Date : 20190411
Dossier : IMM‑3547‑18
Référence : 2019 CF 444
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 11 avril 2019
En présence de madame la juge McDonald
ENTRE :
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ANNA ZUBOVA
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
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La demanderesse, une citoyenne de la Russie, a présenté une demande de permis de travail comme cuisinière en se fondant sur une désignation provinciale qu’elle avait reçue du gouvernement de la Saskatchewan. Sa première demande, qui a été refusée pour fausses déclarations, a fait l’objet d’un réexamen, parce que le bureau des visas n’avait pas tenu compte des renseignements fournis par la demanderesse. Après un long examen, sa demande a de nouveau été refusée pour fausses déclarations. La demanderesse prétend qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale dans le processus de réexamen. Elle soutient également que la décision est déraisonnable.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, car il y a eu un manquement à l’équité procédurale, du fait que la demanderesse n’avait pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations relatives à la crédibilité ayant découlé des éléments de preuve qu’elle avait présentés.
Contexte
[3]
Dans sa demande de permis de travail datée du 28 août 2016, la demanderesse a indiqué qu’elle avait travaillé comme cuisinière en Russie de juillet 2007 à août 2008. Elle a joint à sa demande une lettre de son ancien employeur.
[4]
Le 8 septembre 2016, l’agent des visas a envoyé à la demanderesse une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle il soulevait des préoccupations concernant l’authenticité de ses antécédents de travail comme cuisinière et alléguait qu’elle avait fait une présentation erronée sur un fait important.
[5]
La demanderesse a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale le 7 octobre 2016, mais sa réponse n’a pas été prise en compte et, le 25 octobre 2016, sa demande a été refusée et elle a été déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations.
[6]
Le 1er février 2018, sa demande a été rouverte et réévaluée lorsque l’erreur du bureau des visas de Moscou a été découverte.
La décision faisant l’objet du contrôle
[7]
Le 18 mai 2018, un agent de l’ambassade du Canada à Moscou a de nouveau refusé la demande de permis de travail de la demanderesse pour fausses déclarations. La dernière décision de l’agent des visas est rédigée, en partie, en ces termes :
[traduction]
J’ai examiné les documents à l’appui présentés, et j’y accorde peu de poids : bien que l’extrait du relevé de pension fasse état d’une cotisation de pension pour un emploi de 2007 à 2008, il ne précise pas l’emploi occupé par la demanderesse. De plus, la demanderesse n’a présenté que les trois premières pages de son cahier de travail, lequel mentionne uniquement son emploi comme cuisinière, et ne fait aucune mention de ses études ou de tout autre emploi subséquent, comme il serait raisonnable de s’y attendre. Compte tenu du fait que nombre de demandes présentées à CIC/IRCC par la demanderesse ne font pas mention de l’emploi comme cuisinière en 2007‑2008, soupesé au regard des déclarations que je juge intéressées et des documents à l’appui qui ne sont pas convaincants, je suis convaincu qu’il est plus probable que le contraire que la demanderesse a fait une présentation erronée sur ses antécédents de travail comme cuisinière. Cette présentation erronée se rapporte à un objet pertinent qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la loi, dans la mesure où elle aurait pu convaincre un agent que la demanderesse pouvait s’acquitter des fonctions de l’emploi recherché. La demande est refusée. La demanderesse est interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a), et demeure interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(2)a) pour une période de cinq ans, à compter d’aujourd’hui.
[8]
En particulier, l’agent était préoccupé par l’expérience de travail alléguée de la demanderesse comme cuisinière, puisque la demanderesse n’en avait pas fait mention dans ses demandes antérieures.
La question en litige et la norme de contrôle applicable
[9]
La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions, mais la question d’équité procédurale est déterminante quant au contrôle judiciaire. Par conséquent, je ne traiterai pas des autres questions.
[10]
À l’heure actuelle, les questions d’équité procédurale sont examinées en fonction de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC, au paragraphe 79 et Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, au paragraphe 13).
Dispositions législatives
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Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, en l’espèce sont les suivantes :
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Analyse
Manquement à l’équité procédurale
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La demanderesse soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lorsqu’on ne lui a pas fourni l’occasion de s’exprimer au sujet des préoccupations que l’agent a soulevées au sujet de sa crédibilité. La demanderesse fait valoir que l’agent devait, dans le cadre de ses fonctions, lui exposer ces préoccupations et lui fournir l’occasion de s’exprimer à ce sujet (voir Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594, au paragraphe 30).
[13]
Dans la lettre relative à l’équité procédurale datée du 8 septembre 2016, la demanderesse a été priée de fournir ce qui suit :
[traduction] Si vous décidez de répondre à la présente lettre, vos observations devront être accompagnées de votre cahier de travail russe et d’un certificat de la société de sécurité sociale ou du fonds de pension russe qui contient un extrait de votre compte individuel de sécurité sociale ou de fonds de pension pour les années 2007 et 2008. Cet extrait doit indiquer le montant des cotisations versées, la date à laquelle elles ont été versées, le montant du salaire et le nom de l’employeur.
[14]
Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse a inclus des pages de son cahier de travail russe qui confirmaient son emploi comme cuisinière pendant la période pertinente et elle a fourni un relevé de pension. Toutefois, l’agent a accordé « peu de poids »
à ces éléments de preuve, en faisant observer que seules les trois premières pages du cahier de travail avaient été présentées. La demanderesse soutient qu’il s’agissait d’une évaluation injuste, parce que les pages présentées comprenaient les renseignements pertinents pour répondre à la lettre relative à l’équité procédurale, c’est‑à‑dire le nom de l’employeur, le type de travail effectué et la période d’emploi. La demanderesse soutient qu’en accordant peu de poids à ces documents, l’agent a tiré une conclusion implicite quant à la crédibilité.
[15]
La demanderesse soutient en outre que l’agent a commis une entorse à l’équité procédurale en ne tenant pas compte des certificats d’emploi qu’elle avait présentés, lesquels, selon elle, étaient très probants quant à sa demande. La demande de la demanderesse présentée en août 2016 comprenait une attestation confirmant son emploi à temps plein comme cuisinière du 10 juillet 2007 au 17 août 2008. Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse a présenté un certificat plus récent de l’employeur, confirmant une fois de plus son emploi antérieur. Les deux certificats étaient imprimés sur du papier à en‑tête de l’entreprise, contenaient toutes les coordonnées de l’entreprise, étaient signés par le directeur général de l’entreprise et portaient le même timbre de l’entreprise qui figurait dans le cahier de travail de la demanderesse.
[16]
L’agent n’a pas tenu compte de ces documents ou les a rejetés en raison des préoccupations relatives à la crédibilité. Dans un cas comme dans l’autre, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que, pour des raisons d’équité, toute préoccupation quant à la crédibilité de ses éléments de preuve ou de ses documents aurait dû être soulevée auprès d’elle et qu’elle aurait dû avoir l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Le défaut de communiquer des préoccupations relatives à la crédibilité à la demanderesse constitue un manquement à l’équité procédurale.
[17]
La déclaration faite par le juge Mosley dans la décision Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24, s’applique en l’espèce :
Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée. [Non souligné dans l’original.]
[18]
Bien que je reconnaisse que le niveau d’équité procédurale auquel un demandeur de visa est en droit d’exiger se situe à l’extrémité inférieure du registre (Pan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 838, au paragraphe 26), le demandeur doit quand même avoir l’occasion de répondre aux préoccupations relatives à la crédibilité.
[19]
Il ne s’agit pas d’une situation où l’agent était tenu de fournir à la demanderesse une « fiche de pointage »
des problèmes liés à sa demande (voir Rahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1252, au paragraphe 14), mais plutôt d’un cas où l’agent avait manifestement des préoccupations quant à la crédibilité des éléments de preuve présentés par la demanderesse. En l’espèce et compte tenu de la lettre relative à l’équité procédurale, il n’était injuste pour la demanderesse que l’agent tire de telles conclusions quant à la crédibilité à partir des éléments de preuve fournis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale sans évaluer ces éléments de preuve dans le contexte de la demande dans son ensemble.
[20]
Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3547‑18
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question à certifier.
« Ann Marie McDonald »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 3e jour de juin 2019
Maxime Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3547‑18
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INTITULÉ :
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ANNA ZUBOVA c MCI
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 FÉVRIER 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge McDonald
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DATE DES MOTIFS :
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LE 11 AVRIL 2019
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COMPARUTIONS :
Leo Rayner
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Pour la demanderesse
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Gordon Lee
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Leo Rayner
LEGALLY CANADIAN
Avocat
Mississauga (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Ministère de la Justice Canada
Bureau régional de l’Ontario
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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