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Date : 20020301

Dossier : IMM-2159-01

Référence neutre: 2002 CFPI 231

OTTAWA (ONTARIO), LE 1er JOUR DE MARS 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                     CARLOS EDUARDO MORENO FLORIAN

                                                                Demandeur

                                  - et -

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                Défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) selon laquelle le demandeur est exclu de l'application de la Convention aux termes de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention).

[2]                 Le demandeur principal est un citoyen du Pérou. Il allègue les faits suivants:


[3]                 À la fin du mois de novembre 1996, alors qu'il se déplaçait dans le cadre de son travail, le demandeur a découvert que le bateau à bord duquel il voyageait transportait des armes et des munitions. Après avoir fait cette découverte, le demandeur a fait part à son employeur de son intention de démissionner lors de son retour à Iquitos. Il fut alors ligoté, placé en cale et menacé de mort au cas où il tenterait de s'enfuir.

[4]                 Le demandeur fut transporté vers un endroit inconnu dans la jungle orientale et il s'est rendu compte qu'il était entouré de membres du Sentier Lumineux.

[5]                 Celui-ci est devenu un captif du Sentier Lumineux et a été obligé de travailler quatorze heures par jour dans l'agriculture et l'entretien des armes. Il a aussi subi un entraînement militaire de trois à quatre mois dans le maniement d'armes automatiques, le placement de mines et les opérations de kidnapping et d'assassinat. Tout au long de cette période, le demandeur a été averti qu'en cas de tentative de fuite, il serait tué.

[6]                 Pendant sa captivité, le demandeur fut contraint de participer à des actes de kidnapping aux côtés des guérilleros du Sentier Lumineux, et un jour il fut forcé de creuser une tombe pour l'enterrement d'un indigène qui avait été tué.

[7]                 Après deux ans de captivité, le demandeur a planifié une évasion avec deux indigènes qui étaient aussi des captifs des guérilleros mais cette tentative a échouée.

[8]                 En novembre 1998, le demandeur a réussi à s'enfuir au cours d'un affrontement entre les guérilleros et la police.


[9]                 Le demandeur a rejoint sa famille. Lui, son épouse et sa fille se sont cachés dans une ferme à cent vingt kilomètres de leur lieu de résidence. La protection de la police s'est avérée non disponible pour le demandeur. La seule alternative était la protection internationale.

[10]            Le demandeur est arrivé au Canada le 4 mars 1999 et a revendiqué le statut de réfugié le même jour. Son épouse et sa fille sont arrivées au Canada le 30 octobre 1999 et ont réclamé la protection du Canada le même jour. Celles-ci ont été reconnues comme réfugiées au sens de la Convention le 16 mars 2001.

[11]            Le demandeur a été exclu de l'application de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention. Le tribunal a trouvé singulier le fait que le demandeur se soit sauvé lorsque la police a attaqué le camp où il était détenu et qu'il ne se soit pas rendu au premier emplacement où se trouvaient les forces de l'ordre. Le tribunal conclut que même s'il n'avait aucune raison de croire que le demandeur s'était joint de son propre fait au Sentier Lumineux, il considérait que ce dernier ne s'était pas dissocié de ce groupe terroriste à la première occasion.


[12]            Le demandeur soutient qu'il était un captif, donc il n'a pas fait un choix personnel de participer à des actes de persécution. Quand on l'emmenait pour participer à des opérations il ne pouvait pas refuser d'y aller sauf au risque de sa vie. Il n'a jamais souscrit aux objectifs des guérilleros du Sentier Lumineux.

[13]            La définition de « réfugié au sens de la Convention » retrouvée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), exclut les personnes qui tombent sous le coup des sections E et F de l'article premier de la Convention.

[14]            Dans le présent dossier le demandeur a été exclu conformément à l'alinéa 1Fa) de la Convention. L'alinéa 1Fa) se lit comme suit:


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; [...]

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes; [...]


[15]            La norme de preuve comprise dans l'expression « raisons sérieuses de penser » en est une bien inférieure à celle qui est requise dans le cadre du droit criminel ( « hors de tout doute raisonnable » ) ou du droit civil ( « selon la prépondérance des probabilités ou prépondérance de preuve » ) (Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.)).

[16]            Comme l'indique le juge Linden dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), cette norme demande davantage que la suspicion ou la conjecture mais sans atteindre la norme de prépondérance de preuve. Cependant, je rappelle que compte tenu des conséquences graves pour les intéressés, les clauses d'exclusion doivent être interprétées restrictivement (Moreno, supra).

[17]            Dans R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 à la p. 814, le juge Cory a défini la notion de crime contre l'humanité de la façon suivante:

[...] Le crime contre l'humanité se distingue de toute autre infraction criminelle prévue au Code criminel canadien du fait que les actes cruels et atroces, qui sont des éléments essentiels de l'infraction, ont été commis dans la poursuite d'une politique de discrimination ou de persécution à l'égard d'un groupe ou d'un peuple identifiable. [...]

[18]            Plus récemment dans l'affaire Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66 à la p. 73, la Cour d'appel reprenait la définition adoptée par la Charte du Tribunal militaire international (Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe) [82 N.U.R.T. 279] à l'alinéa 6c) qui est rédigée comme suit:

Les crimes contre l'humanité: c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

[19]            En l'espèce, il n'y a aucun doute compte tenu des exactions sévères commises par ce groupe que le Sentier Lumineux est visé par l'alinéa 1Fa).

[20]            Cependant, le demandeur a-t-il agi pour le Sentier Lumineux? Les motifs de la décision du tribunal sont obscurs à cet égard.

[21]            D'une part, le tribunal reconnaît que le demandeur a été forcé de se joindre au Sentier Lumineux. D'autre part, le tribunal semble douter de la crédibilité du témoignage du demandeur, et pour cette raison, considère que le demandeur a sciemment minimisé son degré de participation aux actions du Sentier Lumineux. Or, le demandeur reconnaît avoir participé, quoique de façon limitée, aux activités du Sentier Lumineux. Ce qu'il nie, c'est de l'avoir fait de façon volontaire.

[22]            Si le tribunal ne croyait pas que l'histoire du demandeur était crédible, il aurait dû motiver sa conclusion dans des termes clairs et nets (Moreno, supra à la p. 315). Or, le tribunal ne l'a pas fait.


[23]            De plus, le tribunal semble conclure que peu importe la complicité du demandeur, ce dernier s'est rendu coupable d'un crime contre l'humanité car il a commis lui-même l'acte matériel constituant un crime contre l'humanité (Sivakumar, supra au para. 5). Encore une fois, le tribunal n'a pas pris en considération le fait que le demandeur a été fait prisonnier, qu'il allègue avoir été menacé de mort s'il s'échappait et qu'il a malgré tout tenté de s'échapper à la première occasion possible. Dans un tel cas, s'il conclut à sa crédibilité, le tribunal aurait dû aborder la question de contrainte.

[24]            Je rappelle que dans l'affaire Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), la Cour d'appel fédérale citait l'extrait suivant de James Hathaway, The Law of Refugee Status, (Toronto: Butterworths, 1991) à la page 218 au sujet de la défense de contrainte:

Second, it is possible to invoke [comme moyen de défense] coercion, state of necessity, or force majeure. Essentially, this exception recognizes the absence of intent where an individual is motivated to perpetrate the act in question only in order to avoid grave and imminent peril. The danger must be such that "a reasonable man would apprehend that he was in such imminent physical peril as to deprive him of freedom to choose the right and refrain from the wrong". Moreover, the predicament must not be of the making or consistent with the will of the person seeking to invoke the exception. Most important, the harm inflicted must not be in excess of that which would otherwise have been directed at the person alleging coercion. [notes omises].

[25]            Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accordée. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

     

                                                                      « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-2159-01

INTITULE : CARLOS EDUARDO MORENO FLORIAN c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L' IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTREAL, QUEBEC

DATE DE L'AUDIENCE: LE 19 FEVRIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU 1 MARS 2002

COMPARUTIONS

ME ODETTE DESJARDINS LA PARTIE DEMANDERESSE

ME SYLVIANE ROY LA PARTIE DEFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ME ODETTE DESJARDINS LA PARTIE DEMANDERESSE MONTREAL (QUEBEC)

M. MORRIS ROSENBERG LA PARTIE DEFENDERESSE SOUS-PROCUREUR GENERAL DU CANADA

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