Date : 20020308
Dossier : IMM-5926-00
OTTAWA (Ontario), le 8 mars 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY
ENTRE :
VERONICA SWARTZ ET RONVILLE SWARTZ
demandeurs
-et-
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
VU la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration a rejeté, par lettre en date du 18 octobre 2000, la demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH) des demandeurs de faire leur demande de résidence permanente sans quitter le Canada, et vu la demande d'ordonnance annulant cette décision;
APRÈS audition des avocats des parties à Vancouver, le 20 juin 2001, la Cour ayant mis l'affaire en délibéré ce jour-là, et après examen des observations alors présentées;
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. La décision contestée est annulée;
3. La demande CH des demandeurs est renvoyée au défendeur pour qu'un autre agent d'immigration procède à un nouvel examen.
« W. Andrew MacKay »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.
Date : 20020308
Dossier : IMM-5926-00
Référence neutre : 2002 CFPI 268
ENTRE :
VERONICA SWARTZ ET RONVILLE SWARTZ
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 18 octobre 2000, par laquelle une agente d'immigration a rejeté la demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH) des demandeurs de faire leur demande de résidence permanente sans quitter le Canada. Cette demande avait été faite en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), et de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement).
Contexte
[2] Les demandeurs, une mère et son fils, Ronville, sont arrivés au Canada le 19 décembre 1995, en provenance de l'Afrique du Sud, pour rejoindre respectivement leur mari et père, Neville Swartz (M. Swartz), qui était lui-même entré plus tôt au Canada pour y poursuivre des études supérieures à l'Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Les demandeurs ont alors vécu pendant un certain temps avec M. Swartz dans une demeure familiale commune. Lorsque les demandeurs sont arrivés au Canada, Ronville avait 14 ans. Au moment de l'examen de leur demande CH et de son rejet, en 2000, il en avait 19.
[3] Le 23 février 1996, Mme Swartz a obtenu, d'Immigration Canada, une autorisation d'emploi valide jusqu'au 31 octobre 1996. Cette autorisation a par la suite été prolongée jusqu'au 1er mai 2001. On a délivré une autorisation d'étude à Ronville pour la même période.
[4] Depuis mai 1997, Mme Swartz a recours aux services de Battered Women's Support Services (service de soutien aux femmes battues) à Vancouver. Dans son affidavit, Mme Swartz déclare :
[TRADUCTION]
Mon mari était psychologiquement et physiquement violent tant envers moi qu'envers mon fils. À plusieurs reprises, il a menacé de me tuer. Il a dit à notre fils qu'il me ferait sauter la cervelle et qu'il se tuerait.
[5] En janvier 1998, les demandeurs ont quitté la demeure familiale. Depuis, ils n'ont pas habité avec M. Swartz. En février 1999, ce dernier et Mme Swartz ont conclu un accord de séparation selon lequel la garde de Ronville était attribuée à Mme Swartz. L'entente ne prévoyait pas que M. Swartz soutiendrait financièrement Mme Swartz et Ronville, et il ne l'a pas fait.
[6] M. Swartz a, par la suite, demandé la résidence permanente au Canada et on la lui a accordée. Il n'avait pas inclus les demandeurs dans sa demande. L'avocate de ces derniers l'a poussé à remplir une demande de parrainage pour l'admission de son fils Ronville en tant que résident permanent. M. Swartz a présenté une telle demande aux agents d'immigration. On la lui a retournée et on l'a informé que la demande devait être soumise au bureau compétent, soit le Centre d'immigration de Vegreville, mais il ne l'a pas fait.
[7] Le 30 décembre 1999, Mme Swartz a présenté, en son nom et au nom de Ronville, une demande d'exemption des exigences habituelles pour qu'ils puissent faire, en raison de considérations humanitaires, leur demande de résidence permanente sans quitter le Canada. Une agente d'immigration leur a fait subir une entrevue au sujet de cette demande le 17 août 2000.
[8] Après étude de la demande, l'agente d'immigration a, dans une lettre datée du 18 octobre 2000, informé les demandeurs que l'exemption ne leur serait pas accordée. Les notes de l'entrevue de l'agente, datées du 12 octobre 2000, sont détaillées et présentées en quatre parties ayant pour titre : [TRADUCTION] « résumé du cas » , « observations écrites » , « entrevue » et « raisonnement » . Je tiens pour acquis que la partie intitulée « raisonnement » constitue les motifs de la décision de l'agente d'immigration.
Questions
[9] Les demandeurs invoquent trois moyens à l'appui de leur allégation selon laquelle la décision de l'agente est déraisonnable. Premièrement, ils prétendent que l'agente n'a pas pris en considération l'intérêt supérieur de Ronville à demeurer au Canada, particulièrement en ce qui concerne la possibilité d'une réconciliation avec son père. Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que l'agente n'a pas tenu compte du fait qu'ils ont été victimes de violence physique et psychologique de la part de M. Swartz et, ce faisant, qu'elle n'a pas appliqué les directives ministérielles concernant les demandes CH présentées par les membres d'une famille victimes de violence. Troisièmement, les demandeurs prétendent que l'agente n'a pas pris en considération la preuve selon laquelle M. Swartz avait déposé une demande de parrainage pour l'établissement de Ronville au Canada. Avant de me pencher sur ces questions, je vais examiner la norme de contrôle applicable dans la présente affaire.
