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Date : 20011024

Dossier : T-2406-93

Référence neutre : 2001 CFPI 1154

ENTRE :

                                                            JAMES W. HALFORD et

                                                                VALE FARMS LTD.

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                                  SEED HAWK INC., PAT BEAUJOT,

                                              NORBERT BEAUJOT, BRIAN KENT et

                                                       SIMPLOT CANADA LIMITED

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]                 La demanderesse dépose l'affidavit du Dr Sylvio Tessier, qui expose le témoignage d'expert de celui-ci au soutien de sa cause. Le Dr Tessier a été interrogé et contre-interrogé au sujet de ses qualités d'expert et j'ai décidé qu'il était qualifié pour présenter une opinion au sujet de la conception et de l'évaluation d'appareils de semis et de fertilisation ainsi que de la mécanique et de la dynamique des sols.

[2]                 Les défendeurs s'opposent à l'admissibilité d'un certain nombre de paragraphes de l'affidavit pour plusieurs raisons.

[3]                 Selon les défendeurs, le paragraphe 18 n'est pas admissible, soit parce qu'il n'est pas pertinent, soit parce qu'il vise à interpréter le brevet en indiquant « l'essence de l'invention » .

[4]                 Le paragraphe 21 est contesté parce qu'il porte sur l'interprétation du brevet. Voici le texte de ce paragraphe :

[Traduction] On m'a demandé explicitement de dire si, à mon avis, les semoirs de Seed Hawk constituent une contrefaçon des revendications du brevet de Halford, notamment en ce qui a trait aux éléments décrits dans les revendications 1, 2, 3, 6, 10, 12, 19 et 20.

[5]                 À mon avis, ce paragraphe n'est rien de plus qu'un exposé du mandat du Dr Tessier et ne peut être contesté. Mais il reste à savoir s'il est en mesure de rendre le témoignage qu'on lui demande, une question que je trancherai lorsque j'examinerai les autres paragraphes contestés.

[6]                 Deux phrases du paragraphe 33 sont contestées, parce qu'elles font appel, explicitement ou implicitement, à une interprétation du brevet.


[7]                 Le paragraphe 34 est contesté dans la mesure où j'en arrive à la conclusion qu'il porte sur des éléments matériels autres que l'article de McKyes. Il ne m'apparaît pas évident que ce paragraphe renvoie à des éléments autres que ceux qui figurent dans l'article de McKyes; par conséquent, je refuse de radier ce paragraphe pour l'instant.

[8]                 Les défendeurs soutiennent que les paragraphes 36 à 44 devraient être radiés, parce qu'ils font état d'un essai ou d'une expérience qui a eu lieu en l'absence de leurs représentants.

[9]                 La dernière phrase du paragraphe 45 est contestée, au motif qu'elle renvoie aux innovations introduites par l'invention de Halford, ce qui met en cause l'interprétation du brevet.

[10]            Les défendeurs demandent que les paragraphes 46 à 48 soient radiés, dans la mesure où ils concernent ou renferment des renseignements découlant des essais décrits aux paragraphes 36 à 44.

[11]            Les défendeurs s'opposent aux paragraphes 49 et 50, au motif qu'ils obligent le Dr Tessier à interpréter le brevet, qu'ils dépassent les limites de la compétence d'expert que j'ai reconnue à celui-ci en lui demandant son avis sur une question de droit ou qu'ils demandent une opinion sur la question finale que la Cour doit trancher.

[12]            Les objections formulées au sujet du paragraphe 18 ainsi que des paragraphes 49 et 50 concernent la question de l'admissibilité d'un témoignage d'opinion au sujet de l'interprétation du brevet. Je commence donc par un examen de cette question.


[13]            Selon une tendance jurisprudentielle, un témoignage d'opinion concernant l'interprétation d'un brevet est admissible, c'est-à-dire qu'un témoin expert est autorisé à témoigner au sujet du sens et de l'interprétation du brevet en cause et au sujet de la contrefaçon ou de la validité du brevet. Dans l'arrêt Rucker Co. v. Gavel's Vulcanizing Ltd (1985), 7 C.P.R. (3d) 294, le juge Walsh passe en revue la jurisprudence en commençant par la décision rendue dans l'affaire Amfac Foods Inc. v. Irving Pulp and Paper Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 59, dans laquelle le juge Strayer a statué qu'il était lié par le jugement que la Cour d'appel a prononcé dans Cutter (Canada) Ltd. v. Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. (1983), 68 C.P.R. (2d) 179, dans lequel le juge en chef Thurlow s'est exprimé comme suit :

Dans la suite du paragraphe, le témoin exprime son opinion quant au sens du mot « canule » dans le brevet et affirme que le dispositif de l'appelante entre dans ce sens. À mon avis, il s'agissait là d'une interprétation du document lui-même et l'opinion du témoin était irrecevable.

[14]            Le juge en chef Thurlow n'a invoqué aucune décision à l'appui de sa conclusion, se fondant sans doute sur la proposition selon laquelle l'interprétation d'un document est une question de droit. Le juge Strayer lui-même s'est senti lié par cette proposition dans l'arrêt Amfac, où il a statué comme suit :


J'ai conclu que j'étais lié par la décision de la Cour d'appel en ce qui concerne notamment l'irrecevabilité de l'opinion d'un expert sur le sens d'un brevet. J'ai supposé que la Cour d'appel avait à l'esprit les problèmes particuliers liés à l'interprétation du brevet, considérant celle-ci comme une question de droit qui se distingue, par conséquent, des considérations générales relatives à l'admissibilité des témoignages sur une « question primordiale » de fait. J'ai donc décidé que l'expert cité comme témoin pouvait être interrogé sur ce qu'une personne qualifiée dans le domaine aurait compris de la lecture du brevet au moment où la demande en a été faite, mais qu'il ne pouvait pas témoigner sur le sens du brevet comme tel, ni sur l'intention de l'inventeur.

[15]            Le juge Strayer n'a cité aucune autre décision au soutien de la proposition que le juge Thurlow avait fait valoir. Le juge Walsh a poursuivi en soulignant qu'une opinion contraire avait été exprimée dans l'arrêt Xerox of Canada Ltd. v. I.B.M. Canada Ltd. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24, où le juge Collier, après une longue revue de la jurisprudence, a conclu que le témoignage d'opinion était admissible en ce qui a trait à la « question finale » :

À mon avis, en matière civile et criminelle, les restrictions imposées au témoignage de l'expert devraient être identiques. Puisque ce genre de témoignage sur une question finale est admissible lorsqu'il est question de culpabilité ou d'innocence, d'emprisonnement ou de liberté, alors une opinion sur une question finale dans une action civile, y inclus une action en matière de brevet, devrait être également admissible. Mais c'est à l'arbitre des faits (que ce soit un juge ou un jury), et à lui seul, qu'il revient de se prononcer sur les questions finales. L'opinion de l'expert sur des questions telles que l'antériorité ou l'absence de mérite (si l'on veut citer deux exemples tirés de la présente affaire) sont souvent utiles, mais il va de soi qu'elle ne lie pas l'arbitre des faits. Le tribunal peut toutefois, après avoir pesé la preuve, faire sienne toute opinion ou toute partie de celle-ci.


[16]            Le juge Collier a tiré cette conclusion après avoir fait un examen assez exhaustif de la jurisprudence, en commençant par les décisions anglaises selon lesquelles le témoignage d'opinion était admissible pour prouver « l'état de la technique dans un métier, un art ou une science visé par le mémoire descriptif et l'explication des termes ou des expressions techniques [...], mais une preuve touchant l'interprétation ne doit pas aller au-delà de ces limites » . Après avoir passé en revue les décisions anglaises et canadiennes rendues dans le même sens en matière de brevets, le juge Collier s'est tourné du côté des décisions relevant du droit pénal et concernant la question de l'admissibilité du témoignage d'opinion sur la « question finale » . Il a conclu que les témoignages d'opinion sur la question finale étaient admis en grande partie en raison des règles de droit élaborées en matière pénale. Ainsi, la question à trancher dans une affaire était de savoir si la conduite de l'accusé constituait une forme de grossière indécence, et le témoignage d'expert a été admis sur ce point. Le juge Collier a décidé que le témoignage concernant la question finale était admissible. Cependant, il importe de souligner le type de témoignage d'expert qui a été présenté au juge Collier :

Les témoins experts en l'espèce ont donné leur avis sur l'état antérieur de la technique, sur ce que signifiaient ou leur laissaient entendre les mémoires descriptifs des brevets en cause et les antériorités citées (y inclus les brevets antérieurs), sur la question de savoir si un technicien expérimenté dans le domaine visé aurait pu trouver, à un moment donné, dans une publication antérieure ou par le biais d'un usage antérieur, etc., ce dont il avait précisément besoin pour résoudre une difficulté (antériorité), sur la question de savoir si un technicien expérimenté mais ne possédant aucune capacité inventive aurait pu, en partant des connaissances générales et de « l'état antérieur de la technique » , résoudre tout aussi facilement que l' « inventeur » du brevet en question une difficulté précise (absence de mérite).


[17]            Il n'y a aucune raison de croire que le juge Collier était saisi d'une opinion d'expert au sujet du sens à donner au brevet lui-même. L'élément le plus rapproché de cette preuve est la mention de « ce que signifiaient ou leur laissaient entendre les mémoires descriptifs des brevets en cause » , ce qui est une question différente de la preuve concernant l'interprétation à donner aux brevets en litige. À mon avis, les remarques que le juge Collier a formulées dans l'arrêt Xerox ne s'éloignent pas de la position traditionnelle selon laquelle le témoignage d'expert n'est pas admissible au sujet de l'interprétation d'un document. La question de savoir si, selon les faits, un expert peut présenter une opinion sur une question finale est bien différente de celle de savoir s'il peut donner son opinion sur l'interprétation d'un document, cette question débordant le cadre de la « question finale » .

[18]            Le juge Walsh a ensuite cité un extrait de l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504 (1981), 56 C.P.R. (2d) 145 (C.S.C.), qui appuie, selon les demandeurs dans cette cause, l'admissibilité du témoignage d'opinion au sujet de l'interprétation d'un brevet. Dans cet extrait, les remarques du juge Dickson (alors juge de la Cour suprême du Canada) ont été citées avec approbation dans un jugement que le juge Pigeon a rendu antérieurement dans l'affaire Burton Parsons Chemicals et al. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 556, (1974), 17 C.P.R. (2d) 97, à la page 104 :

Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l'art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder.

[19]            Je ne vois pas en quoi ces mots appuient la proposition qui est en litige. Je souligne plus précisément que le juge Pigeon a confirmé la nécessité d'interpréter un brevet « comme tout autre document juridique » . Le témoignage d'expert qui concerne l'interprétation d'autres documents juridiques n'est pas admissible. Je souligne également que le commentaire quant à la nécessité de prendre en compte le savoir de la personne versée dans l'art a simplement pour effet de reconnaître qu'un témoignage d'expert peut porter sur l'état des connaissances de l'art de cette personne, comme il en a été décidé dans les jugements anglais qu'a cités le juge Collier.

[20]            Finalement, le juge Walsh s'est prononcé en faveur de l'admissibilité du témoignage qu'avait présenté l'expert, M. DeVries, « en exprimant les avis comme il l'a fait sur l'interprétation appropriée du brevet » . À mon avis, le jugement qu'il a invoqué n'allait pas aussi loin.

[21]            Dans l'arrêt Nekoosa Packaging Corp. v. United Dominion Industries (1994), 56 C.P.R. (3d) 470, le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale, a formulé la mise en garde suivante :

Il est important de comprendre qu'il est différent pour un expert d'accorder son aide dans l'interprétation de termes techniques ou de donner son opinion sur la question même dont est saisie le juge de première instance. ...

[22]            Le juge Robertson a souligné par la suite que la jurisprudence sur cette question était partagée, mais que la majorité des décisions semblait favoriser l'admissibilité de la preuve sur les questions finales. Plus loin dans ses motifs, le juge Robertson est revenu sur la question lorsqu'il a examiné le témoignage de l'inventeur :


Plus tôt, j'ai abordé l'admissibilité des témoignages d'experts à l'égard de la question en litige. Cette admissibilité revêt une importance accrue lorsque c'est l'inventeur lui-même qui témoigne sur l'interprétation qu'on doit faire du brevet. À mon avis, la recevabilité de ce témoignage a été réglée. Dans l'affaire Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 1, 3 C.I.P.R. 1, 53 N.R. 6, (C.A.F.), aux p. 27-28, le juge Urie a adopté le raisonnement de la décision de la Cour de l'Échiquier dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd., (1962), 41 C.P.R. 18, 23 Fox Pat, C. 112, où P. Thorson déclarait ce qui suit à la p. 131 : [Traduction] « Même le témoignage de l'inventeur lui-même à l'égard de son invention serait irrecevable aux fins de l'interprétation du brevet » . Bien que les remarques du juge Urie dans l'arrêt Johnson, précité, aient été formulées de manière incidente, elles ne nous empêchent pas de conclure que la jurisprudence est claire sur ce point. La règle générale est la suivante : les éléments de preuve extrinsèques sont inadmissibles aux fins de l'interprétation d'un mémoire descriptif d'un brevet. Cette règle doit nécessairement s'étendre au témoignage de l'inventeur relatif à l'interprétation appropriée du mémoire descriptif; voir également P.L.G. Research Ltd. c. Jannock Steel Fabricating Co. (1991), 35 C.P.R. (3d) 346, 46 F.T.R. 27, 26 A.C.W.S. (3d) 1157 (C.F. 1re inst.), confirmé par (1992), 41 C.P.R. (3d) 492, 142 N.R. 203, 55 F.T.R. 240n (C.A.F.).

[non souligné dans l'original]

[23]            Je ne vois aucune raison de faire une distinction entre le témoignage de l'inventeur au sujet du sens du brevet et le témoignage d'un expert. Si l'inventeur, qui est l'auteur présumé du brevet, ne peut exprimer son opinion au sujet de la façon d'interpréter celui-ci, je ne vois pas pourquoi un expert, qui n'en sait guère plus que l'inventeur sur la question, devrait être en mesure de le faire.


[24]            À mon avis, la jurisprudence portant sur l'admissibilité du témoignage d'opinion au sujet de la « question finale » ne permet pas vraiment de déterminer l'admissibilité du témoignage d'expert concernant l'interprétation du brevet. La « question finale » à trancher dans un cas donné peut être une question de fait, une question de droit ou une question mixte de droit et de fait. Dans le cas d'une action en contrefaçon de brevet, la question finale concerne la contrefaçon ou la validité du brevet. Pour en arriver à une conclusion à ce sujet, il est nécessaire d'interpréter le brevet en cause. Cette tâche appartient au juge et concerne une pure question de droit. Le juge a le droit de se faire aider par des experts pour comprendre les mots et expressions utilisés dans le brevet ainsi que dans le domaine sous-jacent. Cependant, là se limite l'aide de l'expert. Le juge doit interpréter le brevet et, jusqu'à ce qu'il le fasse, il n'y a aucune raison pour laquelle l'expert pourrait exprimer un avis concernant la contrefaçon, puisqu'il ne peut substituer son opinion à celle du juge au sujet de la bonne façon d'interpréter le brevet.

[25]            Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que le paragraphe 50 de l'affidavit du Dr Tessier est inadmissible, étant donné qu'il renferme des conclusions concernant la contrefaçon du brevet de Halford. Le paragraphe 49 comporte deux colonnes : les revendications du brevet figurent dans la colonne de gauche, tandis qu'une liste des caractéristiques du brevet de Seed Hawk est présentée du côté droit. En raison de ce mode de présentation, il y a juxtaposition des revendications et de certaines caractéristiques de l'appareil de Seed Hawk qui pourraient avoir des liens avec l'élément décrit dans la revendication. En soi, il ne s'agit pas d'une opinion concernant l'interprétation du brevet, mais ce mode de présentation des données pourrait inciter la Cour, après avoir interprété le brevet, à en arriver à une conclusion au sujet de la contrefaçon. Dans la mesure où ce mode de présentation indique à la Cour que certains éléments mécaniques pourraient être pertinents quant à la question de la contrefaçon, il peut être utile pour la Cour. La simple juxtaposition dénuée de commentaires ne peut être contestée en soi.

[26]            Le paragraphe 18 de l'affidavit du Dr Tessier a également été contesté. Voici le préambule de ce paragraphe, qui figure sous la rubrique [TRADUCTION] « L'invention en litige » :


[Traduction] L'invention décrite dans le brevet de Halford concerne un appareil qui permet l'introduction d'engrais pendant les semis, grâce au déplacement vertical et latéral entre une bande ou rangée d'engrais et une bande ou rangée de semences. Plusieurs caractéristiques sont réunies pour former l'essence de l'invention telle qu'elle fonctionne dans le sol.

[27]            Ces propos sont suivis de 12 sous-paragraphes qui énoncent différentes caractéristiques de [Traduction] « l'invention décrite dans le brevet de Halford » . C'est la mention de [Traduction] « l'essence de l'invention » qui contrarie les défendeurs, parce que ces mots ressemblent beaucoup aux termes utilisés dans les revendications relatives à la contrefaçon de l'essentiel d'un brevet (plutôt qu'à la contrefaçon textuelle). La question de savoir si les brevets protègent uniquement le sens littéral des revendications ou si cette protection couvre également « l'essentiel » de l'invention a été examinée dans l'affaire Free World Trust v. Électro Santé Inc. et al. (2000), 9 C.P.R. (4th) 168. Il est maintenant établi que le brevet protège uniquement l'invention décrite dans les revendications au sens que lui donne une personne spécialisée dans le domaine à la date du brevet. Dans la mesure où la liste vise à énumérer les caractéristiques essentielles des revendications de façon à trancher la question de la contrefaçon, elle serait inadmissible.


[28]            Les défendeurs s'opposent également à l'admission du paragraphe 18 au motif qu'il n'existe aucun élément de preuve concernant les connaissances courantes de la personne versée dans l'art. Il est vrai que le brevet concerne la personne versée dans l'art et doit être compris de la même façon que celle-ci le comprendrait. La perception qu'a un expert de l'enseignement d'un brevet peut être pertinente à certaines fins, mais elle ne permet pas de déterminer de façon concluante ce qu'une personne versée dans l'art retirerait dudit brevet. D'autre part, quoique l'absence de renvoi à la personne versée dans l'art puisse rendre minime la pertinence du paragraphe 18, elle ne la rend pas inadmissible.

[29]            Le paragraphe 18 me semble être une liste des caractéristiques dont le Dr Tessier a pris connaissance en lisant les revendications du brevet ou en examinant un appareil particulier. Dans cette mesure, ce paragraphe serait admissible. Si on tente de lui en faire dire plus, l'objection pourra être renouvelée.

[30]            Un examen du paragraphe 33, notamment de la deuxième et de la dernière phrases, ne me permet pas de dire qu'il concerne une conclusion au sujet de l'interprétation du brevet. La deuxième phrase renferme une évaluation de l'équivalence mécanique, conclusion que le Dr Tessier a le droit de tirer. Quant à la dernière phrase, il y est mentionné que l'appareil de Seed Hawk fonctionne de la même façon que celui de l'invention de Halford. À mon avis, il s'agit d'une comparaison d'appareils qui n'est pas pertinente quant à la question de la contrefaçon, mais qui peut l'être relativement à une autre partie de l'analyse du Dr Tessier.


[31]            Les défendeurs s'opposent également à la dernière phrase du paragraphe 45, parce qu'elle comporte une allusion aux [Traduction] « principales innovations de l'invention de Halford » qui, selon eux, renferme une opinion au sujet de l'interprétation du brevet. Comme je l'ai mentionné plus haut dans mes commentaires concernant l'admissibilité du témoignage d'expert, l'antériorité et l'évidence sont des domaines au sujet desquels le témoignage d'expert sera reçu. À mon sens, une déclaration concernant l'élément innovateur d'un appareil ou d'un brevet appartient à la même catégorie qu'une opinion d'expert sur l'antériorité ou l'évidence. Il s'agit d'un commentaire au sujet de l'état antérieur de la technique. Aucune raison ne permet d'exclure la phrase.

[32]            La dernière question à trancher concerne l'admissibilité des essais que les demandeurs ont faits à l'égard de l'appareil de Seed Hawk. Les résultats de ces essais, qui ont eu lieu en 1999, sont décrits aux paragraphes 36 à 44.

[33]            Les défendeurs peuvent invoquer au soutien de leur thèse une tendance jurisprudentielle dont l'essentiel est résumé dans l'extrait suivant de l'arrêt Omark Industries (1960) Ltd. v. Gouger Saw Chain Co. (1964), 45 C.P.R. 169, dans lequel le juge Noël s'est exprimé comme suit :

[Traduction] Il est indéniable qu'en général, la Cour estime qu'elle ne devrait pas tenir compte de la preuve relative aux essais et expériences menés pendant le litige sans que l'autre partie ait été avisée et ait eu la possibilité d'y assister. À mon avis, il s'agit d'une règle salutaire. J'ajouterais qu'en tout état de cause, les essais et expériences menés même avant l'instruction en présence de l'autre partie sont beaucoup plus probants que lorsqu'ils sont faits en son absence.


[34]            En l'absence de circonstances spéciales, la question serait claire. Cependant, des circonstances de cette nature, qui sont très déplorables, existent en l'espèce. J'ai devant moi une déclaration faite sous serment sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, dans laquelle M. Halford relate ce qui s'est passé lors de différentes conférences de gestion d'instance au cours desquelles le juge chargé de la gestion de l'instance aurait approuvé l'exécution d'essais en l'absence de l'autre partie. J'ai également entendu les observations des avocats qui étaient présents au cours de ces conférences et ils ne semblent pas s'entendre sur ce qui s'est passé. Le désaccord porte essentiellement sur une déclaration que M. Halford a attribuée au juge chargé de la gestion de l'instance et selon laquelle [Traduction] « il y avait de bonnes raisons pour lesquelles les représentants d'une partie ne devraient pas être présents aux essais sur place menés par l'autre partie » ; par conséquent, les tests des experts de Seed Hawk auront lieu en l'absence des représentants des demandeurs.

[35]            Les défendeurs ont déposé devant moi des copies certifiées des procès-verbaux des conférences de gestion d'instance. Le procès-verbal d'une conférence tenue le 25 avril 2000, au cours de laquelle la directive aurait été donnée, fait état d'un échange entre le juge chargé de la gestion de l'instance et les avocats au sujet d'essais menés par les défendeurs, qui se termine comme suit :

[Traduction] Le fardeau de la preuve appartient à la défenderesse Seedhawk. Aucune ordonnance n'est rendue au sujet de la présence de la partie demanderesse au cours de l'essai sur place.


[36]            Les échanges qui font aujourd'hui l'objet de la controverse ont eu lieu en avril 2000, tandis que les essais mentionnés dans l'affidavit du Dr Tessier ont été menés en 1999. La preuve dont j'ai été saisi ne m'indique nullement qu'une ordonnance ou directive concernant les essais a été rendue ou donnée au moment où les essais en question ont eu lieu. Cependant, il semblerait que l'ordonnance ou la directive dont il est fait mention dans l'affidavit de M. Halford visait à placer les parties sur un pied d'égalité. À mon avis, cela signifie simplement que, comme il n'y a pas eu de représentants des défendeurs au cours des essais sur place des demandeurs, il n'y aurait pas de représentants de ceux-ci au cours des essais des défendeurs.

[37]            Il ne m'apparaît pas nécessaire de déterminer ce qui est survenu le 25 avril 2000, parce que la question concerne les essais effectués en 1999. La preuve ne m'indique nullement qu'une directive judiciaire aurait été donnée à l'époque de telle sorte que les essais menés par les demandeurs échapperaient à la règle ordinaire. Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que les essais menés en l'absence des représentants des défendeurs sont inadmissibles et que les paragraphes 36 à 44 et 46 à 48 de l'affidavit du Dr Tessier sont donc inadmissibles. Si les règles du jeu sont restées égales, les essais qu'ont menés les défendeurs et qui comportent la même irrégularité subiront le même sort.

[38]            Étant donné que les décisions rendues en l'espèce sont des décisions concernant la preuve et non des ordres, il ne sera pas nécessaire de les énoncer dans une ordonnance.

                                                                                                                                             « J.D. Pelletier »                

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-2406-93

RÉFÉRENCE NEUTRE :                   2001 CFPI 1154

INTITULÉ :                 James W. Halford et Vale Farms Ltd. c. Seed Hawk Inc., Pat Beaujot, Norbert Beaujot, Brian Kent et Simplot Canada Limited

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 15 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DU JUGE PELLETIER

EN DATE DU 24 OCTOBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. Steven Raber                                                                                                         pour les demandeurs

M. Dean Giles

M. Alexander Macklin                                                                              pour la défenderesse Seed Hawk

M. Doak Horne

M. Wolfgang Riedel                                                                                         pour la défenderesse Simplot

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fillmore Riley                                                                                                                 pour les demandeurs

1700 Commodity Exchange Tower

360 Main Street

Winnipeg (Man.) R3C 3Z3

Gowlings                                                                                                    pour la défenderesse Seed Hawk

Suite 1400, 700 2nd Street S.W.

Calgary (Alb.) T2P 4V5

Meighen, Haddad & Co.                                                                               pour la défenderesse Simplot

Avocats

C.P. 22105, 110 - 11th Street

Brandon (Man.) R7A 6Y9

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