Date : 20020904
Dossier : T-1747-00
Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
AB HASSLE, ASTRAZENECA AB
et ASTRAZENECA CANADA INC.
demanderesses
- et -
APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
ORDONNANCE
VU une demande présentée par les demanderesses en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) en vue d'obtenir un jugement déclarant que la lettre adressée par Apotex le 1er août 2000 n'est pas conforme au Règlement et ne constitue pas un avis d'allégation au sens du Règlement; et à titre subsidiaire, une ordonnance interdisant au ministre de la Santé défendeur de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement aux produits pharmaceutiques oméprazole et/ou comprimés de magnésium d'oméprazole de 10 mg, 20 mg et 40 mg tant que les brevets canadiens 1,292,693 (le brevet 693), 1,302,891 (le brevet 891) et 2,166,483 (le brevet 483) (collectivement appelés les brevets) ne seront pas expirés;
LECTURE FAITE des documents déposés et des observations présentées par les parties;
ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés en ce jour;
LA COUR ORDONNE :
i. la demande en vue d'obtenir un jugement déclarant que la lettre adressée par Apotex le 1er août 2000 n'est pas conforme au Règlement et ne constitue donc pas un avis d'allégation au sens du Règlement est accueillie;
ii. il est interdit au ministre de la Santé défendeur de délivrer un avis de conformité relativement à cet avis d'allégation présumé;
iii. la défenderesse Apotex doit payer les dépens des demanderesses.
« Michael A. Kelen »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
Date : 20020904
Dossier : T-1747-00
Référence neutre : 2002 CFPI 931
ENTRE :
AB HASSLE, ASTRAZENECA AB
et ASTRAZENECA CANADA INC.
demanderesses
- et -
APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE KELEN
[1] La Cour statue sur une demande présentée par les demanderesses en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) en vue d'obtenir les réparations suivantes :
a) un jugement déclarant que la lettre adressée par Apotex le 1er août 2000 n'est pas conforme au Règlement et ne constitue pas un avis d'allégation au sens du Règlement;
b) à titre subsidiaire, une ordonnance interdisant au défendeur, ministre de la Santé, de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement aux produits pharmaceutiques oméprazole et/ou comprimés de magnésium d'oméprazole de 10 mg, 20 mg et 40 mg tant que les brevets canadiens 1,292,693 (le brevet 693), 1,302,891 (le brevet 891) et 2,166,483 (le brevet 483) (collectivement appelés les brevets) ne seront pas expirés.
FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE
[2] La présente action vise des brevets concernant des préparations pharmaceutiques qui contiennent de l'oméprazole, un médicament efficace pour le traitement des ulcères gastriques et duodénaux. Les préparations pharmaceutiques brevetées permettent à l'oméprazole d'atteindre le site de l'ulcère dans l'intestin sans être dégradé préalablement par contact avec l'acide gastrique. Pour empêcher la dégradation et améliorer la stabilité lors de l'entreposage, le médicament est mélangé avec des substances alcalines et enrobé. La composition des préparations pharmaceutiques comprend le « noyau » , un « sous-enrobage inerte » et un « enrobage gastrorésistant et entérosoluble » .
[3] Les trois brevets en litige sont identiques aux fins de la présente action. La Cour se limitera en l'espèce au brevet 693. Les brevets renferment plusieurs revendications, dont une « revendication pour un procédé » et une « revendication pour une composition » . Le brevet 693 contient 19 revendications.
[4] Par lettre datée du 1er août 2000, Apotex a, conformément au Règlement, signifié un avis d'allégation relativement à des « comprimés d'Apo-oméprazole » . Dans son avis d'allégation, Apotex affirmait que ses comprimés ne contreferaient pas les brevets des demanderesses parce que l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble est appliqué directement sur le noyau, de sorte que le nouveau médicament n'a pas de sous-enrobage.
[5] Les demanderesses font valoir les quatre moyens suivants à l'appui de la présente action qu'elles ont introduite en réponse à l'avis d'allégation d'Apotex :
i. l'avis d'allégation ne précise pas le médicament ou l'ingrédient actif pour lequel Apotex demande une approbation;
ii. l'avis d'allégation ne contient pas suffisamment de détails pour permettre aux demanderesses d'évaluer si l'allégation est justifiée ou non;
iii. l'avis d'allégation constitue un abus de procédure au vu des instances judiciaires antérieures entre les mêmes parties (dossiers de la Cour nos T-179-98 et T-180-98). Les demanderesses allèguent qu'Apotex a retiré ses allégations dans les instances en question la veille de l'audience pour corriger les lacunes décelées dans sa preuve, de sorte que l'avis d'allégation constitue un abus de procédure;
iv. le procédé utilisé par Apotex pour appliquer l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble directement sur le noyau de l'oméprazole peut effectivement générer un sous-enrobage in situ par réaction chimique, de sorte que le procédé d'Apotex contrefera les revendications du brevet.
GENÈSE DE L'INSTANCE
[6] On trouve un bref exposé de la genèse de la procédure interlocutoire dans les motifs de l'ordonnance et l'ordonnance prononcés le 28 février 2002 par le juge Blanchard dans l'affaire AB Hassle c. Apotex Inc., [2002] A.C.F. no 343 (C.F. 1re inst.), une procédure interlocutoire introduite dans la présente affaire. Je fais mien cet exposé :
Au moyen d'un avis de requête daté du 6 octobre 2000, Apotex cherchait à obtenir une ordonnance, en vertu de l'alinéa 6(5)b) du Règlement, rejetant la demande au motif qu'elle était frivole et vexatoire et qu'elle constituait un abus de procédure (requête en rejet).
[...]
Par une ordonnance datée du 29 novembre 2000, le protonotaire adjoint Giles a accordé la réparation demandée par Apotex et il a rejeté la demande au motif qu'elle était frivole, vexatoire et abusive.
[...]
Pour ce qui est de l'appel des demanderesses, le juge Blais, par une ordonnance datée du 25 mai 2001, a annulé l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles. Cependant, dans ses motifs, le juge Blais a fait certaines observations, souscrivant en partie à la décision du protonotaire adjoint au sujet des plaintes en matière de procédure faites par les demanderesses. Voici lesdites observations :
- (Paragraphe 34 des motifs de l'ordonnance du juge Blais) « Je souscris à l'interprétation du protonotaire suivant laquelle le Règlement n'exige pas que la drogue ou l'ingrédient actif soient identifiés dans l'avis d'allégation. »
- (Paragraphe 41 des motifs de l'ordonnance du juge Blais) « Je suis d'accord avec le protonotaire pour dire que la question n'est pas chose jugée et qu'il n'y a pas eu d'abus de procédure. »
- (Paragraphe 65 des motifs de l'ordonnance du juge Blais) « [...], je conviens avec Apotex que l'interprétation du brevet fait toujours suite à une allégation de non-contrefaçon, peu importe le style d'instance en cause. De plus, ainsi qu'Apotex l'a souligné, les demanderesses ont eu l'occasion de faire entendre des experts au sujet de l'interprétation des brevets. Je ne crois pas que le protonotaire ait commis une erreur en se prononçant sur l'interprétation des brevets alors qu'il était saisi d'une requête en rejet sommaire. »
À la suite de l'ordonnance du juge Blais, les demanderesses ont déposé une requête en divulgation des renseignements pertinents au sujet des comprimés d'Apo-Oméprazole d'Apotex. Par une ordonnance datée du 16 juillet 2001, le protonotaire Aronovitch a ordonné la divulgation de ce qui avait été soumis par Apotex en vertu du Règlement et sa vérification par le ministre.
LES BREVETS
[7] Les parties conviennent qu'aux fins de la présente action les trois brevets en cause sont essentiellement les mêmes. Le brevet 693, qui est représentatif des trois autres, précise ce qui suit :
[TRADUCTION]
La présente invention concerne une nouvelle préparation pharmaceutique stable, contenant de l'oméprazole pour administration orale, une méthode pour la fabrication de cette préparation et une méthode pour l'utiliser afin de réduire la sécrétion d'acide gastrique et d'obtenir un effet cytoprotecteur au niveau des voies gastro-intestinales.
[...]
L'objet de la présente invention est d'obtenir une forme posologique d'oméprazole, avec enrobage gastrorésistant et entérosoluble, qui résiste à la dissolution dans les milieux acides, mais qui se dissout rapidement dans les milieux neutres à alcalins, et enfin qui possède une bonne stabilité lors d'un entreposage à long terme. La nouvelle forme posologique possède les caractéristiques suivantes : les noyaux contenant l'oméprazole [...] sont enrobés de deux ou plusieurs couches, la (les) première(s) couche(s) étant soluble(s) dans l'eau [...]; cette (ces) première(s) couche(s) sépare(nt) la substance alcaline centrale (noyau) de la couche externe, qui est un enrobage gastrorésistant et entérosoluble.
[...]
La (les) couche(s) séparatrice(s) peu(ven)t être appliquée(s) sur les noyaux [...] par des procédures d'enrobage classiques[...]
[8] La section finale du brevet intitulée [TRADUCTION] « LES CONFIGURATIONS DE L'INVENTION SUR LAQUELLE UNE PROPRIÉTÉ OU UN PRIVILÈGE EXCLUSIFS SONT REVENDIQUÉS SONT DÉFINIES DE LA FAÇON SUIVANTE » énumère dix-neuf « revendications » de brevet. La première revendication du brevet 693 nous intéresse en l'espèce. Elle est ainsi libellée :
[TRADUCTION]
1. Une préparation pharmaceutique pour administration orale, comprenant :
a) un noyau renfermant une quantité efficace d'une substance choisie dans le groupe constitué par l'oméprazole et un réactif alcalin, un sel alcalin d'oméprazole et d'un réactif alcalin, et enfin d'un sel alcalin d'oméprazole seul.
b) un sous-enrobage inerte qui se dissout ou se désintègre rapidement dans l'eau, qui recouvre le noyau et qui renferme une ou plusieurs couches de substances sélectionnées parmi les excipients des comprimés et les polymères feuillogènes;
c) une couche externe recouvrant le sous-enrobage et constituant un enrobage gastrorésistant et entérosoluble.
[9] La revendication 17 du brevet concerne le procédé de fabrication de cette préparation.
[10] En l'espèce, le débat ne tourne pas autour du médicament oméprazole lui-même. Les revendications du brevet et l'avis d'allégation d'Apotex concernent la composition ou la structure du comprimé ainsi que le procédé de fabrication du comprimé.
L'AVIS D'ALLÉGATION
[11] L'avis d'allégation identifie trois brevets appartenant aux demanderesses et allègue qu'aucune revendication pour le médicament comme tel, ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant la fabrication, l'élaboration, l'utilisation ou la vente du médicament. L'avis d'allégation précise notamment ce qui suit :
[TRADUCTION] Voici les moyens de droit et de fait invoqués au soutien de l'allégation précitée :
Les revendications de ces brevets portent sur des compositions renfermant un noyau qui contient un médicament, un sous-enrobage inerte et un enrobage externe gastrorésistant et entérosoluble. Nos comprimés se situent en dehors de la portée des revendications de ces brevets.
Plus précisément, nos comprimés comportent un noyau contenant le médicament et une couche gastrorésistante et entérosoluble, appliquée directement sur le noyau sans sous-enrobage entre le noyau et la couche gastrorésistante et entérosoluble. Nos comprimés ne créent pas de contrefaçon, vu qu'il n'y a pas de sous-enrobage entre le noyau et la couche gastrorésistante et entérosoluble.
