Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20021004

Dossier : T-1362-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1043

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 4 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                  RONDA SARGEANT et RAYMOND MACIEL

                                                                                                                                         demandeurs

                                                                          - et -

                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA)

FRANK LEWIS, ENZO MONTINI, JOHN LIBERATORE,

JAY LOCKE et MATT DARKER

                                                                                                                                           défendeurs

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Une seule question est soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire d'une décision provisoire rendue par un examinateur indépendant désigné en vertu du programme de dotation de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) : celle de savoir si l'examinateur a mal interprété sa compétence et a manqué aux principes de justice naturelle en refusant d'ordonner la divulgation de certains documents.

CONTEXTE

(i) Le programme de dotation

[2]                 L'ADRC est une agence qui a été créée sous le régime de la Loi sur l'Agence des douanes et de revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17 (la Loi). Le paragraphe 54(1) de la Loi oblige l'Agence à élaborer « un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés » .

[3]                 Le programme de dotation mis sur pied en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi prévoit que chaque processus de sélection comprend trois étapes principales : l'examen des candidatures à la lumière des conditions préalables à remplir pour occuper le poste, une évaluation des candidats qui remplissent les conditions préalables en fonction des qualités requises pour le poste en question et le placement d'un ou de plusieurs candidats qualifiés. L'ADRC met sur pied un jury de sélection chargé de s'occuper des deux premières phases du processus de sélection. Les gestionnaires chargés de doter les postes prennent toutes les décisions de placement.


[4]                 À l'étape des conditions préalables, le jury de sélection examine chaque candidature en fonction des conditions préalables énumérées dans l'avis de concours et dans l'énoncé des besoins en dotation qui l'accompagne. Seuls les candidats qui remplissent les conditions préalables sont retenus en vue d'une évaluation.

[5]                 Au cours de la deuxième étape, celle de l'évaluation, le jury de sélection évalue les qualités des candidats qui remplissent les conditions préalables en fonction des critères du poste. Le jury de sélection ne compare pas les candidats entre eux et il ne les classe pas en fonction de leur valeur respective. Le nom des candidats qui remplissent les conditions requises pour occuper l'emploi en question est inscrit dans un répertoire de candidats qualifiés dans lequel l'ADRC peut puiser pour recruter des employés.

[6]                 Lorsque la décision est prise de doter un poste, le gestionnaire chargé du recrutement prend une décision de placement en fonction des exigences en matière d'emploi et des besoins de l'ADRC. Pour prendre sa décision, le gestionnaire peut appliquer certains ou la totalité des critères de placement énumérés dans l'énoncé des besoins en dotation. La question de savoir si le gestionnaire tient compte de quelques-uns ou de la totalité des critères dépend des besoins de l'Agence au moment du placement.


[7]                 Les candidats mécontents des décisions prises à chacune des étapes du processus de sélection peuvent exercer les recours prévus par le programme de dotation. Dans tous les cas, la question qui se pose est celle de savoir si le candidat a été traité de façon arbitraire lors de l'étape en question du processus de sélection. Dans le contexte des recours en matière de dotation, le terme « arbitraire » a le sens suivant :

De manière irraisonnée ou faite capricieusement; pas faite ou prise selon la raison ou le jugement; non basée sur le raisonnement ou une politique établie; n'étant pas le résultat d'un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes; discriminatoire (c'est-à-dire différence dans le traitement ou méconnaissance des privilèges normaux dus aux personnes à cause de leur race, âge, sexe, nationalité, religion ou affiliation syndicale).

[8]                 Le recours qui est ouvert à l'étape du recrutement aux candidats reçus qui n'ont pas été choisis pour combler le poste à pourvoir commence par une demande de rencontre individuelle que le candidat présente au gestionnaire qui a pris la décision relative au placement. Si la question n'est toujours pas réglée après cette rencontre, l'employé peut demander au superviseur de réviser la décision du gestionnaire chargé de l'embauche ou encore demander à un examinateur indépendant provenant de l'extérieur de l'ADRC de réviser la décision en question. Indépendamment de la voie de recours qui est choisie à l'étape du placement, la révision se limite à la décision relative au placement et ne porte pas sur l'issue de l'étape des conditions préalables ou de l'étape de l'évaluation.

