Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19980325

     Dossier : T-1410-96

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 25 MARS 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE JAMES A. JEROME

ENTRE :


LAWRENCE BICE,


requérant,


- et -


LE CONSEIL DES MISSISSAUGAS

DE NEW CREDIT,


intimé.


ORDONNANCE

     Sur demande de contrôle judiciaire d'une décision de l'intimé par laquelle il a refusé au requérant la permission d'installer une station-service dans une réserve indienne, après avoir lu les documents déposés, après avoir entendu les avocats des deux parties à Toronto (Ontario) le 2 décembre 1997 et pour les motifs d'ordonnance prononcés aujourd'hui,

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ que la demande soit rejetée.

                                     James A. Jerome
                                 _______________________
                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     Date : 19980325

     Dossier : T-1410-96

ENTRE :


LAWRENCE BICE,


requérant,


- et -


LE CONSEIL DES MISSISSAUGAS

DE NEW CREDIT,


intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Jerome

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par l'intimé, par laquelle il refusait au requérant la permission d'installer une station-service dans une réserve indienne, a été instruite devant moi à Toronto (Ontario) le 2 décembre 1997. Le requérant sollicite un jugement déclaratoire selon lequel sa station-service ne contrevient pas au règlement no 1996-01 pris par le Conseil des Mississaugas de New Credit. À la fin des plaidoiries, j'ai décidé de surseoir au prononcé du jugement.

[2]      Le requérant est membre de la Bande indienne des Mississaugas de New Credit et réside dans la Réserve indienne de New Credit no 40A, en Ontario. L'intimé est le gouvernement de la Réserve indienne des Mississaugas et est élu par les membres de la Bande indienne des Mississaugas de New Credit conformément à l'article 74 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

[3]      Le 2 novembre 1994, le requérant a acheté une parcelle de terrain dans la réserve pour y faire construire une station-service et vendre à la population des produits de l'essence. Au printemps 1995, le requérant a commencé à ériger sa station-service et en juillet 1995, il avait procédé à l'excavation et au nivellement du terrain et y avait mis pour environ 10 000 $ de gravelle. En juin 1995, le requérant a informé l'intimé qu'il construisait une station-service sur le terrain. Il lui a également demandé son autorisation de communiquer avec la Direction de la taxe sur les carburants et le tabac du ministère des Finances de l'Ontario pour obtenir des coupons exempts de taxe, afin de vendre de l'essence en franchise de taxe aux Indiens à cet endroit.

[4]      Le 11 juillet 1995, le premier conseiller de l'intimé a informé le requérant que l'intimé lui avait refusé sa permission de bâtir la station-service. À ce moment-là, aucun règlement en vigueur n'interdisait au requérant d'ériger et d'exploiter une station-service dans la réserve.

[5]      À l'été et au début de l'automne 1995, le requérant a installé des réservoirs d'essence et a bâti le kiosque en béton. En date du 7 novembre 1995, le requérant avait obtenu l'autorisation de la Direction de la sécurité des combustibles du gouvernement de l'Ontario de vendre de l'essence, sous réserve d'une dernière inspection. Le 2 novembre 1995, l'intimé a présenté une lettre à la Direction de la taxe sur les carburants et le tabac afin qu'elle ne délivre pas au requérant de permis de vente d'essence. En décembre 1995, le requérant a fait relier l'électricité à sa station-service, a rempli ses réservoirs d'essence et était prêt à entreprendre ses activités sous réserve de la dernière inspection de la Direction de la sécurité des combustibles. De décembre 1995 à février 1996, le requérant a présenté à la Direction de la sécurité des combustibles de fréquentes demandes pour qu'elle procède à la dernière inspection. Cependant, la Direction a toujours refusé en raison de la lettre de l'intimé.

[6]      Le 9 février 1996, l'intimé a approuvé un règlement de zonage pris conformément aux alinéas 81(1)g), h), q) et r) de la Loi sur les Indiens, qui interdisait l'exploitation d'une station-service sur ce terrain. Le sous-ministre des Affaires indiennes a approuvé ce règlement le 27 février 1996, jour où il est entré en vigueur.

[7]      Le 1er avril 1996, l'avocat du requérant a informé l'intimé que le requérant avait établi un usage dérogatoire au règlement de zonage et lui a demandé de donner désormais son autorisation. Le 6 juin 1996, le requérant a été avisé que l'intimé n'approuverait pas sa station-service parce qu'elle contrevenait au règlement pris le 9 février 1996.

[8]      À l'audience, l'intimé a admis que la construction du poste d'essence avait débuté avant que le règlement soit pris. Le poste d'essence contrevient actuellement au règlement. On ne sait pas très bien si le requérant vendait de l'essence avant la prise du règlement.

[9]      L'intimé a d'abord soutenu que le requérant n'est pas la partie qui doit présenter la présente demande, car son épouse, Irene Laforme, est la propriétaire du terrain. L'intimé lui a transféré le terrain en novembre 1995. Par conséquent, l'intimé fait valoir que le requérant n'est pas directement touché par l'objet de la demande et qu'il n'a donc pas qualité pour demander le contrôle judiciaire conformément au paragraphe 18.1(1) :

             18.1(1) Demande de contrôle judiciaire - Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.             

[10]      Bien que le requérant ne possède pas le terrain, ses gestes sont directement en cause. L'intimé est préoccupé par l'utilisation du terrain, plus précisément par la construction et l'exploitation d'une station-service dans un secteur qui n'est plus zoné à cette fin. Les seules communications sur la question ont eu lieu entre le requérant, l'intimé, leurs avocats et divers fonctionnaires gouvernementaux. La décision qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire visait le requérant. L'épouse du requérant est demeurée, au mieux, une associée discrète dans toute cette affaire. L'" objet " en litige réside dans l'utilisation du terrain par le requérant. Ce dernier est donc directement touché et devrait avoir le droit de demander réparation. Selon moi, le requérant a qualité pour demander le contrôle judiciaire.

[11]      La question de savoir si le requérant avait prouvé qu'il s'était servi du terrain pour la station-service avant la date d'entrée en vigueur du règlement constituait une autre question en litige mineure entre les parties. Bien que l'on s'interroge sur la question de savoir si le requérant avait vendu de l'essence à cette date, la conclusion selon laquelle la station-service n'était pas en exploitation n'est pas cruciale. Dans l'affaire Town of Richmond Hill v. Miller Paving Ltd., (1978) 22 O.R. (2d) 779 (H.C.J.) [ci-après intitulée Town of Richmond Hill], la cour a cité les décisions rendues dans Re Hartley and City of Toronto, (1924) 56 O.L.R. 433 (C.A.) [ci-après intitulée Hartley] et dans Central Jewish Institute v. City of Toronto, [1948] R.C.S. 101, dans lesquelles les propriétaires s'étaient empressés, dans les deux cas, de faire une utilisation minimale en vue d'un éventuel règlement restrictif. Dans les deux cas, la position du propriétaire a été maintenue. Dans Hartley, le juge Hodgins a statué à la page 435 :

             [TRADUCTION]             
             Si la possession est exercée dans les limites de la bonne foi et des fins pour lesquelles l'immeuble a été acquis, la loi devrait prévoir et, je crois, prévoit que l'utilisation est telle que l'envisage le texte de loi, l'immeuble étant soustrait à la restriction légale, et n'est pas affectée par un usage partiel et temporaire nécessité par un changement de propriétaire ou résultant d'un tel changement. Le critère de l'utilisation de bonne foi doit consister à déterminer si les gestes posés révèlent une intention véritable d'utiliser l'immeuble aux fins pour lesquelles il a été prévu et une utilisation réelle, dans la mesure où ces fins pouvaient être poursuivies à ce moment-là.             

Dans l'affaire Town of Richmond Hill, la cour s'est dite d'accord avec cet énoncé et a ajouté que [TRADUCTION] " tout doute quant à une utilisation antérieure devrait être résolu en faveur du propriétaire... " (page 782). Dans des affaires récentes, comme British Columbia Custom Car Assn. v. Mission (District) , (1990) 3 M.P.L.R. (2d) 278 (C.S. de la C.-B.) et Cowichan Valley (Regional District) v. Yole, (1988) 41 M.P.L.R. 78 (C.A.C.-B.), ces principes ont été acceptés.

[12]      Le requérant avait installé et rempli les réservoirs d'essence, érigé le kiosque en béton et branché l'électricité à la station. Ces gestes révèlent tous une intention véritable de se servir des lieux comme station-service. Bien que je n'aie pas de doutes sur l'utilisation, j'aurais tranché la question en faveur du requérant si j'en avais eu.

[13]      En l'espèce, la principale question en litige consiste à déterminer si le requérant a établi un usage dérogatoire avant l'entrée en vigueur du règlement. L'intimé prétend que le requérant n'a pas établi qu'il respectait la Loi sur la manutention de l'essence, L.R.O. 1990, ch. G.4, et qu'il n'a donc pas établi d'usage dérogatoire. Le requérant soutient que la loi provinciale ne s'applique pas aux terres d'une réserve et que son usage était légal et est survenu avant la prise du règlement.

[14]      Une étude de la jurisprudence révèle que les lois provinciales s'appliquent aux Autochtones et aux terres autochtones à moins qu'elles tombent sous le coup de certaines exceptions établies dans la jurisprudence. Dans Native Law, (cartable) (Toronto : Carswell, 1989), Woodward énonce ces exceptions ainsi :

     1)      les lois provinciales ne peuvent empiéter sur les droits des Indiens protégés par la Constitution;
     2)      les lois provinciales ne peuvent pas avoir de répercussions sur la " quiddité indienne ", à savoir le statut ou les capacités des Indiens;
     3)      les lois provinciales ne peuvent pas particulariser les Indiens pour leur accorder un traitement spécial;
     4)      les lois provinciales ne peuvent pas avoir de répercussions sur les droits fonciers des Indiens;
     5)      les lois provinciales sont assujetties aux lois fédérales.

[15]      Bien que l'on puisse soutenir que la quatrième exception devrait exclure l'application de la Loi sur la manutention de l'essence, je ne crois pas que l'on doive caractériser cette loi comme un texte législatif qui réglemente les droits fonciers des Indiens. Dans l'arrêt Cardinal c. Alberta (Procureur général), [1974] R.C.S. 695, le juge Martland, s'exprimant au nom de la majorité, a traité de l'application des lois provinciales aux Indiens et aux réserves indiennes à la page 703 :

             Une législature provinciale ne saurait légiférer relativement aux Indiens ou relativement aux réserves indiennes, ce qui est loin de dire que le par. (24) de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique, 1867, avait pour effet de créer des enclaves dans une province à l'intérieur des limites desquelles la législation provinciale ne pourrait pas s'appliquer. A mon avis, le critère concernant l'application de la législation provinciale dans une réserve est le même que celui qui concerne son application dans la province, c'est-à-dire, que la législation doit s'inscrire dans le cadre des pouvoirs énumérés à l'art. 92 et non porter sur des sujets exclusivement assignés au Parlement du Canada en vertu de l'art. 91. Deux de ces sujets sont les Indiens et les réserves indiennes, mais si une législation provinciale dans les limites de l'art. 92 n'est pas interprétée comme étant une législation relative à ces catégories de sujets (ou tout autre sujet visé par l'art. 91), elle est applicable partout dans la province, y compris les réserves indiennes, même si elle peut toucher les Indiens et les réserves indiennes. Le point que j'avance est que le par. (24) de l'art. 91 énumère des catégories de sujets à l'égard desquelles le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer, mais il ne vise pas à définir des secteurs d'une province dans lesquels le pouvoir d'une province de légiférer, qui serait autrement de sa compétence, doit être exclu.             

[16]      Pour suivre cette approche (adoptée tout récemment dans une affaire semblable dans Rempel Brothers Concrete Ltd. v. Chilliwack (District), (1994) 88 B.C.L.R. (2d) 209 (C.A.)), il faut s'attarder à la véritable portée de la loi. En l'espèce, il semble que la véritable portée touche la manutention sécuritaire de l'essence. Il est vrai que certaines dispositions du Gasoline Handling Code (adopté en tant qu'élément du règlement pris en vertu de la Loi sur la manutention de l'essence conformément au règlement de l'Ontario 521/93) prévoient, par exemple, à quelle profondeur le réservoir d'entreposage souterrain doit être enterré et auraient par conséquent un effet sur le terrain. Toutefois, ces effets sont accessoires à l'objectif principal de la loi, qui demeure la sécurité.

[17]      En outre, la présente affaire est semblable à R. v. Fiddler, (1993) 108 Sask. R. 5 (C.B.R.). La cour a alors statué que l'alinéa 15a) de la Prairie and Forest Fires Act, 1982 S.S. 1982-83, ch. P-22.1 s'appliquait à un Indien ayant allumé un feu à l'extérieur sans avoir pris de précautions suffisantes. La cour a cité, en l'approuvant, une observation du procureur général selon laquelle la disposition attaquée était [TRADUCTION] " manifestement le genre de disposition réglementaire qui contrôle le comportement et les activités des gens et non l'usage d'un terrain. Toute exigence selon laquelle il faudrait faire quelque chose au terrain pour observer la disposition est tellement accessoire qu'elle ne peut pas transformer la nature de la loi en loi sur l'usage du terrain " (page 15). De plus, la cour a fait observer qu'un incendie peut se répandre au-delà de la frontière de la réserve et endommager la vie et les biens de compétence provinciale. On peut tirer la même conclusion dans cette affaire parce qu'une fuite d'essence peut facilement se répandre au-delà des frontières de la réserve, notamment parce que la station-service du requérant se trouve tout juste à l'intérieur des frontières de la réserve. De même, la Loi sur la manutention de l'essence est une loi d'application générale qui traite de la manutention sécuritaire de l'essence et qui devrait s'appliquer dans une réserve indienne.

[18]      Il reste à déterminer si le requérant a convaincu la cour qu'il faisait un usage dérogatoire avant la date de l'entrée en vigueur du règlement (voir City of Toronto v. San Joaquin Investments Ltd. et al. (1978), 18 O.R. (2d) 730 (H.C.J.). Bien que le requérant n'ait pu bénéficier d'une dernière inspection parce que la présence d'un fonctionnaire de la Direction de la sécurité des combustibles dans la réserve n'a pu être autorisée, rien ne prouve que le requérant avait obtenu une certification pour l'une ou l'autre des exigences prévues à la Loi sur la manutention de l'essence. Les réservoirs d'entreposage, souterrains ou à la surface, doivent être certifiés conformément au Gasoline Handling Code. Cependant, rien n'établit l'existence d'une telle certification. Le dossier est dépourvu de preuves de quelque inspection que ce soit. Le requérant ne s'est pas acquitté de la charge de la présentation de la preuve nécessaire pour me convaincre de l'existence d'un usage dérogatoire qui le soustrairait à l'application de ce règlement.

[19]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                     James A. Jerome
                             ________________________________
                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER DE LA COUR :          T-1410-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          LAWRENCE BICE
                         c.
                         LE CONSEIL DES MISSISSAUGAS
                         DE NEW CREDIT
LIEU DE L'AUDITION :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDITION :              LE 2 DÉCEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUE PAR MONSIEUR LE JUGE JEROME

DATE :                      LE 25 MARS 1998

COMPARUTIONS :

Me LONNY BOMBERRY                  POUR LE REQUÉRANT
Me PETER QUINLAN                  POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

LONNY BOMBERRY                  POUR LE REQUÉRANT

OSHWEKEN (ONTARIO)

WATEROUS, HOLDEN, AMEY, HITCHON      POUR L'INTIMÉ

BRANTFORD (ONTARIO)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.