Cela représente dans leur totalité, les « moyens de droit et de fait » invoqués au soutien de l'avis d'allégation. Les demanderesses soutiennent que cet avis d'allégation ne fournit pas un « énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle est fondée » au sens de l'alinéa 5(3)a) du Règlement, et n'inclut pas « une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande » au sens du sous-alinéa 5(3)c)ii) du Règlement.
DISPOSITIONS PERTINENTES DU RÈGLEMENT
[12] Voici les dispositions pertinentes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis d'allégation) :
5.
[...]
(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :
a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;
[...]
c) si l'allégation est faite aux termes des sous-alinéas (1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv) :
[...]
(ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;
Droits d'action
6.
(1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis d'allégation avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.
5.
[...]
(3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph l(b) or (1.1)(b) or subsection (2), the person shall [SOR/99-379, s. 2(3)]
(a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;
[...]
(c) if the allegation is made under subparagraph (1)(b)(iv) or (1.1)(b)(iv);
[...]
(ii) include in the notice of allegation a description of the dosage form, strength and route of administration of the drug in respect of which the submission has been filed;
Right of Action
6.
(1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation. [SOR/98-166, s. 5(1)]
(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.
(2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified ....]
ANALYSE
1. Moyens préliminaires
a) Identification d'un ingrédient
[13] Les demanderesses font valoir que, dans son avis d'allégation, Apotex ne fait état d'aucun ingrédient actif qu'elle chercherait à faire approuver et qu'elle se contente de mentionner l' « Apo-oméprazole » , qui est un nom commercial, plutôt que l'oméprazole ou le magnésium d'oméprazole, qui sont deux drogues distinctes qui pourraient chacune faire l'objet d'un avis d'allégation. L'ingrédient actif a par la suite été défini par ordonnance de notre Cour comme étant du magnésium d'oméprazole, qui est également désigné sous le nom de « sel d'oméprazole » ou de « sel de magnésium » . Les demanderesses soutiennent toutefois que cette irrégularité aurait dû contribuer à invalider l'avis d'allégation, étant donné que le Règlement ne permet pas de modifier un avis d'allégation.
[14] La défenderesse Apotex affirme, en réponse, que l'interprétation que les demanderesses font du Règlement est erronée et que le Règlement n'exige pas que l'ingrédient actif soit identifié dans l'avis d'allégation.
[15] Les demanderesses ont déjà soumis cette question à notre Cour par voie de requête. Dans le jugement AB Hassle c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 809 (C.F. 1re inst.), daté du 25 mai 2001, le juge Blais a conclu que le Règlement n'exige pas que l'ingrédient actif soit identifié dans l'avis d'allégation.
[16] J'abonde dans le sens du juge Blais et je fais mien son raisonnement. Je conclus qu'il n'y a rien qui justifie de donner raison aux demanderesses sur ce point.
b) Abus de procédure
[17] Les demanderesses affirment que l'avis d'allégation constitue un abus de procédure, étant donné que la défenderesse Apotex a formulé les mêmes allégations au sujet de l'oméprazole et du magnésium d'oméprazole dans d'autres instances dont elle s'est désistée.
[18] Aux termes d'un « accord parallèle » conclu le 14 mai 1999, les demanderesses ont effectivement accepté de se désister de leurs actions en justice et elles ont expressément accepté qu'Apotex puisse déposer un nouvel avis d'allégation en invoquant les mêmes moyens de droit et de fait au sujet des comprimés d'oméprazole. Cet accord ne faisait aucune mention de comprimés d'oméprazole. Il est toutefois évident que les parties convenaient qu'Apotex retirait ses avis d'allégation antérieurs à la condition de pouvoir soumettre plus tard un nouvel avis d'allégation. Il ressort de la preuve déposée dans la présente action que les avis d'allégation antérieurs ont été retirés parce qu'Apotex avait des problèmes avec la formulation de la nouvelle drogue et non pas à cause des irrégularités de sa preuve au sujet de la contrefaçon du brevet.
[19] Le juge Blais s'est également penché sur cette question dans le cadre de la procédure interlocutoire précédente et il a conclu que les demanderesses s'étaient désistées sur consentement ou d'un commun accord, de leurs actions en justice et qu'il n'y avait pas autorité de la chose jugée parce que les points litigieux n'avaient jamais été instruits sur le fond.
[20] Je souscris entièrement au raisonnement du juge Blais sur ce point. J'ajoute que la preuve soumise à la Cour ne permet pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu'Apotex s'est rendue coupable en l'espèce d'un abus de procédure.
2. Bien-fondé de l'allégation d'absence de contrefaçon
[21] Les demanderesses affirment que l'avis d'allégation n'est pas fondé pour les raisons suivantes :
[22] En réponse, Apotex déclare ce qui suit :
Principes d'interprétation des brevets
[23] Dans le jugement AB Hassle c. Apotex Inc., précité, le juge Blais rappelle l'importance de l'interprétation du brevet dans le cas qui nous occupe. Dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, (2000), 9CPR (4th)129, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Binnie, a exposé succinctement les principes applicables en matière d'interprétation des revendications de brevets :
1. Les principes d'interprétation des revendications d'un brevet
42 Le contenu du mémoire descriptif d'un brevet est régi par l'art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l'invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu'un ouvrier, versé dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole » [...] La divulgation est ce que l'inventeur fournit en contrepartie d'un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l'exploitation de l'invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu'il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu'il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d'avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2)). L'inventeur n'est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n'est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation.
43 Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L'interprétation des revendications précède l'examen des questions de validité et de contrefaçon.
[...]
[24] La Cour suprême affirme que, dans les poursuites en matière de brevet, la première étape consiste à interpréter les revendications. La présente espèce est axée principalement sur la revendication no 1 qui porte sur la « composition » du médicament. Cette revendication est distincte de la revendication no 17, qui est une revendication de brevet portant sur un « procédé » , c'est-à-dire une revendication portant sur le procédé ou la méthode suivis pour fabriquer le médicament.
[25] La question qui se pose dans tout procès en matière de brevets est le sens des mots et des expressions descriptifs qui figurent dans une revendication de brevet tels que les perçoivent les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l'invention est destinée à servir. Le juge Binnie déclare ce qui suit, aux paragraphes 44 et 45 :
44 [...] La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l'invention est destinée à servir comprendraient-elles que le breveté voulait que l'interprétation stricte d'une expression ou d'un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l'invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s'il se peut qu'elle n'ait aucun effet important sur la façon dont l'invention fonctionne.
45 [...] L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.
[26] Le sens des mots « sous-enrobage inerte » et « couche externe recouvrant le sous-enrobage » ont fait l'objet de témoignages d'experts.
LA PREUVE
[27] La preuve administrée dans la présente action sous forme d'affidavits et de transcription des contre-interrogatoires, consiste en la déposition des trois témoins experts d'Apotex, d'un expert qui a témoigné pour les demanderesses et du président-directeur général d'Apotex. Je vais passer en revue le témoignage de chacun des experts en commençant par les témoins d'Apotex.
Témoignage de M. Paul J. Niebergall
[28] M. Niebergall a témoigné comme suit au paragraphe 17 de son affidavit :
[TRADUCTION] [...] Il est absolument évident pour moi que le produit de toute réaction entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble de telles formulations n'est pas un sous-enrobage au sens où ce terme est utilisé dans les brevets. De fait, les brevets nous proposent quelque chose qui est différent de ce type de formulation pour justement éviter une réaction de ce genre.
[29] M. Niebergall a témoigné que les brevets exigent que l'on puisse séparer la couche externe et le noyau médicinal pour éviter tout contact, ainsi que la réaction chimique défavorable qui pourrait en résulter. En conséquence, M. Niebergall a témoigné, au paragraphe 26, que les brevets exigent l'application distincte du sous-enrobage pour séparer le noyau de l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. M. Niebergall a témoigné, au paragraphe 41, que le produit de la réaction entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble ne constituerait pas un « sous-enrobage inerte » au sens où cette expression est employée dans les brevets.
[30] M. Niebergall cite le mémoire descriptif des brevets où il est précisé que la couche de séparation des comprimés doit, de préférence, ne pas être inférieure à 10 microns. Au paragraphe 43, il déclare ce qui suit :
[TRADUCTION] Il est inconcevable qu'un sous-enrobage contrôlé d'une telle épaisseur pourrait être formée in situ en déposant certains des composants d'une solution gastrorésistante et entérosoluble.
[31] En contre-interrogatoire, M. Niebergall a témoigné que le mot « recouvre » que l'on trouve dans la revendication 1 signifie que le sous-enrobage est « activement posé » sur le noyau. En réponse à la question 252, le témoin a répondu que le verbe « recouvrir » :
[TRADUCTION] [...] n'est pas le terme qui est habituellement employé. On dit plutôt qu'on enrobe quelque chose. Ainsi, lorsque je vois le mot « recouvre » , je l'interprète comme toute personne ordinaire le ferait, c'est-à-dire « mettre quelque chose sur » .
Dossier de la demande. page 1241, question 250.
[32] M. Niebergall a témoigné qu'il est impossible qu'il se forme in situ une couche [TRADUCTION] « qui est continue et qui sert de sous-enrobage inerte. C'est tout simplement impossible » (question 279, page 1252 du dossier de la demande). Dans son contre-interrogatoire, il a déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION] Ce que je dis, c'est que cette réaction ne se produira pas de manière à créer une pellicule continue et que, si aucune pellicule continue n'est créée, on n'est plus en présence d'un sous-enrobage inerte. Un point c'est tout.
Dossier de la demande, page 1256, question 288.
[33] M. Niebergall affirme que [TRADUCTION] « lorsqu'on parle de sous-enrobage, on parle d'un procédé de fabrication, en l'occurrence un brevet relatif à un enrobage, qui est réalisé de la seule façon que je connaisse » (question 361, page 1272, dossier de la demande). M. Niebergall affirme que le mot « sous-enrobage » que l'on trouve dans la revendication 1 implique l'existence d'un brevet de fabrication portant sur l'enrobage des comprimés.
[34] Je considère M. Niebergall comme un expert hautement qualifié. Il est difficile d'évaluer la crédibilité d'un témoin en examinant une transcription sans avoir eu la chance de l'entendre témoigner de vive voix en séance publique. M. Niebergall a défendu énergiquement ses positions sous le feu d'un contre-interrogatoire long et insistant. La ligne de démarcation est ténue entre le fait de témoigner de façon ferme et objective et le fait de défendre la thèse de son client. Il est difficile de savoir si M. Niebergall a franchi cette ligne de démarcation.
[35] Les demanderesses ont remis en question la crédibilité M. Niebergall en rappelant qu'il avait déjà témoigné pour Apotex et qu'il est l'ami personnel d'un autre témoin expert d'Apotex. Je constate que sa crédibilité n'en est pas pour autant ébranlée.
Témoignage de M. Roger Schnaare
[36] M. Schnaare a déclaré, au paragraphe 11 de son affidavit :
[TRADUCTION] J'ai enfin conclu qu'aucun produit secondaire, issu d'une réaction entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble, n'est un sous-enrobage au sens où ce terme est employé dans les brevets. »
[37] Lors de son contre-interrogatoire, M. Schnaare a convenu que la pulvérisation d'une solution de polymères sur le noyau d'oméprazole et d'un réactif alcalin peut provoquer une réaction à la surface du noyau. Pour un exemple hypothétique, appelons « X » le composé réactif. Étant donné que le polymère est pulvérisé en continu sur le noyau, X se forme autour du noyau et érige une barrière entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble, pulvérisé sur le noyau (transcription, pages 1370 à 1373.). Dans son témoignage, M. Schnaare indique que la couche de « X » n'est pas un sous-enrobage, pour la raison suivante :
[TRADUCTION] Un sous-enrobage est un enrobage qui est appliqué sur une surface à l'aide d'une technique d'enrobage. Cette couche de « X » n'a pas été appliquée, mais s'est simplement formée sur place; il ne s'agit pas d'un enrobage, du fait qu'il n'a pas été appliqué. »
Transcription, page 1383, question 394.
Lors de son réinterrogatoire, M. Schnaare a déclaré que la couche de « X » dans son exemple hypothétique ne serait pas continue parce que la réaction ne se produirait pas uniformément sur chacune des différentes parties de la surface du noyau. M. Schnaare s'est également demandé si l'épaisseur de la couche de « X » approcherait jamais l'épaisseur privilégiée de 10 microns préconisée par le brevet (transcription, pages 1396 et 1397).
[38] L'avis de M. Schnaare a été sollicité le 24 janvier 2002. Apotex lui a demandé de témoigner le lendemain. M. Schnaare a obtenu un report jusqu'au 28 janvier. M. Schnaare disposait de l'avis de M. Niebergall, qui est un ami personnel. M. Schnaare a travaillé en étroite collaboration avec M. Niebergall pendant de nombreuses années et a rédigé avec lui plusieurs articles. En conséquence, les demanderesses ont remis en doute l'impartialité et la crédibilité de M. Schnaare.
[39] Au cours de son contre-interrogatoire, l'avocat d'Apotex a constamment interrompu M. Schnaare. Si le contre-interrogatoire avait eu lieu en séance publique, la Cour aurait pu mettre fin aux interventions intempestives de l'avocat d'Apotex. Ces interruptions affaiblissent la valeur du témoignage de cet expert. Ces interventions impliquent que les réponses des témoins n'auraient pas satisfait Apotex (voir, par exemple, les pages 1340, 1341, 1342 et 1343 du dossier). À l'occasion, l'avocat d'Apotex a, dans ses interventions, suggéré la réponse au témoin (voir, par exemple, la page 1360).
Témoignage de M. Michael Sefton
[40] Dans son affidavit, M. Sefton précise ce qui suit au paragraphe 13 de la page 485 :
[TRADUCTION] Lorsqu'on n'utilise pas de sous-enrobage, la surface externe du noyau et la surface interne de l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble, qui sont en contact, forment une interface qui peut renfermer un peu de composé ayant réagi. Mais, il serait complètement déplacé de considérer le réactif comme étant un « sous-enrobage » [...]
[41] Même si M. Sefton a admis qu'une couche réactive peut être concevable, le produit de la réaction ne pouvait être considéré comme formant une couche. L'épaisseur dépendrait des ingrédients, mais M. Sefton ne disposait d'aucun renseignement sur les ingrédients. M. Sefton a admis que l'interface - nom qu'il donne au composé réactif situé entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble - peut protéger le noyau. Le composé réactif pourrait « ralentir et empêcher toute réaction ultérieure » entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble (dossier, page 717).
Témoignage de M. Bernard Sherman
[42] Dans sa déposition, M. Sherman, président-directeur général d'Apotex, a indiqué que la position des demanderesses, voulant qu'un sous-enrobage [TRADUCTION] « puisse être formé spontanément » , est [TRADUCTION] « à la fois spéculative et sans valeur juridique » . Au paragraphe 31 de son affidavit, M. Sherman déclare :
[TRADUCTION] De plus, l'avis d'allégation fourni par Apotex est clair et catégorique quand il affirme que les comprimés ne contiendront pas de sous-enrobage inerte. Cette affirmation, supposément vraie, ne se limite pas aux sous-enrobages qui sont appliqués, mais exclurait également tout sous-enrobage formé spontanément, même si on accepte qu'il pourrait y avoir un enrobage de ce type.
[43] Lors de son contre-interrogatoire, M. Sherman a admis la possibilité d'une réaction entre l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble et le noyau, mais a ajouté que la réaction ne pourrait être décrite comme un sous-enrobage ou une couche entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble.
[44] Le paragraphe 31 ne présente pas des faits, mais établit un argument juridique. La présomption voulant que les comprimés ne contiendront pas de sous-enrobage inerte peut être réfutée. Dans le présent dossier, la présomption a été réfutée, et c'est à Apotex qu'il incombe de prouver que ses comprimés ne contiennent pas de sous-enrobage. La meilleure preuve aurait été d'obtenir des échantillons de comprimés d'Apotex à des fins d'analyses. Apotex a refusé. La Cour peut en déduire que les résultats de ces analyses seraient défavorables à Apotex, qui, dans le cas contraire, aurait certainement effectué ces analyses et communiqué les résultats. L'affidavit de M. Sherman oppose également un démenti à la position d'Apotex quant à savoir si la couche réactive pourrait être considérée comme un enrobage. Au paragraphe 31, M. Sherman utilise le terme « enrobage » pour désigner un « sous-enrobage formé spontanément » .
[45] Dans sa déposition, M. Sherman admet qu'il y aura formation d'un composé réactif sur le noyau par suite d'une réaction avec l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. La question à laquelle les témoins experts et la Cour doivent répondre est celle de savoir si ce composé réactif constitue un « sous-enrobage » au sens de la revendication no 1 du brevet.
Témoignage de M. John Rees
[46] Au paragraphe 31 de l'affidavit qu'il a souscrit le 26 novembre 2001, M. Rees déclare ce qui suit :
[TRADUCTION] La couche de sous-enrobage est « disposée sur ledit noyau » . Cette phrase décrit l'emplacement du sous-enrobage par rapport au noyau. Dans la préparation finie, la couche du sous-enrobage est située sur le noyau et sépare le noyau de l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble.
[47] Au paragraphe 55 de son affidavit, M. Rees déclare que le composé alcalin pourrait neutraliser les polymères de l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble en formant une couche sur place. Il conclut : [TRADUCTION] « On s'attendrait à ce qu'une couche de ce type fonctionne comme un sous-enrobage inerte tel que décrit dans les brevets » .
[48] Dans sa déposition, M. Rees note que la divulgation d'Apotex dans l'avis d'allégation ne renferme pas assez de détails. Une partie des détails requis serait la production d'échantillons réels de comprimés d'Apotex finis. L'analyse permettrait de déterminer la présence ou l'absence d'une couche de sous-enrobage. L'avis d'allégation fournit également des renseignements incomplets sur les ingrédients (de telle façon que les demanderesses ne pouvaient reproduire et tester les comprimés d'Apotex).
[49] Au paragraphe 15 de l'affidavit qu'il a souscrit le 20 octobre 2000, M. Rees précise ce qui suit :
[TRADUCTION] [...] une couche de sous-enrobage peut être formée au cours du procédé utilisé pour préparer la formulation, même en l'absence d'une étape séparée de production de sous-enrobage. En conséquence, même si Apotex n'utilise pas spécifiquement une étape séparée pour l'obtention d'un sous-enrobage dans le cadre du procédé employé pour produire ses comprimés Apo-oméprazole, il est possible qu'un sous-enrobage se forme spontanément [...] Étant donné que les revendications des brevets couvrent des formulations possédant un sous-enrobage, quelle que soit la manière dont il a été formé, ces comprimés représenteraient une contrefaçon des brevets.
[50] Au paragraphe 17, M. Rees précise que la présence d'un sous-enrobage peut être décelée grâce à des analyses et que l'allégation voulant que les comprimés d'Apotex ne renferment aucun sous-enrobage ne peut être vérifiée que par une analyse appropriée des comprimés.
Conclusions sur le témoignage des experts
[51] À la lumière de ces témoignages, j'en arrive aux conclusions suivantes :
1. Un composé réactif ou « interface » est généré spontanément lorsque l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble, qui est composé de polymères, est pulvérisé sur le noyau, qui contient de l'oméprazole et des substances alcalines;
2. La nature du composé réactif ou de l'interface ne peut être vérifiée que par une analyse des comprimés eux-mêmes;
3. Les experts ne s'entendent pas sur la question de savoir si le composé réactif ou l'interface peut être considéré comme un « sous-enrobage » au sens des brevets ou si le composé réactif formerait une couche continue autour du noyau et sur ce que son épaisseur pourrait être;
4. Le composé réactif isolerait le noyau, l'empêchant ainsi de se dissoudre et jouerait ainsi le même rôle - jusqu'à un certain point - que le sous-enrobage décrit dans la revendication 1 du brevet;
5. Il n'est pas possible d'évaluer la crédibilité des témoignages contradictoires d'experts sans avoir eu l'avantage de les entendre de vive voix en l'espèce;
6. Il n'est pas possible de décider si l'allégation d'absence de contrefaçon est fondée en se fondant sur les spéculations et les conjectures des experts. Cette situation est particulièrement frustrante lorsque la meilleure preuve - qui est aussi probablement la plus concluante - serait les résultats des analyses des comprimés d'Apotex eux-mêmes;
7. La conclusion évidente que la Cour tire du témoignage des experts est que les comprimés d'Apo-oméprazole auraient pu être analysés cliniquement pour déceler la présence d'une couche réactive ou d'un composé réactif ou d'un sous-enrobage spontané, et pour obtenir des renseignements techniques clés sur ses caractéristiques. Sans ces éléments d'information, les experts se livrent à des spéculations, des hypothèses et à des tergiversations;
8. En matière de contrefaçon de brevets, il est troublant pour la Cour de s'en remettre à des témoins experts qui « tergiversent » et de décider lequel d'entre eux a raison.
L'affaire Rhoxalpharma
[52] Dans l'affaire Rhoxalpharma, répertoriée sous l'intitulé AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (2000) 10 C.P.R. (4th) 38 (le juge Tremblay-Lamer), notre Cour examinait un médicament générique semblable (des comprimés d'oméprazole), un avis d'allégation semblable et deux des mêmes brevets que ceux qui nous intéressent en l'espèce. Au paragraphe 63, le juge de première instance a statué que la preuve avait établi, selon la probabilité la plus forte, que les comprimés génériques renfermeraient un « sous-enrobage inerte » qui résultait spontanément de l'interréaction entre des ingrédients du noyau et l'enrobage gastrorésistant, et qu'ils ne contrefaisaient donc pas le brevet 693.
[53] Tout comme en l'espèce, le fabricant de médicaments génériques Rhoxalpharma alléguait que les brevets ne seraient pas contrefaits parce que les comprimés n'avaient pas de sous-enrobage. Dans l'affaire en question, on avait eu recours à un spectromètre et à la microscopie par fluorescence pour analyser les échantillons de comprimés. Ces analyses avaient confirmé qu'il y avait un sous-enrobage d'environ trois à quatre microns qui séparait le noyau d'oméprazole de l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble.
[54] Cette affaire est importante pour deux raisons : (1) la Cour s'est demandée si des comprimés d'oméprazole génériques semblables contrefaisaient les mêmes brevets parce qu'ils ne comportaient pas de sous-enrobage inerte; (2) elle démontre que les renseignements détaillés dont le breveté a besoin pour vérifier le bien-fondé de l'allégation d'absence de contrefaçon correspondent aux échantillons effectivement utilisés lors des analyses pour déterminer l'existence d'un « sous-enrobage inerte » .