[9]                 L'ADRC a établi des « Lignes directrices pour la présentation et le traitement des plaintes pour révision par un tiers indépendant » (les Lignes directrices). Les dispositions des Lignes directrices qui nous intéressent en l'espèce prévoient que l'examinateur doit « donner effet aux principes de l'équité procédurale » et « déterminer la pertinence des renseignements fournis par les parties » . Les Lignes directrices prévoient notamment ce qui suit :


·    L'examinateur :

[...]

-                 détermine la pertinence des renseignements fournis par les parties. L'examinateur n'a pas le pouvoir d'assigner des témoins. Les parties peuvent être tenues d'appuyer leurs prétentions au moyen de documents et devraient être prêtes à échanger leurs documents à la discrétion de l'examinateur. Dans le cas des questions de dotation liées au processus de sélection, l'examinateur devra se borner à examiner les événements et les décisions se rapportant uniquement à l'étape du placement et ne pourra examiner ceux qui concernent la phase de l'évaluation ou celle des conditions préalables.

[10]            Les Lignes directrices prévoient en outre ce qui suit :

·                 L'accès aux renseignements personnels sera régi par la Loi sur la protection des renseignements personnels et par la Loi sur l'accès à l'information. Ces renseignements seraient normalement fournis par le gestionnaire. Le plaignant et l'examinateur auront accès aux renseignements personnels concernant le plaignant. Le plaignant et l'examinateur auront accès aux renseignements personnels concernant les autres employés si leur consultation est justifiée, c'est-à-dire si la nature de la plainte le justifie et si un fonctionnaire de l'Agence donne son approbation. [Non souligné dans l'original.]

(ii) La demande en cause

[11]            En l'espèce, les demandeurs sont des vérificateurs de l'ADRC qui font partie du groupe AU-1. En octobre 2000, ils ont répondu à un avis de concours en vue d'une promotion au poste de AU-2 enquêteur/vérificateur.

[12]            À l'avis de concours était joint un énoncé des besoins en dotation qui précisait les conditions préalables à remplir pour pouvoir participer à la phase de l'évaluation, ainsi que les normes d'évaluation, les conditions d'emploi et les critères de placement. Il était précisé dans l'énoncé des besoins en dotation que les décisions relatives au placement seraient prises en fonction d'un ou de plusieurs des critères suivants :

Expérience pertinente liée au poste. Degré des qualifications liées au poste. Permis de conduire en cours de validité.


[13]            Vingt-huit personnes ont répondu à cet avis de concours. Le jury de sélection a conclu que quatorze d'entre elles, y compris les demandeurs, satisfaisaient aux conditions préalables du poste. Quatre de ces quatorze personnes se sont ensuite désistées avant l'étape de l'évaluation.

[14]            Le jury de sélection a évalué les dix candidats qui restaient en fonction des normes d'évaluation en les invitant à participer à un examen écrit et à rédiger un exposé de 750 mots. Le jury de sélection a également reçu les dix candidats en entrevue. Le jury de sélection a ensuite estimé que sept de ces candidats, dont les demandeurs, satisfaisaient à la norme de compétence et remplissaient les conditions requises pour le poste.

[15]            L'ADRC a ensuite inscrit les sept candidats qualifiés dans un « répertoire de préqualification » valable pour une période de six mois. Les demandeurs ont été informés de cette mesure par lettre datée du 1er mars 2001 dont voici les passages essentiels :

[TRADUCTION] Le jury de sélection a terminé l'étape de l'évaluation du présent processus de sélection.

J'ai le plaisir de vous informer que vous avez satisfait aux critères d'évaluation exigés pour ce poste. Vous serez en conséquence inscrit dans un répertoire de préqualification qui peut être utilisé pour doter des postes qui sont actuellement vacants ou qui pourraient le devenir. Ce répertoire sera valide jusqu'au 1er septembre 2001. Vous serez avisé de toute décision relative au placement prise dans le cadre de ce processus.


