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Date: 19980209


Dossier: T-900-97

Entre :

     EPHREM LECLERC,


requérant,


- et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NOËL :


[1]      Le requérant demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal d'appel des anciens combattants (le "Tribunal") le 7 février 1997 lui accordant le droit à sa pleine pension à compter du 7 février 1994. Selon le requérant, le Tribunal devait lui accorder sa pleine pension à compter du 15 mai 1984.


Les faits

[2]      En date du 15 mai 1987, le Conseil de révision des pensions concluait que la condition dont souffrait le requérant existait avant qu'il se fût enrôlé dans l'armée. Le Conseil lui accordait tout de même une pension équivalente à un cinquième de la pleine pension pour tenir compte de cette partie de son affection qui était attribuable à son service militaire.

[3]      Suite à une demande de réexamen déposée le 23 avril 1991, le Tribunal, en date du 11 juillet 1991, refusa de modifier cette décision. Ce faisant, le Tribunal rejetait l'argument du requérant selon lequel l'affection dont il souffrait n'existait pas au moment de son enrôlement.

[4]      Cette décision fut assujettie à un renvoi devant la Cour d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi de la Cour fédérale. Dans ses motifs, le juge Pratte fit valoir au nom de la Cour ce qui suit :

                 Le Tribunal a confirmé la décision du Conseil et jugé que le requérant n'avait droit qu'au cinquième de la pension correspondant à l'incapacité dont il était atteint. Pour en venir à cette conclusion, le Tribunal s'est fondé sur certains éléments de preuve (qui étaient d'ailleurs contredits par d'autres preuves) à l'effet que l'invalidité du requérant existait au moment où il est devenu membre des Forces armées. Comme il est constant que l'affection entraînant l'incapacité du requérant "n'a pas été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement" et a été diagnostiquée plus de trois mois après cet enrôlement, il nous paraît que le Tribunal ne pouvait décider comme il l'a fait sans ignorer les dispositions du paragraphe 21(9) et de l'article 108 de la Loi sur les pensions (L.R. 1985, ch. P-6).1                 
         ______________________
             1      Le texte de ces dispositions est le suivant :
                 21.(9) Sous réserve du paragraphe (10), lorsqu'une invalidité ou une affection entraînant incapacité d'un membre des forces pour laquelle il a demandé l'attribution d'une compensation n'était pas évidente au moment où il est devenu membre des forces et n'a pas été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement, l'état de santé de ce membre est présumé d'avoir été celui qui a été constaté lors de l'examen médical, sauf dans les cas suivants :     
                     a) il a été consigné une preuve que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi son enrôlement;         
                     b) il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité existait avant son enrôlement.         
                 108. La Commission et le comité d'examen appelés à décider de l'admissibilité du requérant à une compensation ou du degré d'invalidité d'un membre des forces appliquent les règles suivantes en matière de preuve :     
                     a) ils tirent des circonstances et des éléments de preuve qui leur sont présentés les conclusions les plus favorables possibles au requérant ou au membre;         
                     b) ils acceptent tout élément de preuve non contredit que celui-ci leur présente et qui leur semble vraisemblable en l'occurrence;         
                     c) ils tranchent en faveur du requérant ou du membre toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande.         

[5]      L'ordonnance émise par la Cour d'appel suite à cette décision précise que l'affaire est retournée devant le Tribunal "pour qu'il la décide en tenant pour acquis que la pension à laquelle le requérant avait droit ne peut être réduite au motif que la preuve ne révèle pas clairement que la cause de son incapacité est postérieure à son enrôlement".

[6]      Le Tribunal a réexaminé l'affaire le 10 décembre 1993. À cette occasion, le Tribunal a identifié la question en litige comme étant celle "[...] à savoir si la preuve médicale établit que l'affection était ... d'origine antérieure à son enrôlement". Après avoir examiné la preuve, le Tribunal a conclu que l'affection du requérant existait au moment de son enrôlement. Manifestement, le Tribunal n'avait pas compris l'effet de l'ordonnance de la Cour d'appel.

