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Date : 20040329

Dossier : T-462-02

Référence : 2004 CF 474

ENTRE :

                                 NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC.

                                                              et NOVARTIS AG

                                                                                                                              demanderesses

                                                                          - et -

                                                        RHOXALPHARMA INC.

                                                 et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                       défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                             

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]                En vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), les demanderesses veulent obtenir une ordonnance de la Cour interdisant au ministre de la Santé de délivrer à RhoxalPharma (Rhoxal) un avis de conformité en vertu de la Loi sur les aliments et drogues à l'égard de ses capsules de 25 mg et de 50 mg de la drogue cyclosporine pour administration par voie orale (la capsule de Rhoxal) jusqu'à l'expiration d'un certain nombre de brevets canadiens, dont le brevet 1,308,656 (le brevet 656).

[2]                À l'audience relative à la demande, les parties ont convenu que seul le brevet 656 était en litige. Novartis AG est propriétaire du brevet 656 et Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. (Novartis) a obtenu un avis de conformité pour la commercialisation de ses produits pharmaceutiques de cyclosporine. Dans les présents motifs, la désignation Novartis s'applique aux deux demanderesses.

[3]                La demande de Novartis a été déposée après l'envoi par Rhoxal à Novartis, le 31 janvier 2002, d'un avis d'allégation portant que la capsule de Rhoxal ne contreferait pas le brevet 656. Rhoxal y déclarait :

[traduction] Le présent brevet vise et revendique des préparations pharmaceutiques contenant un hydrosol dont les particules contiennent de la cyclosporine comme ingrédient actif, ces particules ayant un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres et étant stabilisées de façon que leur distribution granulométrique demeure constante; ou la forme lyophilisée de cette préparation. Nous avons à notre disposition des capsules de cyclosporine sous forme de gel mou qui ne renferment pas d'hydrosol et, plus précisément, qui ne renferment pas l'hydrosol décrit et revendiqué dans le présent brevet. Par conséquent, étant donné qu'au moins un élément essentiel de chaque revendication ne se trouve pas dans notre produit, le brevet n'est pas contrefait. [Non souligné dans l'original.]

[4]                Les revendications 1 et 2 du brevet 656 sont ainsi conçues :

[traduction] 1. Une préparation pharmaceutique pour administration par voie intraveineuse, dont l'agent actif contient une cyclosporine, ladite préparation renfermant :

a)          soit un hydrosol, dont les particules contiennent ledit agent actif sous forme solide, ont un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres, et sont stabilisées de telle façon que leur distribution granulométrique demeure constante;


b)         soit la phase particulaire stabilisée de l'hydrosol ci-dessus sous forme sèche ou isolée.

2. Une préparation pharmaceutique dont l'agent actif contient une cyclosporine, ladite préparation renfermant :

a)         soit un hydrosol, dont les particules contiennent ledit agent actif sous forme solide, ont un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres, et sont stabilisées de telle façon que leur distribution granulométrique demeure constante;

b)         soit la phase particulaire stabilisée de l'hydrosol ci-dessus sous forme sèche ou isolée. [Non souligné dans l'original.]

[5]                Seul le texte introductif de la revendication 2 et le paragraphe a) de cette revendication sont en litige. La revendication 1 du brevet 656 n'est pas visée car le texte la limite à une préparation pharmaceutique pour administration par voie intraveineuse; or les capsules Rhoxal sont administrées par voie orale. De même, le paragraphe 2b) n'est pas en cause parce que la capsule de Rhoxal ne renferme pas la phase particulaire stabilisée de l'hydrosol sous forme sèche ou isolée. La capsule renferme une solution.

[6]                La question principale soulevée dans la présente procédure, au sujet de la portée de la revendication, est de savoir si la revendication 2a) du brevet 656 peut être interprétée comme embrassant un hydrosol qui, selon la description, est formé in situ, soit l'estomac humain, Novartis ne contestant pas que la capsule de Rhoxal, avant l'ingestion, ne renferme pas l'hydrosol décrit. Elle contient seulement une solution (la formulation de Rhoxal). Mais ce que dit Novartis, c'est que l'hydrosol décrit se formera nécessairement dans l'estomac humain après l'ingestion de la capsule de Rhoxal quand elle viendra en contact avec l'eau ou les autres liquides qui sont présents dans l'estomac humain. Par conséquent, le brevet sera contrefait.

[7]                Novartis soulève également la question de savoir si la variante substituée par Rhoxal touche une limite non essentielle et tombe de ce fait sous le coup du brevet en vertu de la théorie des équivalents.

[8]                Rhoxal a soulevé la question préliminaire de savoir si la doctrine de la chose jugée s'appliquait aux circonstances de la demande du fait qu'une procédure judiciaire antérieure entre les mêmes parties avait porté sur le même brevet et les mêmes capsules de cyclosporine de Rhoxal, quoique sous une forme posologique différente, de 100 mg.

LES PROCÉDURES ANTÉRIEURES

[9]                J'estime utile d'exposer les circonstances de la procédure antérieure relative à l'avis de conformité jugée par Madame la juge Tremblay-Lamer dans la décision 2001 CFPI 137. La juge a conclu que Novartis n'avait pas démontré que les capsules de cyclosporine de 100 mg de Rhoxal destinées à l'administration par voie orale contreferaient le brevet 656.

[10]            Elle a d'abord établi les principes applicables à l'interprétation des revendications du brevet, énoncés par la Cour suprême du Canada dans deux arrêts récents, soit Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067. Elle a ensuite appliqué ces principes aux faits qui lui étaient présentés.

[11]            Elle a rejeté l'argument de Novartis selon lequel le terme [traduction] « préparation pharmaceutique » employé à la revendication 2a) s'appliquait à un hydrosol formé in situ.


[12]            Elle est parvenue à cette conclusion en examinant la teneur de la revendication du brevet, la divulgation du brevet et le mémoire descriptif, et elle a déclaré au paragraphe 31 de ses motifs :

31 Je n'ai pu trouver nulle part dans le brevet une mention d'un hydrosol qui pourrait être formé après ingestion par le patient. Le brevet enseigne des variantes d'un procédé, exigeant une intervention humaine, aux fins de la fabrication d'une solution intraveineuse composée d'un hydrosol :

Une solution de l'agent actif dans un solvant miscible à l'eau, est mélangée avec, comparativement, une grande quantité d'eau. Le mélange est effectué de préférence rapidement de façon à activer la formation des particules en même temps et selon une distribution étroite. Le mélange rapide produit également un grand nombre de particules colloïdales. La taille des particules peut être fixée de façon durable en réduisant au minimum l'effet du solvant organique, solvant qui sera donc de préférence éliminé. L'élimination peut être effectuée par évaporation, p. ex. dans un évaporateur rotatif. On peut poursuivre l'évaporation de façon à faire évaporer également l'eau de l'hydrosol. Cela est effectué de préférence par lyophilisation, afin de faciliter la redispersion. Après l'évaporation complète de l'eau, un lyophilisat sec peut être obtenu, particulièrement avec la cyclosporine A, la gélatine, le mannitol et un additif acide. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Elle a poursuivi son analyse aux paragraphes 32, 33 et 34 :

32 La partie de la divulgation dans laquelle il est dit que les particules solides stables de cyclosporine sous une forme « qui est à ltat sec et peut être remise en suspension » sont visées par la portée de l'invention montre clairement que l'inventeur voulait que pareilles particules soient remises en suspension pour utilisation sous une forme applicable par voie intraveineuse.

33 Le brevet présente 12 exemples illustrant l'invention. Dans chacun d'entre eux, l'hydrosol est obtenu par une série d'opérations mécaniques, consistant à dissoudre l'agent actif dans un alcool, à ajouter de l'eau et à agiter. La préparation ainsi formée peut être injectée par voie intraveineuse. L'hydrosol ne se forme jamais spontanément, et ne se forme jamais in situ. Dans les exemples, l'administration par voie orale n'est pas envisagée.

34 Il n'est fait mention nulle part dans la divulgation ou dans les revendications de brevet d'un hydrosol se formant in situ. L'absence de pareille mention dans ce qui constitue par ailleurs une description complète de l'hydrosol, de ses avantages, de ses emplois et du procédé par lequel il est fabriqué permet de conclure que le brevet ne s'applique pas à une préparation pharmaceutique ingérée qui forme un hydrosol in situ. [Non souligné dans l'original.]

[14]            À la fin, elle a interprété la revendication 2 de la manière suivante :

35 La deuxième revendication ne dit rien au sujet des modalités d'administration et elle ne peut donc pas être limitée aux préparations pharmaceutiques destinées à être administrées par voie intraveineuse, mais je suis convaincue qu'un examen contextuel du brevet peut uniquement nous amener à conclure qu'il s'applique aux solutions avant l'ingestion. [Non souligné dans l'original.]

[15]            Elle a alors traité de l'arrêt de la Chambre des lords dans l'affaire Beecham Group Ltd. c. Bristol Laboratories Ltd., [1978] R.P.C. 153 (H.L.), que Novartis avait cité, pour conclure :

36 Les demanderesses affirment que la décision Beecham Group Limited est déterminante. Dans la décision Beecham, le brevet s'appliquait à de l'ampicilline. Le médicament de la défenderesse, l'hétacilline, se transformait en ampicilline lorsqu'il était ingéré. La Chambre des lords a statué que l'on stait attribué l'essence du brevet de la demanderesse puisque l'hétacilline n'avait pas en soi d'activité antibactérienne. Sa seule valeur en tant qu'agent antibactérien découlait du fait qu'elle se transformait en ampicilline.

37 La présente affaire est différente sur plusieurs points importants. Comme l'a souligné la défenderesse, ce n'est pas la valeur de la cyclosporine dont il faut tenir compte, mais celle de l'hydrosol. L'invention des demanderesses vise à fournir un hydrosol de petites particules stables d'un agent à action pharmacologique pour administration par voie intraveineuse. De toute évidence, tel n'est pas le but du produit de la défenderesse qui est administré par voie orale. Bref, les comprimés de la défenderesse n'accomplissent pas « essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat » que l'invention des demanderesses.

39 Pour les motifs susmentionnés, les demanderesses n'ont pas réussi à démontrer que les comprimés de la défenderesse constituent une contrefaçon de son brevet. Les procédures relatives à l'avis de conformité sont donc rejetées. [Non souligné dans l'original.]

[16]            Novartis a interjeté appel de la décision de la juge Tremblay-Lamer auprès de la Cour d'appel fédérale, mais avant que l'appel puisse être entendu, le ministre de la Santé (le ministre) a délivré à Rhoxal un avis de conformité à l'égard de ses capsules de 100 mg.

[17]            Rhoxal a alors saisi la Cour d'appel fédérale d'une requête visant à faire rejeter l'appel de Novartis au motif qu'il était maintenant sans objet, vu la délivrance de l'avis de conformité.

[18]            Novartis s'est opposée à la requête. Parmi les arguments soulevés, elle a allégué que l'appel n'était pas sans objet parce que Rhoxal pourrait ultérieurement demander la délivrance d'autres avis de conformité à l'égard de différentes formes posologiques et s'appuyer sur la décision de la jugeTremblay-Lamer pour étayer d'éventuelles procédures en matière d'avis de conformité.

[19]            Dans le mémoire écrit que Rhoxal a déposé devant la Cour d'appel, elle a abordé l'argument de Novartis au sujet d'éventuels avis de conformité à l'égard d'autres formes posologiques que les capsules de 100 mg et des éléments de preuve requis pour justifier des avis d'allégation de Rhoxal dans le cas où de nouvelles procédures relatives à des avis de conformité seraient engagées. Rhoxal a écrit :

[traduction]

7.         ... Chacune de ces questions serait nécessairement soumise à l'examen minutieux d'une cour de justice qui recevrait de nouvelles preuves pertinentes. Ainsi, il ne convient pas que le tribunal anticipe sur ces affaires.

                                                    . . .

15.        Quoi qu'il en soit, advenant le dépôt d'autres procédures relatives à des avis de conformité, celles-ci seront tranchées sur le fondement de la preuve présentée devant le tribunal au moment du dépôt. Que Novartis obtienne ou non gain de cause, un appel dans la présente affaire n'empêcherait pas RhoxalPharma d'envoyer d'autres avis d'allégation ou Novartis d'y répondre par des procédures prévues pour les avis de conformité. [Non souligné dans l'original.]

[20]            Le 28 novembre 2001, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel de Novartis au motif de l'absence d'objet.

[21]            Je rappelle deux autres procédures entre Novartis et Rhoxal qui concernent la capsule de Rhoxal.

[22]            Dans la première, Rhoxal a cherché à faire rejeter la présente demande au motif de la chose jugée, de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige et de l'abus de procédure. À l'audience, Rhoxal n'a fait valoir que l'abus de procédure. J'ai été saisi de cette requête et l'ai rejetée dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. et al. c. RhoxalPharma Inc. et al. 2002 CFPI 742, essentiellement pour les raisons suivantes :

35 Je suis d'avis que la demande de Novartis déposée le 18 mars 2002 n'est pas un abus de procédure et qu'elle ne doit donc pas être rejetée en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement.

36 Les circonstances entourant la demande déposée par Novartis sont uniques et ont pris naissance lorsque Rhoxal a réussi à faire rejeter, pour absence d'objet, l'appel interjeté par Novartis contre la décision du juge Tremblay-Lamer.

37 Je rappelle que, dans cette instance devant la Cour d'appel fédérale, Rhoxal a dit que si elle déposait de nouveaux avis d'allégations pour différents dosages de ses capsules de cyclosporine, Novartis pourrait répondre au moyen de nouvelles preuves dans une instance relative à un avis de conformité.

38 La demande de Novartis que Rhoxal cherche à faire radier est une réponse aux nouveaux avis d'allégation de Rhoxal à lgard des capsules de cyclosporine de 25 mg et de 50 mg. Dans les circonstances, la demande de Novartis ne peut être vexatoire pour Rhoxal, injuste à son égard et elle ne peut discréditer l'administration de la justice.

[23]            RhoxalPharma n'a pas interjeté appel de cette décision.

[24]            Deuxièmement, dans un autre contexte, Novartis a déposé une action en contrefaçon de brevet contre RhoxalPharma. Elle prétendait que RhoxalPharma, en commercialisant ses capsules de 100 mg, avait contrefait le brevet 656 de Novartis. Rhoxal a présenté une requête pour obtenir un jugement sommaire en se fondant sur la décision de la juge Tremblay-Lamer.

[25]            Cette requête a été rejetée en partie par le juge Martineau, au motif que la question de savoir si la variante réalisée par Rhoxal concernait une limite non essentielle et se trouvait donc dans la portée du brevet en vertu de la théorie des équivalents, ne soulevait pas vraiment une véritable question litigieuse. (Voir le dossier T-1158-01, 19 septembre 2002, CFPI.)

LES FAITS

[26]            Il n'y a pas de différend réel à l'égard de certains faits.

[27]            La cyclosporine est un médicament utile comme agent immunosuppresseur dans le traitement des patients qui ont subi une transplantation; le médicament aide à prévenir le rejet du greffon.

[28]            La cyclosporine est peu soluble dans l'eau et est donc instable et difficile à formuler de manière à assurer une absorption optimale dans le corps humain.


[29]            Le brevet 656 concerne une formulation; il revendique une préparation pharmaceutique à base de cyclosporine sous la forme d'un hydrosol. L'invention revendiquée par le brevet concerne la création d'une méthode d'administration de l'ingrédient actif, la cyclosporine. Cette méthode d'administration consiste en un hydrosol possédant des caractéristiques particulières : la mise en suspension d'une dispersion dans un milieu aqueux constitué de fines particules solubles stabilisées (de 1 à 10 000 nanomètres) de l'ingrédient actif, la cyclosporine (hydro signifiant eau et sol, solide).

[30]            La fine taille des particules solubles de cyclosporine améliore son absorption dans le corps humain, ce qui augmente en général l'efficacité du médicament.

[31]            Le prédécesseur de Novartis Canada, Sandoz Canada, a mis sur le marché en 1984 sa première forme posologique orale de cyclosporine; il s'agissait d'une solution buvable.

[32]            Puis, en 1987, les capsules SANDIMMUNE ont été commercialisées.

[33]            Un des déclarants pour le compte de Novartis dans la présente instance, Andreas Orfanos, reconnaît qu'en dépit de sa grande utilité comme moyen de prévenir les rejets de greffons, la solution orale et les capsules SANDIMMUNE présentaient de graves inconvénients liés à la faible biodisponibilité de la cyclosporine administrée. De plus, la variabilité de la concentration de cyclosporine dans la circulation sanguine d'un patient à l'autre de même que chez un même patient est assez grande.


[34]            M. Orfanos a indiqué dans son affidavit que pour résoudre ces problèmes, Novartis a mis au point une préparation améliorée de cyclosporine, soit une nouvelle formulation qui produisait une micro-émulsion lorsqu'elle était administrée, c.-à-d. lorsqu'elle était ajoutée à de l'eau ou au contenu de l'estomac. Ce produit a été introduit au Canada en 1995 et vendu sous le nom de NEORAL. Selon M. Orfanos, NEORAL constituait une nette amélioration par rapport à SANDIMMUNE.

[35]            Il n'y a pas de désaccord entre les parties quant à la façon, à tout le moins en théorie, dont l'hydrosol est formé.

[36]            Il y a deux étapes de base dans la préparation de la formulation qui, lorsqu'elle est ajoutée à de l'eau, peut créer un hydrosol.

[37]            La première étape est la préparation de la solution. Celle-ci consiste en cyclosporine qui est d'abord dissoute dans un solvant, tel que l'éthanol, auquel sont ajoutés un surfactant, un agent de stabilisation et un composé pour aider à dissoudre la capsule si c'est la forme posologique utilisée.

[38]            L'étape suivante consiste à mélanger la solution avec de l'eau pour obtenir un système opalescent fin; autrement dit, des particules sont formées et restent en suspension dans le liquide. Les particules sont stabilisées en ce sens qu'elles ne grossissent pas et que leur distribution ne change pas les unes par rapport aux autres. Lorsque la forme posologique est une solution, le patient mélange la solution dans un verre d'eau conformément aux instructions du fabricant et boit la micro-émulsion. Si le médicament se présente sous la forme d'une capsule, le contact avec l'eau se produit dans l'estomac, où l'hydrosol est formé.


[39]            L'ingrédient actif est ensuite libéré lentement et absorbé dans la circulation sanguine, où l'effet bénéfique du médicament est ressenti.

LA PREUVE

[40]            Les deux parties ont produit des témoignages d'experts qui visaient essentiellement à atteindre deux objectifs différents. La première série d'affidavits décrit les expériences de laboratoire menées dans le but de déterminer si, après le mélange avec de l'eau, la formulation de Rhoxal créait un hydrosol ayant les caractéristiques précises définies dans le brevet 656. La deuxième série d'affidavits avait trait à la bonne interprétation du brevet et à la théorie des équivalents.

a)         La capsule de Rhoxal crée-t-elle un hydrosol lorsqu'elle est ingérée?

[41]            Comme il a été mentionné, les deux parties ont effectué des expériences de laboratoire in vitro, mais non in vivo, pour tenter de répondre à la question.


[42]            Novartis a présenté un témoignage par affidavit de Michael Ambühl, titulaire d'un doctorat de l'Institut fédéral de technologie à Zurich, en Suisse. Entre avril 1995 et février 1997, il a été engagé comme étudiant de niveau postdoctoral chez Sandoz (devenue Novartis), au service des systèmes d'administration de médicaments. Depuis 1997, il est employé à temps plein chez Novartis et y occupe le poste de directeur de laboratoire pour le service des systèmes d'administration de médicaments.

[43]            Le but de son affidavit, daté du 16 avril 2002, était de confirmer un affidavit précédent souscrit le 17 septembre 1999, qui avait été produit dans la procédure devant la juge Tremblay-Lamer. Cet affidavit décrivait les tests que le M. Ambühl avait effectués. Il visait en second lieu à répondre à certaines critiques relativement à cette expérience formulées par M. Louis Cartilier qui, au nom de Rhoxal, avait également produit un témoignage d'expert dans la procédure devant la juge Tremblay-Lamer.

[44]            Pour mener son expérience en 1998, M. Ambühl avait reçu les spécifications exactes des ingrédients contenus dans la formulation de la solution de Rhoxal qui serait conditionnée dans la capsule de Rhoxal. Ces spécifications avaient été transmises par le fournisseur américain de Rhoxal de l'époque, EON. M. Ambühl a préparé la solution, l'a mélangée avec de l'eau et a observé la formation du système opalescent qui, après examen à l'aide d'un appareil de diffusion de la lumière laser, a été défini comme des particules dans un milieu aqueux.


[45]            Comme l'émulsion ne s'était pas déposée, M. Ambühl en a placé une partie dans une centrifugeuse pour tubes à essai, a obtenu une précipitation, l'a séchée et l'a soumise à un examen au microscope électronique d'un certain type. Il a affirmé avoir observé des particules sphériques solides qui ont été analysées plus à fond et qui, après analyse subséquente, se sont révélées être des particules solides de cyclosporine A. À la suite de cette expérience, il a terminé le mélange de la formulation de Rhoxal, obtenant une fine suspension de particules sphériques de cyclosporine A d'un diamètre moyen d'environ 200 nm, la suspension étant stable mais ne se déposant pas facilement. Il a conclu que les particules étaient des particules d'hydrosol et qu'à son avis, un hydrosol se formerait lorsque les capsules de RhoxalPharma seraient ingérées.

[46]            Pour réfuter le témoignage de M. Ambühl, RhoxalPharma a produit l'affidavit de M. Harry Brittain, daté du 1er août 2002. M. Brittain a obtenu en 1975 un doctorat en chimie physique de la City University of New York. Il est actuellement directeur du Centre for Pharmaceutical Physics, travaillant dans le domaine de la physique pharmaceutique et de la pharmacie physique, plus particulièrement dans celui de la préformulation, de la conception des formulations et de la caractérisation des produits. De 1979 à 1985, il était professeur agrégé à la Seton Hall University. De 1985 à 1994, il a travaillé au Bristol-Myers Squibb Pharmaceutical Research Institute et, par la suite, jusqu'en 1999, il a été vice-président au développement pharmaceutique et chimique de Discovery Laboratories Inc. et responsable de certains aspects du développement des médicaments et de la gestion de toutes les activités de développement analytique, pharmaceutique et chimique.

[47]            Dans des expériences distinctes, M. Brittain a dispersé le contenu d'une capsule de 100 mg de la formulation de Rhoxal dans de l'eau distillée ou dans un autre milieu aqueux tel que 0,1 N HCL (HCL) ou un liquide gastrique simulé (LGS). M. Ambühl avait également analysé la formulation de Rhoxal dans le HCL et le LGS.


[48]            Après le mélange de la formulation de Rhoxal dans de l'eau, du HCL ou du LGS, une dispersion trouble s'est formée. M. Brittain a extrait une petite quantité de cette dispersion trouble et l'a examinée au microscope optique à balayage (MOB). Il est arrivé aux conclusions suivantes :

[traduction]

1. La substance trouble ne renfermait aucune particule solide. Ce qu'il a observé, ce ntaient pas des particules mais plutôt des globules liquides.

2. La distribution granulométrique cumulative dans sa pièce 11 [dossier des demanderesses, page 464] a révélé que la dispersion trouble contenait une quantité importante de globules dont la taille était supérieure à 10 microns, dépassant ainsi la taille maximale des particules précisée dans le brevet 656.

3. Les globules liquides étaient instables; leur taille a augmenté au cours d'une période d'observation de trois heures.

[49]            M. Brittain a été contre-interrogé après le dépôt d'un contre-affidavit. Les résultats du contre-interrogatoire et du contre-affidavit seront abordés plus loin.

[50]            Rhoxal, en preuve principale, a également déposé l'affidavit en réponse de M. Louis Cartilier, titulaire d'un doctorat en sciences pharmaceutiques, de l'Institut de pharmacie de l'Université Libre de Bruxelles. M. Cartilier enseigne la pharmacie à la Faculté de pharmacie de l'Université de Montréal. Bien que l'affidavit de M. Cartilier cherche essentiellement à déterminer si un hydrosol formé in situ est une préparation pharmaceutique au sens du brevet 656, il a présenté un certain nombre d'arguments sur la question de savoir si la formulation de Rhoxal pourrait mener à la création d'un hydrosol après l'ingestion de la capsule de Rhoxal.


[51]            Il a critiqué l'expérience de M. Ambühl car, selon lui, ce dernier n'a pas suivi exactement les étapes de la fabrication de la formulation de Rhoxal. Au lieu de dissoudre la cyclosporine dans un solvant à base d'éthanol avant de la mélanger aux autres ingrédients, il a mêlé tous les ingrédients ensemble.

[52]            Il a déclaré que les résultats d'une expérience in vitro n'étaient pas une preuve des résultats in vivo.

[53]            Il était d'avis que la formulation de Rhoxal était une formulation à base d'huile similaire à la formulation du produit de Novartis vendu sous la marque de commerce SANDIMMUNE. Il a ensuite fait référence aux articles scientifiques publiés par des chercheurs de Sandoz et à d'autres articles et a conclu que la génération spontanée in situ d'un hydrosol après l'ingestion d'une formulation de cyclosporine à base d'huile n'était pas possible. Il a indiqué que les expériences présentées dans l'affidavit de M. Ambühl révèlent la présence de gouttelettes de liquide contenant de la cyclosporine, c.-à-d. un système dispersé d'huile en eau ou une émulsion, et ne démontraient pas l'existence d'un hydrosol ou d'une suspension de particules solides dans un milieu aqueux. M. Cartilier a été également contre-interrogé et je traiterai ce contre-interrogatoire plus loin.

[54]            Novartis a été autorisée à déposer une contre-preuve. L'un de ses deux déclarants en contre-preuve était M. David E. Bugay, qui a obtenu un doctorat en chimie physique de l'University of Vermont en 1987. Avant son emploi actuel comme vice-président à la chimie analytique chez SSCI Inc., société où il travaille depuis mars 1998, il travaillait au Bristol-Myers Squibb Pharmaceutical Research Institute.

[55]            L'affidavit en réponse de M. Bugay visait deux fins : formuler des commentaires sur les affidavits de MM. Brittain et Ambühl et décrire les expériences qu'il avait effectuées. M. Bugay n'a pas été contre-interrogé.

[56]            Traitant du premier aspect de son affidavit en réponse et se limitant à un examen des affidavits Brittain et Ambühl, M. Bugay a conclu que les résultats des expériences que ceux-ci ont menées n'étaient pas contradictoires, simplement parce qu'elles n'ont pas porté sur la même série de particules qui avaient été formées après le mélange de la formulation de Rhoxal dans l'eau.

[57]            M. Bugay a déclaré que, même si les expériences de M. Brittain, à la pièce 11, mettaient en évidence l'existence de particules dont la taille variait entre 100 et 500 nm, il n'a pas examiné ces particules.

[58]            M. Bugay a indiqué que M. Brittain n'avait pas recherché les particules que M. Ambühl avait dit être présentes dans le système opalescent. M. Brittain ne les a pas trouvées parce qu'il ne les a pas recherchées. M. Bugay était d'avis que la conclusion de M. Brittain, à savoir qu'aucune particule solide n'était formée, n'était pas défendable.


[59]            Selon M. Bugay, si une partie du système opalescent était sous la forme de particules solides, telle que décrite dans le brevet 656, alors que d'autres parties ne l'étaient pas, on resterait toujours dans les limites de la revendication 2 du brevet 656. À son avis, tout ce que M. Brittain a fait a été simplement de dire qu'une partie du système opalescent n'avait pas formé de particules solides et qu'il n'y avait donc pas d'hydrosol dans le brevet. M. Bugay rejette cette interprétation.

[60]            Le deuxième aspect de l'affidavit de M. Bugay consistait à décrire ses deux expériences au microscope électronique à balayage environnemental (MEBE), qui visaient à déterminer si le système opalescent contenait des particules solides. Il a dit avoir choisi le MEBE car cela lui permettait d'obtenir une image des petites particules dans la fourchette des 200 à 500 nm, le cas échéant.

[61]            Dans sa première expérience, M. Bugay a placé le contenu d'une capsule de cyclosporine de 100 mg de RhoxalPharma dans 200 ml de HCL. La solution a été agitée pendant environ 10 minutes dans l'eau. Un petit aliquot a ensuite été placé dans le support du microscope électronique à balayage et des images ont été obtenues.

[62]            Dans sa deuxième expérience, M. Bugay a placé toute la capsule de 100 mg, avec sa tunique, dans 200 ml de HCL, puis a effectué les autres étapes décrites dans la première expérience.

[63]            Il a conclu ce qui suit aux paragraphes 31 et 32 de son affidavit :

[traduction]

31.        L'examen des deux solutions au microscope électronique à balayage a révélé que la solution de 0,1 N HCL contenait de petites particules de 100 à 500 nm. Les pièces B et C sont des images représentatives des petites particules visibles au microscope électronique à balayage qui ont été obtenues lorsque le contenu de la capsule ou la capsule de cyclosporine de 100 mg est ajoutée à 0,1 N HCL, respectivement. Ces images confirment qu'une particule solide est présente dans la fourchette de dimensions examinée par M. Ambühl.


32.        Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que lorsque les capsules de RhoxalPharma sont ajoutées à une solution de 0,1 N HCL, des particules solides d'hydrosol dans la fourchette de dimensions de 100 à 500 nm, c.-à -d. du type décrit dans le brevet 656, sont formées.

[64]            Encore une fois, comme nous l'avons indiqué, M. Bugay n'a pas été contre-interrogé sur l'un ou l'autre de ses affidavits.

[65]            L'autre déclarant de Novartis à produire un affidavit en réponse a été M. McGinity, dont je n'ai pas encore décrit les titres et qualités, car l'argument central de la preuve soumise dans son affidavit concernait l'interprétation du brevet, question que nous aborderons plus loin. Toutefois, il a traité de certains aspects liés à la formation d'un hydrosol.

[66]            En bref, M. McGinity n'était pas de l'avis de M. Cartilier selon lequel l'utilisation de LGS ou de HCL n'était pas une représentation fidèle de ce qui arriverait in vivo dans l'estomac humain. Il a déclaré qu'il était pratique courante dans l'industrie pharmaceutique d'utiliser du HCL ou du LGS pour simuler in vitro ce qui arrive à une formulation pharmaceutique dans l'estomac humain in vivo. Il a indiqué que l'utilisation de ces fluides est connue et acceptée par les autorités réglementaires telles que l'USFDA et que la United States Pharmacopeia énumère plusieurs monographies de produits qui contiennent du HCL et du LGS comme milieu de dissolution et de désintégration utilisé par divers producteurs de médicaments.


[67]            M. McGinity rejetait la suggestion faite par M. Cartilier selon laquelle on aurait dû effectuer un test réel in vivo sur un humain en extrayant un échantillon du contenu de l'estomac après l'ingestion de la capsule de Rhoxal. Selon lui, une telle procédure était inutile et requerrait un protocole d'essai détaillé qui ne serait pas approuvé par le comité de révision déontologique d'un établissement qualifié.

[68]            Il a critiqué l'idée de M. Cartilier selon laquelle la formulation de Rhoxal était à base d'huile. Il a indiqué qu'aucun des constituants de Rhoxal n'est de l'huile. Et surtout, il a déclaré que ce qui semble se passer lorsque la formulation de Rhoxal est ajoutée à de l'eau est précisément ce qui est enseigné à la page 10 du brevet 656, où on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Les nouvelles formes d'hydrosol peuvent en particulier être préparées de la façon suivante : une solution de l'ingrédient actif dans un solvant qui est miscible dans l'eau, c.-à -d. dans l'alcool, p. ex. lthanol ou l'isopropanol, ou dans l'acétone, est mélangée avec une quantité relativement importante d'eau, dans des conditions permettant la création d'un hydrosol.

[69]            À la lumière de cet enseignement tiré du brevet 656, il a déclaré qu'une façon de fabriquer un hydrosol est de dissoudre de la cyclosporine dans un ou plusieurs solvants organiques et d'ajouter la cyclosporine solubilisée dans une grande quantité d'eau. Il a indiqué que chacun des ingrédients de la formule de Rhoxal, y compris le surfactant, était soluble. Dans son affidavit en réponse, M. McGinity a abordé certaines des affirmations de M. Brittain relativement à la stabilité de la distribution granulométrique dans le système opalescent que je n'ai pas à décrire, compte tenu de ce qui est survenu au cours du contre-interrogatoire de M. Brittain.

[70]            RhoxalPharma a obtenu l'autorisation de produire les contre-affidavits de MM. Brittain et Cartilier pour réfuter les affidavits en réponse de MM. Bugay et McGinity.

[71]            M. Brittain a présenté des observations au sujet de l'affidavit de M. Bugay. Il a concédé deux points. Premièrement, il a admis volontiers que la plus petite particule qu'il pouvait visualiser avec le microscope qu'il utilisait avait environ un micron de diamètre, mais il a ajouté : [traduction] « J'ai vu cependant un grand nombre de globules liquides beaucoup plus gros et n'ai jamais vu ce qui pourrait être caractérisé comme une particule solide. » Il a aussi concédé que M. Bugay avait raison de dire qu'il n'avait pas abordé la question de savoir si la particule de la taille présente dans sa pièce 11 était solide ou non. [traduction] « Mes expériences ne me permettraient pas toutefois d'obtenir ce genre d'information » et il a ajouté « il convient de noter que la demanderesse n'a pas non plus effectué d'expériences déterminantes qui répondaient à cette question » .

[72]            Tout au long de son affidavit, M. Brittain rejette la déclaration de M. Bugay que M. Ambühl a trouvé des particules solides. À son avis, M. Ambühl n'a jamais démontré la présence de particules colloïdales solides en suspension.

[73]            Le dernier argument majeur présenté par M. Brittain a été de critiquer l'examen au MEB qu'il trouvait inapproprié parce que ce type d'examen exige une longue préparation de l'échantillon, ce qui empêche de découvrir ce qui s'est vraiment passé dans les dispersions originales de la formulation de Rhoxal.


[74]            M. Cartilier a contesté l'affidavit en réponse de M. McGinity. Il n'a pas critiqué le contre-affidavit de M. Bugay. Son principal argument était l'hésitation de M. McGinity à accepter sa caractérisation de la formulation de Rhoxal comme étant une formulation à base d'huile. Il a indiqué que ce qui fait que cette formulation est une « formulation à base d'huile » est la présence d'un ingrédient, le surfactant, qui est dérivé d'une huile végétale, agent de solubilisation et émulsifiant qui comprend des constituants hydrophobes et hydrophiles et est couramment utilisé pour stabiliser les systèmes micellaires de médicaments peu hydrosolubles comme la cyclosporine. Il renvoie à des articles spécialisés sur la question. Il contestait le fait que l'ingrédient était un solvant organique et que le 0,1 N HCL ou LGS était utilisé pour simuler un changement dans la structure physique (par exemple, la formation d'un hydrosol) qui pourrait survenir dans l'estomac.

b)          La preuve relative à l'interprétation du brevet

[75]            Novartis a produit une preuve abondante, par l'entremise de MM. Ambühl et McGinity, indiquant comment la revendication 2a) du brevet 656 devait être interprétée, preuve qui, aux dires des demanderesses, n'a pas été présentée à la juge Tremblay-Lamer à cause de la façon dont s'est déroulée la procédure qu'elle présidait: sur ce point, il semble qu'elle avait uniquement en main le témoignage de M. Cartilier. Je résume le témoignage de M. Ambühl.

i)          Le témoignage par affidavit de M. Ambühl

[76]            Comme je l'ai mentionné, l'objectif de l'affidavit de M. Ambühl était également de répondre à certaines des critiques de M. Cartilier concernant la façon dont il a mené son expérience en 1998.

[77]            Tout d'abord, M. Ambühl a déclaré que M. Cartilier a indiqué, dans l'affidavit présenté à la juge Tremblay-Lamer, que, parce qu'un hydrosol pouvait se former dans l'eau ordinaire, il ne s'agissait aucunement d'une preuve des résultats réels in vivo. M. Ambühl a répondu qu'à la lumière de son expérience et de ses travaux de laboratoire avec la cyclosporine, [traduction] « il est juste de dire qu'une démonstration de la formation d'un hydrosol dans l'eau ordinaire reproduirait ce qui survient à la capsule dans l'estomac » (dossier de la demande des demanderesses, volume 1, page 164). Il a ajouté qu'il a effectué lui aussi des expériences similaires non seulement dans l'eau mais dans du liquide gastrique simulé d'UPS et dans un autre environnement acide, c'est-à-dire du HCL, et que les résultats étaient essentiellement les mêmes.

[78]            M. Cartilier a critiqué la façon dont M. Ambühl a mené son expérience et, en particulier, le fait qu'il n'a pas suivi les instructions détaillées d'EON pour la dissolution de la cyclosporine dans l'éthanol avant son mélange avec d'autres agents pour produire la formulation de Rhoxal. M. Ambühl a déclaré que la formulation a été préparée en mélangeant les ingrédients et en les agitant à fond. Pour ce qui est des deux agents, il a indiqué qu'il les avait réchauffés pour les liquéfier avant de les mélanger avec les autres constituants de la formulation de Rhoxal. Il a conclu qu'il n'y avait aucun écart par rapport aux instructions de RhoxalPharma.


[79]            M. Ambühl a déclaré que M. Cartilier avait indiqué, dans l'affidavit qu'il a soumis à la juge Tremblay-Lamer, que la revendication 2 du brevet 656 prétendait revendiquer seulement les préparations pharmaceutiques qui ont été obtenues au moment de la fabrication et qu'après l'ingestion par le patient, ce qui arrive à la préparation est assimilable à l'administration de l'ingrédient actif et non pas à un processus continu de préparation. Pour ces raisons, M. Cartilier a rejeté l'idée même que le brevet 656 pourrait être contrefait par ce qui arrive à la capsule une fois qu'elle est ingérée par le patient (dossier de demande des demanderesses, volume 1, page 164, paragraphe 7).

[80]            M. Ambühl n'était pas d'accord avec ces observations, indiquant ce qui suit (dossier de demande des demanderesses, volume 1, page 165) :

[traduction]

8.         [...] Une préparation pharmaceutique veut dire un certain nombre de choses pour une personne versée dans l'art. Une préparation pharmaceutique renvoie à cet égard à ce qui est fini au moment de la fabrication et est expédié. Il existe cependant un certain nombre d'autres préparations pharmaceutiques. Par exemple, une préparation pharmaceutique peut être transformée en une seconde préparation pharmaceutique et même peut-être en une troisième, à la suite de l'intervention de personnes autres que le fabricant.


[81]            M. Ambühl a donné l'exemple d'une préparation pharmaceutique comme l'amoxicilline vendue par le fabricant sous forme de poudre. Il a fait remarquer que ce produit n'était pas encore sous la forme qui peut être prise par le patient, ce qui arrive généralement lorsque le pharmacien fabrique une autre préparation pharmaceutique en ajoutant une quantité appropriée d'eau à la poudre et en agitant le produit de façon à former une suspension. Selon M. Ambühl, c'est ce produit qui est vendu au patient par le pharmacien et ce produit se présente sous une forme différente de celle de la préparation pharmaceutique qui a été expédiée par le fabricant. Il a ajouté que lorsque le patient vient pour prendre le produit, celui-ci peut s'être déposé et ne se présente donc plus sous la forme d'une suspension mais plutôt d'une solution avec agrégation de certaines des particules au fond de la bouteille. Le patient crée, selon lui, une autre préparation pharmaceutique en l'agitant et en recréant ainsi la suspension.

[82]            M. Ambühl a cité un autre exemple, Neo-Citran, produit de Novartis qui est expédié sous forme de sachets en pellicule d'aluminium. Le produit n'est pas censé être pris sous forme de poudre, qui est considérée comme une préparation pharmaceutique. Une autre préparation pharmaceutique est préparée par le consommateur par l'ajout d'une quantité relativement importante d'eau bouillante.

[83]            Il a également mentionné le produit NEORAL de Novartis, vendu sous la forme d'un liquide buvable de même que sous la forme d'une capsule, et a déclaré ce qui suit :

[traduction]

13.         [...] Pour ce qui est de la préparation liquide buvable, le produit qui est vendu par Novartis n'est pas censé être pris sous cette forme. Ainsi, bien qu'il soit vendu par Novartis, le produit est une préparation pharmaceutique, il n'est pas encore sous la forme sous laquelle il doit être administré et absorbé par le patient. En particulier, les instructions qui accompagnent la solution buvable NEORALMD indiquent que le produit devrait être pris avec du jus d'orange ou de l'eau ou une autre boisson de ce type. La formulation de cyclosporine, une fois ajoutée au jus d'orange ou à l'eau, prend une forme différente de celle qu'elle avait dans son emballage. Plus particulièrement, dans son emballage, la formulation de cyclosporine se présente sous la forme d'un préconcentré de micro-émulsion et, à l'instar du produit de RhoxalPharma, il s'agit d'une solution dans une capsule. Une fois ajouté au jus d'orange, le produit forme spontanément une micro-émulsion de façon tout à fait analogue à la transformation du produit de RhoxalPharma en un hydrosol. C'est sous la forme de la préparation de micro-émulsion qu'il est ensuite avalé par le patient, ce qui permet l'absorption de l'ingrédient actif, la cyclosporine, dans la circulation sanguine.

[84]            Aux paragraphes 14 et 15 de son affidavit, il a déclaré que les capsules orales de cyclosporine NEORAL fonctionnent de façon similaire mais avec une légère modification. Il a ajouté (dossier des demanderesses, page 166) :

[traduction]

14.         [...] En particulier, bien que les capsules orales elles-mêmes constituent une préparation pharmaceutique, cette préparation ne se présente pas cependant sous la forme finale qui assure l'absorption de la cyclosporine. Ce n'est qu'après l'ingestion des capsules orales que le liquide à l'intérieur des capsules entre en contact avec la quantité relativement abondante de fluides dans l'estomac et forme la micro-émulsion dans l'estomac, c'est-à -dire prend la forme d'une préparation qui peut permettre l'absorption de la cyclosporine dans la circulation sanguine.

15.        Cela est tout à fait analogue à l'administration de la formulation de RhoxalPharma.

[85]            Il a conclu ce qui suit (dossier des demanderesses, volume 1, page 167) :

[traduction]

17.         Je suis donc d'avis que le produit de RhoxalPharma est visé par la portée de la revendication 2 du brevet 656 du fait qu'un hydrosol est formé par le produit dans l'estomac. De plus, selon mon interprétation, le terme « préparation pharmaceutique » dans la revendication 2 ne se limite pas à la préparation pharmaceutique qui est vendue par le fabricant, mais comprend les étapes suivies par un pharmacien ou un consommateur pour convertir le produit dans la forme finale de la préparation pharmaceutique qui doit être administrée. Je ne vois aucune raison pour laquelle un produit sous forme de capsule orale contenant un liquide ne devrait pas être visé par la revendication alors qu'une solution liquide buvable le serait.

2)         Le témoignage par affidavit de M. James McGinity


[86]            Comme je l'ai mentionné, M. McGinity a témoigné par affidavit sur l'interprétation de la revendication 2 du brevet 656, et son témoignage contenait également des observations concernant l'affidavit de M. Cartilier présenté à la juge Tremblay-Lamer. M. McGinity n'a pas été contre-interrogé. Il est professeur titulaire de pharmacie au College of Pharmacy, à l'University of Texas, à Austin, et est, depuis 1985, titulaire de la Johnson & Johnson Centennial Chair of Pharmacy. Il a obtenu son doctorat en pharmacie physique de la University of Iowa en 1972. Il est professeur d'université depuis 1973. Il est également chef de la division des produits pharmaceutiques et directeur du Drug Dynamics Institute. Ses travaux de recherche portent entre autres sur les formes posologiques médicamenteuses par voie orale, la science des matériaux, la transformation pharmaceutique et la technologie des émulsions et des préparations topiques. Il est actuellement président de PharmaForm L.L.C. à Austin, au Texas, entreprise de recherche et de développement qui collabore avec des sociétés pharmaceutiques innovatrices et génériques.

[87]            Il fait valoir les arguments suivants dans son affidavit :

1)         Il a noté que le brevet 656 est intitulé [traduction] « Hydrosols d'ingrédients pharmacologiquement actifs et compositions pharmaceutiques qui en contiennent » . Le présent brevet concerne des formulations de cyclosporine apparentées à des hydrosols de cyclosporine en suspension ou pouvant être remises en suspension dans un milieu aqueux. Il cite un extrait de la page 2 du mémoire descriptif du brevet qui dit : [traduction] « après administration sous forme de suspension, l'ingrédient pharmacologiquement actif est libéré lentement des nanoparticules » (dossier des demanderesses, page 333).

2)         Comme il est indiqué dans l'abrégé de la divulgation, la version privilégiée (ou variante préférée) de l'invention est une préparation pharmaceutique d'hydrosols de cyclosporine injectable par voie intraveineuse.


3)         Toutefois, le brevet ne se limite pas à l'administration intraveineuse et renvoie à la page 7 du mémoire descriptif, qui indique que la cyclosporine est particulièrement utile dans le domaine de la transplantation et des maladies auto-immunes, où elle est administrée par voie orale.

4)         À la page 10 du brevet, il est indiqué qu'on peut préparer notamment les nouvelles formes d'hydrosol en plaçant une solution de l'ingrédient actif (cyclosporine) dans un solvant qui est miscible avec l'eau (par exemple, dans l'alcool ou l'éthanol) et en la mélangeant à une quantité relativement importante d'eau, conditions dans lesquelles un hydrosol est produit.

5)         Au paragraphe 5 de la page 11 du brevet 656, les inventeurs enseignent de plus que les formulations d'hydrosol peuvent être lyophilisées ou converties en poudre. La poudre peut ensuite être redispersée dans de l'eau pour produire la formulation d'hydrosol.

6)         La revendication 2 renvoie à des préparations sans égard à la voie d'administration. M. McGinity déclare que la revendication 2, à la différence de la revendication 1, ne se limite pas aux préparations intraveineuses et inclut donc les formes posologiques orales qui peuvent être des capsules ou un liquide.

7)         Ainsi, le brevet 656 prévoit des préparations qui, soit sont sous la forme d'hydrosols, soit peuvent être converties en hydrosols par l'ajout d'eau.


[88]            M. McGinity renvoie ensuite à l'avis d'allégation de Rhoxal. Pour les raisons qu'il indique, il est d'avis que la revendication 2 du brevet 656 est contrefaite directement ou indirectement par Rhoxal. Selon lui, l'affirmation de non-contrefaçon faite par Rhoxal ne peut pas être correcte parce que le produit de Rhoxal formera un hydrosol lorsqu'il sera pris par les patients, conclusion qu'il tire après avoir examiné la formulation de Rhoxal et l'affidavit de M. Ambühl. La formulation de Rhoxal contient de la cyclosporine et un solvant. L'affidavit de M. Ambühl a décrit la façon dont il a fabriqué la formulation de Rhoxal et a trouvé un hydrosol après l'avoir mélangée à de l'eau. Le même résultat sera obtenu lorsqu'un patient avalera la capsule de Rhoxal. Il indique que la capsule molle de gélatine de Rhoxal peut être avalée par les patients et formera un hydrosol lorsqu'elle entrera en contact avec l'eau dans l'estomac.

[89]            Au paragraphe 22 de son affidavit, il écrit (dossier des demanderesses, page 335) :

[traduction]

22.        C'est ce que le brevet enseigne à la page 10. Le seul but de la capsule de Rhoxal est dtre ingérée de façon que sa tunique puisse être dissoute et le contenu de la capsule mélangé à l'eau pour former l'hydrosol, qui est la forme sous laquelle la cyclosporine peut être absorbée dans l'intestin. En effet, une personne habile à formuler des médicaments comprend facilement qu'une partie de l'objet d'une capsule est de faire en sorte que les opérations nécessaires se produisent dans l'estomac ou l'intestin pour que l'ingrédient actif soit libéré dans la circulation sanguine. Souvent, les produits tels qu'ils sont vendus sont ainsi conçus pour être transformés dans l'estomac ou l'intestin afin que l'ingrédient actif puisse être absorbé dans la circulation sanguine. [Non souligné dans l'original.]

[90]            M. McGinity donne l'exemple du NEORAL et indique que, soit sous forme de liquide buvable, soit sous forme de capsule molle de gélatine, aucun de ces produits tels qu'ils sont vendus n'a la forme fonctionnelle d'un système d'administration de médicament; chacun des produits est transformé in situ afin de pouvoir libérer l'ingrédient actif.


[91]            Il discute ensuite du liquide buvable NEORAL et déclare que les instructions fournies par Novartis indiquent que le produit devrait être versé dans de l'eau ou du jus et que c'est à ce point que le produit est transformé d'une préparation pharmaceutique, à savoir une solution qui est un préconcentré de micro-émulsion, en une forme différente de la préparation pharmaceutique, soit une micro-émulsion. La micro-émulsion est composée de petites gouttelettes de cyclosporine qui permettent au produit d'être absorbé à travers la muqueuse digestive de l'estomac et dans la circulation sanguine.

[92]            Il parle ensuite des capsules orales de liquide NEORAL, indiquant qu'elles contiennent le même préconcentré de micro-émulsion et que le seul but de ces capsules est de fournir une solution de rechange à la solution buvable de cyclosporine. La même micro-émulsion est faite cependant au moment de l'ingestion des capsules, qui sont introduites dans le milieu aqueux de l'estomac, où leur tunique commence à se dissoudre et où le liquide est mélangé au préconcentré pour créer la micro-émulsion.

[93]            Il considérait la formation de la micro-émulsion dans l'estomac après l'ingestion d'une capsule comme similaire ou analogue à une micro-émulsion faite dans le verre d'eau à partir du liquide buvable. Les deux préparations pharmaceutiques de micro-émulsion sont équivalentes.

[94]            Au paragraphe 27 de son affidavit, il déclare que le contenu de la capsule de Rhoxal pourrait être avalé et transformé en un hydrosol dans l'estomac, ou bien que la capsule pourrait être ouverte et son contenu ajouté à un verre d'eau à l'extérieur du corps, l'hydrosol étant alors formé à l'extérieur du corps puis consommé par le patient. À son avis, il n'y a absolument pas de différence, que la préparation pharmaceutique soit faite à l'extérieur du corps ou dans l'estomac, il s'agirait dans les deux cas de la même formulation.


[95]            C'est le témoignage qu'il a fait au paragraphe 28 eu égard à la bioéquivalence :

[traduction]

28.        En outre, même si Rhoxal n'avait pas demandé actuellement d'approbation pour un liquide buvable, je sais bien que son produit doit être considéré comme bioéquivalent aux capsules de Novartis de concentration similaire qui, à leur tour, si je comprends bien, sont bioéquivalentes à la solution orale de Novartis. À ce titre, il serait également évident que les capsules molles de gélatine de Rhoxal sont ainsi une variante manifeste d'une formulation de liquide buvable. [Non souligné dans l'original.]

[96]            Il cite ensuite le traité Modern Pharmaceutics pour faire valoir que les personnes versées dans l'art de la formulation de produits considèrent que les formes posologiques qui sont formées et qui libèrent le médicament dans l'estomac leur sont accessibles de la même manière que les comprimés, les capsules, etc.

[97]            On lui a montré l'affidavit soumis par M. Cartilier à Madame la juge Tremblay-Lamer, où M. Cartilier a déclaré, selon M. McGinity, qu'une préparation pharmaceutique se limite uniquement au produit qui est expédié par le fabricant. À son avis, M. Cartilier n'a pas tenu compte de la situation où un hydrosol est formé in situ et où la capsule molle de gélatine qui est ajoutée à l'estomac formera un précipité d'hydrosol contenant de la cyclosporine de telle sorte que de la cyclosporine est libérée et peut être absorbée.


[98]            M. McGinity a ensuite fait référence aux exemples déjà mentionnés dans son affidavit et a déclaré qu'il existait de nombreux produits pour lesquels d'autres étapes devaient être suivies par le patient ou peut-être le pharmacien pour transformer le produit en des préparations pharmaceutiques fonctionnelles qui se présentent sous une forme permettant d'administrer la cyclosporine au patient.

[99]            Il a également indiqué que M. Cartilier a admis ce point lors de son contre-interrogatoire et, finalement, bien que M. Cartilier ait reconnu que ce qu'on faisait à un produit avant l'ingestion pouvait être considéré comme une préparation pharmaceutique, il ne pensait pas que les changements qui survenaient après l'ingestion puissent être considérés de la même façon. M. McGinity ne reconnaissait pas la validité de cette distinction et a donné ainsi son avis (dossier des demanderesses, volume II, page 337) :

[traduction]

31.        [...] Si un spécialiste en sciences pharmaceutiques sait qu'un produit donné doit être mélangé avec un milieu aqueux pour constituer la forme posologique requise pour la libération de l'ingrédient actif, deux options claires s'offrent à ce scientifique, soit préparer l'hydrosol, puis encapsuler le matériel, soit encapsuler un préconcentré de l'hydrosol en sachant qu'il formera l'hydrosol dans l'estomac. [Non souligné dans l'original.]

[100]        Au paragraphe 32 de son affidavit, M. McGinity a déclaré ce qui suit (dossier des demanderesses, volume II, page 338) :

[traduction]

32.        En effet, M. Cartilier, après qu'on lui eut cité un certain nombre d'exemples de produits qui sont transformés avant dtre absorbés dans l'organisme, notamment des exemples d'amoxicilline mise en suspension et de Neo-Citran qui est mélangé avec de l'eau avant dtre pris, a reconnu que l'essence d'une préparation pharmaceutique est de faire en sorte que le médicament atteigne le bon endroit dans l'organisme pour être efficace. Que la préparation soit prête dans la capsule ou lorsque la capsule s'ouvre dans l'estomac ne change rien. [Non souligné dans l'original.]


[101]        Dans son affidavit, il énumère ensuite de nombreux exemples de formes posologiques qui sont vendues sous une forme mais qui sont censées, comme l'a prévu le fabricant, réagir soit avec de l'eau ou avec les liquides gastro-intestinaux afin de transformer le produit dans sa forme fonctionnelle, et il a émis l'avis que chacun de ces cas est analogue au cas des capsules de Rhoxal contenant la formulation de Rhoxal qui est censée être mélangée avec les liquides de l'estomac après l'ingestion de la capsule et la dissolution de sa tunique dans l'estomac. L'ingrédient actif qui se trouve à l'intérieur de la capsule ne peut fonctionner que lorsqu'il est mélangé avec les liquides de l'estomac de façon à fabriquer un hydrosol, ce qui permet l'absorption de la cyclosporine dans la circulation sanguine.

[102]        Les comprimés effervescents fonctionnent de la même manière. L'effervescence se produit in vivo.

[103]        Il a énuméré six exemples de produits vendus qui ne fonctionnent que dans l'organisme et non dans le contenant dans lequel ils sont vendus. Bon nombre des exemples cités sont connus depuis de nombreuses années et l'étaient certainement avant le brevet 656, selon M. McGinity.

[104]        M. McGinity a traité de la question de savoir si la constitution de la forme posologique finale (l'hydrosol) dans l'organisme est un équivalent, suivant la théorie des équivalents, d'un produit qui forme un hydrosol avant l'ingestion. On lui a demandé d'examiner trois questions.

[105]        Question 1 :

(dossier des demanderesses, volume II, page 341)

[traduction]


La formation de l'hydrosol dans les liquides aqueux du tube digestif humain plutôt qu'avant l'ingestion a-t-elle un effet important sur la façon dont l'invention fonctionne?

Il a répondu par la négative à la question.

[106]        Question 2 :

[traduction]

Si la réponse à la première question est non, exercera-t-elle essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique, pour donner essentiellement le même résultat?

Il a répondu par l'affirmative à cette question.

[107]        Question 3 :

[traduction]

Enfin, si la réponse à la deuxième question est oui, l'expert du domaine conclurait-il, malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le titulaire du brevet considérait qu'une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l'invention? [Non souligné dans l'original.]

Il a répondu par la négative à cette question.

[108]        M. McGinity a répondu « Non » à la première question parce que l'invention consiste à produire une formulation comprenant un hydrosol de cyclosporine en vue de permettre à la cyclosporine d'être d'une taille adéquate pour être absorbée dans la circulation sanguine. Il a déclaré que peu importe que cet hydrosol soit formé dans le corps plutôt que dans la capsule ou un verre d'eau, le résultat était le même. La formation de l'hydrosol est ce qui permet à la cyclosporine de pénétrer dans la circulation sanguine.

[109]        Il a répondu « Oui » à la question 2 parce que :


[traduction]

40.        [...] Si l'on présente le brevet 656 et la formulation de Rhoxal à une personne et qu'on lui demande si une capsule qui est essentiellement un préconcentré formant un hydrosol dans l'estomac plutôt qu'une capsule contenant un hydrosol fonctionnerait de la même manière, elle aurait répondu oui. L'une ou l'autre forme exerce essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique, pour obtenir le même résultat, soit un hydrosol de cyclosporine dans l'estomac, où la cyclosporine est disponible pour être libérée dans la circulation sanguine. Dans le cas de la capsule contenant l'hydrosol, l'hydrosol est formé avant que la capsule ne soit remplie par l'ajout de la cyclosporine, de l'alcool et d'autres ingrédients à l'eau. Dans le cas de la variante de Rhoxal, le préconcentré est encapsulé et ajouté à l'eau lorsque la tunique de la capsule se dissout dans l'estomac. [Non souligné dans l'original.]

[110]        Il a répondu « Non » à la question 3 parce que la revendication 2 du brevet 656 décrit une préparation pharmaceutique contenant un hydrosol. Il a ajouté (dossier de demande des demanderesses, page 342) :

[traduction]

41.        [...] Même si cela n'inclut pas à proprement parler de préparation fabriquée dans l'estomac, je ne vois aucune raison pour laquelle la variante de la préparation fabriquée dans l'estomac devrait être exclue. Rien dans la divulgation n'indique que les inventeurs avaient l'intention d'exclure cette variante. De fait, à la page 10, il est dit expressément que les hydrosols sont formés par l'ajout de ce qui est en essence un préconcentré de cyclosporine et un alcool à l'eau. C'est exactement ce qui se produit lorsque la capsule de Rhoxal se retrouve dans l'estomac. [Non souligné dans l'original.]

[111]        Il a conclu son affidavit en émettant l'avis que l'utilisation du produit de Rhoxal entraînera au moins la contrefaçon de la revendication 2 du brevet 656. Le produit de Rhoxal ajouté à l'eau formera, au moment de son utilisation, un hydrosol au sens donné dans le brevet. Il ne croyait pas que l'invention puisse viser exclusivement des préparations qui sont sous la forme d'hydrosols lorsqu'elles sont vendues, et non celles qui se transforment en hydrosols après leur ingestion.


3)         Le témoignage par affidavit de M. Brittain

[112]        L'affidavit de M. Brittain consistait essentiellement à décrire son expérience, mais il a traité de certaines questions qui aident à mieux interpréter la portée du brevet 656.

[113]        Au paragraphe 18 de son affidavit, sous la rubrique [traduction] « L'objet du brevet 656 » , M. Brittain a déclaré que le brevet visait les hydrosols de l'ingrédient pharmacologiquement actif, en suspension ou pouvant être remis en suspension dans un milieu aqueux. Le brevet concerne en particulier un hydrosol d'un ingrédient pharmacologiquement actif injectable par voie intraveineuse, l'hydrosol comprenant des particules solides de l'ingrédient actif d'environ 1 à 10 000 nanomètres, c'est-à-dire assez petites pour circuler dans les vaisseaux sanguins.

[114]        Un des objectifs du brevet 656 est d'utiliser des particules de l'agent pharmacologiquement actif sous une forme aqueuse d'hydrosol injectable par voie intraveineuse. Un autre objectif est de fournir un hydrosol comprenant des particules solides d'une cyclosporine sous une forme pharmaceutiquement acceptable stabilisée, laquelle est mise en suspension ou est séchée et remise en suspension dans un milieu aqueux.

[115]        Selon lui, le brevet 656 prétend se distinguer de l'état de la technique par la formation de particules solides de l'agent actif plutôt que de nanoparticules colloïdales formées par liaison de molécules de l'agent actif à un vecteur.

[116]        La formulation du brevet 656 convient à une injection en ce qu'elle ne renferme pas d'alcool ni de sel en quantité inacceptable.

[117]        Il a défini ou expliqué un certain nombre de termes utilisés dans la revendication 2 en se référant aux enseignements du mémoire descriptif du brevet 656 et aux connaissances d'une personne versée dans l'art (paragraphe 30).

[118]        Il lui semble évident que l'agent actif est la cyclosporine.

[119]        Pour ce qui est des [traduction] « particules » , il a déclaré qu'elles sont définies comme étant [traduction] « solides et une partie de la substance active... » et « sont soit en suspension dans un milieu aqueux, soit séchées et pouvant être remises en suspension dans un milieu aqueux » . Les particules en suspension sont suffisamment petites pour circuler dans les vaisseaux sanguins. Les gouttelettes de liquide de la taille des colloïdes mises en suspension dans un milieu aqueux ou formant une émulsion ne sont pas des particules et leur dispersion ne constitue pas un hydrosol.

[120]        On entend par « forme solide » les particules de l'ingrédient actif qui ne sont pas dissoutes dans une véritable solution et dont la taille correspond à celle des particules prévue à la revendication 2.


[121]        Quant au diamètre des particules, à son avis, l'inventeur prévoyait manifestement que l'hydrosol se limite à un hydrosol formé de particules dont la taille se situe à l'intérieur de la fourchette spécifiée, et que le dépassement de cette fourchette contreviendrait, dans bien des cas, à l'objet de l'invention [traduction] « qui est de fournir une préparation pouvant être injectée, c'est-à-dire dont la taille des particules est assez petite pour que celles-ci puissent circuler dans les vaisseaux sanguins » . [Non souligné dans l'original.] (dossier de demande des demanderesses, page 385, paragraphe 35).

[122]        En ce qui concerne la stabilité, il semble aux yeux de M. Brittain qu'elle renvoie à la taille des particules. Les particules sont stabilisées pour éviter leur agrégation et l'agent de stabilisation empêche les particules de l'ingrédient actif de grossir dans l'eau, ce qui permet de garder constante la distribution granulométrique des particules d'hydrosol actives dans la dispersion. Il pense aussi que le maintien de la distribution granulométrique implique également que l'agent de stabilisation empêche la diminution de la taille des particules.

[123]        En ce qui a trait à la distribution granulométrique, on privilégie une distribution étroite afin d'empêcher une redistribution granulométrique. La distribution granulométrique doit demeurer constante de même que la taille de chaque particule.

[124]        Il a déclaré que les éléments suivants constituaient les éléments essentiels de l'invention revendiquée à la revendication 2 : un hydrosol, la présence des particules d'un agent actif, ces particules devant être sous forme solide et l'agent actif devant être la cyclosporine. Les particules doivent avoir un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres, la taille de ces particules est stabilisée et la distribution granulométrique doit être maintenue constante.

[125]        Au paragraphe 48 de son affidavit, la compréhension de M. Brittain de la composition de la formulation de Rhoxal est la même que celle de l'affidavit de M. Ambühl.

4)         Le témoignage par affidavit de M. Cartilier

[126]        Le premier affidavit en réponse de M. Cartilier est daté du 2 août 2002.

[127]        Après avoir exposé la formulation de la revendication 2, il a écrit au paragraphe 10 (dossier de demande des demanderesses, volume II, page 523) :

[traduction]

10.        Il appert immédiatement que la revendication 2 du brevet 656 commence par les mots « Une préparation pharmaceutique... » . À mon avis, à la lumière des divulgations faites dans le brevet 656, il aurait été évident pour une personne ordinaire versée dans l'art que toutes les étapes de la préparation de la formulation pharmaceutique revendiquée seraient terminées avant son administration à un patient. En effet, tous les exemples fournis illustrent des méthodes de préparation de la formulation pharmaceutique revendiquée avant son administration, y compris la remise en suspension d'une variante lyophilisée, qui se classerait de toute évidence dans la même catégorie. [Non souligné dans l'original.]

[128]        Dans le cas d'une capsule devant être administrée par voie orale, telle que la capsule de Rhoxal contenant de la cyclosporine, toute la préparation est terminée à l'usine, selon M. Cartilier. Ni le personnel médical ni le patient ne sont obligés de faire quelque chose, comme de mélanger le produit, avant l'administration de la capsule. Ainsi (dossier de demande des demanderesses, page 524) :

[traduction]


[...] même si l'on décidait que la revendication 2 englobe les préparations orales, la préparation de la capsule de RhoxalPharma est terminée au moment de sa fabrication. À mon avis, l'ingestion de la capsule de RhoxalPharma par un patient constitue l'administration de l'ingrédient actif et ne serait pas une étape dans la préparation du médicament aux yeux d'une personne ordinaire versée dans l'art. Je suis donc d'avis que pour cette seule raison, le brevet 656 ne peut être contrefait lorsqu'une capsule de RhoxalPharma est ingérée par un patient. [Non souligné dans l'original.]

[129]        De toute façon, il estime que la revendication 2, lorsqu'on la lit dans le contexte du brevet 656, n'englobe pas un produit généré spontanément après l'ingestion. Nulle part dans la divulgation du brevet envisage-t-on une telle éventualité. Pour une personne ordinaire versée dans l'art, le brevet 656 fait état d'une préparation pharmaceutique de cyclosporine destinée à être administrée par voie intraveineuse.

[130]        M. Cartilier a ensuite fait allusion à la procédure antérieure devant la juge Tremblay-Lamer. Il a fait référence à sa décision. Il a signalé l'avis d'allégation de Rhoxal du 31 janvier 2002 et a conclu, au paragraphe 16 (dossier de demande des demanderesses, page 525) :

[traduction]

16.        À la lumière de mon témoignage précédent et compte tenu de la décision de la juge Danièle Tremblay-Lamer et de la composition de la capsule de RhoxalPharma, je ne vois pas comment la demanderesse pourrait alléguer que la capsule de RhoxalPharma contrefait le brevet 656.


[131]        Il a commenté les affidavits de MM. Ambühl et McGinity et a déclaré que ces affidavits, lorsqu'il sont lus ensemble, enseignent manifestement que le brevet 656 est contrefait lorsque la capsule de Rhoxal est ingérée par un patient. Il a fait observer que M. McGinity n'a pas effectué de tests lui-même mais s'est fié plutôt à l'affidavit de M. Ambühl pour obtenir des données à l'appui de ses déclarations. Il a ajouté que M. Ambühl est un employé de Novartis et n'est pas un expert indépendant.

[132]        Il a rappelé la référence faite par M. McGinity au traité Modern Pharmaceutics pour appuyer la théorie de la génération spontanée d'un hydrosol.

[133]        À son avis, cet extrait n'est aucunement lié à l'affaire dont je suis saisi. Il ne voyait pas pourquoi la cyclosporine, qui est une molécule très lipophile, quitterait en masse les gouttelettes d'huile, milieu lipophile favorable, pour entrer dans le milieu aqueux, où elle n'est pas soluble, afin de former un précipité. Selon lui, cela va à l'encontre des lois fondamentales de la thermodynamique et de l'équilibre, et à ce titre, serait en contradiction avec les connaissances que posséderait une personne ordinaire versée dans l'art (dossier de demande des demanderesses, page 526).

[134]        La capsule de Rhoxal est une formulation à base d'huile, a-t-il ajouté, et il a fait référence à SANDIMMUNE, qui est une formulation similaire de cyclosporine à base d'huile destinée à être administrée par voie orale. Il fait référence à divers articles scientifiques sur les propriétés de SANDIMMUNE, après son administration par voie orale. L'un de ces articles a établi que [traduction] « les formulations orales sur le marché de SANDIMMUNE forment une émulsion grossière d'huile en eau dans des liquides aqueux » (dossier de demande des demanderesses, page 526, paragraphe 23).

[135]        Il a fait référence à un autre article intitulé « Improved Oral Absorption of Cyclosporine by Using Neoral, a Microemulsion Formulation » . Il souligne que les propres chercheurs de Sandoz réitèrent [traduction] « ... qu'une micro-émulsion grossière d'huile en eau se forme dans les liquides gastro-intestinaux, la cyclosporine étant surtout distribuée dans les gouttelettes lipidiques... » (dossier de demande des demanderesses, p. 526, par. 24).

[136]        Il a écrit au paragraphe 25 :

[traduction]

25.        À la différence de ce que MM. Ambühl et McGinity proposent dans leur affidavit, les déclarations susmentionnées concordent avec les lois scientifiques fondamentales et indiquent clairement l'absence de génération spontanée in situ d'un hydrosol après l'ingestion d'une formulation de cyclosporine à base d'huile. En effet, les expériences présentées dans l'affidavit de M. Ambühl mettent en évidence l'existence de gouttelettes lipidiques contenant de la cyclosporine, c'est-à -dire un système dispersé d'huile en eau ou une émulsion, mais ne révèlent d'aucune manière la présence d'un hydrosol ni d'une suspension de particules solides dans un milieu aqueux.

[137]        Il a contesté une déclaration de M. Ambühl portant que le contenu de la capsule de Rhoxal forme un hydrosol dans l'eau ordinaire ou dans le LGS ou un hydrochlorure, ainsi que sa déclaration suivant laquelle il s'ensuit logiquement que la capsule forme également un hydrosol dans l'estomac d'un patient une fois ingérée. M. Cartilier a répondu ce qui suit (dossier de demande des demanderesses, volume II, page 527) :

[traduction]

27.        Je suis tout à fait en désaccord avec ce raisonnement. En sciences pharmaceutiques, il est peut-être banal de dire que l'obtention de résultats in vitro ne constitue d'aucune manière une preuve des résultats réels in vivo. C'est d'autant plus vrai dans le cas présent, où l'environnement et les conditions in vitro ne sont pas du tout les mêmes que l'environnement et les conditions in vivo.


28.         L'appareil digestif humain est un environnement complexe dont la composition, le volume, le pH (acidité) et d'autres propriétés physiques et chimiques varient. Cet environnement complexe variera selon les individus et leur alimentation.

29.        À mon avis, une démonstration de la formation d'hydrosol en milieu aqueux ne peut d'aucune façon équivaloir à ce qui serait survenu dans le corps humain ni le prédire.

[138]        M. Cartilier a ensuite signalé que M. Ambühl n'avait pas suivi les instructions détaillées du fabricant fournies par Rhoxal pour la préparation de la capsule de Rhoxal. Il contestait la déclaration de M. Ambühl qui prétendait qu'il n'y avait aucune divergence dans la façon dont il a préparé la formulation de Rhoxal pour son expérience.

[139]        Il a déclaré qu'une personne ordinaire versée dans l'art saurait bien que pour préparer une formulation équivalente à la capsule de Rhoxal, il est nécessaire de suivre exactement les étapes indiquées dans les schémas de fabrication du produit. Elle saurait qu'en ne suivant pas ces schémas exactement, des résultats non concluants seraient obtenus, et qu'en mélangeant une molécule très insoluble telle que la cyclosporine avec un liquide visqueux ne donnerait pas des résultats adéquats, car le caractère visqueux du liquide ne favorise pas la dissolution.

[140]        Quoi qu'il en soit, il a énoncé que la règle de base des bonnes pratiques de fabrication dans l'industrie pharmaceutique pour garantir la qualité constante des produits est de ne jamais s'écarter des schémas de fabrication d'un produit. Il dit que Santé Canada, avant de délivrer un avis de conformité, approuve les instructions de fabrication et qu'aucun changement de ces instructions n'est autorisé sans l'approbation préalable de Santé Canada.

[141]        Selon lui, il ressort clairement de l'affidavit de M. Ambühl que tous les ingrédients ont été mêlés ensemble avant le mélange sans que la cyclosporine ne soit d'abord dissoute dans l'éthanol. Il est d'avis que, comme les échantillons d'essai analysés par M. Ambühl n'ont pas été fabriqués conformément aux bonnes pratiques même les plus élémentaires, [traduction] « les résultats des expériences subséquentes effectuées sur les échantillons ne peuvent absolument pas être considérés comme indicateurs des résultats qui auraient été obtenus avec une capsule réelle de RhoxalPharma » (dossier de demande des demanderesses, volume II, page 528, paragraphe 35).

[142]        Enfin, M. Cartilier déclare au sujet de l'affidavit de M. Ambühl qu'il s'agit [traduction] « purement d'une tentative de montrer que le contenu de la capsule de RhoxalPharma pourrait former un hydrosol lorsque celle-ci est placée dans un milieu aqueux » (dossier de demande des demanderesses, page 528, paragraphe 36). Il ajoute que pour les raisons déjà mentionnées, M. Ambühl n'a pas du tout réussi à démontrer qu'un hydrosol se forme dans le corps humain après l'administration d'une capsule de RhoxalPharma à un patient. Il conclut ce qui suit (dossier de demande des demanderesses, page 528) :

[traduction]

36.        [...] Si les demanderesses avaient voulu prouver qu'un hydrosol était formé dans le corps humain, elles avaient amplement l'occasion d'effectuer le simple test consistant à administrer la capsule de RhoxalPharma à des patients, suivi d'un échantillonnage et d'une analyse du contenu gastrique. Au lieu de cela, les demanderesses présentent des données in vitro artificielles et soutiennent que ces données sont une preuve de ce qui survient dans l'organisme humain. À mon avis, on ne peut que conclure que les expériences in vivo ne confirmeraient pas les revendications des demanderesses.

[143]        Je n'estime pas nécessaire de résumer les contre-affidavits de MM. Brittain et Cartilier parce qu'à mon avis, ces affidavits n'apportent rien à la preuve qui n'ait déjà été établi ou qui sera traité dans l'analyse des contre-interrogatoires.

LES CONTRE-INTERROGATOIRES

[144]        Comme il a été indiqué précédemment, le seul déclarant pour le compte de Novartis à avoir été contre-interrogé est M. Ambühl.

[145]        Par ailleurs, MM. Brittain et Cartilier ont été contre-interrogés par l'avocat représentant Novartis.

a)         Le contre-interrogatoire de M. Ambühl

[146]        L'avocat de Rhoxal a contre-interrogé M. Ambühl le 18 décembre 2002, traitant essentiellement de trois points : les définitions techniques pertinentes, la portée du brevet 656 et les divers tests qu'il a effectués sur la formulation de Rhoxal créée par les Laboratoires Sandoz.

[147]        À mon avis, M. Ambühl s'en est très bien tiré durant le contre-interrogatoire; la crédibilité de son témoignage par affidavit n'a pas été révoquée en doute.


[148]        S'agissant du brevet 656, il a reconnu que la première intention des inventeurs était de mettre au point une solution injectable par voie intraveineuse, mais que ces inventeurs n'ont pas exclu les hydrosols pour d'autres voies d'administration (dossier des demanderesses, volume V, page 1146). Il a soutenu que les dix exemples de la façon de former un hydrosol donnaient des résultats adéquats pour toutes les voies d'administration et que ces exemples ne se limitaient pas à une voie d'administration particulière (dossier des demanderesses, volume V, pages 1147 à 1163).

[149]        L'avocat de Rhoxal a examiné étape par étape avec M. Ambühl les divers tests effectués pour déterminer la taille des particules, la distribution granulométrique, le caractère solide ou liquide des particules et la présence ou l'absence de cyclosporine à l'intérieur des particules solides.

[150]        Dans son témoignage, M. Ambühl a confirmé qu'il avait utilisé un microscope électronique très puissant pour ses tests de diffusion de la lumière. Ce microscope a permis d'identifier des micelles d'à peine 2 nanomètres, la limite supérieure de détection étant de 5 microns.

[151]        Il a effectué son test de diffusion de la lumière sur le système opalescent produit en mélangeant la formulation de Rhoxal dans de l'eau; l'autre test de diffusion de la lumière a porté sur les sédiments obtenus après centrifugation et filtration. La fourchette de dimensions des particules aux deux tests se situait entre 100 nanomètres et 1 micron. Il a effectué d'autres tests pour déterminer si les particules solides contenaient de la cyclosporine. Les résultats obtenus étaient positifs.

[152]        M. Ambühl a reconnu qu'en préparant la formulation de Rhoxal, il a suivi une procédure légèrement différente de celle qui était recommandée par le fournisseur : la cyclosporine n'a pas été dissoute séparément dans l'éthanol; la cyclosporine a été dissoute avec tous les ingrédients contenus dans la formulation de Rhoxal. En contre-interrogatoire comme lors du réinterrogatoire, le témoignage de M. Ambühl se fondait sur son expérience et celle de son entreprise, et le résultat obtenu après avoir suivi une procédure différente était le même que s'il avait suivi la procédure recommandée par le fournisseur. J'accepte sans réserve le témoignage de M. Ambühl.

b)         Le contre-interrogatoire de M. Brittain

[153]        En contre-interrogatoire, M. Brittain a confirmé ce qu'il avait déclaré dans le contre-affidavit qu'il avait produit après la critique de M. Bugay concernant la fourchette de dimensions des particules qu'il pouvait visualiser à partir du microscope optique utilisé pour son expérience. Son microscope ne pouvait permettre d'identifier des particules dont la taille était inférieure à un micron.

[154]        Toutefois, il a fait une analyse de la taille des particules (voir par exemple la pièce 11, dossier des demanderesses, volume II, page 463), qui a révélé la présence de matière de moins d'un micron. Il a répondu : [traduction] « il y a certainement quelque chose là » (dossier des demanderesses, volume III, page 771).


[155]        Il n'a pas cherché plus à fond ce qu'était ce quelque chose, mais il a déclaré que son observation correspondait à ses expériences de filtration et à ses expériences sur le pouvoir collecteur de lumière. Il a confirmé que M. Ambühl a [traduction] « probablement vu quelque chose de moins d'un micron » mais ne pouvait dire si l'observation de M. Ambühl était compatible avec la présence de la matière révélée dans son expérience de diffusion de particules. Pour ce qui est de la concordance avec l'observation de M. Bugay, il a répondu : [traduction] « après avoir fait ce qu'il a fait à l'échantillon pour prendre la mesure, il a certainement vu quelque chose de moins de un micron, en effet » (voir le dossier des demanderesses, volume II, pages 771 et 772).

[156]        Dans son contre-affidavit, M. Brittain a vertement critiqué la façon dont M. Bugay a censément préparé son échantillon pour l'observer au MEB. Il croyait que la préparation de l'échantillon avait cisaillé des particules plus grosses pour produire les plus petites particules que M. Bugay a observées.

[157]        En contre-interrogatoire, M. Brittain a dû revenir sur sa critique lorsqu'on lui a révélé que M. Bugay n'a pas utilisé un MEB, mais un microscope électronique à balayage environnemental (MEBE). L'avantage du MEBE est qu'il réduit au minimum la préparation de l'échantillon. M. Bugay a pu étudier le système opalescent dans son état liquide naturel; aucune déshydratation et aucun enrobage de l'échantillon n'ont été nécessaires (voir le dossier des demanderesses, volume III, pages 796 à 807).

[158]        Dans son affidavit en réponse, M. Brittain a estimé que les particules des systèmes qu'il a observés étaient instables, c'est-à dire qu'elles grossissaient.

[159]        La méthode qu'il a choisie pour faire cette observation a été de comparer la taille médiane des particules dans deux populations de particules observées au départ après la formation du système opalescent (pièce 11 de son affidavit en réponse, dossier des demanderesses, volume II, page 464) avec la population du milieu après un délai de trois heures (pièce 15 de son affidavit en réponse, dossier des demanderesses, volume II, page 472).

[160]        En contre-interrogatoire, il a confirmé que pour la population A, qui contenait des particules de moins de un micron, il avait utilisé un paramètre inadéquat qui a eu pour effet d'accroître la taille médiane dans la pièce 15 (voir la pièce 3 de la transcription du contre-interrogatoire de M. Brittain, dossier des demanderesses, volume III, page 824).

[161]        De plus, M. Brittain a admis en contre-interrogatoire que la question n'est pas de savoir si la population B est stable mais de savoir si la population A est stable (pour les parties pertinentes du contre-interrogatoire de M. Brittain, voir le dossier des demanderesses, volume III, pages 713 à 717).

[162]        Mon étude du contre-interrogatoire de M. Brittain concernant ses études de filtration a fait ressortir des problèmes. J'ai particulièrement remarqué le problème touchant le poids du contenu de trois capsules contenant des formulations de Rhoxal. M. Brittain ne pouvait expliquer certains écarts et a convenu que ses résultats étaient mystérieux (dossier des demanderesses, volume III, page 789). En outre, l'obstruction qu'il a notée dans certains filtres soulevait des interrogations.

[163]        Pour ces raisons, je n'accorde pas foi aux expériences de M. Brittain.

c)         Le contre-interrogatoire de M. Cartilier

[164]        Le contre-interrogatoire de M. Cartilier par l'avocat de Novartis a été long et a porté sur bien des points, notamment la terminologie appropriée, la portée du brevet 656, les transformations des médicaments après leur sortie de l'usine et l'effet possible d'une telle transformation sur une préparation pharmaceutique, l'examen des produits de Novartis, son opinion sur le fait qu'une préparation pharmaceutique doit être terminée avant son administration, l'examen du produit de Rhoxal et la déclaration suivante de son premier affidavit au paragraphe 20 :

[traduction]

En effet, je ne vois pas pourquoi la cyclosporine, qui est une molécule très lipophile, quitterait en masse les gouttelettes d'huile, milieu lipophile favorable, pour pénétrer dans le milieu aqueux, où elle n'est pas soluble, afin d'y produire un précipité. À mon avis, cela contrevient aux lois fondamentales de la thermodynamique et de lquilibre. À ce titre, cela est contraire aux principes scientifiques, ce qui, selon moi, aurait été apparent aux yeux d'une personne ordinaire versée dans l'art.

[165]        Je n'ai pas l'intention de résumer l'ensemble du contre-interrogatoire, mais j'insiste sur les points suivants.

[166]        Tout d'abord, M. Cartilier a reconnu qu'il n'avait pas effectué d'expérience pour étayer les opinions exprimées dans ses affidavits.

[167]        Il a défini une préparation pharmaceutique comme [traduction] « un système composé d'un médicament formé de divers ingrédients qui a été préparé pour le rendre acceptable comme médicament » (dossier des demanderesses, volume IV, page 888) et il a défini les systèmes d'administration à la page 889 comme « des compositions ou des préparations pharmaceutiques conçues en vue de contrôler la libération du médicament dans l'organisme » .

[168]        Il a confirmé sa connaissance des voies d'administration, la plus courante étant la voie orale; au nombre des autres voies d'administration figuraient la voie parentérale, qui inclut la voie intraveineuse, et la voie rectale. Il a également confirmé que pour la cyclosporine, les voies d'administration connues au moment du brevet 656 incluaient les voies intraveineuse et orale (dossier des demanderesses, volume IV, pages 891 et 892).

[169]        Suivant son interprétation, la revendication 2 du brevet 656 concerne l'administration par voie intramusculaire. Il a admis que le brevet mentionnait que la cyclosporine pouvait être administrée par voie orale mais il était d'avis que cela n'avait aucun rapport avec l'invention car il n'y avait aucun exemple d'administration par voie orale. Toutefois, lorsque qu'il a été interrogé plus à fond, il a concédé qu'un brevet pouvait inclure des choses qui n'étaient pas expressément mentionnées dans les exemples, mais il était d'avis que si tel était le cas, le brevet devait mentionner clairement ces questions dans d'autres paragraphes, c'est-à-dire dans les revendications ou dans la description de l'invention (dossier des demanderesses, volume IV, pages 893 à 895).

[170]        L'avocat de Novartis a attiré l'attention de M. Cartilier sur le deuxième paragraphe de la page 7 du brevet 656 qui se lit comme suit :

[traduction]

L'invention fournit également un hydrosol comprenant des particules solides d'une cyclosporine ou d'un ... sous une forme pharmaceutiquement acceptable, stabilisée, laquelle forme est en suspension ou est sèche et peut être remise en suspension dans un milieu aqueux.

M. Cartilier a reconnu que rien dans ce paragraphe n'indiquait que les commentaires s'appliquaient uniquement à la voie intraveineuse (dossier des demanderesses, volume IV, page 896).

[171]        L'avocat de Novartis a ensuite attiré l'attention de M. Cartilier sur le dernier paragraphe de la page 10 du brevet 656, qui décrivait la façon dont les hydrosols du brevet pouvaient être préparés. Le paragraphe se lit comme suit :

[traduction]

Les nouvelles formes d'hydrosol peuvent en particulier être préparées de la façon suivante : une solution de l'agent actif dans un solvant qui est miscible avec l'eau, c'est-à -dire dans l'alcool, par exemple lthanol ou l'isopropanol, ou dans l'acétone, est mélangée avec une quantité relativement importante d'eau, dans des conditions telles qu'un hydrosol est formé.

[172]        M. Cartilier a reconnu que c'était ce que le brevet enseignait, mais a déclaré qu'il décrivait une façon plutôt complexe de préparer l'hydrosol. Il a admis que si un hydrosol était effectivement produit, ces conditions étaient remplies (dossier des demanderesses, volume IV, page 897).

[173]        L'avocat de Novartis a cité plusieurs exemples de transformations à M. Cartilier. Celui-ci a reconnu qu'un pharmacien qui diluait un sirop selon les instructions d'un fabricant de médicaments produisait une autre préparation pharmaceutique. Il a soutenu sans démordre tout au long de son contre-interrogatoire qu'une préparation pharmaceutique cessait d'exister une fois ingérée par le patient. Il a invoqué comme raison qu'[traduction] « on ne se trouve plus sur le territoire du pharmacien » et que « l'ordre des pharmaciens n'accepte pas l'idée que lorsqu'un patient prépare un médicament, il s'agit d'un produit pharmaceutique complètement préparé » . Il répondait à des questions de l'avocat concernant Neo-Citran, médicament où le patient dissout la poudre dans de l'eau chaude et boit le liquide (dossier des demanderesses, volume IV, pages 902 à 907).

[174]        Il a confirmé qu'il avait toujours été d'avis qu'une préparation pharmaceutique est terminée avant son administration à un patient et qu'il n'a jamais dit autre chose. Il a déclaré aux pages 948 et 949 : [traduction] « Cela tombe même sous le sens. Une fois que le produit entre dans l'organisme, comme dans le cas d'une ingestion, ce n'est plus l'affaire du pharmacien. » Il a reconnu qu'il s'agissait d'une forme posologique mais qu'elle avait été transformée et que cela pouvait être une préparation pharmaceutique qui a été transformée. Il a ajouté à la page 949 : [traduction] « C'est pour ma part logique - ça tombe sous le sens. Je ne m'imagine pas rentrer à la maison, prendre un repas préparé par ma femme et lui dire ensuite que j'ai préparé le dîner vu que je l'ai avalé. »


[175]        Tout au long de son contre-interrogatoire, M. Cartilier a maintenu cette position. Lorsque l'avocat de Novartis lui a cité les passages du traité Modern Pharmaceutics indiquant que [traduction] « [lorsque] une forme posologique orale est avalée par le patient, elle voyagera dans le tube digestif » et « la forme posologique atteint le site d'absorption » , M. Cartilier a répondu que ce qui voyage dans le tube digestif n'est plus la forme posologique originale mais une forme posologique qui a été avalée. La forme posologique orale qui voyage dans le tube digestif n'est pas la forme posologique orale, car elle n'est plus dans le même état que précédemment. Commentant la mention que la forme posologique atteint le site d'absorption, il a indiqué que c'était un fait bien connu que tout médicament fait l'objet d'une transformation et que l'auteur a simplement appelé ce médicament une forme posologique (dossier des demanderesses, volume IV, pages 955 et 956).

[176]        Comparant la solution de NEORAL que le patient prend avec de l'eau et avale sous forme de micro-émulsion avec la capsule de NEORAL qui encapsule la solution que le patient ingère, créant une micro-émulsion après l'ingestion, M. Cartilier a reconnu, à la page 944, que la solution orale et la capsule avaient la même composition et il a admis qu'il n'y avait pas de différence importante dans la façon dont le produit se retrouvait dans l'estomac.

[177]        À la page 961 du dossier de transcription, on lui a montré un brevet américain dont il était titulaire pour des comprimés à libération prolongée. Il a déclaré qu'après l'ingestion, les comprimés correspondaient toujours à ce qui était revendiqué dans la revendication et qu'une fois que le comprimé entrait dans le corps, [traduction] « il y avait toujours une forme posologique orale avec de légères modifications » .

[178]        Un long contre-interrogatoire a suivi au sujet du paragraphe 20 de l'affidavit en réponse de M. Cartilier. Le contre-interrogatoire, qui commence à la page 987, a porté sur la mesure dans laquelle la cyclosporine se dissoudrait complètement dans un milieu qui contenait uniquement de la cyclosporine, de l'éthanol et une petite quantité d'huile dans le surfactant.

[179]        Je pense qu'une juste lecture du contre-interrogatoire révèle que M. Cartilier a vu de nombreuses possibilités, selon que l'huile était ou non complètement dissoute dans l'éthanol, et que cela aurait une incidence sur la mesure dans laquelle la cyclosporine était complètement dissoute dans le milieu.

[180]        Il a reconnu qu'il n'avait pas effectué d'expériences pour vérifier la véracité des déclarations du paragraphe 20 et a indiqué qu'il n'était pas nécessaire de le faire parce que son opinion se fondait sur la théorie élémentaire fondamentale de la solubilité. Une discussion s'est ensuivie sur l'hypothèse à la base de la théorie de M. Cartilier, sur le rôle joué par l'huile dans le surfactant et sur la question de savoir si le surfactant pouvait entourer une particule solide.

[181]        Pour un certain nombre de raisons, j'accorde un poids limité au témoignage direct de M. Cartilier après avoir examiné les résultats de son contre-interrogatoire.


[182]        Tout d'abord, mon interprétation de ce contre-interrogatoire est que M. Cartilier n'était pas franc et semblait jouer sur les mots avec l'avocat de Novartis. Il apportait des nuances qui, confrontées à l'ensemble de la preuve en l'espèce, ne me semblaient pas être importantes, par exemple une préparation pharmaceutique qui a été avalée n'est pas une préparation pharmaceutique; une solution, oui, mais pas une vraie solution; soluble mais non soluble; le surfactant de Rhoxal n'était pas de l'huile mais à base d'huile.

[183]        Deuxièmement, il a exposé une théorie mais n'a pas soumis sa théorie à l'expérience. Il se fondait sur les lois scientifiques et parfois sur son jugement, mais ces lois et son jugement, lorsqu'on les compare aux preuves incontestées de MM. Ambühl et Bugay, sonnaient faux.

[184]        Il a eu constamment des prises de bec avec l'avocat et n'a pas nié la concession que M. McGinity prétend qu'il avait faite au cours du contre-interrogatoire relatif à son affidavit devant la juge Tremblay-Lamer.

[185]        Troisièmement, facteur le plus important de tous, il est clair qu'il a fourni ce témoignage du point de vue d'un pharmacien qui exécute des ordonnances et non d'une personne versée dans l'art de formuler un médicament.

L'ANALYSE

a)          La question préliminaire de Rhoxal


[186]        Rhoxal soulève une question préliminaire; elle dit que la demande présentée à la Cour par Novartis devrait être rejetée au motif que les doctrines de la chose jugée et de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige s'appliquent. Rhoxal dit que Novartis cherche à rouvrir des questions déjà tranchées par la juge Tremblay-Lamer; elle renvoie également aux litiges aux États-Unis et à la décision de la Cour de district du Delaware dans les procédures relatives à la cyclosporine entre Novartis et EON aux États-Unis.

[187]        Je tranche immédiatement la question de la décision des États-Unis. Elle ne s'applique pas parce que le brevet américain est rédigé de manière différente et il ressort clairement de la décision préliminaire que le juge de première instance a limité la portée de la revendication américaine aux hydrosols formés de manière différente.

[188]        La doctrine de la chose jugée embrasse deux formes d'irrecevabilité : l'irrecevabilité fondée sur la cause d'action et l'irrecevabilité pour identité des questions en litige. Selon les termes de la décision antérieure de la juge Tremblay-Lamer, en supposant sans trancher la question que les conditions requises pour appliquer l'irrecevabilité fondée sur la cause d'action et l'irrecevabilité pour identité des questions en litige sont réunies, il est clair selon l'arrêt de la Cour suprême du Canada Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, que l'existence de ces conditions d'application préalables ne suffit pas. La Cour doit aussi décider, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette irrecevabilité doit être appliquée.

[189]        Dans l'arrêt Danyluk, précité, le juge Binnie, au paragraphe 63 de ses motifs, a fait référence à la jurisprudence de la Colombie-Britannique portant que l'irrecevabilité est une doctrine issue de l'équité, qui présente des liens étroits avec l'abus de procédure; elle est conçue comme un moyen de rendre justice et de protéger contre l'injustice. Elle implique l'exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire pour assurer le respect de l'équité selon les circonstances propres à chaque espèce.


[190]        S'agissant des tribunaux administratifs, le juge Binnie a énuméré un certain nombre de facteurs à soupeser. Certains ne sont pas pertinents dans le cas où il s'agit de la décision d'un tribunal judiciaire et non de la décision d'un tribunal administratif, comme c'était le cas dans l'arrêt Danyluk, précité.

[191]        Le juge Binnie a identifié l'existence d'un droit d'appel et le risque d'injustice, ce dernier facteur étant le plus important.

[192]        Eu égard aux observations de Rhoxal devant la Cour d'appel fédérale lors de l'appel interjeté contre la décision de la juge Tremblay-Lamer au moment où l'argument du caractère théorique a été invoqué comme motif de rejet de l'appel, je suis persuadé que l'application de ces deux formes d'irrecevabilité en l'espèce créerait une nette injustice envers Novartis.

[193]        J'ai conclu en ce sens dans la décision Novartis Pharmaceuticals, précitée, où j'ai tranché à l'encontre de Rhoxal qui avait cherché dans cette procédure à faire radier la demande de Novartis au motif de l'abus de procédure, décision dont Rhoxal n'a pas interjeté appel.


b)         La capsule de Rhoxal, une fois ingérée, forme-t-elle un hydrosol dans l'estomac humain?

[194]        Je n'ai pas de peine à conclure, de fait, que la capsule de Rhoxal, après ingestion, forme un hydrosol après être entrée en contact avec l'eau et les sucs gastriques de l'estomac humain. L'hydrosol formé est composé de petites particules solides de cyclosporine stabilisée et mise en suspension dans le milieu aqueux de l'estomac humain.

[195]        En réalité, la preuve de cette conclusion de fait est surabondante. M. Ambühl a effectué des analyses de la formulation de Rhoxal et trouvé un hydrosol renfermant de petites particules solides de cyclosporine. Il a bien soutenu le contre-interrogatoire.

[196]        M. Bugay n'a pas été contre-interrogé. Il a procédé à des expériences sur la capsule de Rhoxal et son contenu. Il a trouvé des particules solides lorsque la micro-émulsion causée par le contact de la formulation de Rhoxal avec l'eau était examinée par microscopie électronique à balayage environnemental (MEBE).

[197]        M. Brittain n'a pas cherché les petites particules que M. Ambühl avait trouvées et la solidité de ses autres analyses a été affaiblie en contre-interrogatoire.

[198]        M. Cartilier n'a effectué aucune expérience; sa théorie n'est pas prouvée et elle est contredite par des éléments de preuve fiables au dossier.


c)          L'avis d'allégation de Rhoxal est-il justifié?

[199]        L'avis d'allégation de Rhoxal serait justifié si la capsule de Rhoxal, qui crée, comme je l'ai conclu selon la prépondérance de la preuve, un hydrosol répondant aux spécifications d'un hydrosol dans le brevet 656, ne contrefaisait pas ce brevet. Rhoxal fait valoir que sa capsule ne constitue pas une contrefaçon, selon l'interprétation du brevet, du fait que le brevet 656 ne vise pas un hydrosol formé in situ, mais est plutôt limité aux hydrosols formés avant l'ingestion; il se limite également aux préparations pharmaceutiques avant l'ingestion.

i)          Les principes d'interprétation du brevet

[200]        En matière d'interprétation du brevet, l'approche correcte a été fixée récemment par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Free World Trust et Whirlpool Corp., précités, dans lesquels le juge Binnie a rédigé les motifs au nom de la Cour unanime.

[201]        J'aborde d'abord l'arrêt Free World Trust, précité, où il a commencé son analyse en déclarant au paragraphe 13 : « La protection assurée par un brevet se fonde sur la notion d'un marché conclu entre l'inventeur et le public. En contrepartie de la divulgation de l'invention, l'inventeur obtient, pour un certain laps de temps, le droit exclusif de l'exploiter. »

[202]        Au paragraphe 14, il a déclaré que les revendications du brevet sont « souvent comparées à des "clôtures" et à des "frontières" qui délimiteraient clairement les "champs" faisant l'objet du monopole. » Il écrit au paragraphe 15 :


15 En réalité, les « clôtures » sont souvent constituées d'une superposition complexe de définitions de différents éléments (ou « composants » ou « caractéristiques » ou « parties intégrantes » ) dont la complexité, l'interchangeabilité et l'ingéniosité sont variables. Un ensemble de mots et d'expressions définit le monopole, met le public en garde et piège le contrefacteur. Dans certains cas, les éléments précis de la « clôture » peuvent être cruciaux ou « essentiels » au fonctionnement de l'invention revendiquée; dans d'autres, l'inventeur peut envisager que des variantes puissent aisément être employées ou substituées sans que cela ne modifie substantiellement le fonctionnement de l'invention, et la personne versée dans l'art qui prend connaissance de la teneur de la revendication peut le constater. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l'essentiel et le non-essentiel et d'accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d'un brevet valide.

[203]        Il se lance alors dans l'interprétation des revendications et déclare au paragraphe 20 :

20 Compte tenu de la preuve d'expert entendue en première instance concernant le sens des termes utilisés et vu la compréhension que pouvait en avoir à la date du brevet un travailleur moyen versé dans l'art des appareils dlectromagnétothérapie et ayant les connaissances usuelles des personnes travaillant dans ce domaine, il appert que certains éléments des brevets 156 et 361 sont essentiels pour que l'appareil fonctionne comme l'a prévu l'inventeur et conformément aux revendications, et que d'autres ne le sont pas. Les éléments non essentiels peuvent être substitués ou omis sans que la construction ou le fonctionnement de l'invention décrite dans les revendications n'en soit substantiellement modifié. [Non souligné dans l'original.]

[204]        Le juge Binnie examine ensuite les questions de contrefaçon aux paragraphes 28 et 29 :

28 Le présent pourvoi porte essentiellement sur la contrefaçon. Depuis au moins l'arrêt Grip Printing and Publishing Co. of Toronto c. Butterfield (1885), 11 R.C.S. 291, il est établi que le titulaire d'un brevet dispose d'un recours contre tout contrefacteur éventuel qui, sans s'approprier littéralement l'invention, s'approprie néanmoins l'essentiel de celle-ci (ou sa « substance » ). Cette protection accrue du breveté est reconnue en droit anglo-canadien. Elle est également accordée dans une forme modifiée aux États-Unis suivant la théorie des équivalents, qui peut être invoquée à l'encontre du fabricant d'un appareil accomplissant essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat : Graver Tank & Mfg. Co. c. Linde Air Products Co., 339 U.S. 605 (1950), à la p. 608.


29 Limiter la portée de la « contrefaçon de l'essentiel du brevet » est manifestement une importante question d'intérêt public. L'application purement textuelle des revendications permettrait à une personne versée dans l'art d'apporter à l'appareil des modifications légères et sans importance et de s'approprier ainsi l'essentiel de l'invention en copiant l'appareil tout en échappant au monopole. Une interprétation plus large risque par contre de conférer au breveté les avantages d'inventions qui ne lui sont pas attribuables dans les faits, mais qui pourraient être jugées, avec le recul, « équivalentes » à ce qui a été inventé. Un tel résultat serait injuste pour le public et pour les concurrents. Il importe que le système de concession de brevets soit juste et que son fonctionnement soit prévisible. [Non souligné dans l'original.]

[205]        Il a déclaré que l'appel dont il était saisi soulevait « la question fondamentale de la démarche qui s'impose pour arbitrer "contrefaçon textuelle" et "contrefaçon de l'essentiel du brevet" de façon à obtenir un résultat juste et prévisible » et il a énoncé les propositions suivantes au paragraphe 31 :

a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant lquité que la prévisibilité.

c) La teneur d'une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet.

d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s'en remettre à des notions imprécises comme « l'esprit de l'invention » pour en accroître ltendue.

e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

(i) en fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention;

(ii) à la date à laquelle le brevet est publié;

(iii) selon qu'il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l'emploi d'une variante d'un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l'invention, ou

(iv) conformément à l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu'un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

(v) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l'intention de l'inventeur.

f) Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.


[206]        J'ai l'intention de discuter brièvement les fondements des propositions du juge Binnie. Comme fondement de sa première proposition, le juge Binnie s'est appuyé sur certaines dispositions de l'ancienne Loi sur les brevets de 1985 et, en particulier, sur l'article 34 de celle-ci qui visait le contenu du mémoire descriptif d'une invention.

[207]        Il a parcouru la jurisprudence appuyant ce qu'il a appelé « la primauté de la teneur des revendications » et renvoyé à l'arrêt de la Chambre des lords Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, en indiquant que la primauté de la teneur des revendications, déjà profondément enracinée dans la jurisprudence canadienne, devait être de nouveau confirmée dans l'appel dont il était saisi.

[208]        Il a expliqué sa deuxième proposition en déclarant, au paragraphe 41 : « L'étendue de la protection découlant du brevet doit être non seulement équitable, mais aussi raisonnablement prévisible. Après tout, un brevet est un document public » et la « portée de l'interdiction qui y est faite doit être claire, de façon que les citoyens sachent quelles avenues leur demeurent ouvertes » . Selon le juge Binnie, les propriétaires de brevets, les auteurs de contrefaçon potentiels et le public ont « droit à des règles claires et précises définissant l'étendue du monopole accordé. Il s'ensuit que les éléments subjectifs ou discrétionnaires d'interprétation des revendications (p. ex. la recherche de l'insaisissable "esprit de l'invention") doivent être tenus au minimum compatible avec l'octroi à l'inventeur de [traduction] "l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi" » . (Voir le paragraphe 43.)

[209]        Il a conclu la question en déclarant : « La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l'équité résulte de l'interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l'objet. » Il a dit que « [t]raditionnellement, les tribunaux ont protégé le breveté contre les effets d'une interprétation trop textuelle » et fait observer que le brevet « ne s'adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l'art » , citant H. G. Fox dans l'ouvrage The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4th ed. 1969), qui définit celui-ci comme [traduction] « un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l'art dont relève l'invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée » .

[210]        Le juge Binnie a exprimé l'opinion qu'il n'y avait qu'une seule approche en matière de contrefaçon, soit la contrefaçon à l'égard des revendications telles qu'elles sont rédigées, mais interprétées « en fonction de l'objet » . Il a rejeté l'approche consistant à décider si l'appareil présumé de contrefaçon « s'est littéralement approprié l'invention » et, si ce n'est pas le cas, à passer à l'étape suivante qui consiste à déterminer « s'il y a eu contrefaçon de l'"essentiel" de l'invention » .

[211]        Il a déclaré au paragraphe 50 de ses motifs : « L'"interprétation téléologique" supprime le premier volet correspondant à une interprétation purement textuelle, mais elle resserre l'interprétation de ce qui constitue l'"essentiel" ou la "substance" de l'invention et ce, afin qu'un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. »

[212]        Le juge Binnie s'est ensuite étendu sur la proposition portant que, suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas, et il a souligné que la distinction entre les éléments essentiels et les éléments non essentiels s'appréciait en tenant compte de trois facteurs :

1)         en fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention;

2)         ce qui constitue un élément « essentiel » doit être déterminé en fonction des connaissances acquises dans le domaine à la date de la publication du mémoire descriptif;

3)         il faut se demander s'il était manifeste, au moment où le brevet a été publié, que la substitution d'une variante modifierait le fonctionnement de l'invention.

[213]        Je présente ces observations sur les trois facteurs mentionnés par le juge Binnie comme fondement de la distinction à faire entre les éléments essentiels et les éléments non essentiels.

[214]        Le juge Binnie, au paragraphe 51 de ses motifs, a insisté sur le fait que « [l]'interprétation des revendications avec le concours d'un destinataire versé dans l'art » donne au breveté « l'assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d'un expert concernant leur sens technique » . Il a ajouté :


51. ... Les mots choisis par l'inventeur seront interprétés selon le sens que l'inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d'une manière qui est favorable à l'accomplissement de l'objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l'inventeur qui s'exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s'en prendre qu lui-même. Le public doit pouvoir s'en remettre aux termes employés à condition qu'ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Non souligné dans l'original.]

[215]        Le deuxième facteur de distinction concerne les connaissances acquises dans le domaine à la date de la publication par un lecteur versé dans l'art dont relève l'invention, c'est-à-dire [traduction] « ce qu'un ouvrier habile qui aurait lu le mémoire descriptif à l'époque aurait jugé divulgué et revendiqué par le mémoire » . Le juge Binnie cite le juge Hoffmann (tel était lors son titre) dans la décision Improver Corp. c. Remington Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181 (Pat. Ct.), à la page 182 : [traduction] « Le fait que la variante n'influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l'invention aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. »

[216]        S'agissant du dernier facteur distinctif, il s'agit de se demander « s'il était manifeste, au moment où le brevet a été publié, que la substitution d'une variante modifierait le fonctionnement de l'invention » .

[217]        Pour décider si ce critère est rempli, le juge Binnie a approuvé les trois questions que lord Hoffmann avait exposées dans la décision Improver, précitée. Ces trois questions ont été posées à M. McGinity; ces questions et les réponses de M. McGinity sont présentées aux paragraphes 105 à 107 des présents motifs.

[218]        L'une des propositions formulées par le juge Binnie au paragraphe 31 de ses motifs porte que l'identification des éléments essentiels ou non essentiels sera déterminée conformément à l'intention de l'inventeur. Le juge Binnie note au paragraphe 58 que l'inventeur, dans le brevet, « s'adresse à d'autres personnes exerçant leurs activités dans le même domaine » et que les tribunaux « reconnaissent que la langue comporte des pièges et ils font ce qu'ils peuvent pour accorder à l'inventeur [traduction] "l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi" » .

[219]        La dernière notion que je tire de l'arrêt Free World Trust, précité, est que la bonne comparaison, dans une affaire de contrefaçon, doit s'effectuer entre les revendications telles qu'elles sont formulées dans le brevet et les appareils ou produits mis sur le marché par l'auteur présumé de la contrefaçon.

[220]        La Cour suprême du Canada a publié son arrêt Whirlpool, précité, le jour de la publication de l'arrêt Free World Trust, précité. Il n'est pas nécessaire que je résume les motifs du juge Binnie dans l'arrêt Whirlpool, précité, mais j'extrais de cette affaire les éléments suivants :

1)         ce sont les revendications, et non le reste du mémoire descriptif, qui définissent le monopole (paragraphe 18);


2)         au paragraphe 48, citant l'arrêt Catnic, précité, « comme dans la jurisprudence antérieure, ce sont les revendications écrites qui précisent la portée du monopole, mais comme auparavant, on obtient la souplesse et l'équité en différenciant les caractéristiques essentielles ("l'essence") de celles qui ne sont pas essentielles, au moyen d'une lecture éclairée de l'ensemble du mémoire descriptif par la personne versée dans l'art à qui il s'adresse plutôt qu'au moyen du "genre d'analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation" (Catnic, précité, à la p. 243) » ;

3)         les tribunaux vont « considérer l'ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) » pour « déterminer la nature de l'invention et son mode de fonctionnement » . « Ce n'est pas le moment d'être trop rusé ou formaliste en matière d'oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif » (paragraphe 49), comme l'a dit le juge Dickson (tel était alors son titre), dans l'arrêt Consolboard cité par le juge Binnie, « s'en tenir au dictionnaire pour interpréter le sens des mots utilisés dans les revendications... cette méthode doit être rejetée » (paragraphe 52);

4)         « le mémoire descriptif du brevet s'adresse non pas aux grammairiens, aux étymologistes ou au public en général, mais plutôt aux personnes suffisamment versées dans l'art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l'invention » (paragraphe 53);

5)         « La connaissance de l'objet visé est l'un des attributs importants que le travailleur versé dans l'art apporte à l'exercice » (paragraphe 53);

6)         une « variante préférée » ... ne représente pas nécessairement l'invention au complet » (paragraphe 54);

7)         l'interprétation téléologique ne permet pas qu'on « excède les limites du mémoire descriptif, et les deux se limitent à bon droit au libellé des revendications interprété dans le contexte de l'ensemble du mémoire descriptif » (paragraphe 49).


ii)         L'application des principes à l'espèce

[221]        Interprétant la revendication 2a) du brevet 656 de façon téléologique par un examen de l'ensemble de la divulgation et des revendications et m'étant fait expliquer la signification des termes de la revendication par des experts versés dans l'art de la formulation des préparations pharmaceutiques, j'en ai conclu qu'une forme d'hydrosol in situ est comprise dans la portée de la revendication comme préparation pharmaceutique comprenant un hydrosol. Une « préparation pharmaceutique » , selon l'interprétation qu'il convient de lui donner, ne se limite pas à un hydrosol préparé avant l'ingestion, et la revendication 2a) ne se limite pas à des applications parentérales.

[222]        Je reconnais que cette conclusion diffère de celle à laquelle en est venue la juge Tremblay-Lamer dans sa décision.

[223]        À la lecture de sa décision, il appert que la preuve dont elle a été saisie était substantiellement différente de celle qui m'a été soumise et que la différence justifie la conclusion contraire que j'ai tirée.


[224]        Je ne pense pas qu'on puisse remettre en question que l'essence de l'invention dont il est question dans le brevet 656 tient à la création d'un hydrosol de particules solides de cyclosporine sous une forme stable dont le diamètre en nanomètres se situe dans la fourchette de dimensions spécifiée. Le but de cet hydrosol est de faire en sorte que la cyclosporine du médicament soit plus solide et plus stable de façon à pouvoir être absorbée plus facilement dans l'organisme humain et être ainsi plus efficace.

[225]        On ne peut contester non plus que le brevet 656 est clair et que, les experts de Novartis l'ont reconnu, la version privilégiée du brevet 656 est la formation d'un hydrosol pour injection intraveineuse.

[226]        Il reste à savoir si les inventeurs de ce brevet ont créé une limite contenue dans les revendications, qui écarterait de la portée du brevet un hydrosol formé in situ après l'ingestion. Je ne le crois pas.

[227]        Le premier paragraphe de la description du brevet 656 se lit comme suit :

[traduction]

Cette invention concerne des hydrosols d'agents pharmacologiquement actifs mis en suspension ou pouvant être remis en suspension dans un milieu aqueux.

[228]        Il est vrai, comme l'avocat de Rhoxal l'a vigoureusement soutenu, qu'on trouve tout au long du mémoire descriptif plusieurs références à l'application de l'invention pour une administration par voie intraveineuse.

[229]        Toutefois, ces références sont nuancées par les termes [traduction] « spécialement » (page 1), « en particulier » (page 2), « l'invention fournit également un hydrosol » (pages 7, 9, 11 et 12).

[230]        En outre, on renvoie expressément à l'administration par voie orale. Les deux premiers paragraphes entiers de la page 7 du mémoire descriptif se lisent comme suit :

[traduction]

La cyclosporine est particulièrement utile dans le domaine de la transplantation et des maladies auto-immunes où elle est administrée par voie orale en quantités d'environ 50 à 900 mg, ... elle peut également être administrée par voie intraveineuse...

L'invention fournit également un hydrosol comprenant des particules solides d'une cyclosporine ou ... sous une forme pharmaceutiquement acceptable, stabilisée, laquelle forme est en suspension ou est sèche et peut être remise en suspension dans un milieu aqueux.

[231]        La description de la page 10 est également instructive. On y indique que les particules d'hydrosol, d'après l'invention, sont préparées de façon différente par rapport à la méthode employée dans l'état de la technique. Le troisième paragraphe entier à la page 10 indique que :

[traduction]

La présente invention offre un processus qui prévoit qu'une solution d'un agent actif difficilement soluble dans l'eau placée dans un solvant organique miscible dans l'eau est mélangée à une quantité relativement importante d'eau dans certaines conditions...

[232]        Le paragraphe suivant de la page 10 du mémoire descriptif fait ressortir une autre différence par rapport à l'état de la technique qui a trait aux particules d'hydrosol, et le dernier paragraphe complet de la page 10 du mémoire descriptif se lit comme suit :

[traduction]

Les nouvelles formes d'hydrosol peuvent en particulier être préparées de la façon suivante : une solution de l'agent actif dans un solvant qui est miscible avec l'eau, c.-à -d. dans l'alcool, p. ex. lthanol... et mélangée avec une quantité relativement importante d'eau, dans des conditions telles qu'un hydrosol est formé.

[233]        Enfin, il convient de noter que la revendication 1 se limite expressément à une préparation pharmaceutique destinée à une administration intraveineuse comprenant un hydrosol alors que la revendication 2 est ouverte : elle prévoit simplement une préparation pharmaceutique, dont l'ingrédient actif comprend de la cyclosporine, ladite préparation comprenant un hydrosol.

[234]        Dans son affidavit du 30 avril 2002, M. McGinity, en invoquant plusieurs des indicateurs établis dans le brevet, a interprété les revendications 1 et 2 d'une manière établissant que la revendication 2 ne se limite pas à des préparations intraveineuses et inclut des formes posologiques orales telles qu'une capsule ou une solution. Il était d'avis que l'allégation de Rhoxal de non-contrefaçon du brevet 656 ne peut être correcte parce que le produit de Rhoxal formera un hydrosol lorsqu'il est pris par le patient.

[235]        M. McGinity n'a pas été contre-interrogé et j'ajoute que M. Cartilier a admis en contre-interrogatoire que le mémoire descriptif du brevet 656 ne se limitait pas dans le texte à une application intraveineuse.

[236]        Enfin, je trouve artificiel l'argument de Rhoxal selon lequel le terme « préparation pharmaceutique » devrait se limiter aux préparations avant l'ingestion; un tel argument privilégie la forme plutôt que la substance.


[237]        Le témoignage de MM. Ambühl et McGinity montre clairement qu'une préparation pharmaceutique peut prendre plusieurs formes à cause des transformations qui s'opèrent. Les personnes versées dans l'art savent bien que ces transformations peuvent survenir in situ de façon que l'invention puisse exercer ses bienfaits in situ, c'est-à-dire remplir la fonction pour laquelle elle a été conçue. La capsule de Rhoxal, une fois ingérée, forme inévitablement un hydrosol lorsqu'elle entre en contact avec l'eau ou les sucs gastriques dans l'estomac.

[238]        Je conclus qu'un hydrosol formé in situ est une préparation pharmaceutique visée par la revendication 2 a) du brevet 656.

[239]        Pour ces raisons, Novartis a établi que l'avis d'allégation de Rhoxal n'est pas justifié. Par conséquent, le ministre de la Santé n'est pas autorisé à délivrer un avis de conformité à Rhoxal pour ses capsules molles de 25 mg et 50 mg de cyclosporine pour administration orale.

d)          La théorie des équivalents s'applique-t-elle et, le cas échéant, qu'en résulte-t-il?

[240]        L'avocat de Novartis a plaidé en faveur de l'application de la théorie des équivalents si j'en venais à la conclusion que la revendication 2a) se limitait aux hydrosols formés avant l'ingestion. Selon lui, un hydrosol formé in situ est l'équivalent d'un hydrosol formé à l'extérieur du corps qui est introduit dans l'organisme par injection ou ingestion.

[241]        Bien que j'aie conclu que la revendication 2a) ne se limite pas aux hydrosols formés à l'extérieur du corps, je puis me tromper, auquel cas, il est indiqué que je décide si un hydrosol formé in situ est l'équivalent d'un hydrosol formé à l'extérieur de l'organisme.


[242]        L'avocat de Rhoxal a soutenu que la théorie des équivalents ne s'appliquait aucunement à la procédure relative à l'avis de conformité qui est par nature sommaire, vise des fins administratives limitées et est différente d'une action pour contrefaçon.

[243]        Les deux avocats m'ont cité plusieurs décisions et, bien que le point puisse ne pas avoir été nettement tranché, les affaires citées par l'avocat de Novartis appuient l'idée que la Cour a entériné l'utilisation de la théorie des équivalents dans les procédures relatives à des avis de conformité (voir les arrêts de la Cour d'appel fédérale Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 8 C.P.R. (4th) 48, et Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 410, aux paragraphes 42 et 43).

[244]        S'il demeure des doutes quant à la question, je crois que l'arrêt du juge Binnie Free World Trust, précité, règle la question.

[245]        Il a intégré la théorie des équivalents dans le cours normal de l'enquête pour contrefaçon. C'est ce qui ressort du paragraphe 28 de l'arrêt de même que de sa discussion des éléments essentiels et non essentiels de l'invention, des facteurs qui déterminent leur répartition et, en particulier, du troisième facteur, à savoir s'il est évident au moment où le brevet a été divulgué que la substitution d'une variante modifierait le fonctionnement de l'invention, ce qui nous ramène aux trois questions posées par lord Hoffman dans la décision Improver, précitée.

[246]        M. McGinity a répondu à ces trois questions, a établi l'équivalence et n'a pas été contre-interrogé.

[247]        Sur la foi de son témoignage, je conclus qu'un hydrosol de particules de cyclosporine dont le diamètre en nanomètres est dans la fourchette spécifiée et qui est formé in situ est équivalent à un hydrosol de particules de cyclosporine ayant les mêmes spécifications et formé à l'extérieur de l'organisme.

[248]        Pour l'ensemble de ces motifs, la demande de Novartis est accueillie et une ordonnance d'interdiction visant le ministre de la Santé a été prononcée pour interdire la délivrance d'un avis de conformité à Rhoxal à l'égard de ses capsules de cyclosporine de 25 mg et 50 mg. Novartis a droit aux dépens.

« François Lemieux »

                                                                                                     Juge                          

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 mars 2004

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            T-462-02

INTITULÉ :                             NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC. ET AL.

c. RHOXALPHARMA INC. ET AL.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 6 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE LEMIEUX

DATE DE L'ORDONNANCE :       Le 29 mars 2004

COMPARUTIONS :

Anthony Creber

Jay Zakaib

John Norman                                                              POUR LES DEMANDERESSES

Marie Lafleur

Martin Sheehan                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLINGS

OTTAWA (ONTARIO)                                                            POUR LES DEMANDERESSES

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP

MONTRÉAL (QUÉBEC)                                                        POUR LA DÉFENDERESSE


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