Date : 20190506
Dossier : IMM-4960-18
Référence : 2019 CF 588
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 6 mai 2019
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
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EDNA LUISA TURCIOS SANTOS DE DOMINGUEZ (ALIAS EDNA LUISA TURCIOS SANTOS)
CANDIDA FAUSTINA ARRIAGA MEDINA
ANDREA SOFIA DOMINGUEZ TURCOIS
KATHERINE MARCELA DOMINGUEZ (ALIAS KATHERINE MARCELA DOMINGUEZ TURCIOS)
MARIO ELIAS DOMINGUEZ ARRIAGA
MARIO ANDRES DOMINGUEZ TURCIOS
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Les demandeurs en l’espèce sont une famille dont les membres sont citoyens du Honduras. Ils demandent l’asile en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), en raison de leur crainte subjective et objective d’être exposé à un risque personnalisé d’extorsion s’ils devaient retourner au Honduras. Dans une décision datée du 5 septembre 2018, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.
[2]
Pour les motifs énoncés ci-après, j’estime que la décision contestée est susceptible de contrôle judiciaire.
[3]
La famille des demandeurs est composée de la demanderesse principale, de son mari (le demandeur), de leurs trois enfants et de la mère du demandeur. Leur demande d’asile, basée sur un risque personnalisé, découle des éléments de preuve suivants.
[4]
Le demandeur et sa mère étaient les copropriétaires d’une pharmacie. Le demandeur a affirmé avoir reçu un appel sur son téléphone cellulaire le 13 janvier 2017. L’interlocuteur s’est mis à l’insulter et à lui demander de l’argent. Il a essayé de signaler l’incident à la police, mais sans succès. Il a soutenu qu’environ un mois et demi plus tard, il a reçu un autre appel sur son téléphone cellulaire de la part d’un homme qui s’est identifié comme appartenant au MS-13. L’homme a mentionné le nom des membres de la famille du demandeur, y compris ceux de ses trois enfants. De plus, l’homme savait où ils vivaient et connaissait les lieux de travail du demandeur et de la demanderesse principale. Il a exigé du demandeur qu’il verse une somme hebdomadaire et l’a menacé de le tuer s’il s’adressait à la police. Peu de temps après avoir reçu cet appel menaçant, la famille a quitté le Honduras. Les demandeurs ont affirmé qu’après leur départ, des hommes se sont rendus sur le lieu de travail de la demanderesse principale ainsi que dans le secteur autour de la pharmacie pour s’enquérir des déplacements des demandeurs.
[5]
Un élément important de la présente demande est le fait que la SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, la Cour reconnaît que la SPR a considéré comme véridique la preuve avancée par les demandeurs.
[6]
La SPR a rejeté la demande des demandeurs au motif que l’ensemble des résidents du Honduras risquent l’extorsion et donc, que les demandeurs ne satisfont pas au critère établi à l’alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. La SPR a fourni les motifs suivants pour justifier le rejet de la demande :
[32] Toutefois, le demandeur d’asile a affirmé que sa situation n’était pas généralisée, puisque ce n’est pas tout le monde qui reçoit des menaces de mort. Je n’accepte pas sa proposition, puisque l’extorsion, par définition, est la pratique consistant à obtenir quelque chose, en particulier de l’argent, par la force ou par la menace. Quoi qu’il en soit, c’est le fait d’être personnellement pris pour cible qui distingue un risque individualisé d’un risque généralisé. Lorsqu’une personne en particulier risque personnellement d’être tuée par un gang dans des circonstances où d’autres personnes ne sont généralement pas exposées à ce risque, elle a droit à la protection.
[33] Je reconnais que le demandeur d’asile a expliqué dans son témoignage que, pendant l’appel téléphonique, l’homme qui s’est dit membre du MS‑13 a affirmé qu’il connaissait les membres de sa famille, l’endroit où il habitait, son lieu de travail et celui de son épouse. Toutefois, le fait que le MS‑13 connaît l’identité du demandeur d’asile ne signifie pas qu’il s’agit d’un risque auquel ne sont pas généralement exposées les autres personnes au Honduras. Les menaces d’extorsion font appel à l’ingénierie sociale. Les renseignements personnels s’obtiennent parfois grâce aux médias sociaux, à Internet ou aux membres de la famille d’une victime. En l’espèce, il n’y a pas eu de démarches complexes pour prendre personnellement pour cible les demandeurs d’asile d’une façon qui démontrerait qu’ils sont exposés à un risque plus grand que celui auquel est exposée la population du Honduras en général. Les demandeurs d’asile se trouvent dans la même situation que de nombreux Honduriens. En l’espèce, le demandeur d’asile a essentiellement reçu un seul appel téléphonique d’une personne qui lui réclamait une somme d’argent.
[Non souligné dans l’original.]
[7]
Ainsi, en utilisant les mots soulignés au paragraphe 32, la SPR a établi un critère pour déterminer le moment où un risque d’extorsion devient un risque personnalisé justifiant une protection. Toutefois, au paragraphe 33, la SPR a estimé que les demandeurs ne satisfaisaient pas au critère énoncé au paragraphe 32 parce qu’« il n’y a pas eu de démarches complexes pour prendre personnellement pour cible les demandeurs d’asile d’une façon qui démontrerait qu’ils sont exposés à un risque plus grand que celui auquel est exposée la population du Honduras en général »
. À cet égard, j’estime que les éléments de preuve crédibles fournis par les demandeurs permettent certainement d’établir qu’ils ont été personnellement pris pour cible, comme l’exige le critère établi par la SPR. En effet, les détails précis de l’extorsion subie par les demandeurs permettent d’établir l’existence d’un risque personnalisé. À mon avis, puisque la SPR n’a pas expliqué pourquoi les demandeurs n’ont pas respecté le critère attendu, j’estime que le raisonnement qu’a suivi la SPR pour rejeter la demande d’asile des demandeurs est inintelligible.
[8]
Par conséquent, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-4960-18
LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du contrôle est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.
Il n’y a pas de question à certifier.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 24e jour de mai 2019.
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DoSSIER :
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IMM-4960-18
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INTITULÉ :
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EDNA LUISA TURCIOS SANTOS DE DOMINGUEZ (ALIAS EDNA LUISA TURCIOS SANTOS), CANDIDA FAUSTINA ARRIAGA MEDINA ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 24 AVRIL 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE CAMPBELL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 MAI 2019
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COMPARUTIONS :
Deanna Karbasion
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POUR LES DEMANDEURS
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Kareena R. Wilding
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Loebach
Avocat
London (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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