
(c) Les documents sont pertinents relativement à la demande de dommages-intérêts punitifs d'Anchortek.
(d) Malgré le privilège qui protège les négociations en vue d'un règlement, cette règle d'exclusion ne s'applique pas en l'espèce.
[5] De plus, l'avocat de la défenderesse, Anchortek, a soutenu que la demanderesse s'est appuyée sur l'allégation fausse et trompeuse selon laquelle le bouchon appelé Energy plug d'Anchortek contrefait le brevet 134, et sur la menace de poursuite judiciaire à cet égard, pour obtenir un règlement illégal et irrégulier avec Austin Powder. De plus, l'avocat de la défenderesse a fait valoir que cette conduite avait nui aux ventes de bouchons « non litigieux » d'Anchortek, en vente depuis 1996. Toutefois, l'avocat de la défenderesse soutient que, pour prouver ces allégations, il a besoin de tous les projets de règlement entre la demanderesse et Austin Powder Ltd. dans le dossier T-609-96 de la Cour fédérale, des communications, y compris la correspondance, et des notes, y compris les notes de service internes, connexes, etc.
[6] Enfin, l'avocat de la défenderesse, Anchortek, a affirmé ne pas demander la divulgation des documents préliminaires afin d'établir que la cause de la demanderesse comporte une faille ni que la demanderesse est responsable, mais plutôt dans le but de prouver que la déclaration trompeuse a nui aux ventes des « bouchons non litigieux » . Pour ces raisons, l'avocat de la défenderesse a prétendu que tous les documents préliminaires qui ont mené au règlement entre la demanderesse Almecon et Austin Powder ne sont pas protégés par le privilège d'exclusion destiné à favoriser un règlement amiable.
Analyse
[7] Il n'est pas contesté qu'une règle d'exclusion ou un privilège protège les documents remis et préparés par les parties dans le cadre de négociations menant à un règlement. Voici ce que dit l'ouvrage intitulé The Law of Evidence in Canada :
[traduction] Il est reconnu depuis longtemps qu'il y va de l'intérêt public que les parties soient encouragées à résoudre leurs différends privés sans recourir au procès ou, si une action a été engagée, qu'elles soient encouragées à régler le litige à l'amiable. Pour favoriser la réalisation de ces objectifs, les tribunaux ont protégé contre la divulgation les communications écrites ou orales, faites en vue d'une réconciliation ou d'un arrangement. En l'absence d'une telle protection, peu de personnes entameraient des négociations en vue d'un règlement de peur que toute concession qu'elles seraient disposées à faire puisse être utilisée à leur détriment s'il n'en résultait aucun arrangement.[1]
[8] Notre Cour a reconnu ce privilège à de nombreuses reprises, notamment sous la plume du juge Cullen, dans la décision Cie de Média du Canada c. Canada :
Ce caractère confidentiel repose sur l'objectif impérieux d'ordre public visant à encourager les parties à régler leurs différends avant d'aller au procès. Si ces communications n'étaient pas confidentielles, les tentatives de règlement seraient entravées par la crainte que les déclarations faites dans un esprit de compromis ne constituent une preuve sous la forme d'aveux dans le cas où les négociations achopperaient et entraîneraient un procès.[2]
[9] La Cour a tout intérêt à encourager les parties à résoudre leurs différends en communiquant ouvertement et sans crainte que leurs déclarations soient plus tard utilisées contre eux. Cette politique souhaitable dans l'intérêt public ne s'étend pas aux situations dans lesquelles une partie sert ses propres intérêts au détriment d'une autre. Cette règle ne s'applique pas non plus aux fins d'écarter la preuve d'une déclaration inexacte ou d'une opération malhonnête. Dans Bertram c. Canada (C.A.), le juge Hugessen a dit ce qui suit :
Selon moi, il ressort clairement de ces citations que les tribunaux ont le souci d'éviter aux parties d'être mises dans l'embarras par des tentatives de concession ou de compromis, voire des aveux de faiblesse. En bref, ce que les parties disent contre leur intérêt durant des négociations est dit sous toutes réserves, en ce sens que leurs déclarations ne peuvent être utilisées par la suite contre elles. La règle n'a toutefois pas pour but de protéger des rapports malhonnêtes, et il n'existe aucune raison d'exclure ce dont une partie fait état dans son propre intérêt et au préjudice de la partie adverse [...] Dès lors qu'il existe une indication prima facie d'une telle tentative pour induire en erreur, comme c'est clairement le cas en l'espèce, les questions qui sont conçues pour obtenir des informations et des aveux sur cette tentative et les circonstances qui l'entourent sont admissibles.[3]
[10] L'affaire Bertram est très pertinente pour ce qui est d'établir le critère préliminaire auquel la défenderesse Anchortek doit satisfaire pour écarter le privilège. Toutefois, je dois faire une distinction entre l'affaire qui m'est soumise et l'affaire Bertram. Les faits de cette dernière affaire étaient très différents. Voici ce qu'a dit le juge Hugessen. :
En l'espèce, et en gardant à l'esprit que la réunion en question a eu lieu dans le cadre d'un régime fiscal d'autocotisation où le contribuable est tenu de communiquer au fisc l'ensemble des renseignements pertinents, et où il arrive souvent que les contribuables et leurs conseillers rencontrent des représentants du fisc pour tenter de les convaincre qu'aucun impôt, ou aucun impôt de plus, n'est exigible, il faudrait des preuves bien plus claires que celles que l'on trouve dans ce dossier pour me convaincre qu'une réunion peut être qualifiée de négociation en vue d'un règlement de manière à empêcher que l'une ou l'autre partie utilise subséquemment tout ce qui s'y est passé.[4]
[11] Dans Bertram, le défendeur a sciemment modifié une brochure pour l'expurger de toute mention de la conversion en condominium et cet acte touchait l'essence même de la question soumise à la Cour de l'impôt. La Cour d'appel a conclu, à partir des faits, qu'il existait une indication prima facie de tentative d'induire en erreur et a écarté le privilège.
[12] En l'espèce, les faits sont très différents, la demanderesse Almecon et Austin Powder étaient parties à une poursuite judiciaire et la preuve présentée à la Cour laisse croire que les parties menaient de réelles négociations dans le but de conclure un règlement. Dans le contexte des relations commerciales, on s'attend que les parties négocient ferme pour obtenir les conditions les plus favorables. Il est tout à fait normal que Almecon ait défendu ses propres intérêts et ait négocié des conditions favorables avant de conclure un règlement.
[13] Le juge Hugessen a énoncé le critère a appliquer pour exclure une preuve dans l'arrêt Bertram :
Avant d'exclure des preuves pertinentes et d'empêcher l'une ou l'autre partie de les invoquer, le tribunal doit être tout à fait convaincu que l'objet de la réunion était en fait une tentative réciproque et honnête pour négocier un règlement, et rien d'autre. Lorsque l'objet de la réunion est ambigu ou multiple, ou que l'idée d'un règlement ou d'un compromis ne survient qu'incidemment ou fortuitement, l'ensemble de la réunion n'est pas protégé. Une partie ne peut considérer seule que la réunion vise à négocier un compromis; les deux doivent partager cette intention.[5]
[14] Malgré la plaidoirie habile de l'avocat de la défenderesse, je dois conclure que le privilège s'applique. Après avoir examiné le dossier et entendu les prétentions des avocats, je suis convaincu que l'objet du règlement conclu entre la demanderesse, Almecon, et Austin Powder consistait en une tentative honnête, de part et d'autre, de négocier un règlement.
[15] Aucune preuve ne m'a été présentée qui laisserait croire que la demanderesse, lorsqu'elle a négocié un règlement avec Austin, ne croyait pas honnêtement à l'existence d'une contrefaçon de brevet. Je suis donc convaincu que le règlement ne s'appuie pas sur une déclaration trompeuse, mais sur des négociations serrées menées par les deux parties, qui sont parvenues à une entente mutuellement acceptable.
[16] Enfin, après avoir examiné les arguments invoqués devant moi, je conclus que l'avocat de la défenderesse n'a pas fait la preuve prima facie qui permettrait à la Cour de permettre une exception au privilège revendiqué par la demanderesse.
[17] Pour les motifs qui précèdent, la requête est rejetée en ce qui concerne les deux questions, soit les documents demandés concernant le règlement avec Austin Powder et les documents demandés concernant le prétendu règlement avec Western Explosives Ltd..
ORDONNANCE
LA COUR STATUE que :
1. La requête est rejetée.
2. Les dépens suivront l'issue de la cause.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-992-92
INTITULÉ DE LA CAUSE : ALMECON INDUSTRIES LIMITED ET ANCHORTEK LTD ET AUTRE
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 5 décembre 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE BLANCHARD
EN DATE DU : 6 décembre 2000
ONT COMPARU :
Me Bruce Stratton POUR LA DEMANDERESSE
Me Steven Garland POUR LA DÉFENDERESSE
Me Jeremy Want ANCHORTEK LTD.
Aucune comparution POUR LES DÉFENDERESSES
ACE EXPLOSIVES ETI LTD.
EXPLOSIVES LIMITED ET
WESTERN EXPLOSIVES LTD.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dimock Stratton Clarizio LLP POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Smart & Biggar POUR LA DÉFENDERESSE
ANCHORTEK LTD.
Burnet, Duckworth & Palmer POUR LES DÉFENDERESSES
Calgary (Alberta) ACE EXPLOSIVES ETI LTD.
EXPLOSIVES LIMITED ET
WESTERN EXPLOSIVES LTD.