Date : 20010406
Dossier : IMM-6308-98
Référence neutre : 2001 CFPI 300
ENTRE :
KIRK MEAGELL GRANDISON
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
INTRODUCTION
[1] M. Kirk Meagell Grandison (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision énonçant qu'il constitue un danger pour le public qui a été rendue par le délégué du ministre aux termes du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).
LES FAITS
[2] Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque qui est résident permanent au Canada depuis le 10 juillet 1990. Il est maintenant un mari et un père âgé de vingt-six ans.
[3] Le 31 mars 1998, le demandeur a plaidé coupable à une accusation d'importation de stupéfiants. Il s'est vu infliger une peine d'emprisonnement de trois ans. Par lettre datée du 31 juillet 1998, il a reçu un avis d'intention de demander au ministre l'avis qu'il constitue un danger pour le public au Canada.
[4] Le demandeur a présenté des arguments en réponse à l'avis reçu du défendeur. Il a déposé des documents pour examen, notamment son casier judiciaire, une évaluation faite par Services correctionnels Canada, le rapport de placement pénitentiaire, le rapport sur le profil criminel, la recommandation de décision pour le niveau de sécurité du détenu, le plan correctionnel et un rapport récapitulatif sur l'évolution du cas.
[5] Le 3 septembre 1998, le délégué du ministre, Ian Taylor, a émis des avis, selon lesquels le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, aux termes du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv). Aucun motif n'a été fourni avec les avis et le demandeur n'a reçu aucune copie du rapport sur l'avis du ministre et de la demande de l'avis du ministre.
LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR
[6] Le demandeur prétend que le ministre a commis une erreur en ne tenant pas compte d'éléments de preuve pertinents et en interprétant mal la loi relativement aux personnes qui constituent un danger pour le public. Il soutient également que l'arrêt récemment rendu par la Cour d'appel fédérale dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Sunil Bhagwandass, [2001] C.A.F. 49, s'applique à la présente affaire.
[7] Le demandeur avance aussi que, sur le fond, les avis de danger sont déraisonnables et sont fondés sur une interprétation erronée des faits pertinents, notamment la preuve présentée par le demandeur concernant le soutien familial. Le demandeur fait valoir que s'il avait eu la possibilité d'examiner les documents présentés au ministre et d'y répondre, il aurait pu traiter de ces erreurs.
LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR
[8] Le défendeur prétend que l'arrêt récemment rendu par la Cour d'appel fédérale dans Bhagwandass, précité, ne règle pas le sort de la présente demande. En premier lieu, le défendeur tente d'établir une distinction d'avec cette décision au motif que celle-ci n'a pas abordé la question de savoir si les rapports du ministre peuvent et doivent être considérés comme des motifs.
[9] En deuxième lieu, le défendeur soutient que la décision peut aussi faire l'objet d'une distinction car, en l'espèce, le demandeur a contesté le bien-fondé de l'avis de danger et a prétendu que des motifs écrits étaient exigés. Selon le défendeur, la Cour est directement saisie, dans la présente demande, de la question de savoir si les rapports du ministre peuvent et doivent être considérés comme des motifs et cette question a été tranchée par l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] 2 C.F. 592 (C.A.).
[10] Le défendeur a d'abord adopté la position qu'aucun motif n'était donné par le ministre ou exigé de sa part relativement aux deux avis faisant l'objet de la présente demande de contrôle. Après examen des motifs prononcés par la Cour d'appel fédérale dans Bhagwandass, précité, le défendeur a modifié sa position et prétend maintenant que les motifs du ministre constituent des motifs en l'espèce. Le défendeur invoque l'arrêt, souvent cité, rendu par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, et dit que la conception souple de l'équité en matière de prise de décisions administratives qui a été reconnue par la Cour suprême du Canada appuie par déduction la conclusion que les rapports du ministre constituent des motifs en l'espèce. Le défendeur fait valoir qu'étant donné que ces rapports constituent des motifs, il n'y a aucune exigence de communication préalable à l'émission des avis de dangers.
ANALYSE
[11] Je ne suis pas convaincue par les arguments avancés par le défendeur en vue d'étayer une distinction entre la présente affaire et l'affaire Bhagwandass, précitée.
[12] J'estime que l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale règle le sort de la présente demande. Il y a une obligation d'équité étendue qui exige la communication des rapports du ministre. Cette communication n'a pas eu lieu.
[13] Le défendeur soutient que la présente affaire peut faire l'objet d'une distinction d'avec l'affaire Bhagwandass, précitée, au motif qu'en l'espèce, le demandeur a mis en doute le bien-fondé de l'avis de danger.
[14] Malgré les arguments présentés par le défendeur, je ne suis pas convaincue que l'arrêt rendu dans Bhagwandass, précité, ne doive pas être suivi. Dans la présente affaire, il est inutile d'examiner le bien-fondé des avis de danger à la lumière de l'inexécution de l'obligation d'équité du ministre. Le délégué du ministre n'a fourni aucun motif à l'appui des avis signés le 3 septembre 1998. Le demandeur n'a pas reçu le rapport sur l'avis du ministre ni la demande de l'avis du ministre, et il n'a pas eu la possibilité de répondre à ces documents.
[15] Le défendeur a demandé la certification d'une question. Le défendeur désire préserver ses droits liés à sa position au cas où l'arrêt Bhagwandass, précité, ferait l'objet d'un appel à la Cour suprême du Canada. La question proposée est rédigée ainsi :
[TRADUCTION] Les rapports sur l'avis du ministre qui ont été préparés aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration doivent-ils être considérés, par déduction, comme étant les motifs de l'avis du délégué du ministre?
ORDONNANCE
[16] Vu les circonstances, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et les avis de danger datés du 3 septembre 1998 sont annulés. La question suivante est certifiée :
Les rapports sur l'avis du ministre qui ont été préparés aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration doivent-ils être considérés, par déduction, comme étant les motifs de l'avis du délégué du ministre?
« E. Heneghan »
J.C.F.C.
Toronto (Ontario)
Le 6 avril 2001.
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
NO DU GREFFE : IMM-6308-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : KIRK MEAGELL GRANDISON
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 14 MARS 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : LE JUGE HENEGHAN
EN DATE DU : VENDREDI 6 AVRIL 2001
ONT COMPARU : M. Munyonzwe Hamalengwa
Pour le demandeur
Mme Marianne Zoric
Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Munyonzwe Hamalengwa
Barrister & Solicitor
45, avenue Sheppard Est, suite 900
North York (Ontario)
M2N 5W9
Pour le demandeur
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20010406
Dossier : IMM-6308-98
ENTRE :
KIRK MEAGELL GRANDISON
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE