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Date: 20190522


Dossier : T-1055-18

Référence : 2019 CF 725

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2019

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

RÉMY DUBEAU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Monsieur Rémy Dubeau demande le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal de la sécurité sociale, Division d’appel, lui ayant refusé la permission d’en appeler de la décision de la Division générale, au motif que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[2]  La Division générale a confirmé une décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada ayant refusé au demandeur le bénéfice de prestations au motif qu’il a été congédié pour inconduite.

II.  Remarques préliminaires

[3]  Le jour de l’audience, le demandeur a informé l’avocate du défendeur et le greffe de la Cour qu’il ne se présenterait pas, en dépit du fait qu’il a été dûment convoqué en conformité avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[4]  L’avocate du défendeur a demandé à la Cour de simplement rejeter la demande par défaut. La Cour a plutôt préféré exercer la discrétion que lui offre la Règle 38 et procéder à l’audition de la cause en l’absence du demandeur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hanjra, 2018 CF 207 au para 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hanjra, 2018 CF 208 au para 15):

Absence d’une partie

Absence of party

38 Lorsqu’une partie ne comparaît pas à une audience, la Cour peut procéder en son absence si elle est convaincue qu’un avis de l’audience lui a été donné en conformité avec les présentes règles.

38 Where a party fails to appear at a hearing, the Court may proceed in the absence of the party if the Court is satisfied that notice of the hearing was given to that party in accordance with these Rules.

[5]  En date de cette décision, le demandeur ne s’est pas manifesté à nouveau auprès du greffe de la Cour. Les présents motifs tiennent donc compte des mémoires respectifs des parties, ainsi que des observations orales de l’avocate du défendeur.

III.  Faits

[6]  Du 13 juillet 2016 au 28 novembre 2016, M. Dubeau était à l’emploi de la Commission scolaire régionale de Sherbrooke [CSRS], à titre d’ouvrier d’entretien.

[7]  Les faits ayant mené à son congédiement sont relativement simples et non contestés.

[8]  Le 18 novembre 2016, M. Dubeau a contacté le service de paye de la CSRS pour s’enquérir de la raison pour laquelle son chèque de paye était amputé d’une rémunération pour la fête du Travail et le congé de l’Action de grâce. Insatisfait des réponses reçues, il admet avoir perdu son sang-froid, avoir traité l’employée de « stupide » et lui avoir raccroché au nez.

[9]  Le 28 novembre 2016, alors qu’il débutait une nouvelle assignation pour la CSRS, M. Dubeau a reçu un appel d’une représentante des ressources humaines de l’employeur qui l’informait qu’une plainte avait été déposée contre lui en lien avec les évènements du 18 novembre 2016, et qu’elle désirait fixer une rencontre avec lui pour en discuter. Frustré du fait qu’une plainte avait été déposée contre lui et du fait qu’on le dérangeait alors qu’il débutait une nouvelle assignation et qu’il était pris par ses tâches, M. Dubeau admet avoir à nouveau perdu son sang-froid, avoir qualifié la plaignante d’«innocente » et avoir raccroché au nez de son interlocutrice.

[10]  Puisque l’employeur ne parvenait plus à contacter M. Dubeau, qui ne répondait plus à ses appels, il a dû passer par le directeur de l’école pour que ce dernier demande à M. Dubeau de rappeler la responsable des ressources humaines de façon urgente. M. Dubeau lui a répondu qu’il ne rappellerait pas et lui a suggéré, s’il y avait urgence, de composer le 911.

[11]  M. Dubeau a été congédié le même jour pour insubordination et travail inadéquat.

[12]  Après enquête auprès de M. Dubeau et de la CSRS, la Commission de l’assurance-emploi a informé M. Dubeau qu’il n’avait pas droit aux prestations régulières de l’assurance-emploi en raison du fait qu’il a perdu son emploi pour inconduite.

[13]  M. Dubeau a d’abord demandé à la Commission de l’assurance-emploi de reconsidérer sa décision, ce qu’elle a refusé de faire après avoir reçu les informations supplémentaires requises des parties.

[14]  M. Dubeau a porté la décision de la Commission en appel devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Il explique essentiellement que le 18 novembre 2016, il s’est fâché en raison du mauvais service reçu et du manque de respect et de compréhension des employés du service de paye à son égard. Quant aux évènements du 28 novembre, il plaide que son comportement ne devrait pas être interprété comme de l’inconduite puisqu’il travaillait au moment de recevoir l’appel des ressources humaines, qu’il était frustré d’apprendre qu’une plainte avait été déposée contre lui et qu’il désirait laisser tomber la poussière avant de contacter les ressources humaines. Il ajoute qu’il a toujours exécuté ses tâches pour la CSRS avec compétence et qu’il n’a reçu que de bons commentaires. Il reproche à la CSRS de l’avoir congédié sans avertissement préalable.

[15]  La Division générale reprend essentiellement les motifs de la Commission et conclut qu’en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23, une personne peut être exclue des prestations si elle perd son emploi pour cause d’inconduite. Constitue de l’inconduite, le comportement qui a un caractère volontaire ou délibéré ou qui résulte d’une insouciance ou d’une négligence frôlant le caractère délibéré. Il doit également exister une relation de cause à effet entre l’inconduite et le congédiement.

[16]  Or, il existe en l’instance suffisamment de motifs démontrant le caractère délibéré de l’inconduite du demandeur. Avant de le congédier, l’employeur a donné la chance au demandeur de donner calmement sa version des faits, occasion que ce dernier n’a pas saisie. Il a plutôt fait preuve de manque de respect et d’insubordination, ce qui a eu pour effet de rompre le lien de confiance entre lui et l’employeur. À nouveau, il a fait preuve d’un comportement conscient, délibéré et intentionnel (Forgues c Canada (Procureur Général), 2006 CAF 120; Mishibinijima c Canada (Procureur général), 2007 CAF 36; Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314).

[17]  La Division générale conclut que c’est le comportement de M. Dubeau qui a mené à son congédiement; il savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il avait de fortes chances d’être congédié (Mishibinijima au para 14; Canada (Procureur général) c Nolet (19 mars 1992), Québec A-517-91 (CAF)).

[18]  L’employeur a donc rencontré son fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, que M. Dubeau a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Bartone (18 janvier 1989), Toronto A-369-88 (CAF); Canada (Procureur général) c Davlut (10 décembre 1982), Toronto A-241-82 (CAF)).

[19]  Une fois cette preuve faite, la Division générale n’a pas à se demander si le congédiement était justifié. En d’autres termes, le comportement de l’employeur n’est pas en cause devant le Tribunal de la sécurité sociale (Canada (Procureur Général) c Marion, 2002 CAF 185; Canada (Procureur général) c McNamara, 2007 CAF 107; Fleming c Canada (Procureur Général), 2006 CAF 16).

[20]  Par conséquent, la Division générale conclut que le demandeur a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[21]  M. Dubeau a déposé une demande de permission d’en appeler de cette décision devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Sans réellement donner plus de détails, il réitère qu’il a été provoqué par les employés du service de paye qui ont manqué de respect à son égard. À son avis, la Division générale a mal interprété différents aspects de son témoignage.

[22]  M. Dubeau ajoute qu’il ne devrait pas supporter seul la responsabilité de son congédiement et que la Division générale a erré en concluant le contraire.

IV.  Décision contestée

[23]  La Division d’appel rappelle que les seuls moyens d’appel d’une décision de la Division générale sont (1) le non-respect d’un principe de justice naturelle ou le refus d’exercer sa compétence, (2) une erreur de droit, et (3) une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Pour que la permission d’appeler soit accordée, un demandeur doit soulever l’un de ces motifs, et il doit démontrer que son appel a une chance raisonnable de succès.

[24]  La Division d’appel refuse au demandeur la permission d’en appeler de la décision de la Division générale au motif qu’il ne fait que répéter la version des faits déjà soumise à la Division générale, que sa demande ne soulève aucun moyen d’appel sérieux et qu’il n’a pas démontré que son appel a quelque chance raisonnable de succès.

V.  Questions en litige et norme de contrôle

[25]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une question :

La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a-t-elle erré en refusant au demandeur la permission d’en appeler de la décision de la Division générale?

[26]  La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable (Canada (Procureur général) c Bernier, 2017 CF 120 aux para 7-8).

VI.  Analyse

[27]  Précisons d’abord que la Cour n’est pas directement saisie du mérite de l’appel logé par le demandeur, mais bien du refus par la Division d’appel de lui accorder la permission d’en appeler de la décision de la Division générale.

[28]  Pour qu’une permission soit accordée par la Division d’appel, la demande doit avoir une chance raisonnable de succès. Un appel a une chance raisonnable de succès lorsqu’il soulève « certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115 au para 12). Le fardeau du demandeur est considérablement moins élevé qu’au mérite.

[29]  Les paragraphes 58(1) et 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34  circonscrivent le pouvoir d’intervention de la Division d’appel à l’égard d’une décision de la Division générale.

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

[30]  Dans Karadeolian c Canada (Procureur général), 2016 CF 615 au paragraphe 10, le juge Robert Barnes explique toutefois que la Division d’appel ne doit pas se limiter aux moyens d’appel expressément soulevés par une partie qui se représente seule; si la Division d’appel constate que certains éléments de preuve ont été ignorés par la Division générale, elle devrait accorder la permission d’en appeler.

[31]  Dans sa demande d’appel et sa lettre de clarification, le demandeur soumet que la Division générale a commis une erreur de fait en le trouvant entièrement responsable de son inconduite. Il ne conteste cependant pas les faits tels que relatés par la Division générale; il soutient plutôt que ceux-ci ne constituent pas de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Bien qu’il ne l’exprime pas en autant de mots, le demandeur semble en réalité reprocher à la Division générale de ne pas avoir tenu compte du comportement de l’employeur pour expliquer sa propre inconduite.

[32]  D’abord, le comportement de l’employeur n’est pas pertinent pour déterminer si un demandeur est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi lorsqu’il y a un congédiement pour inconduite (Paradis c Canada (Procureur général), 2016 CF 1282 aux para 30-31; Fleming au para 10). Le fait que la sanction soit trop sévère ou que l’employé n’ait pas eu le bénéfice d’une gradation des sanctions n’est pas non plus pertinent.

[33]  Par ailleurs, je suis d’avis que tant la Division générale que la Division d’appel ont tenu compte de l’ensemble de la preuve et des arguments soulevés par le demandeur. La Division générale a conclu qu’il y avait eu inconduite de la part du demandeur, alors que la Division d’appel a conclu à bon droit que la demande de permission du demandeur ne soulevait aucune question de droit, de fait ou de compétence qui pourrait mener à l’annulation de la décision de la Division générale.

[34]  La demande de permission ne soulève pas de question de fait puisque le demandeur ne conteste pas la version des faits retenue par la Division générale. En interprétant généreusement la demande de permission d’en appeler, il est possible de conclure qu’elle soulève une question de droit; le demandeur considère que le comportement de l’employeur est pertinent pour déterminer si son propre comportement constitue de l’inconduite. Or, tel qu’indiqué plus haut, il s’agit là d’une question de droit qui a été tranchée définitivement par la Cour d’appel fédérale; cet élément n’est pas pertinent (Fleming au para 10).

[35]  Aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, seule la conduite du prestataire est pertinente pour déterminer s’il devrait être exclu du bénéfice des prestations :

Exclusion : inconduite ou départ sans justification

Disqualification — misconduct or leaving without just cause

30. […] prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification […]

30. […] claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause […]

[36]  Même en acceptant que les reproches du demandeur à l’encontre de son employeur sont bien fondés, il n’appartient pas aux contribuables canadiens de faire les frais de la conduite fautive de l’employeur par le biais des prestations d’assurance-emploi (McNamara au para 23; Paradis  au para 34).

[37]  La question déterminante est celle de savoir si l’acte ou l’omission reproché à l’employé constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (McNamara aux para 22-23).

[38]  Or, il est reconnu que le comportement du demandeur, ses propos irrespectueux et son insubordination peuvent constituer de l’inconduite (Auclair c Canada (Procureur général), 2007 CAF 19 au para 3). D’ailleurs, le demandeur ne conteste pas qu’il a une certaine part de responsabilité dans le bris du lien de confiance avec son employeur (Mémoire du demandeur, para 57). Il savait donc ou aurait dû savoir que ses agissements étaient de nature à entrainer son congédiement (Mishibinijima au para 14; Canada (Procureur général) c Lee, 2007 CAF 406 au para 6).

VII.  Conclusion

[39]  Je suis donc d’avis que la Division d’appel n’a pas erré en concluant que l’appel du demandeur ne soulevait aucune question de compétence, de fait, ou de droit ayant une chance raisonnable de succès. La demande de contrôle judiciaire du demandeur sera donc rejetée.

[40]  Puisque le défendeur ne demande pas de frais, aucun ne sera accordé.


JUGEMENT au dossier T-1055-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns frais ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1055-18

INTITULÉ :

RÉMY DUBEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AVRIL 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Sylvie Doire

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

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