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Date : 20020611

Dossier : IMM-2086-01

Référence neutre : 2002 CFPI 658

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                 SKENDER JAUPI

                                                                ARMINDA SHEHAJ

                                                                      MARIO JAUPI

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Dans cette décision, datée du 3 avril 2001, la SSR a conclu que les revendicateurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]                 La décision de la SSR est en partie fondée sur une conclusion de fait manifestement déraisonnable, savoir :

[Traduction]

« Les notes prises au point d'entrée indiquent toutefois que les revendicateurs ont résidé en Grèce pendant sept ans avant d'arriver au Canada en janvier 2000. »

En fait, les notes prises au point d'entrée ne sont pas cohérentes et elles contiennent la note manuscrite suivante de l'agent :

[Traduction]

« Déclare avoir été en Grèce de 1997 à ce jour. » ,

ce qui veut dire que les revendicateurs n'ont résidé en Grèce que durant trois ans avant de venir au Canada. Je suis convaincu que cette erreur de fait a eu un impact sur la conclusion de la SSR au sujet de la crédibilité des demandeurs et qu'elle est suffisamment importante pour justifier l'intervention de la Cour : voir Sharma c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1984] A.C.F. no 47 (C.A.F.) et Peng c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1993] A.C.F. no 119 (C.A.F.).


[3]                 La SSR a aussi enfreint les règles de la justice naturelle en rejetant la requête des revendicateurs pour obtenir un contre-interrogatoire de l'agent d'immigration et de l'interprète à l'audience au sujet des incohérences dans les notes prises au point d'entrée par l'agent d'immigration. En l'instance, la SSR s'est appuyée sur les notes prises par l'agent d'immigration au point d'entrée lors de l'arrivée des demandeurs au Canada. Ces derniers ont contesté le contenu de ces notes et ils ont présenté une requête pour obtenir le contre-interrogatoire de l'agent et de l'interprète. La SSR a conservé la question en suspens, pour ensuite rejeter la requête au motif que, « À notre avis, interroger l'agent ou l'interprète ne résoudrait pas la question du séjour en Grèce des revendicateurs » . Les conclusions de la SSR quant aux notes de l'agent d'immigration ont des conséquences négatives pour les demandeurs. Comme le juge Heald conclut dans l'arrêt Cheung c. M.E.I. (1981), 122 D.L.R. (3d) 41 (C.A.F.), à la page 46 :

J'estime dans ces conditions qu'il était essentiel de donner à l'avocat du requérant la possibilité de soumettre à l'épreuve du contre-interrogatoire les dépositions de [l'agent d'immigration] sur la foi desquelles l'arbitre a rendu sa décision.

  

En l'instance, les demandeurs auraient dû se voir offrir l'occasion de vérifier les arguments avancés à leur encontre et de contre-interroger, notamment en ce qui concerne la preuve de l'agent et l'interprète, dont le témoignage était essentiel. Comme cette occasion ne leur a pas été fournie, on a enfreint les règles de la justice naturelle.

[4]                 La SSR a aussi commis une erreur de droit en s'appuyant sur des documents frauduleux, savoir un permis d'exploitation commerciale grec et un carnet de santé appartenant au revendicateur mineur, comme preuve de la durée du séjour des demandeurs en Grèce. Les demandeurs et le défendeur conviennent que ces documents sont frauduleux, comme l'ont d'ailleurs noté l'agent d'immigration, dans l'avis de saisie des documents daté du 15 janvier 2000, et le revendicateur dans son témoignage. La SSR n'a pas conclu que ces documents étaient frauduleux. L'erreur commise par la SSR en s'appuyant sur ces documents frauduleux comme s'il s'agissait d'une preuve légitime a eu un impact sur la décision et il est suffisamment important pour justifier l'intervention de la Cour.


[5]                 En dernier lieu, la SSR a enfreint les règles de la justice naturelle en ne tenant pas la conférence préparatoire demandée par l'avocat des demandeurs le 11 janvier 2001, en conformité de l'article 20 des Règles de la Section du statut de réfugié. Une conférence préparatoire permet d'assurer une instruction approfondie de l'affaire en exigeant des parties qu'elles échangent des documents, ainsi que les noms de témoins qui seront appelés, avant l'audience. La SSR n'a pas répondu à la demande de tenue d'une conférence préparatoire avant l'audition du 14 février 2001. Une conférence préparatoire a pour objectif de fournir l'occasion aux parties de savoir à quels arguments ils devront répondre. En rétrospective, on voit que cette conférence préparatoire était nécessaire pour assurer aux demandeurs le respect de leur droit à une audience équitable en conformité des règles de la justice naturelle.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR en date du 3 avril 2001 est annulée et la question renvoyée à une formation différente de la SSR pour nouvel examen et décision. Aucune question n'est certifiée.

                         « Michael A. Kelen »             

Ottawa (Ontario)                        Juge                          

Le 11 juin 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                      COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

No DU GREFFE :                                IMM-2086-01

INTITULÉ :                                           SKENDER JAUPI

ARMINDA SHEHAJ

MARIO JAUPI

            demandeurs

- et -                 

M.C.I.

            défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 6 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE KELEN

EN DATE DU :                                    11 juin 2002

  

ONT COMPARU :

M. Jeffrey Goldman                                                                        POUR LES DEMANDEURS

M. Greg George                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Jeffrey L. Goldman                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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