[7]      Le requérant demanda encore une fois un réexamen. Dans sa décision rendue le 16 décembre 1994, le Tribunal a reconnu que le Tribunal précédant avait mal identifié la question en litige et a dit accepter la décision de la Cour d'appel. Le Tribunal a toutefois noté que ceci ne donnait pas automatiquement droit à une pleine pension puisque même si l'affection était subséquente à l'enrôlement, sa cause n'était pas nécessairement rattachée ou consécutive au service militaire. Après avoir considéré la preuve, le Tribunal en vint à la conclusion qu'"aucun élément de preuve ne permet de conclure que les fonctions militaires du demandeur ont contribué à l'aggravation de l'affection dans une plus large mesure que celle reconnue par le droit à la pension actuelle de un cinquième".

[8]      Le requérant demanda le contrôle judiciaire de cette dernière décision en vertu de l'article 18 de la Loi de la Cour fédérale. Dans une décision rendue en date du 1er novembre 1996, j'ai moi-même conclu qu'à la lumière des présomptions statutaires qui opéraient en faveur du requérant et de la preuve qui était devant le Tribunal, il ne lui était pas loisible de conclure que l'affection du requérant n'était pas rattachée ou consécutive à son service militaire. J'ai alors cassé la décision du Tribunal et ordonné que l'affaire soit retournée devant lui pour qu'il en dispose en prenant pour acquis que l'affection du requérant était consécutive à son service militaire.

[9]      C'est ainsi qu'en date du 7 février 1997, le Tribunal confirmait le droit du requérant à une pleine pension. Le Tribunal rendit cette pension payable à compter du 7 février 1994, soit trois ans avant la date à laquelle elle fut accordée selon les termes de l'article 39(1)(b) de la Loi sur les pensions.1 De plus, le Tribunal exerça sa discrétion en faveur du requérant en lui accordant une compensation supplémentaire maximum équivalente à deux années de pension en vertu de l'article 39(2) de la Loi sur les pensions.2 Ce faisant, le Tribunal reconnaissait que le droit du requérant à sa pleine pension avait été retardé pour des motifs qui ne lui sont pas imputables. C'est cette décision du 7 février 1997 qui est assujettie à la demande de contrôle judiciaire.

Motifs invoqués au soutien de la demande

[10]      Selon le requérant, le Tribunal en rendant sa décision le 7 février 1997 a de fait modifié la décision qu'avait rendue le Conseil de révision en date du 15 mai 1987 et c'est à compter du 15 mai 1984, soit trois ans avant que cette décision intervienne, qu'il a droit à sa pleine pension.

[11]      Le requérant se fonde sur l'article 111 de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants3 et prétend que le Tribunal ne pouvait que confirmer, annuler ou modifier la décision assujettie au réexamen. Selon le requérant, c'est la décision du 15 mai 1997 qui était assujettie au réexamen et non pas celle du 16 décembre 1994. En prétendant modifier la décision du 16 décembre 1994 plutôt que celle du 15 mai 1989, le Tribunal aurait maintenu l'effet de la décision du 15 mai 1987 jusqu'au 7 février 1997, chose que l'article 111 n'autorise pas.

[12]      De façon alternative, le requérant prétend que selon l'article 39(1)(b) de la Loi sur les pensions "la date à laquelle la pension a été accordée" était le 15 mai 1987 et non pas le 7 février 1997.

Analyse et décision

[13]      Quant à l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants, il me semble évident que la décision qui était assujettie au réexamen était bien celle du 16 décembre 1994 et non pas celle du 15 mai 1987. C'est donc la décision du 16 décembre 1994 qui fût modifiée par celle du 7 février 1997 et non pas celle du 15 mai 1987.

[14]      La seule vraie question en litige porte sur l'effet de l'article 39(1) de la Loi sur les pensions. Cet article situe dans le temps le moment à compter duquel doit être payée une pension une fois accordée et précise que c'est à partir de la plus tardive des deux dates suivante : la date de la demande ou celle qui précède de trois ans la date à laquelle la pension est accordée.4

[15]      Selon le requérant, c'est en date du 15 mai 1987 que sa pension lui fut accordée pour la première fois et c'est donc à compter du 15 mai 1984 qu'il a droit à sa pleine pension. À mon avis, il n'en est rien puisque la pension qui lui fût accordée en 1987 est distincte de celle qui lui fût accordée en 1997.

[16]      C'est cette interprétation qui fût retenue par le Conseil de révision des pensions dans l'affaire Hickey (I-34) où se prononçant sur l'article 39(1) de la loi,5 le Conseil dit ce qui suit :

                 L'article 12 de la Loi sur les pensions prévoit l'octroi de pensions pour l'aggravation d'invalidités déjà existante, [sic] ce qui a pour effet de créer des pensions fractionnaires ou partielles. Il est clair que le fondement de l'octroi d'une pension fractionnaire n'est pas le même que le fondement de l'octroi d'une pension pour invalidité entière et conséquentement, [sic] les paiements qui s'y rattache varient. Une pension partielle dans la proportion de un cinquième est différente d'une pension dans la proportion de deux cinquièmes et ces deux types sont différents d'une pension pour l'invalidité entière. Ainsi, lorsqu'un pensionné à droit à une pension dans la proportion de un cinquième puis dans la proportion de deux cinquième [sic] et ensuite, le droit à un [sic] pension pour l'invalidité entière, il lui a, dans les faits, été accordé trois types de pension distincts à des époques différentes.                 
                 Le Conseil est d'avis que l'article 29 a été conçus [sic] pour être appliqué a [sic] chaque type de pension au moment de l'octroi. Le dit article s'applique donc à une pension partielle au moment ou elle est accordée et à une pension pour l'invalidité entière au moment ou elle est accordée. L'expression "la pension" dans l'article 29 se rapporte donc à la pension visée par la décision au moment ou elle est rendue et non à une autre pension accordée antérieurement. Le Conseil estime que la présente interprétation décrit clairement l'esprit de l'article 29.                 

[17]      Plus précisément, ce que fixe l'article 39(1) est la date du "paiement" d'une pension lorsqu'elle est octroyée et tout "paiement" issu de l'octroi d'une pension, soit-elle partielle ou entière est régi par l'article 39(1).

[18]      Autant les dispositions de la loi doivent être interprétées de façon à maximiser les paiements au profit des bénéficiaires, autant l'article 39(1) est clair quant à ses effets dans le contexte du présent litige. En effet, la raison d'être de cet article est de limiter à une période maximale de trois ans l'effet rétroactif de l'octroi de toute pension. La seule exception à cette limite est celle prévue à l'article 39(2) qui permet au Tribunal d'accorder une compensation supplémentaire dont le montant ne peut dépasser la valeur annuelle cumulative de deux années de pension.

[19]      La limite ainsi imposée au paiement rétroactif des pensions est rendue nécessaire par le régime législatif mis en place pour le bénéfice des pensionnés. En effet, le régime fait en sorte qu'une pension, une fois accordée, est toujours révisable et que lors de ces révisions le Tribunal peut tenir compte de toute nouvelle preuve et modifier ses conclusions antérieures de fait ou de droit dans la mesure où il les considère erronées.6 C'est dans le but de maximiser le bénéfice issu des pensions, et aussi en reconnaissance du fait que les affections physiques sont évolutives, que le législateur a institué un régime qui permet aux bénéficiaires de faire valoir, à tout moment, et aussi souvent que nécessaire tout fait nouveau ou tout argument de droit susceptible d'affecter le montant de la pension qui leur est payée.7 Dans la perspective du payeur cependant, ceci fait en sorte que le fardeau financier relié au régime des pensions n'est jamais arrêté et c'est dans ce contexte que le législateur, par le biais de l'article 39(1), a cru bon de limiter dans le temps l'effet rétroactif de l'octroi de toute pension.

[20]      Le requérant fait remarquer que dans l'instance, c'est la rectification d'une erreur de droit qui mena à l'octroi de sa pleine pension et qu'il n'est aucunement responsable du fait que dix ans se soient écoulés avant que ce droit ne lui soit reconnu.8 Le fait que la cause du retard ne soit pas imputable au requérant n'écarte pas l'article 39(1) lequel s'applique à toute pension sans égard aux circonstances dans lesquelles elle est octroyée.

[21]      D'ailleurs, c'est sans doute à la lumière de la portée non limitative de l'article 39(1) que le législateur a cru bon de permettre au Tribunal de palier à ses effets en accordant une pension au delà de la période stipulée lorsqu'il considère qu'il y a eu retard indu. C'est ce que le Tribunal a jugé bon de faire dans l'instance permettant ainsi au requérant de bénéficier d'une période de rétroactivité de cinq ans plutôt que trois. Il s'agit là d'une décision qui en plus d'être conforme à la loi, donne lieu à une solution équitable dans les circonstances.

[22]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Marc Noël

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 9 février 1998

__________________

     1      L.C. 1985, P-7. L'article 39(1) se lit comme suit :
     39.(1) Le paiement d'une pension accordée pour invalidité prend effet à partir de celle des dates suivantes qui est postérieure à l'autre :
         a) la date à laquelle une demande y relative a été présentée en premier lieu à la Commission;          b) une date précédant de trois ans la date à laquelle la pension a été accordée au pensionné.

     2      L'article 39(2) se lit comme suit :
         Nonobstant le paragraphe (1), lorsqu'une pension est accordée pour une invalidité et que, par suite de retards dans l'obtention des dossiers militaires ou autres, ou par suite d'autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du requérant, la Commission, un comité d'examen ou le Tribunal est d'avis que la pension devrait être accordée à partir d'une date antérieure à la date prescrite par le paragraphe (1), la Commission, le comité d'examen ou le Tribunal peut accorder au pensionné une compensation supplémentaire dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension.

     3      S.R. 1995 ch. 18. L'article 111 se lit comme suit :
         Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est habilité à réexaminer toute décision du Tribunal d'appel des anciens combattants [...] et soit la confirmer, soit l'annuler ou la modifier comme s'il avait lui-même rendu la décision en cause s'il constate que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

     4      La demande initiale aurait été logée au début des années 1970.

     5      À l'époque l'article 29(1).

     6      L'article 12(1) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants se lit comme suit :
         12(1) Par dérogation au paragraphe 9(3), le Tribunal peut, de son propre chef ou sur demande, réexaminer et confirmer, annuler ou modifier une de ses décisions, notamment une décision qu'il a rendue au titre du présent article, ou y substituer une nouvelle décision, si un ou de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés ou s'il constate qu'il s'est fondé sur une conclusion de faits erronée ou a mal interprété une loi.
     Voir aussi l'article 111 de cette loi, note 3, supra.         

     7      Il importe de souligner que le pouvoir de réexamen autorise la modification d'une décision antérieure à tout moment non seulement à la lumière de faits nouveaux mais aussi lorsque l'interprétation du droit qui sous-tend une décision s'avère erronée.

     8      Ceci n'est pas tout à fait exacte puisque la demande de réexamen de la décision du 15 mai 1987 ne fut déposée que le 23 avril 1994 soit plus de quatre ans après que la décision initiale ne soit rendue. L'affirmation du requérant selon laquelle il fut privé "[...] de sa pleine pension pour une période de plus de dix (10) ans, période pendant laquelle (il) n'a cessé de multiplier les appels [...]" (Paragraphe 15B du mémoire du requérant) doit être lue avec cette période de quatre ans à l'esprit.

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