[55] Le juge Tremblay-Lamer a statué, au paragraphe 30 :
[...] La Cour d'appel fédérale a conclu que l'énoncé détaillé devait être suffisamment complet pour permettre au breveté de déterminer quelle mesure il convient de prendre en réponse à l'allégation. Comme l'a signalé le juge Stone au nom de la Cour, le législateur paraît avoir voulu que tous les faits figurent dans l'énoncé, et non qu'ils soient communiqués par bribes, lorsque le besoin s'en fait sentir pendant le déroulement de l'instance engagée en application de l'article 6 du Règlement [...]
[56] En l'espèce, l'énoncé détaillé n'est pas suffisamment complet pour permettre au breveté de répondre à l'allégation. On s'attendait à ce que les témoins experts cités par les deux parties « tergiversent » . Ils n'avaient aucun comprimé à analyser. Ils ne disposaient pas de suffisamment d'éléments d'information pour savoir si les comprimés génériques d'oméprazole comportent un sous-enrobage. Les experts se sont entendus pour dire qu'il pouvait exister une sorte de sous-enrobage, mais ils ne pouvaient que spéculer. Ce n'est pas parce que le breveté n'avait pas démontré, par preuve prépondérante, qu'il existait un sous-enrobage que les experts se sont livrés à des spéculations, mais parce que le breveté ne peut pas, sur la foi des renseignements fournis par le fabricant, répondre à l'allégation d'absence de contrefaçon. L'exposé des faits contenu dans l'avis d'allégation n'est pas assez détaillé ou complet. Pour ce motif, je conclus que l'avis d'allégation est irrégulier et qu'il ne remplit pas les conditions prescrites par le Règlement.
[57] Le 23 avril 2002, la Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge Tremblay-Lamer dans l'arrêt Rhoxalpharma Inc. c. AB Hassle et al., 2002 CAF 147 (le juge Noël) au paragraphe 2 :
Le dossier dont le juge des requêtes était saisi, et en particulier la nature de la preuve présentée par les parties au cours de l'instance, lui ont permis de conclure que l'avis d'allégation se fondait sur une pure assertion de fait, à savoir que le produit proposé par l'appelante ne comporte pas de sous-enrobage inerte. Ce n'est qu'une fois cette assertion réfutée que l'appelante a tenté de remanier son avis d'allégation de telle sorte qu'il faille interpréter les deux brevets en litige.
[58] En l'espèce, l'avis d'allégation repose également sur une pure assertion de fait, en l'occurrence que le médicament d'Apotex ne comporte pas de « sous-enrobage » . Dans l'affaire Rhoxalpharma, précitée, la Cour a conclu que les comprimés génériques d'oméprazole ne comportaient pas de « sous-enrobage » formé spontanément qui contreferait la revendication no 1 du brevet 693. Dans le cas qui nous occupe, la Cour ne peut faire fi de la conclusion qu'un « sous-enrobage » formé spontanément est considéré comme un « sous-enrobage » au sens du brevet 693, d'autant plus que cette interprétation de la revendication de brevet a été confirmée par la Cour d'appel fédérale.
[59] La Cour d'appel fédérale a également confirmé la conclusion du juge de première instance suivant laquelle le fabricant de médicaments génériques ne pouvait récrire son avis d'allégation après s'être rendu compte qu'il existe un sous-enrobage entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. Apotex voudrait que la revendication du brevet soit interprétée comme signifiant un « sous-enrobage » créé par le brevet dans le mémoire descriptif du brevet. Cette allégation aurait dû se trouver dans l'avis d'allégation. L'avis d'allégation dont il était question dans l'affaire Rhoxalpharma, précitée, n'est pas très différent de celui qui nous intéresse en l'espèce. Dans le cas qui nous occupe, le seul élément qui diffère dans l'avis d'allégation est le procédé qu'utilise Apotex pour appliquer l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble directement sur le noyau. Cet élément supplémentaire est pertinent lorsqu'il s'agit de la revendication portant sur le « procédé » , mais il ne constitue pas une allégation que le « sous-enrobage inerte » dont il est question dans la revendication 1 du brevet se limite au sous-enrobage créé par le brevet décrit dans le mémoire descriptif. Il aurait fallu qu'il soit précisé dans l'avis d'allégation que la revendication de brevet no 1 comporte des « limites en ce qui concerne le brevet » . En fait l'avis d'allégation mentionne le brevet, mais cette mention se rapporte à la revendication no 17 du brevet 693.
Exhaustivité de l'avis d'allégation
[60] L'alinéa 5(3)a) du Règlement exige que l'avis d'allégation fournisse un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels l'allégation d'absence de contrefaçon repose. En l'espèce, l'avis d'allégation porte simplement :
[TRADUCTION] [...] Nos comprimés ne créent pas de contrefaçon, vu qu'il n'y a pas de sous-enrobage entre le noyau et la couche gastrorésistante et entérosoluble. [sic] [...]
[61] Il ressort de la preuve qu'il y a peut-être quelque chose entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble et que ce « quelque chose » peut être considéré comme un « sous-enrobage » .
[62] Le contenu exigé de l'avis d'allégation va au-delà de la simple assertion que le nouveau médicament ne comporte pas de sous-enrobage entre le noyau et l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble. L'avis d'allégation doit contenir suffisamment de détails au sujet des moyens de droit et de fait invoqués pour pouvoir affirmer qu'il n'y aura pas de contrefaçon.
[63] L'avis d'allégation doit énoncer tous les faits que le fabricant de médicaments génériques entend invoquer dans d'éventuelles procédures en interdiction ultérieure et il ne peut reposer sur des faits qui n'ont pas été articulés dans l'avis d'allégation. L'avis d'allégation doit viser toutes les revendications du brevet dans lesquelles est décrit l'essentiel de l'invention, à défaut de quoi l'avis d'allégation sera irrégulier et ne sera pas conforme à l'article 5 du Règlement (voir l'arrêt Genpharm Inc. c. Ministre de la Santé et Procter and Gamble Pharmaceuticals Canada Inc., 2002 F.C.A. 290 (C.A.F.), le juge Rothstein, aux paragraphes 22 à 25 :
22 Toutefois, les avis d'allégation et l'énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels ils se fondent doivent fournir tous les faits que le fabricant de génériques entend invoquer dans d'éventuelles procédures en interdiction. Il ne peut invoquer d'autres faits que ceux décrits dans son énoncé détaillé. Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 12 C.P.R. (4th) 447, paragraphe 19, le juge Stone.
23 L'exigence, au sous-alinéa 5(1)b)(iv), que le fabricant de génériques inclue « une allégation portant [...] qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites » implique nécessairement que l'énoncé détaillé doit renfermer le droit et les faits sur lesquels se fonde l'allégation portant qu'aucune des revendications du brevet ne sera contrefaite.
24 Je ne dis pas qu'il est nécessaire que le fabricant de génériques considère chacune des revendications dépendantes du brevet si la ou les revendications de base qui décrivent l'invention sont considérées dans l'énoncé détaillé. Toutefois, le fabricant de génériques ne peut passer sous silence les revendications qui décrivent l'invention fondamentale. S'il le fait, il ne fournira pas les faits démontrant qu' « aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite » , et son avis d'allégation sera entaché d'un vice et ne sera pas conforme à l'article 5.
25 Les énoncés détaillés de Genpharm ne démontrent pas qu'aucune revendication pour l'utilisation d'un polyphosphonate, c'est-à-dire l'étidronate disodique, dans un schéma posologique intermittent et cyclique pour le traitement de l'ostéoporose, qui est la nouvelle utilisation de l'étidronate disodique inventée par P & G, ne serait contrefaite advenant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par Genpharm de son produit d'étidronate disodique. Les énoncés détaillés considèrent uniquement les revendications pour le kit, soit les revendications 1 à 16. Ils ne considèrent pas les revendications pour l'utilisation, soit les revendications 17 à 37. Ils ne disent pas que le produit de Genpharm ne peut être utilisé dans une thérapie à cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose. Les énoncés détaillés joints aux avis d'allégation ne tiennent pas compte des revendications pour l'utilisation dans le brevet 376.
[Non souligné dans l'original.]
[64] Si l'application directe de l'enrobage gastrorésistant et entérosoluble sur le noyau n'avait véritablement pas eu pour effet de contrefaire les brevets, il semble qu'Apotex aurait raisonnablement pu procéder à des analyses chimiques et qu'elle aurait pu produire les résultats. Dans l'affaire Rhoxalpharma, précitée, la Cour avait eu l'avantage de prendre connaissance d'une analyse scientifique des comprimés d'oméprazole en question. C'est la meilleure preuve possible. Apotex aurait pu soumettre ces éléments de preuve pour faire la preuve de l'absence de contrefaçon en l'espèce, mais elle a refusé de le faire, à ses propres risques et périls. En l'espèce, la justice exigeait la production de cette preuve.
[65] Le refus d'Apotex de fournir des échantillons, et les témoignages spéculatifs et non concluants d'experts qui en ont résulté, font ressortir le premier moyen invoqué par les demanderesses, à savoir que l'avis d'allégation ne contient pas suffisamment de détails au sujet des faits et du droit dont le Règlement exige la présentation. La Cour est d'accord pour dire que l'avis d'allégation est insuffisant à cet égard parce que, sans ces renseignements, le témoignage des experts au sujet de la contrefaçon n'est pas concluant et est purement spéculatif.
[66] Pour résumer, l'avis d'allégation est insuffisant, étant donné que l'énoncé détaillé des faits et du droit sur lesquels se fonde l'allégation d'absence de contrefaçon :
1. ne renferme pas de faits au sujet de la formulation du nouveau médicament et/ou des échantillons du nouveau médicament pour permettre aux demanderesses de déterminer si les comprimés génériques d'oméprazole possèdent un « sous-enrobage inerte » ;
2. n'énonce pas les moyens de droit qu'Apotex a invoqués à l'audience et suivant lesquels la revendication no 1 du brevet comporte des « limites en ce qui concerne le brevet » , c'est-à-dire que le « sous-enrobage inerte » dont il est question dans la revendication no 1 du brevet se limite à un sous-enrobage appliqué au moyen d'un procédé qui est décrit dans le mémoire descriptif du brevet mais qui n'est pas mentionné dans la revendication no 1 du brevet.
DISPOSITIF
[67] Pour les motifs qui précèdent, la Cour accueille la présente demande et déclare que la lettre adressée le 1er août 2000 par Apotex n'est pas conforme au Règlement, et qu'elle ne constitue donc pas un avis d'allégation au sens du Règlement. En conséquence, la Cour interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité relativement à l'avis d'allégation en question.
« Michael A. Kelen »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 4 septembre 2002
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1747-01
INTITULÉ : AB HASSLE, ASTRAZENECA AB
et ASTRAZENECA CANADA INC.
demanderesses
- et -
APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : 6 et 7 août 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : 4 septembre 2002
COMPARUTIONS:
Gunars Gaikis POUR LES DEMANDERESSES
J. Sheldon Hamilton
H.B. Radomski POUR LA DÉFENDERESSE (APOTEX)
Andrew R. Brodkin
Personne n'a comparu POUR LE DÉFENDEUR (MINISTRE DE LA SANTÉ)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Smart & Biggar POUR LES DEMANDERESSES
Toronto (Ontario)
Goodmans LLP POUR LA DÉFENDERESSE (APOTEX)
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR (MINISTRE DE LA SANTÉ)
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20020904
Dossier : T-1554-01
ENTRE :
AB HASSLE, ASTRAZENECA AB
et ASTRAZENECA CANADA INC.
demanderesses
- et -
APOTEX INC.
et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE