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                                                                                                                                 Date : 20041006

                                                                                                                           Dossier : T-2070-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1384

ENTRE :

                                                     942260 ONTARIO LIMITED,

EXERÇANT SON ACTIVITÉ SOUS LE NOM

D'ALLANPORT TRUCK LINES, THOROLD (ONTARIO)

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                                 MISTY PRESS

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Exposé général

[1]                Misty Press, une répartitrice et aide-comptable, a réclamé un montant important de surtemps impayé. Toutefois, malgré le fait qu'elle était aide-comptable, elle n'a pas consigné son temps supplémentaire. Son employeur conteste sa réclamation en faisant valoir qu'elle détenait un poste de directrice et que, de toute façon, sa réclamation était exagérée et découlait de son propre défaut à consigner son surtemps. Un arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail (le Code) a essentiellement donné raison à Mme Press, mais a réduit le montant de la réclamation. La présente affaire concerne le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre.


Contexte

[2]                La demanderesse, Allanport, est une entreprise internationale de camionnage exerçant son activité au Canada et aux États-Unis à partir de son établissement commercial de Thorold, en Ontario.

[3]                Le 1er mars 1999, Mme Press a commencé à travailler pour Allanport à titre de coordonnatrice et répartitrice de camions. Deux semaines plus tard, on lui a assigné les fonctions d'aide-comptable, ce qui a fait en sorte qu'elle a dû faire du temps supplémentaire en soirée.

[4]                Sa charge de travail s'est accrue une fois encore lorsqu'on lui a assigné certaines tâches administratives d'un autre employé en congé de maladie pour deux mois. Pour la première période s'étalant du 1er mars 1999 au 26 août 1999, Mme Press affirme qu'elle a fait en moyenne 26 heures de temps supplémentaire sur une base hebdomadaire.

[5]                À la suite de l'embauche d'un superviseur au sein du service de répartition, la charge de travail de Mme Press a diminué au point où, pour la deuxième période s'étalant du 2 septembre 1999 au 26 octobre 1999, elle a estimé qu'elle a fait 13 heures de surtemps sur une base hebdomadaire. Finalement, pour la troisième période s'étalant du 6 octobre 2000 au 2 novembre 2000, en raison d'une mésentente avec son employeur quant à son indemnité de jour férié, elle a fait environ cinq heures de temps supplémentaire par semaine.

[6]                La raison pour laquelle tout le surtemps réclamé est une estimation s'explique du fait que Mme Press n'a pas consigné son temps supplémentaire. Elle a consigné le surtemps des autres employés, mais pas le sien.


[7]                Après avoir quitté son emploi en octobre 2001, elle a porté plainte auprès de Développement des ressources humaines Canada pour surtemps non payé. Sa plainte a été rejetée par un agent des normes de travail principalement en raison du fait qu'elle n'avait pas consigné ses heures supplémentaires, et qu'elle ne pouvait pas appuyer sa réclamation. Elle a ensuite interjeté appel auprès d'un arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail.

[8]                L'arbitre a entendu la preuve, en grande partie contradictoire. La crédibilité était clairement en question tant en ce qui concerne le statut de directrice de Mme Press qu'en ce qui concerne son droit au paiement du temps supplémentaire. L'arbitre a convenu qu'elle n'était pas une directrice en se fondant notamment sur les éléments suivants : elle n'avait personne sous sa supervision; elle n'avait aucun pouvoir d'embauche, aucun pouvoir de congédiement et aucun pouvoir disciplinaire. L'arbitre a accepté en partie sa réclamation de surtemps, mais l'a réduite en raison du manque de fiabilité de l'estimation du temps supplémentaire.

Analyse

[9]                Le principal argument d'Allanport voulait que Mme Press ne puisse réclamer du temps supplémentaire, ou qu'elle ait renoncé à ce droit en ne consignant pas son temps alors que cela constituait une de ses tâches principales. Allanport soutient que Mme Press ne peut tirer avantage de sa propre faute.

[10]            Les pouvoirs d'un arbitre sont énoncés comme suit dans le Code canadien du travail :



251.12(1) Le ministre, saisi d'un appel, désigne en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'appel et lui transmet l'ordre de paiement ou l'avis de plainte non fondée ainsi que le document que l'appelant a fait parvenir au ministre en vertu du paragraphe 251.11(1).

   (2) Dans le cadre des appels que lui transmet le ministre, l'arbitre peut:

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et les pièces qu'il estime nécessaire pour lui permettre de rendre sa décision;

b) faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

c) accepter sous serment, par voie d'affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu'à son appréciation il juge indiqués, qu'ils soient admissibles ou non en justice;

d) fixer lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

e) accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties et pourrait être concerné par la décision.

                                    * * * * * * * * * *

(7) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre du présent article.

251.12(1) On receipt of an appeal, the Minister shall appoint any person that the Minister considers appropriate as a referee to hear and adjudicate on the appeal, and shall provide that person with

(a) the payment order or the notice of unfounded complaint; and

(b) the document that the appellant has submitted to the Minister under subsection 251.11(1).

   (2) A referee to whom an appeal has been referred by the Minister

(a) may summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things as the referee deems necessary to deciding the appeal;

(b) may administer oaths and solemn affirmations;

© may receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as the referee sees fit, whether or not admissible in a court of law;

(d) may determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the appeal to present evidence and make submissions to the referee, and shall consider the information relating to the appeal;

(e) may make a party to the appeal any person who, or any group that, in the referee's opinion, has substantially the same interest as one of the parties and could be affected by the decision.

                                    * * * * * * * * * *

(7) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain a referee in any proceedings of the referee under this section.


[11]            S'agissant de la norme de contrôle applicable, le juge Lemieux, dans la décision Gauthier c. Banque du Canada (2000), 191 F.T.R. 219, a défini le degré de déférence requis et le raisonnement de la cour à cet égard. Il résume en ces mots la norme de contrôle :

En résumé, la jurisprudence applicable montre clairement que le critère d'examen relatif aux erreurs de fait et de droit est le critère élevé, et même rigoureux, de l'erreur manifestement déraisonnable. Elle montre également que le critère moindre, c'est-à-dire le critère de justesse, s'applique lorsque les erreurs se rapportent à des dispositions qui définissent la compétence d'un arbitre.


[12]            Conséquemment, en ce qui a trait au fond de la décision de l'arbitre, la norme est celle de la décision manifestement déraisonnable. La conclusion voulant que Mme Press ne soit pas directrice n'a rien de déraisonnable, et encore moins de manifestement déraisonnable.

[13]            Il n'y a rien de manifestement déraisonnable dans le calcul du surtemps. L'arbitre a reconnu la difficulté d'estimer le surtemps effectué, et il a réduit de façon importante le temps supplémentaire alloué (plus de 50%) pour tenir compte de ses préoccupations quant à la fiabilité de l'estimation faite par Mme Press.

[14]            De plus, l'arbitre s'est fondé en partie sur la crédibilité des témoins, retenant le point de vue d'une personne plutôt que celui d'une autre. La Cour n'est pas en mesure de modifier ces conclusions, et ne devrait pas le faire.

[15]            Parmi les matières soulevées par la demanderesse, il n'y a que les questions de l'issue estoppel (préclusion) ou de la renonciation pour lesquelles la déférence ne s'impose pas. Ces questions touchent à la compétence de l'arbitre, car dans l'éventualité où Mme Press n'avait pas droit de présenter la réclamation, il s'en suivrait que l'arbitre n'avait pas le pouvoir de trancher cette question.

[16]            Le droit au temps supplémentaire est un droit prévu par la loi. Toute restriction quant à l'exercice de ce droit doit se retrouver dans la législation. Les principes de l'issue estoppel et de la renonciation invoqués par Allanport sont du domaine de la common law.


[17]            Dans l'arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l'Alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, la Cour suprême a établi que, au regard du Code, avoir recours à la common law n'ajouterait rien au contenu ou à l'effet de ce texte législatif, qui vise à instaurer un régime relativement complet et, à certains égards (comme en matière de représentation), un régime complet.

[18]            Le Code établit un régime complet en ce qui a trait aux droits relatifs au temps supplémentaire. Toute restriction quant à l'exercice de ce droit, tel le délai de présentation, est indiqué au Code. Aucune disposition du Code ne traite de l'issue estoppel, un principe lié, en quelque sorte, au délai de présentation.

[19]            De plus, il n'y a pas de preuve voulant qu'il ait eu sciemment renonciation au droit au surtemps. En conséquence, la Cour n'a pas à trancher si Mme Press avait la possibilité de renoncer à son droit au surtemps; en fait, pour la Cour, elle n'a jamais renoncé à ce droit.

[20]            En l'espèce, il est opportun d'adjuger des dépens à la défenderesse qui a dû revendiquer et défendre son droit au surtemps prévu par la loi.

                                                                                                                                                                                                                       

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2070-03

INTITULÉ :                                        942260 ONTARIO LIMITED EXERÇANT SON ACTIVITÉ SOUS LE NOM D'ALLANPORT TRUCK LINES, THOROLD (ONTARIO) c. MISTY PRESS

LIEU DE L'AUDIENCE :                              St. Catharines (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 15 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   le 6 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Guy Ungaro                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Barry Adams                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Guy Ungaro

Niagara Falls (Ontario)                          POUR LA DEMANDERESSE

Chown, Cairns

St. Catharines (Ontario)                                     POUR LA DÉFENDERESS

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