Norme de contrôle
[10] Invoquant l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, les demandeurs soutiennent que la norme de la décision raisonnable simpliciter devrait être appliquée à l'examen de la décision discrétionnaire de l'agente d'immigration de rejeter leur demande CH d'être dispensés de l'exigence de présenter la demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada.
[11] Le défendeur prétend que, comme la décision d'un agent d'immigration de ne pas accorder une exemption en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi ne prive une personne d'aucun droit, il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard de cette décision. À l'appui de cet argument, le défendeur invoque Singh (Saran) (C.K.) c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1986), 6 F.T.R. 15, décision dans laquelle M. le juge Cullen a déclaré, au paragraphe 12 :
Quel devoir ou quelle responsabilité, dans ce cas, devrait-on imposer au ministre de l'Immigration? À mon sens, celui-ci ne doit répondre que des obligations suivantes : examiner équitablement les motifs proposés, reconnaître qu'il en a pris connaissance, et arrêter sa décision. Aucun motif ne doit être donné.
[12] Depuis l'arrêt Baker, précité, on peut s'attendre à ce que les décisions discrétionnaires qui préjudicient aux intérêts d'une personne comportent des motifs. Dans la présente affaire, la décision doit obligatoirement être motivée et la norme de la décision raisonnable simpliciter est appropriée pour le contrôle de la décision de l'agente d'immigration.
La décision était-elle déraisonnable du fait qu'elle n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur du fils?
[13] Les demandeurs soutiennent que l'agente d'immigration a commis une erreur en n'examinant pas l'intérêt supérieur de Ronville, notamment son intérêt à demeurer au Canada dans l'espoir d'une réconciliation avec son père.
[14] Pour commencer, je note que Ronville avait 19 ans au moment de l'entrevue et de la décision. Il pourrait être considéré un adulte aux yeux de la loi. Cependant, en raison des circonstances, j'estime qu'on peut, malgré son âge, le considérer un « enfant » afin de respecter le principe de l'arrêt Baker. Dans la décision Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 192 D.L.R. (4th) 373, les demandeurs, qui avaient deux enfants, ont présenté une demande de droit d'établissement fondée sur des considérations humanitaires sans quitter le Canada. Au moment du rejet de leur demande, le plus jeune enfant avait 18 ans et l'aîné, 20. M. le juge Gibson, qui a accueilli la demande, a déclaré, au paragraphe 20 :
Les deux fils des demandeurs, quelque soit leur âge, étaient toujours des « enfants » des demandeurs dont on pouvait raisonnablement s'attendre qu'ils soient considérablement ébranlés par le renvoi de leurs parents du Canada.
Dans le cas présent, je suis d'avis que, si on applique le principe énoncé dans Baker, Ronville était un « enfant » parce que, même s'il avait 19 ans, il était une personne à charge et n'était autorisé ni à travailler ni à poursuivre ses études au Canada après mai 2001.
[15] Bien que l'agente d'immigration ait fait, dans ses notes, des déclarations relativement à la question de savoir si la présence physique de Ronville au Canada faciliterait sa réconciliation avec son père, elle n'a pas examiné d'autres facteurs relatifs à l'intérêt supérieur de Ronville. Dans l'arrêt Baker, précité, Mme le juge L'Heureux-Dubé a déclaré, au paragraphe 74 :
[...][L]'attention et la sensibilité à l'importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l'épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu'une décision d'ordre humanitaire soit raisonnable. Même s'il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d'immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d'une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. [...]
[16] Dans la décision Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 277 (1re inst.), M. le juge Nadon a passé en revue la jurisprudence récente de la Section de première de la Cour fédérale et a conclu de la façon suivante, au paragraphe 67 :
En conclusion, je suis d'avis que l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Baker appelle un certain résultat, et ce résultat est que, sauf les cas exceptionnels, l'intérêt supérieur des enfants doit prévaloir. [...]
[17] Compte tenu des déclarations de Mme le juge L'Heureux-Dubé dans Baker et de celles de M. le juge Nadon dans Legault, je suis d'avis que l'agente d'immigration a commis une erreur dans la présente affaire en ne montrant pas d'attention et de sensibilité à l'intérêt supérieur de Ronville et à l'épreuve qui pourrait lui être infligée par une décision défavorable. Dans sa partie « raisonnement » , l'agente d'immigration a écrit :
[TRADUCTION]
Bien que je compatisse avec Veronica [Mme Swartz] et Ronville en ce que Neville [M. Swartz] n'a pas pris en considération leur intérêt supérieur, je suis convaincue que cette épreuve peut se comparer à une situation de bris de famille.
[18] Bien que le rapport de l'agente et les motifs fassent référence à certaines circonstances touchant le fils et reprennent l'essentiel des représentations écrites jointes à la demande CH, les motifs ne démontrent pas que l'intérêt supérieur du fils a été pris en considération lorsqu'elle a rendu sa décision.
La décision était-elle déraisonnable du fait qu'elle n'a pas suivi les directives?
[19] Les demandeurs prétendent que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de la violence psychologique et physique que le mari de la demanderesse leur a fait subir, à elle et à son fils, et, ce faisant, n'a pas suivi les directives ministérielles. L'article 8.10 du chapitre 5 du guide sur le traitement des demandes au Canada (le guide), qui traite des demandes CH dans les cas de violence familiale mentionne entre autres que :
Les membres de la famille au Canada (surtout les conjoints) qui sont victimes de violence familiale et ne sont ni résidents permanents ni citoyens canadiens peuvent se sentir obligés d'accepter cette violence pour pouvoir demeurer au Canada, ce qui peut entraîner des risques pour eux.
Devant une telle situation, les agents peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire si un conjoint (ou un autre membre de la famille) d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent quitte celui-ci pour se soustraire à cette violence et se retrouve, par conséquent, sans répondant.
Noter que ce sont surtout les femmes qui sont victimes de violence familiale. Une considération importante est la protection de la victime.
[20] À mon avis, l'agente d'immigration a pris en considération et a accepté la plupart des éléments de preuve produits par les demandeurs relativement à la relation de violence, notamment la violence physique et psychologique que M. Swartz a fait subir à sa femme, tant avant qu'après l'entrée au Canada de la famille. Dans la partie « raisonnement » de ses notes, l'agente d'immigration a admis que le mariage était empreint de violence et a écrit qu'il était méritoire de la part de Mme Swartz d'avoir mis un terme à [TRADUCTION] « un mariage empreint de violence » .
[21] Bien que l'agente ait pris note, comme ses notes le démontrent aussi, que Mme Swartz s'était constituée un réseau de soutien au Canada et qu'elle éprouverait des difficultés si elle devait retourner en Afrique du Sud, les motifs de l'agente ne révèlent aucunement qu'elle a examiné avec largesse la situation particulière de la demanderesse, qui résulte du fait qu'elle a mis un terme à une relation conjugale de violence et a ainsi renoncé à tout espoir de se voir parrainer par son mari. En ce sens, les motifs de l'agente d'immigration ne tiennent pas compte des circonstances, contrairement aux directives du guide pour les cas de violence familiale.
[22] Cependant, des directives sont des directives : ce ne sont pas des règles de droit. Il serait difficilement justifiable d'intervenir simplement parce qu'une seule directive paraît avoir été négligée, alors que d'autres directives pertinentes ont été suivies. Si ce devait être la seule lacune de la décision de l'agente d'immigration, il serait difficile de conclure que sa décision discrétionnaire, dans cette affaire clairement difficile, était déraisonnable.
[23] Dans tout nouvel examen de la demande, les directives portant sur les demandes CH présentées par des personnes qui ont mis un terme à une relation familiale dans laquelle elles étaient victimes de violence et qui ont ainsi perdu la possibilité d'être parrainées, devraient être examinées attentivement.
Conclusion
[24] À propos des conclusions visant Ronville, la demanderesse a également fait valoir que l'agente a négligé le fait que M. Swartz avait présenté une demande en vue de parrainer la demande de résidence permanente de son fils, bien qu'il ait fait parvenir la demande au mauvais bureau. Il n'est pas nécessaire de traiter cette question puisque j'ai décidé que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
[25] J'accueille la demande parce qu'à mon avis l'agente d'immigration n'a pas, malgré son examen approfondi de la plupart des circonstances de l'affaire, tenu compte de l'intérêt supérieur du fils à charge, Ronville, selon l'éclairage de l'arrêt Baker.
[26] Une ordonnance qui accueille la demande de contrôle judiciaire, annule la décision de l'agente qui a rejeté la demande CH et renvoie l'affaire à un autre agent d'immigration pour qu'il procède à un nouvel examen, est rendue. Au cours du nouvel examen, les directives du guide portant sur les demandes présentées par des personnes qui ont mis un terme à une relation familiale dans laquelle elles étaient victimes de violence devraient être prises en considération.
[27] Aucune partie n'a soumis de question aux fins de certification en application du paragraphe 83(1) et aucune question n'est certifiée.
« W. Andrew MacKay »
Juge
OTTAWA (Ontario)
Le 8 mars 2002
Traduction certifiée conforme
Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5926-00
INTITULÉ : VERONICA SWARTZ ET
RONVILLE SWARTZ c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 20 juin 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge MacKay
DATE DES MOTIFS : Le 8 mars 2002
COMPARUTIONS :
Mme Naomi Minwalla POUR LES DEMANDEURS
Mme Kim Shane POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mme Naomi Minwalla POUR LES DEMANDEURS
Avocate
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada