Date : 20020128
Dossier : IMM-5341-00
OTTAWA (ONTARIO), le 28 janvier 2002
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN
ENTRE :
MARGARET AKOMAH
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
VU la demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration a refusé, le 2 août 2000, que la demanderesse présente une demande de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire;
ET APRÈS avoir lu les documents et entendu les prétentions des parties;
ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés aujourd'hui;
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 2 août 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour être examinée de nouveau.
2. Aucune question n'est certifiée.
« Dolores M. Hansen »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20020128
Dossier : IMM-5341-00
Référence neutre : 2002 CFPI 99
ENTRE :
MARGARET AKOMAH
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE HANSEN
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration (l'agente) a refusé, le 2 août 2000, que Margaret Akomah (la demanderesse) présente une demande de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. L'agente a considéré que le mariage de la demanderesse était un mariage de convenance.
Contexte
[2] La demanderesse, une citoyenne du Ghana, a épousé Frank Oduro à Scarborough (Ontario), en avril 1997. Son mari a présenté une demande dans le but de parrainer sa demande d'établissement en novembre 1998.
[3] La demanderesse affirme qu'elle a découvert, peu de temps après son mariage, que son mari avait eu un enfant avec une autre femme. Elle a alors décidé de se séparer de son mari et d'aller habiter à Montréal. Le couple s'est réconcilié peu de temps après et a recommencé à vivre ensemble au cours du printemps de 1998.
[4] L'agente a rencontré séparément la demanderesse et son mari le 15 septembre 1999. Elle a mis en doute l'authenticité du mariage de la demanderesse parce que les enquêteurs de l'Immigration qui s'étaient rendus chez Josiahn Saunders, la mère du fils de Frank Oduro, le 16 février 1999, avaient constaté que ce dernier vivait aussi à cet endroit. L'enquêteur avait aussi noté qu'[traduction] « Oduro n'a jamais vécu avec Margaret Akomah » . En outre, l'adresse indiquée sur le permis de conduire de M. Oduro, que celui-ci a présenté comme pièce d'identité, est différente de celle qui figure dans les documents de la demanderesse. L'agente soupçonnait donc que le mariage de la demanderesse et de Frank Oduro était un mariage de convenance.
[5] La demanderesse et son mari ont tous deux attesté l'authenticité de leur mariage dans des affidavits.
[6] Après avoir rencontré les deux parties, l'agente d'immigration a rejeté la demande au motif que le mariage n'était pas authentique.
Décision faisant l'objet du présent contrôle judiciaire
[7] Les notes prises par l'agente rapportent en détail les réponses données par la demanderesse et son mari aux questions qui leur ont été posées au sujet de la situation de la demanderesse au Ghana, de leur première rencontre, de l'endroit où ils vivent, de leurs meubles et de leur vie quotidienne. L'agente a écrit ce qui suit au sujet de l'enfant de Frank Oduro et de la relation de ce dernier avec la mère de cet enfant :
Ce n'est qu'après son mariage avec Frank que Margaret a appris l'existence de la mère de l'enfant.
[...]
Ils ont commencé à vivre ensemble après leur mariage. Elle a déménagé à Montréal quand elle a découvert qu'il avait eu un enfant avec une autre femme. Le ministre l'a amenée à retourner à Toronto en avril 1998 pour essayer d'arranger les choses.
Mari : Elle était fâchée parce que j'avais eu un enfant sans être marié, et elle m'a quitté.
Question en litige
[8] La principale question en litige en l'espèce concerne l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle n'a pas eu droit à la justice naturelle parce que l'agente d'immigration ne lui a pas dit que le dossier contenait des renseignements défavorables au sujet de l'authenticité de son mariage. La demanderesse prétend aussi que la conclusion de l'agente d'immigration était déraisonnable eu égard aux circonstances. Elle soutient finalement qu'elle n'a pas vraiment eu la possibilité de faire valoir ses arguments.
1. L'agente d'immigration a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle en ne disant pas à la demanderesse que son dossier contenait des renseignements défavorables au sujet de l'authenticité de son mariage?
[9] La demanderesse et son conjoint ont été convoqués à une entrevue, et c'est lors de cette entrevue qu'ils ont eu la possibilité d'expliquer les raisons pour lesquelles la demanderesse demandait d'être dispensée de l'application des règles habituelles relatives au droit d'établissement. La section 6.1 du chapitre 6 du Guide sur le traitement des demandes au Canada explique ce qui suit :
[10] Il est bien établi dans la jurisprudence, cependant, que l'obligation d'agir équitablement exige que l'agent d'immigration qui examine une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avise le demandeur de tout élément de preuve extrinsèque et lui donne la possibilité d'y répondre avant de rendre sa décision (voir, par exemple, Belharkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1805).
[11] La demanderesse fait essentiellement valoir que les notes de l'enquêteur contiennent des éléments de preuve extrinsèque auxquels elle n'a pas eu la possibilité de répondre. Selon elle, le fait que l'agente n'a pas divulgué le rapport de l'enquêteur l'a privée d'une possibilité entière et équitable de présenter ses arguments.
[12] Alors que la demanderesse affirme sous serment que l'agente ne l'a pas avisée des conclusions de l'enquêteur et ne lui a pas donné la possibilité de répondre à ces préoccupations, le défendeur soutient que l'agente a en fait attiré l'attention du couple sur les renseignements défavorables. Il s'appuie à cet égard sur l'affidavit de Gregory G. George, un conseiller juridique de la Section du droit de l'immigration du ministère de la Justice.
[13] L'affidavit de M. George a été amplement discuté lors de l'audience. Au lieu de déposer l'affidavit de l'agente d'immigration Donna Reid-Moncreiffe, le défendeur a produit celui de M. George, dans lequel ce dernier atteste la teneur d'une conversation téléphonique qu'il a eue avec Mme Reid-Moncreiffe le 22 janvier 2001.
[14] La demanderesse a invoqué le paragraphe 81(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) au soutien de sa prétention selon laquelle l'affidavit devrait être retiré du dossier. Le paragraphe 81(1) prévoit ce qui suit :
Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.
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Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included. |
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[15] La justification de la règle voulant que les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant à une connaissance personnelle est la même que celle de la règle de l'irrecevabilité du ouï-dire existant en common law. La preuve par affidavit doit pouvoir être vérifiée au moyen du contre-interrogatoire du déposant (Bressette c. Le Conseil de la bande de Kettle and Stony Point (1997), 137 F.T.R. 189 (1re inst.)).
[16] Le défendeur soutient cependant que le paragraphe 12(1) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration s'applique en l'espèce. Cette disposition est libellée comme suit :
Tout affidavit déposé à l'occasion de la demande est limité au témoignage que son auteur pourrait donner s'il comparaissait comme témoin devant la Cour.
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Affidavits filed in connection with an application shall be confined to such evidence as the deponent could give if testifying as a witness before the Court. |
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[17] Je suis également de cet avis. Cette disposition fait en sorte que les règles habituelles de preuve de la common law, notamment celle relative au ouï-dire, régiront l'admissibilité de l'affidavit de M. George.
[18] Dans l'arrêt R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, la Cour suprême du Canada a statué que la preuve par ouï-dire est admissible seulement si la Cour est convaincue que le critère à deux volets de la nécessité et de la fiabilité est rempli. Mme le juge McLachlin (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, aux pages 546, 547 et 548 :
La question suivante devrait porter sur la fiabilité du témoignage. Plusieurs considérations comme le moment où la déclaration est faite, le comportement, la personnalité de l'enfant, son intelligence et sa compréhension des choses et l'absence de toute raison de croire que la déclaration est le produit de l'imagination peuvent être pertinentes à l'égard de la question de la fiabilité. Je ne voudrais pas établir une liste précise des considérations applicables à la fiabilité ni laisser entendre que certaines catégories de preuves (par exemple le témoignage de jeunes enfants en matière sexuelle) devraient être considérées comme dignes de foi. Les questions relatives à la fiabilité vont varier avec l'enfant et les circonstances et relèvent davantage du juge du procès.
[...]
J'ajoute que je ne crois pas qu'on ait décidé dans l'arrêt Ares c. Venner que la preuve par ouï-dire en cause en l'espèce n'est recevable, une fois établies la nécessité et la fiabilité, que si le contre-interrogatoire est possible. Premièrement, la Cour a retenu les opinions des juges dissidents dans l'arrêt Myers v. Director of Public Prosecutions qui ne font pas dépendre l'admissibilité du droit de contre-interroger. Deuxièmement, le contre-interrogatoire mentionné dans l'arrêt Ares c. Venner avait une valeur limitée. Les infirmières étaient présentes devant la salle au cours du procès, mais parce qu'il n'était pas possible de préciser qui avait pris les notes, il aurait été en effet difficile de procéder à un contre-interrogatoire utile quant à l'exactitude d'observations précises.
[19] Le témoignage de la demanderesse et la position adoptée par le défendeur sont en contradiction directe en l'espèce. Dans ces circonstances, il est fondamental que la demanderesse ait la possibilité de contre-interroger l'agente au sujet de sa preuve concernant les questions qui ont été posées lors de l'entrevue. Le défendeur n'a produit aucune preuve expliquant pourquoi Mme Reid-Moncreiffe ne pouvait témoigner elle-même au sujet de la teneur de l'entrevue. Il n'a donc pas réussi à convaincre la Cour de la nécessité de produire le témoignage de l'agente d'immigration de cette manière. En conséquence, aucun poids ne sera donné à l'affidavit de M. George.
[20] En l'absence d'un affidavit de l'agente, le dossier doit être examiné minutieusement dans le but de déterminer si la Cour dispose d'éléments de preuve contredisant la déclaration faite sous serment par la demanderesse selon laquelle l'agente n'a pas attiré son attention et celle de son mari sur les renseignements défavorables contenus dans le rapport de l'enquêteur.
[21] La demanderesse soutient que la note qui figure sur son dossier, [traduction] « mariage de convenance possible » , laquelle a été écrite par l'enquêteur à la suite de sa visite à Mme Saunders, aurait dû être portée à son attention lors de l'entrevue. L'information constitue un élément de preuve extrinsèque qui va à l'encontre de ses intérêts et qui a eu une incidence sur l'examen de sa demande par l'agente.
[22] La demanderesse soutient qu'on ne lui a rien dit au sujet du contenu des notes de l'enquêteur. En fait, elle ne savait même pas que ces notes existaient. Elle prétend que l'agente a examiné le dossier de manière partiale en tenant compte de renseignements secrets qui ne lui ont pas été divulgués.
[23] L'agente d'immigration a pris des notes détaillées de l'entrevue. Elle a indiqué à de nombreux endroits dans ses notes que la réponse de la demanderesse différait de celle de son mari. Les passages des notes faisant mention de l'enfant de Frank Oduro ou de la mère de l'enfant ont été reproduits ci-dessous. L'agente n'a consigné nulle part dans ses notes les réponses données par la demanderesse ou son mari lorsque les renseignements tirés des notes de l'enquêteur ont été portés à leur attention.
[24] On s'attendrait à ce que l'agente, qui a pris des notes très détaillées de l'entrevue, ait mentionné dans celles-ci qu'elle a effectivement attiré l'attention de la demanderesse et de son mari sur les renseignements tirés du rapport de l'enquêteur. Or, l'agente n'a rien noté à ce sujet.
[25] L'obligation d'agir équitablement exige que l'agente porte à l'attention de la demanderesse tout élément de preuve extrinsèque qui va à l'encontre de ses intérêts. La demanderesse doit avoir la possibilité de répondre aux renseignements, en particulier dans un cas comme celui dont je suis saisie, où la demanderesse n'était peut-être même pas au courant de l'incident survenu à l'appartement de Mme Saunders. Compte tenu de la preuve dont je dispose, je conclus que la demanderesse n'a pas eu cette possibilité.
[26] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
« Dolores M. Hansen »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 28 janvier 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5341-00
INTITULÉ : Margaret Akomah c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 12 juillet 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET
ORDONNANCE : MADAME LE JUGE HANSEN
DATE DES MOTIFS : Le 28 janvier 2002
COMPARUTIONS :
Ricardo M. Aguirre POUR LA DEMANDERESSE
Neeta Logsetty POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman Waldman & Associates POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada