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     Date : 19981006

     Dossier : T-676-90

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CAMPBELL

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

Entre :

     BRYAN C. IMRAY,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     Pour les motifs qui suivent, j'accueille l'appel de M. Imray et renvoie l'affaire au ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation accordant les déductions réclamées. Comme M. Imray a obtenu gain de cause, j'accorde également les dépens en sa faveur.

                             Douglas R. Campbell

                    

                                 Juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19981006

     Dossier : T-677-90

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CAMPBELL

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

Entre :

     JENNIFER IMRAY,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     Pour les motifs qui suivent, j'accueille l'appel de Mme Imray et renvoie l'affaire au ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation accordant les déductions réclamées. Comme Mme Imray a obtenu gain de cause, j'accorde également les dépens en sa faveur.

                             Douglas R. Campbell

                    

                                 Juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19981006

     Dossier : T-676-90

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

ENTRE :

     BRYAN C. IMRAY,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     Dossier : T-677-90

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

ENTRE :

     JENNIFER IMRAY,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE CAMPBELL

[1]      M. Bryan C. Imray, qui en est maintenant à sa trentième année d'enseignement, a pendant vingt-huit des vingt-neuf dernières années assisté à un congrès annuel des enseignants d'une durée de deux jours comme l'exigeait son emploi. M. Imray estime que les dépenses engagées pour assister à ce congrès devraient être déductibles de son revenu, et il a produit ses déclarations d'impôt sur le revenu en conséquence. D'après une interprétation du sous-alinéa 8(1)h)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national a refusé ces déductions. Selon ces dispositions, lorsqu'un contribuable " a été, d'une manière habituelle, tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'entreprise de son employeur ou à différents endroits ", les sommes qu'il a dépensées pendant une année d'imposition donnée aux fins de déplacements pour exercer les fonctions de son emploi peuvent être déduites. Le présent appel a été formé à l'encontre de la décision du ministre et porte sur l'interprétation qu'il convient de donner aux mots " d'une manière habituelle " employés au sous-alinéa 8(1)h )(i).

[2]      Mme Jennifer Imray, qui est également enseignante, réclame essentiellement les mêmes déductions que son mari, et les mêmes refus lui ont été opposés d'où le présent appel. Même si les décisions concernant les réclamations de M. et de Mme Imray ont été contestées dans des dossiers distincts à la Cour de l'impôt et devant la présente Cour et qu'ils m'ont été présentés comme des appels distincts, ces deux affaires ont été entendues ensemble étant donné qu'elles soulèvent exactement les mêmes questions. Par conséquent, les présents motifs s'appliquent à la fois à l'action de M. Imray [T-676-90] et à celle de Mme Imray [T-677-90].

A. Les faits

[3]      Les appels de M. et Mme Imray ont été entendus au cours de deux séances de la Cour. À l'ouverture de l'audience concernant cette affaire, un exposé conjoint des faits a été déposé dans chacune des actions. L"exposé de M. Imray renferme ce qui suit :

[TRADUCTION]

1.      Au cours des années d'imposition 1986, 1987 et 1988 (les années d'imposition), le demandeur résidait dans la ville de Peace River, province de l'Alberta.
2.      Au cours de ces années d'imposition, le demandeur était employé par la Division scolaire no 10 de Peace River (" l'employeur "), en qualité de directeur et d'enseignant à l'École secondaire de Peace River située au 10001 - 91e Avenue, dans la ville de Peace River.
3.      Au cours des années d'imposition visées, l'emploi du demandeur auprès de son employeur était assujetti aux conditions d'un contrat de travail (le " contrat de travail ") joint aux présentes sous la pièce A, qui incorporait les dispositions de la School Act , S.A. 1988, ch. S-3.1 (la " School Act ").
4.      La School Act dispose que les deux jours du séminaire de perfectionnement professionnel connu sous le nom de Congrès des enseignants (" Congrès des enseignants ") qui se tient tous les ans sont considérés comme des " jours d'enseignement ".
5.      La School Act dispose également que l'employeur doit déduire 0,5 % du salaire annuel du demandeur en tant qu'enseignant pour chacun de ses jours d'absence, à moins que l'absence soit approuvée par l'employeur ou par le ministre de l'Éducation ou ne soit causée par une maladie, une invalidité ou un traitement médical.
6.      Au cours des années d'imposition visées, le Congrès des enseignants le plus près s'est tenu dans la ville de Grande-Prairie, qui est située à environ 200 kilomètres de la ville de Peace River.
7.      Pour assister au Congrès des enseignants au cours des années d'imposition, le demandeur a engagé les frais de déplacement suivants :

Description

     1986

     1987

     1988

Hôtel

     50 $

     34 $

     38 $

Repas (Taux du gouvernement albertain)

     57 $

     57 $

     57 $

Voiture (25 " le kilomètre)

     50 $

     50 $

     50 $

TOTAL

     157 $

     141 $

     145 $

(ci-après collectivement appelés les " frais de déplacement ").

8.      Le contrat de travail et la School Act ne traitent pas de la question de savoir qui doit payer les frais de déplacement qu'un enseignant engage pour assister au Congrès.
9.      Les repas, dont le prix est inclus dans les frais de déplacement, ont été consommés par le demandeur pendant des périodes d'absence d'au moins 12 heures de la municipalité ou de la région métropolitaine où était situé l'établissement de l'employeur où le demandeur se présentait habituellement pour son travail.
10.      Le demandeur n'a pas touché, pour ses frais de déplacement au cours des années d'imposition visées, d'allocation qui n'aurait pas été incluse dans le calcul de son revenu, aux termes des sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi), (vii) ou (vii.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiées par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1, (la " Loi ").
11.      Le demandeur n'a pas été remboursé de ses frais de déplacement et il n'a pas droit à ce remboursement aux termes de son contrat de travail.
12.      Dans ses déclarations d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition visées, le demandeur a déduit ses frais de déplacement.
13.      Au cours des années d'imposition visées, le demandeur n'a réclamé aucune déduction en vertu des alinéas 8(1)e), f) ou g) de la Loi.
14.      Le demandeur a joint à sa déclaration d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1986 et 1987 le formulaire prescrit signé par son employeur attestant que le demandeur avait au cours de chacune de ces années respecté les conditions énoncées à l'alinéa 8(1)h) de la Loi. Le demandeur a aussi joint à sa déclaration d'impôt sur le revenu de 1988 le formulaire prescrit signé par l'employeur attestant qu'il n'avait pas satisfait aux conditions énoncées à l'alinéa 8(1)h) de la Loi pour l'année d'imposition 1988.
15.      Le 13 juin 1989, le ministre du Revenu national (le " ministre ") a émis un avis de cotisation pour l'année d'imposition 1988, dans lequel il refusait au demandeur la déduction de 145 $ au titre des frais de déplacement engagés au cours de cette année (l'" avis de cotisation ").
16.      Le 8 août 1989, le ministre a émis de nouveaux avis de cotisation pour les années d'imposition 1986 et 1987, dans lesquels il refusait au demandeur les déductions au titre des frais de déplacement engagés au cours de ces années et l'a assujetti à un impôt additionnel et à des frais d'intérêt pour un montant total de 164,37 $ (les " nouveaux avis de cotisation ").
17.      Le 28 août 1989, le demandeur a contesté l'avis de cotisation et les nouveaux avis de cotisation en déposant des avis d'opposition.
18.      Le 11 décembre 1989, le ministre a confirmé l'avis de cotisation et les nouveaux avis de cotisation.1

B. La question en litige

[4]      Au cours de la première journée d'audition, le ministre a fait valoir qu'en l'absence d'une preuve contraire M. et Mme Imray n'étaient pas tenus d'assister au Congrès des enseignants. Étant donné que cette question a pris une importance cruciale dans la présentation des arguments, l'avocat du couple Imray a demandé et, par consentement, a obtenu un ajournement afin de produire une preuve établissant qu'ils étaient tenus d'assister à ce congrès. Par conséquent, à la reprise des audiences, M. Imray et M. Dan Garvey, adjoint administratif de l'Alberta Teachers Association, ont témoigné à ce sujet. D'après cette preuve, l'avocat du ministre a convenu qu'il y avait suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion que les enseignants sont tenus d'assister au Congrès des enseignants, que cette obligation soit respectée ou non, et que M. et Mme Imray croyaient que tel était le cas2.

[5]      Une deuxième question avait d'abord été soulevée dans les appels et doit maintenant être mentionnée, simplement pour la régler définitivement; il s'agit de la conformité aux dispositions du paragraphe 8(10) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont il est question au paragraphe 14 de l'exposé conjoint des faits concernant chacun des appels. En 1988 et dans les années subséquentes, aux termes du paragraphe 8(10), une déduction ne pouvait être demandée aux termes du sous-alinéa 8(1)h)(i) à moins que le contribuable n'ait déposé le formulaire prescrit, signé par l'employeur, attestant que les conditions visées à cet article avaient été remplies pendant l'année d'imposition en question.

[6]      Dans son objection initiale, le ministre indiquait que le formulaire que M. et Mme Imray ont déposé en 1988 ne respectait pas cette exigence étant donné qu'à la question suivante : " l'employé était-il, de manière habituelle, tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'entreprise de son employeur ou à différents endroits? ", on avait répondu en cochant la case " non " [pièce P-2]. Toutefois, l'avocat du ministre a reconnu à la fin de la production de la preuve que, puisque la case " oui " avait été cochée pour les années d'imposition 1986 et 1987, apparemment par une autre personne que celle qui a rempli le formulaire de 1988 [pièce P-2], je suis en droit, d'après la jurisprudence, de traiter la preuve comme je l'entends sans être lié par les documents créés par un tiers.

[7]      Par conséquent, m'appuyant sur le témoignage de M. Imray, je conclus d'après les faits que les certificats exigés au paragraphe 8(10) de M. et Mme Imray ont été remplis par leur employeur à l'appui de leur demande individuelle de déduction des frais de déplacement et que, pour l'année 1988, cet article a été respecté dans les deux cas.

[8]      Les parties conviennent donc que la seule question à trancher dans les présents appels est le sens de l'expression " de manière habituelle " utilisées au sous-alinéa 8(1)h )(i).


B. Le sens de l'expression "de manière habituelle "

[9]      Les parties reconnaissent que les décisions en première instance et en appel dans l'affaire R. c. Healy [1979] 1 C.F. 81, (1978), 78 D.T.C. 6239 (C.F. 1re inst.) et Healy c. R. [1979] 2 C.F. 49, (1979), 79 D.T.C. 5060 (C.A.F.) sont les précédents essentiels pour déterminer le sens de l'expression " de manière habituelle " employée au sous-alinéa 8(1)h )(i) et du mot " habituellement " utilisé au paragraphe 8(4). Même si ces deux décisions portent principalement sur l'interprétation du paragraphe 8(4), le lien étroit qui existe entre le mot " habituellement " qui est utilisé à ce paragraphe, et l'expression " de manière habituelle " employée au sous-alinéa 8(1)h )(i) est établi.

     1. Les dispositions législatives pertinentes

[10]      Le sous-alinéa 8(1)h)(i) et le paragraphe 8(4) sont rédigés dans les termes suivants :

     8.(1) Lors du calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, peuvent être déduits ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :         
     [...]         
     h)      lorsque le contribuable, dans l'année,         
         (i) a été, d'une manière habituelle, tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'entreprise de son employeur ou à différents endroits, [...] les sommes qu'il a dépensées pendant l'année aux fins de déplacements pour exercer les fonctions de son emploi ;         
         [...]
     8.(4) Repas. - Une somme dépensée par un cadre ou un employé pour son repas ne doit pas être incluse dans le calcul du montant d'une déduction en vertu de l'alinéa 1f) ou h), à moins que le repas n'ait été pris au cours d'une période où les fonctions de ce cadre ou de cet employé l'obligeaient à être absent, durant une période d'au moins douze heures, de la municipalité dans laquelle était situé l'établissement de l'employeur où il se présentait habituellement pour son travail, et à être absent, le cas échéant, de la région métropolitaine où cet établissement était situé.         

     2. Les conclusions des décisions Healy concernant les expressions " de

     manière habituelle "et "habituellement "

[11]      M. Healy travaillait pour le Ontario Jockey Club comme chef de division de la salle de trésorerie, et dans le cadre de son emploi, il devait passer à peu près les deux tiers de son temps aux pistes de courses Greenwood et Woodbine à Toronto, et le tiers à la piste de Fort Érié, à Fort Érié. M. Healy a réclamé des déductions pour ses frais de déplacement pendant ses séjours à Fort Érié, étant donné que ces frais n'étaient pas payés par l'employeur ; ses frais d'hébergement et de transport ont été alloués aux termes du sous-alinéa 8(1)h)(i), mais on lui a refusé ses frais de repas en vertu du paragraphe 8(4).

[12]      Dans le jugement de première instance, le juge en chef adjoint Thurlow tire des conclusions sur le sens de l'expression " de manière habituelle " utilisée au sous-alinéa 8(1)h )(i) et du terme " habituellement " employé au paragraphe 8(4). Au bout du compte, il a rejeté l'appel de M. Healy en concluant principalement que les trois pistes de course, y compris celle de Fort ÉriÉ " étaient toutes des établissements où le défendeur se présentait habituellement pour son travail ", et par conséquent, il a refusé les frais relatifs à son séjour à Fort Érié. Toutefois, concernant l'utilisation de l'expression " de manière habituelle " au sous-alinéa 8(1)h )(i), il dit ceci à la page 84 :

         À l'alinéa 8(1)h), l'expression " d'une manière habituelle " modifie le membre de phrase " tenu d'exercer les fonctions de son emploi ... [etc.] ", et, me semble-t-il, elle équivaut à " normalement ", par opposition à " rarement " ou " occasionnellement ". Le sens " dans la plupart des cas " ne convient pas, tandis que le sens " se produisant de façon régulière ", lui, convient.                 

[13]      En appel, le juge Urie a infirmé la conclusion principale du juge en chef Thurlow et a admis la déduction. À la page 54, il a exprimé l'opinion suivante, sur la question de l'interprétation :

         La question qui se pose est donc de savoir si cette opinion sur la situation d'emploi de l'appelant en 1973 le place dans le cadre de l'article 8(4) aux fins de la déduction de ses frais de repas dans le calcul de son revenu imposable. Je crois que ledit article s'applique à son cas. The Shorter Oxford English Dictionary donne, entre autres, la définition suivante du mot " ordinary " (habituellement) : [TRADUCTION] " Dans la plupart des cas ; usuellement, communément ".                 
         Si l'on remplace le mot " habituellement " par les mots " communément " et " usuellement " qui sont utilisés dans l'analyse de la situation d'emploi de l'appelant faite aux paragraphes précédents, on peut facilement conclure que l'appelant a droit à la déduction des frais de repas, à moins que l'existence de deux établissement dans la municipalité où il exerce son emploi ne vienne changer la situation. À mon avis, il ne devrait pas en être ainsi. En toute logique, l'article a pour objet d'établir en premier lieu dans quelle municipalité l'employé se présente ordinairement au travail, et ensuite de déterminer s'il a droit ou non à la déduction des frais de repas, étant donné que dans l'exécution de ses fonctions il a dû être absent de cette municipalité pendant plus de douze heures.                 

[14]      Le juge Urie poursuit de la manière suivante à la page 55 :

         Je suis d'avis qu'au contraire l'expression " se présentait pour son travail " lorsqu'elle est utilisée en liaison avec le mot " habituellement ", selon le sens que lui donne le dictionnaire, renvoie aux mots se présentait, et leur confère un sens plus étendu, à savoir, " dans la plupart des cas " ou comme une règle générale. Une telle interprétation des mots coïncide avec ce qui me paraît nécessaire pour interpréter l'article 8(4) qui doit être lu conjointement avec l'article 8(1)h ).                 

[15]      Il ressort implicitement de cette opinion, et cela est tout à fait raisonnable, que l'expression " de manière habituelle " et le mot " habituellement " utilisés au sous-alinéa 8(1)h )(i) et au paragraphe 8(4), qui constituent deux paragraphes étroitement liés du même article de la Loi de l'impôt sur le revenu, devraient être considérés comme ayant le même sens. Lus ensemble, les raisonnements dans les décisions Healy donnent les synonymes suivants que l'on peut utiliser pour interpréter l'expression " de manière habituelle " et le mot " habituellement ", c'est-à-dire, " normalement ", " se produisant de façon régulière ", " usuellement " et " communément ".

[16]      Toutefois, en essayant d'harmoniser les deux dispositions de l'article 8 à l'étude, le juge Urie a exprimé à la page 55 un avis qui s'est révélé le raisonnement le plus convainquant pour interpréter les dispositions du sous-alinéa 8(1)h)(i) :

         L'article 8(1)h) a pour but de permettre aux employés qui sont tenus en raison de leur emploi de travailler à l'occasion ailleurs qu'aux lieux où ils exercent habituellement leurs fonctions, de déduire les débours que cela leur a occasionnés. L'article 8(4) a pour but d'empêcher les abus dans l'application de l'article 8(1)h) et non pas de faire obstacle à la déduction légitime de dépenses régulièrement engagées alors qu'ils travaillaient à différents endroits. À mon avis, l'interprétation restrictive que le juge de première instance a retenue aurait pour effet de limiter injustement la portée générale des articles.                 

[17]      Dans l'affaire Tremblay c. R. (1997), 223 N.R. 85 (C.A.F.), aux pages 86 à 88, l'opinion susmentionnée du juge Urie est acceptée et appliquée comme étant le critère à respecter dans l'application du sous-alinéa 8(1)h)(i) :

         En l'espèce, le requérant ne nous a pas convaincus que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur justifiant l'intervention de cette cour.                 
         Lors de son recrutement comme agent de la paix par la Gendarmerie Royale du Canada, le contribuable demeurait à Val Bélair, Québec. Son employeur l'a aussitôt envoyé suivre un cours d'anglais, de septembre 1991 à mai 1992, à Montréal, et a déduit de son salaire un montant de 360 $ par mois pour sa pension dans une famille d'accueil pendant ses mois d'apprentissage. Il est acquis que Montréal n'était pas le lieu d'entreprise de son employeur. Lorsque le contribuable a voulu déduire ces frais de son revenu d'emploi, 1 338 $ pour l'année d'imposition 1991 et 3 315 $ pour l'année d'imposition 1992, ces déductions ont été refusées. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a cependant conclu que le contribuable avait le droit de déduire ces frais de son revenu d'emploi, estimant qu'il avait été requis d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur, que les frais déduits n'étaient pas des frais personnels, et qu'en somme il satisfaisait aux dispositions de l'alinéa 8(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu.                 
         [...]                 
         Le jugement dont on demande le contrôle judiciaire est fort laconique. Il aurait sans doute été souhaitable que le juge élaborât davantage sur l'un des critères apparaissant au sous-alinéa 8(1)h) de la Loi à savoir si le contribuable avait été tenu d'exercer les fonctions de son emploi, ailleurs qu'au lieu même de l'entreprise de son employeur ou à différents endroits, dans l'année, d'une manière habituelle. L'analyse de la preuve, telle que faite par le juge de la Cour canadienne de l'impôt, démontre cependant qu'il s'est penché sur cette question et sa conclusion est conforme à l'interprétation donnée par cette cour dans Healy c. Minister of National Revenue, [1979] 2 C.F. 49 ; 25 N.R. 429 (C.A.F.), à la page 55 :                 
             " L'article 8(1)h) a pour but de permettre aux employés qui sont tenus en raison de leur emploi de travailler à l'occasion ("from time to time") ailleurs qu'aux lieux où ils exercent habituellement leurs fonctions, de déduire les débours que cela leur a occasionnés. "                 
         Le requérant s'appuie sur une interprétation de cet arrêt donnée par un juge de la Commission de révision de l'impôt dans l'affaire Ronchka c. Minister of National Revenue (1979), 79 D.T.C. 854 (T.R.B.), lequel a conclu que l'alinéa 8(1)h) ne s'applique pas lorsque l'affectation hors du lieu habituel de l'emploi ne se rapporte qu'à un seul et unique événement, comme c'était le cas dans cette affaire.                 
         À notre avis, cette interprétation est erronée. Même une interprétation littérale du sous-alinéa 8(1)h)(i) amène à conclure que l'intimé, pour la période de son affectation à Montréal durant les années d'imposition 1991 et 1992, a été d'une manière habituelle dans l'exercice des fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'entreprise de son employeur.                 

                         [non souligné dans l'original]

[18]      Il est important de noter que, dans l'affaire Tremblay, les frais pour un événement, même s'il était prolongé, ont été considérés comme des déductions admissibles.

C. Application du critère au cas de M. et Mme Imray

[19]      Compte tenu des efforts d'interprétation exhaustifs déployés dans les décisions Healy, et qui ont été appliqués dans l'affaire Tremblay, le couple Imray fait valoir qu'ils étaient tenus d'assister au congrès annuel des enseignants, qu'ils y ont assisté " normalement ", " de façon régulière ", " communément " et, " usuellement ", et que par conséquent, la déduction de leurs frais devrait être admise.

[20]      Toutefois, en réponse, le ministre fait valoir qu'avant qu'une déduction puisse être accordée aux termes du sous-alinéa 8(i)h)(i), il doit y avoir une certaine fréquence. En soulevant cet argument de fréquence, le ministre prétend qu'il y a une ligne à tirer concernant le degré de régularité selon lequel un événement se produit avant qu'il puisse être considéré comme se produisant " habituellement ". Si cette proposition est acceptée, la question devient donc la suivante : où doit-on tirer cette ligne, et de quel côté de cette ligne se situe le cas de M. et de Mme Imray?

[21]      D'après l'affaire Tremblay, je ne peux approuver l'application d'une démarche linéaire à l'interprétation de l'expression " de manière habituelle " au sous-alinéa 8(1)h )(i). Je ne pense pas qu'il soit possible, en règle générale, ni souhaitable, d'affirmer qu'une certaine fréquence d'événements respecte les conditions de cette disposition, étant donné que chaque série de circonstances peut être beaucoup plus difficile à analyser de façon équitable que ce que cette démarche plutôt simple semble permettre. Par conséquent, l'adoption d'une démarche linéaire n'aboutirait pas à un résultat juste dans chaque cas, et plutôt que de promouvoir la certitude, elle n'engendrerait que de la confusion.

[22]      Par conséquent, plutôt que de considérer une série de faits en particulier comme occupant une place dans un continuum de fréquence, je conclus que la démarche qu'il convient d'adopter consiste à analyser une série de faits particuliers en fonction du contexte unique dans lequel ils se présentent. Cette dernière démarche évite la complication qu'entraîne l'argument présenté par l'avocat du ministre selon lequel, si j'accepte l'argument du couple Imray, un dangereux précédent serait établi, non seulement dans des cas de nature semblable, mais aussi dans d'autres cas où le mot " habituellement " est utilisé dans des situations différentes dans la Loi de l'impôt sur le revenu . En outre, en réponse à cet argument, je prétends que cette décision porte sur l'interprétation et l'application de l'expression " de manière habituelle " utilisée au sous-alinéa 8(1)h )(i), et rien de plus.

[23]      L'obligation pour les Imray d'assister au Congrès des enseignants découle des attentes légales, administratives et éthiques qui s'appliquent à tous les enseignants de l'Alberta. Dans ce contexte, le fait que le Congrès des enseignants ne se produise qu'une fois par année est un facteur mineur. Comme c'est le cas pour M. Imray, qui a assisté à ce congrès chaque année depuis qu'il est enseignant, à l'exception d'une année, où il lui a été impossible d'assister au congrès en raison d'une inondation à l'école, la preuve établit que la plupart des enseignants de l'Alberta acceptent cette responsabilité.

[24]      Cela étant, je n'ai aucune hésitation à conclure que la présence au Congrès des enseignants est un événement " normal ", " qui se produit de façon régulière ", qui est " commun " et " usuel " et que c'est une exigence qui fait en sorte que les enseignants sont tenus de travailler " à l'occasion ailleurs qu'aux lieux où ils exercent habituellement leurs fonctions ". Par conséquent, j'estime qu'il y a conformité avec les synonymes donnés dans les décisions Healy , et en outre que le critère énoncé dans l'affaire Tremblay a été respecté.

[25]      J'accueille donc les appels de M. et Mme Imray et je renvoie ces affaires au ministre pour qu'il établisse un nouvel avis de cotisation accordant les déductions réclamées. Comme M. et Mme Imray ont eu gain de cause, je leur accorde également les dépens dans leur action respective.

                             Douglas R. Campbell

                    

                                 Juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-676-90

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Bryan C. Imray c.

                     Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :      Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 8 septembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE CAMPBELL

DATE :                  le 6 octobre 1998

ONT COMPARU :

Douglas E. Roberts                      POUR LE DEMANDEUR

Carman McNary                      POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Field Atkinson Perraton                  POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-677-90

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Jennifer Imray c.

                     Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :      Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 8 septembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE CAMPBELL

DATE :                  le 6 octobre 1998

ONT COMPARU :

Douglas E. Roberts                      POUR LA DEMANDERESSE

Carman McNary                      POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Field Atkinson Perraton                  POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

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1      Onglet 5, dossier certifié dans l'affaire T-676-90. L'énoncé conjoint des faits concernant la situation de Mme Imray [onglet 5, dossier certifié dans l'affaire T-677-90] est identique à celui de M. Imray à l'exception de ce qui suit : au paragraphe 2, il est indiqué qu'elle est enseignante à l'École McGrath, située au 7401 - 99e Rue, dans la ville de Peace River, et le paragraphe 15 est omis dans sa totalité, et au sujet des nouveaux avis de cotisation, il est indiqué ce qui suit : " 15. Le 8 août 1989, le défendeur a émis de nouveaux avis de cotisation pour les années d'imposition, dans lesquels il refusait à la demanderesse des déductions au titre des frais de déplacement et l'a assujettie à un impôt additionnel et à des frais d'intérêt pour un montant total de 192,14 $ (les " nouveaux avis de cotisation ") et " 16. Le 28 août 1989, la demanderesse a contesté les nouveaux avis de cotisation en déposant des avis d'opposition. "

2      Aux termes du par. 5(1) de la Teaching Profession Act (R.S.A. 1980, ch. T-3), l'emploi d'un enseignant est conditionnel au fait qu'il participe activement à l'Alberta Teachers Association. Les règlements administratifs généraux de l'Alberta Teachers Association [pièce P-3] renferment les dispositions suivantes :
         [TRADUCTION]          Congrès des enseignants
         105 (1) L'Association, au moyen de ses associations de congrès, peut planifier, organiser ou autoriser la tenue de congrès annuels des enseignants pendant les jours d'enseignement.
         (2) Les congrès d'enseignants ont pour but de maintenir et de perfectionner les connaissances, aptitudes et compétences des enseignants.
         106 Sauf approbation contraire par une association de congrès aux termes de l'article 108 du Règlement administratif, tous les membres actifs doivent assister au congrès annuel des enseignants de l'association locale qui a été planifié, organisé ou autorisé par l'association de congrès.
         107 Les fonctions, l'organisation et l'exploitation de chaque association de congrès sont décrites dans l'acte constitutif standard de ces associations de congrès, qui sont assujetties aux modifications approuvées par le conseil exécutif provincial.
         108 Une association de congrès, par l'entremise de son conseil d'administration, peut, dans des circonstances spéciales, accorder aux membres actifs de l'Association l'autorisation d'assister ou de participer à des activités de perfectionnement professionnel autres que le congrès annuel des enseignants.
     Pour renforcer cette obligation légale, le paragraphe suivant figure dans l'avis annonçant le congrès des enseignants du district de Grande-Prairie de 1989 [pièce P-1] :
         [TRADUCTION]          PARTICIPATION AU CONGRÈS
         Les enseignants ont l'obligation légale aussi bien que professionnelle d'assister au congrès annuel tenu à leur intention. Ils sont rémunérés pour les deux jours de congrès parce que ces jours sont définis à l'article 82 de School Act comme faisant partie de l'année scolaire. L'ATA, par l'entremise de ses associations de congrès, a la responsabilité d'autoriser, de planifier, de tenir et d'évaluer le congrès annuel des enseignants pour ses membres.
         Nous rappelons aux enseignants que, s'ils souhaitent participer à d'autres activités de perfectionnement professionnel au cours de ces deux jours, ils doivent en faire la demande par écrit au Conseil du congrès au moins six semaines avant la tenue du congrès. Les activités organisées par l'école, comme les excursions de ski et les excursions à la campagne, bien qu'elles soient utiles, ne constituent pas des activités de perfectionnement professionnel.
         Toutes les autres absences légitimes au moment du congrès, par exemple pour cause de maladie, de congé de deuil, des rendez-vous médicaux, etc., doivent être autorisées conformément aux règles habituelles énoncées dans la convention collective. À cet égard, les jours de congrès sont traités comme des jours d'enseignement ordinaires pour les fins des présences.
         Des sanctions disciplinaires peuvent être prises et ont déjà été prises contre des enseignants qui n'assistent pas au congrès annuel. Si un enseignant est privé de son salaire parce qu'il n'a pas assisté au congrès, il peut également perdre le service ouvrant droit à pension pour les jours en question.
         Nous devons agir comme des professionnels, et non pas comme des adolescents délinquants ou malhonnêtes, et montrer publiquement qu'on peut nous faire confiance en étant là où nous devons être au moment où nous devons y être au cours de ces deux journées importantes.
     M. Imray a déclaré dans son témoignage qu'en sa qualité de principal responsable du personnel enseignant, c'est lui qui veillait à l'application des dispositions de participation obligatoire au congrès.

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