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     Date : 20000613

     Dossier : T-1959-99


Entre

     JOSEPHINE CAROL PAPROSKI

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge REED


[1]      Les présents motifs se rapportent au recours en contrôle judiciaire exercé contre la décision prise par un membre de la Commission d'appel des pensions, désigné conformément au paragraphe 83(2.1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (RPC), de refuser à la demanderesse l'autorisation de faire appel devant cette instance.

[2]      La personne qui s'estime lésée par le refus du ministre du Développement des ressources humaines de lui accorder une prestation du RPC, peut en saisir un tribunal de révision (paragraphe 82(1)). Celui-ci peut confirmer ou modifier la décision du ministre, il peut aussi prendre toute mesure que ce dernier aurait pu prendre (paragraphe 82(11)). Si l'intéressé n'est pas satisfait de la décision du tribunal, il peut demander par écrit à un membre de la Commission d'appel des pensions (le membre désigné) l'autorisation d'interjeter appel devant cette dernière (paragraphe 83(1)).

[3]      Une fois l'appel autorisé, l'audience de la Commission est essentiellement une audience de premier ressort. Il s'ensuit que les éléments de preuve qui n'ont pas été produits devant le tribunal peuvent être administrés à l'appui de la demande d'autorisation, et subséquemment à l'audience de la Commission si l'autorisation est accordée.

[4]      Les décisions de la Commission peuvent être contestées, par voie de contrôle judiciaire, en Cour d'appel fédérale (article 84.1). La décision d'un membre désigné sur demande d'autorisation d'appel peut faire l'objet d'un contrôle par la Section de première instance de la Cour fédérale (Martin c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (A-229-98, 16 décembre 1999 (C.A.F.)).

[5]      Pour examiner s'il y a lieu d'autoriser l'appel, le critère à observer par le membre désigné représente « un premier obstacle plus bas à franchir par le demandeur » que ne l'est celui qu'il doit franchir à l'audition au fond de son appel (Cf. Martin, susmentionné, et Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 173 F.T.R. 102).

[6]      En l'espèce, les motifs pris par le membre de la Commission pour refuser l'autorisation sont semblables aux motifs pris dans les décisions attaquées dans Martin et Kerth, et dont il a été jugé qu'ils étaient fondés sur le mauvais critère juridique.

[7]      Il ressort des motifs pris par le membre désigné qu'il a instruit la demande d'autorisation comme s'il se prononçait sur l'appel au fond, imposant ainsi à la demanderesse une charge de preuve plus lourde que celle qui est prescrite pour la demande d'autorisation. Voici ce qu'on peut lire dans ces motifs :


     [TRADUCTION]

     Le tribunal de révision a conclu en ces termes :
         « Puisque l'appelante, de son propre aveu, se disait capable de faire un travail modifié à son lieu de travail, il est évident qu'elle ne satisfaisait pas au critère de l'invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada; en conséquence, le Tribunal la déboute de son appel. »
     Je trouve cette conclusion judicieuse, et je suis certain que n'importe quelle formation de jugement de la Commission d'appel des pensions serait du même avis. Par ce motif, la demande d'autorisation d'appel est rejetée.

[8]      L'avocat de la demanderesse soutient que puisque le membre désigné a appliqué le mauvais critère juridique et, de ce fait, a commis une erreur de droit, il faut annuler sa décision et ordonner soit que l'autorisation soit accordée, soit que la demande d'autorisation soit renvoyée à un autre membre de la Commission. Je ne pense pas que la Cour ait compétence pour accorder le premier redressement demandé. Si la décision est annulée, le redressement consistera à renvoyer la demande d'autorisation pour nouvelle instruction par le président, le vice-président ou un autre membre désigné de la Commission.

[9]      L'avocate du défendeur soutient de son côté que quand bien même le membre désigné aurait appliqué le mauvais critère juridique, il ne faut pas annuler la décision et renvoyer l'affaire pour nouvelle instruction, étant donné que la demanderesse doit aussi prouver que sa demande d'autorisation n'est pas dénuée de fondement. Son argument est que ce serait un gaspillage de temps et d'argent pour tous les intéressés et un gaspillage des rares ressources judiciaires si l'affaire était renvoyée pur nouvelle instruction du seul fait qu'il y a eu application du mauvais critère, au cas où la demande d'autorisation serait en fait dénuée de fondement.

[10]      Je peux apprécier le côté pratique de cet argument. Il n'appartient cependant pas à la Cour de se prononcer au fond sur la demande d'autorisation. Tout ce que je peux faire, c'est d'examiner les prétentions de la demanderesse pour décider si elles sont frivoles, vexatoires ou complètement dénuées de fondement.

[11]      En l'espèce, la demanderesse propose trois arguments à l'appui de la demande d'autorisation : (1) le tribunal a fondé sa décision sur la conclusion qu'elle était, de son propre aveu, capable de travailler, alors qu'elle n'avait fait aucun aveu de ce genre; (2) la demanderesse a produit de nouvelles preuves médicales qui mettent vraiment en doute la justesse de la décision du tribunal; et (3) le tribunal a tiré une conclusion erronée sur les faits en ce qu'il a jugé que la demanderesse ne souffrait pas de dépression.

[12]      Ce dernier argument peut être facilement écarté puisque le tribunal n'a pas jugé que la demanderesse ne souffrait pas de dépression. Il a seulement conclu qu'à la date de l'audience, elle ne prenait aucun médicament. Je ne vois pas en quoi cette observation pourrait être contestée.

[13]      La nouvelle preuve médicale consiste en une évaluation de la capacité fonctionnelle, effectuée le 16 mars 1999 par la March of Dimes de l'Ontario, et en un rapport subséquent daté du 19 mars 1999. Selon ce rapport, la demanderesse était physiquement capable de « faire un travail sédentaire, niveau d'effort physique léger, journée de 4 heures » . Le rapport indique aussi que celle-ci fondait en larmes à plusieurs reprises durant le test, qui a dû être interrompu. Cependant, il n'y avait aucune mention de stabilité ou d'instabilité émotionnelle, puisque le test n'était pas conçu pour évaluer un tel facteur. Je ne saurais conclure que la nouvelle preuve médicale présente une différence marquée avec ce qui se trouve déjà dans le dossier.

[14]      Reste à examiner l'assertion faite par la demanderesse que le tribunal a mal compris son témoignage, comme suit :

     [TRADUCTION]

     16. Le tribunal a conclu dans sa décision que j'étais capable de faire le travail modifié à mon lieu de travail, ce qui n'est pas vrai. J'ai témoigné à l'audience que je n'étais pas capable d'effectuer le travail, y compris les tâches légères et le travail modifié qu'on me proposait avant que je n'arrête de travailler en janvier 1994. Eussé-je été capable d'effectuer le travail modifié, je serais certainement restée chez Postes Canada. Le travail était dur, mais j'en étais fière.

[15]      La demanderesse n'a pas été contre-interrogée au sujet de son affidavit. Il n'y a aucune transcription de l'audience devant le tribunal. En refusant l'autorisation d'appel, le membre désigné s'est fondé par la conclusion tirée par le tribunal que la demanderesse avait avoué qu'elle était en mesure de faire le travail modifié qu'on lui avait proposé.

[16]      L'avocate du défendeur fait valoir que dans son mémoire soumis au membre désigné qui instruisait sa demande d'autorisation d'appel, la demanderesse n'a pas contesté la conclusion du tribunal, et qu'il y a un aveu écrit versé au dossier.

[17]      Je ne vois pas que ces assertions soient corroborées par le dossier. Voici ce qu'on peut lire aux paragraphes 15 et 20 du mémoire présenté par la demanderesse au membre désigné, dans le cadre de sa demande d'autorisation d'appel :

     [TRADUCTION]

     15. L'appelante s'est vu offrir un travail adapté vers la fin de 1993. Elle se voyait confier à l'occasion des tâches plus légères, mais essentiellement son travail a été modifié, en ce qu'elle était autorisée à rester assise sur un escabeau pour trier le courrier. Au 18 janvier 1994, elle a été forcée de cesser de travailler pour de bon parce que son corps était épuisé, son bras droit était immobile avec des douleurs brûlantes, elle ne pouvait pas se tenir debout à cause des douleurs aux pieds, et elle souffrait de faiblesse et de douleurs dans tout son corps.

    

     20. Le tribunal de révision a conclu que l'appelante ne satisfaisait pas aux critère de l'incapacité grave et prolongée, en raison de son soi-disant « aveu » qu'elle pouvait faire du travail modifié à son lieu de travail. Le tribunal de révision a commis une erreur en concluant qu'elle pouvait faire le travail modifié qu'on lui proposait chez Postes Canada. Comme noté supra, l'appelante a cessé de travailler bien que des aménagements aient été mis en place à son poste de travail et qu'elle eût essayé de faire le travail modifié.

[18]      Voici ce qu'on peut lire dans une évaluation de son état physique, faite par Assess Med Inc. en date du 20 mars 1996 :

     [TRADUCTION]

     Mme Paproski fait savoir que la Commission des accidents du travail a rejeté sa demande de prestations au titre à la fois de ses pieds et de son bras. Elle déclare qu'elle n'a pu reprendre le travail depuis cette date du fait qu'aucune tâche modifiée ne lui aurait été proposée. Elle déclare que le Dr Harding a envoyé la demande de prestations au Régime de pensions du Canada et à I.L.D., et que l'une et l'autre demandes ont été rejetées.

[19]      Dans le questionnaire rempli le 3 avril 1996 pour sa demande de prestations d'invalidité, la demanderesse fait savoir qu'elle a définitivement cessé de travailler à la suite de lésions dues aux efforts répétés; elle y mentionne aussi que le travail modifié était une option que l'employeur lui avait proposée par le passé.

[20]      Il résulte de ce qui précède que la demande d'autorisation de la demanderesse soulève une question dont la résolution nécessite l'appréciation des éléments de preuve, l'appréciation de la crédibilité de son assertion que le tribunal a mal compris son témoignage, et un jugement sur l'interprétation correcte de certaines preuves documentaires produites. Ces matières échappent à la compétence du juge saisi du contrôle judiciaire.

[21]      Par ces motifs, la décision entreprise sera annulée et la demande d'autorisation d'appel de la demanderesse, renvoyée pour nouvelle instruction par le président, le vice-président ou un autre membre désigné de la Commission.

     Signé : B. Reed

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 13 juin 2000




Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-1959-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Josephine Carol Paproski

                     c.

                     Le ministre du Développement des ressources humaines


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :          5 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MME LE JUGE REED


LE :                      13 juin 2000



ONT COMPARU :


M. Hugh A. Tye                  pour la demanderesse

Mme Isabelle Chartier                  pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Hamilton Mountain                  pour la demanderesse

Legal & Community Services

Hamilton (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



     Date : 20000613

     Dossier : T-1959-99

Ottawa (Ontario), le mardi 13 juin 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED


Entre

     JOSEPHINE CAROL PAPROSKI

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

     défendeur


     ORDONNANCE


     LA COUR,

     Après audition du recours en contrôle judiciaire à l'audience tenue à Toronto (Ontario), le lundi 5 juin 2000,

     Par les motifs pris ce jour en l'espèce,

     ORDONNE l'annulation de la décision attaquée et le renvoi de la demande d'autorisation d'appel de la demanderesse pour nouvelle instruction par le président, le vice-président ou un autre membre désigné de la Commission.

     Signé : B. Reed

     ________________________________

     Juge



Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet, LL. L.

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