Si vous avez des questions à poser au sujet de votre évaluation, n'hésitez pas à communiquer avec Sal Bayoumi à [...]. Vous avez sept jours ouvrables pour demander une rencontre individuelle avec le jury de sélection. Les demandes de rencontre doivent être formulées à l'aide d'un formulaire de « demande de rencontre individuelle » . On peut se procurer ce formulaire en s'adressant aux Ressources humaines ou en consultant l'Infozone sous la rubrique « Formulaires et Publications » . Si vous avez d'autres questions à poser à la suite de votre rencontre individuelle, vous pouvez demander la révision de la décision. Les demandes de révision de décisions doivent être formulées à l'aide du formulaire approprié dans les sept jours ouvrables de la rencontre individuelle.

Si vous avez d'autres questions à poser, appelez-moi au numéro suivant : [...]

[16]            Au cours de cette période de six mois, le directeur adjoint de la Division des enquêtes du Bureau des services fiscaux de Toronto Ouest a décidé de pourvoir à cinq postes d'enquêteurs/vérificateurs avec des candidats inscrits dans le répertoire de préqualification. Il a exercé son pouvoir discrétionnaire en appliquant deux des trois critères de placement : la possession d'un permis de conduire en cours de validité et le niveau de qualifications liées au poste.

[17]            Le directeur adjoint a décidé de mesurer le « niveau de qualification » calculé d'après les résultats généraux les plus élevés obtenus à l'étape de l'évaluation. Le directeur adjoint a par conséquent demandé que les cinq candidats ayant recueilli le nombre le plus élevé de points à l'étape de l'évaluation se voient offrir un poste. Le directeur adjoint n'a révisé l'évaluation d'aucun des candidats.

[18]            Les demandeurs ont été informés par lettres datées du 6 avril 2001 que cinq autres candidats avaient été choisis en vue d'un placement et ils ont été informés de leur droit d'exercer un recours en conformité avec le programme de dotation.


[19]            Chacun des demandeurs a ensuite demandé de rencontrer individuellement le directeur adjoint. Le 26 avril 2001, ils ont également demandé la divulgation intégrale de tous les documents qui avaient été utilisés au cours du processus de sélection, notamment les notes et les documents d'évaluation de tous les candidats qui avaient été évalués, les rapports préparés par le jury de sélection au sujet de chacune des étapes du processus, ainsi que les motifs invoqués pour justifier le choix des critères de placement et les décisions de placement.

[20]            En réponse, les demandeurs ont été informés que les documents relatifs à leur propre évaluation pouvaient leur être communiqués au cours des rencontres individuelles. Les renseignements concernant l'évaluation des autres candidats ne leur seraient pas communiqués, étant donné qu'ils n'étaient pas jugés pertinents en ce qui concerne les décisions de placement.

[21]            Lors des rencontres individuelles, le directeur adjoint a discuté des critères de placement dont il avait tenu compte et il a expliqué des motifs de sa décision de placement. Il a également donné aux demandeurs la possibilité d'examiner leurs propres documents d'examen, qui comprenaient les questions, les réponses suggérées, leurs propres réponses et la grille de correction.


[22]            Par la suite, chaque demandeur a présenté une demande officielle de révision par un examinateur indépendant. Un arbitre indépendant a été désigné pour procéder à la révision, à la suite de quoi une conférence préparatoire a été fixée.

[23]            Lors de la conférence préparatoire, le représentant des demandeurs a réclamé la production de tous les documents ayant servi lors de l'évaluation des demandeurs et des cinq candidats qui avaient été placés. Le représentant a également demandé un résumé détaillé des qualifications des membres du jury de sélection pour l'aider à décider s'ils possédaient les qualités requises pour mener à terme l'étape de l'évaluation. L'ADRC s'est opposée à la communication de ces renseignements au motif qu'ils n'avaient pas rapport à la décision relative au placement et qu'elle impliquait la divulgation de renseignements personnels protégés par le paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

DÉCISION DE L'EXAMINATRICE

[24]            L'examinatrice a jugé que sa compétence se limitait à l'examen de l'étape du placement et qu'elle n'était pas autorisée à examiner l'étape de l'évaluation. Elle a par conséquent conclu que les documents relatifs à l'évaluation n'étaient pas utiles à son examen et qu'elle ne pouvait pas en ordonner la divulgation.

[25]            Plus particulièrement, dans sa décision écrite, l'examinatrice a écrit ce qui suit :


[TRADUCTION] Je suis régie par les dispositions des Directives sur les recours en matière de dotation de même que par les Lignes directrices pour la présentation et le traitement des plaintes pour révision par un tiers indépendant (les Lignes directrices). Or, les Lignes directrices prévoient que « Dans le cas des questions de dotation liées au processus de sélection, l'examinateur devra se borner à examiner les événements et les décisions se rapportant uniquement à l'étape du placement et ne pourra examiner ceux qui concernent la phase de l'évaluation ou celle des conditions préalables » . Indépendamment de la situation qui existe dans le cas des autres régimes, les Lignes directrices limitent mes pouvoirs de révision des décisions en matière de dotation et je ne suis pas autorisée à réviser l'étape de l'évaluation du processus de sélection. Ceux qui ont rédigé ces politiques voulaient de toute évidence restreindre le droit de révision et je suis tenue de composer avec ces limites.

Comme je ne suis pas autorisée à réviser l'évaluation des employés, je conclus que les documents qui se rapportent à l'évaluation d'autres employés que les requérants n'ont pas rapport avec la présente affaire. Cette conclusion vaut également pour les renseignements relatifs aux qualifications des membres du jury de sélection.

J'estime toutefois qu'on peut à tout le moins prétendre que les documents indiquant les résultats des candidats sont pertinents. La direction a bien précisé qu'elle s'est fondée sur ces résultats pour procéder au placement et qu'elle a choisi les cinq candidats qui ont obtenu les meilleurs résultats généraux lors de l'évaluation. J'estime donc qu'il est raisonnable de la part des requérants de réclamer ces résultats de manière à pouvoir déterminer si ces renseignements justifient la décision que la direction a prise.

[26]            En réponse à la décision de l'examinatrice suivant laquelle le résumé des résultats de tous les candidats était utile pour répondre à la question de savoir si la direction avait choisi les cinq candidats qui avaient obtenu la meilleure note générale lors de l'évaluation, l'ADRC a accepté de fournir aux demandeurs une copie de ce résumé.

LA QUESTION EN LITIGE

[27]            Comme nous l'avons déjà signalé, la seule question qui est soulevée dans la présente demande est celle de savoir si l'examinatrice a commis une erreur qui justifie la révision de sa décision en concluant que les documents n'étaient pas pertinents et si, ce faisant, elle a manqué aux principes de justice naturelle.


[28]            Lors de l'instruction de la présente demande de contrôle judiciaire, l'avocat des demandeurs a expliqué qu'il ne donnait pas suite dans la présente demande à la question soulevée dans les observations écrites, c'est-à-dire la question de savoir si les politiques de l'ADRC au sujet des recours vont à l'encontre des principes de justice naturelle et du paragraphe 54(1) de la Loi.

NORME DE CONTRÔLE

[29]            Les parties conviennent que la décision de l'examinatrice portait sur une question de droit ou de compétence et qu'elle doit par conséquent être révisée en fonction de la norme du bien-fondé de la décision.

ANALYSE

[30]            Pour s'opposer à la demande de contrôle judiciaire, le procureur général soutient que le programme de dotation établit des règles exécutoires que l'examinateur indépendant est tenu d'interpréter et d'appliquer. Parce que le programme de dotation prévoit que comme il doit s'en tenir à la révision des décisions prises à l'étape du placement, l'examinateur indépendant n'a pas compétence pour réviser les décisions prises à l'étape des conditions préalables ou à l'étape de l'évaluation. Lorsqu'une décision relative à un placement est prise, l'étape de l'évaluation est déjà terminée et le gestionnaire qui procède à l'embauche ne révise pas l'étape de l'évaluation et n'entreprend pas de nouvelle évaluation.


[31]            Sauf erreur, ces principes ne sont pas contestés dans la présente instance.

[32]            Le procureur général affirme que la seule décision soumise à l'examinatrice en l'espèce était celle de savoir si le gestionnaire qui avait procédé à l'embauche avait agi de façon arbitraire en procédant aux nominations en question en se fondant sur les résultats de l'évaluation, de sorte qu'elle n'avait pas compétence pour réviser le processus d'évaluation.

[33]            Cet argument est bien fondé en ce sens que l'examinatrice ne pouvait manifestement pas réviser les résultats de la phase de l'évaluation en supprimant des candidats du répertoire de préqualification ou en y inscrivant de nouveaux noms. J'estime toutefois que cet argument ne tient pas compte du fait qu'en l'espèce, le choix que le gestionnaire a fait des cinq candidats admissibles au placement en fonction de leurs résultats à l'étape de l'évaluation a effectivement créé un lien entre les deux étapes.


[34]            À mon humble avis, en interprétant le passage des Lignes directrices suivant lequel l'examinateur « devra se borner à examiner les événements et les décisions se rapportant uniquement à l'étape du placement et ne pourra examiner ceux qui concernent la phase de l'évaluation ou celle des conditions préalables » de manière à exclure la révision des résultats de l'évaluation sur lesquels elle s'est en fait fondée pour prendre sa décision au sujet du placement, l'examinatrice a mal interprété les Lignes directrices de même que sa propre compétence. Il fallait recourir aux résultats de l'évaluation, non pas pour ouvrir un recours à l'étape de l'évaluation ou pour réviser la décision à l'étape de l'évaluation, mais bien pour offrir un recours utile à l'étape du placement. La révision des résultats de l'évaluation à l'étape du placement se limiterait aux événements et aux décisions dans la mesure où ils se rapportent aux résultats et à leur utilisation à l'étape du placement.

[35]            Il en est ainsi parce que, abstraction faite de l'obligation faite aux candidats d'être titulaires d'un permis de conduire, les nominations faites à l'étape du placement étaient fondées uniquement sur les résultats relatifs obtenus par les candidats à l'étape de l'évaluation. L'examinatrice a reconnu ce fait jusqu'à un certain point en ordonnant la production du résumé des résultats qui avait été préparé à l'étape de l'évaluation.

[36]            Pour conclure que l'examinatrice s'est trompée, j'ai tenu particulièrement compte des critères que l'examinatrice devait appliquer pour réviser la décision de placement contestée. Il s'agissait de savoir si l'employé qui exerçait le recours avait été traité arbitrairement.


[37]            Dans l'arrêt Buttar c. Canada (Procureur général), (2000), 186 D.L.R. (4th) 101, la Cour d'appel fédérale a examiné la décision d'un comité d'appel constitué en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33. Le comité d'appel avait examiné une décision d'un comité de révision ministériel dont la mission consistait à évaluer des demandes en fonction de normes de classification déterminées. Le comité d'appel a statué qu'il n'avait pas compétence pour décider si les bonnes normes avaient été appliquées de façon uniforme à tous les candidats. Dans son analyse de cette thèse, la Cour d'appel a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 23 et 24 :

Cependant, le problème vient du fait que le comité d'appel ait cru qu'il y avait une restriction à sa compétence l'empêchant même d'envisager la possibilité que les normes de sélection aient pu être appliquées de manière irrégulière. L'avocat du procureur général a convenu que, dans le cadre d'un processus de sélection de la nature de celle qui a été entreprise en l'espèce, le défaut d'appliquer les normes de manière uniforme contrevenait au principe du mérite. Le comité d'appel a par conséquent omis d'accomplir son mandat, qui consiste à protéger l'intégrité de l'application du principe du mérite. Bien qu'on ait affirmé qu'un appelant ne peut réclamer davantage que l'intégrité de l'application du principe du mérite, il est tout aussi vrai que celui-ci ne devrait pas avoir à se contenter de moins.

Dans les circonstances de l'espèce, on ne pouvait équitablement déterminer la validité de la nomination du Dr Whitehouse sans vérifier si ses compétences avaient été évaluées en fonction des normes auxquelles ont été assujettis les autres candidats qui ont postulé, simultanément, l'avancement au même échelon. Le comité d'appel a commis une erreur en refusant de se pencher sur cette question.

[38]            Bien que le programme de dotation prévu par la Loi en l'espèce soit profondément différent de celui sur lequel la Cour s'est penchée dans l'affaire Buttar, je m'inspire néanmoins de cet arrêt dans la mesure où la Cour y déclare que, même dans le cas d'un système dans lequel les candidats sont évalués en fonction d'une norme déterminée plutôt que d'une autre, il y a lieu de se demander si les normes ont été appliquées de façon uniforme. Bien que, dans l'affaire Buttar, le principe pertinent fût celui du mérite, en l'espèce, l'application inconstante des critères d'évaluation donnerait lieu à une décision qui serait arbitraire au sens de la définition antérieurement citée. Dans cette mesure, l'arrêt Buttar est utile.


[39]            On trouve un appui supplémentaire en faveur de cette conclusion dans les passages des Lignes directrices qui obligent l'examinateur à donner effet aux principes de l'équité procédurale et qui précisent que des renseignements personnels portant sur d'autres employés peuvent être obtenus si cette demande est justifiée. L'équité procédurale commande que les intéressés aient une possibilité raisonnable de faire valoir leur point de vue. Pour que les demandeurs puissent faire entièrement et équitablement valoir leur point de vue, il est nécessaire qu'ils aient accès aux renseignements relatifs à l'étape de l'évaluation dans la mesure où ces renseignements se rapportent aux résultats obtenus par chaque candidat lors de l'évaluation.

[40]            Pour conclure sur ce point, je suis convaincue qu'en concluant que les documents relatifs à l'évaluation des autres employés n'étaient pas pertinents, l'examinatrice a exclu tout examen de la question de savoir si les normes régissant l'étape de l'évaluation avaient été appliquées de façon uniforme. Or, cette façon de faire a eu pour effet de priver les demandeurs de la possibilité d'exercer un recours efficace.

[41]            J'ai tenu compte de l'argument du procureur général suivant lequel les demandeurs avaient le droit d'exercer un recours à une étape antérieure en demandant une rencontre personnelle au sujet des points qu'ils avaient obtenus à l'étape de l'évaluation. Ils auraient ainsi pu essayer de maximiser leurs résultats. Je ne trouve pas cet argument convaincant pour les raisons suivantes.


[42]            En premier lieu, pour ce qui est de ces résultats, comme il ressort de la lettre déjà reproduite, les demandeurs ont simplement été informés que le service des Ressources humaines avait « plaisir de vous informer que vous avez satisfait aux critères d'évaluation exigés pour ce poste » , de sorte qu'ils seraient inscrits au répertoire de préqualification. Il n'y avait rien qui aurait pu inciter les demandeurs à exercer un recours. On les a invités à entrer en communication avec une personne déterminée s'ils avaient des questions au sujet de leur évaluation et que, s'ils désiraient rencontrer individuellement cette personne, ils devaient le demander dans un délai de sept jours.

[43]            Il n'y avait rien non plus qui permettait aux demandeurs de penser que les résultats des tests à cette étape seraient pertinents ou déterminants plus tard. D'ailleurs, ces résultats ne seraient pas pertinents si le directeur adjoint n'avait pas décidé d'établir le niveau de qualification en fonction des résultats généraux atteints à l'étape de l'évaluation. Le directeur adjoint n'était pas obligé de mesurer le niveau de qualification en tenant uniquement compte des résultats obtenus à l'étape de l'évaluation. Qui plus est, l'annexe E du programme de dotation prévoit que les personnes chargées de l'embauche peuvent fixer des priorités en ce qui concerne les critères de placement en fonction des besoins du service en cause. Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire que la décision d'engager quelqu'un soit fondée uniquement sur le niveau de qualification.


[44]            Deuxièmement, toute révision effectuée à l'étape de l'évaluation ne pourrait porter que sur les résultats individuels du seul requérant parce que le programme de dotation interdit la communication de tous renseignements à cette étape, à l'exception de ceux qui ont trait à sa propre évaluation. Bien que cette situation soit logique à l'étape de l'évaluation parce qu'un individu n'est évalué qu'en fonction des critères d'évaluation, en l'espèce, elle ne tient pas compte de la possibilité que les normes d'évaluation n'aient pas été appliquées uniformément, de sorte que d'autres candidats ont obtenu une note trop élevée. Cet aspect devient pertinent lorsqu'on se sert des résultats d'une évaluation dans un autre but que pour simplement déterminer si un individu a le droit d'être inscrit à un répertoire de préqualification.

[45]            J'ai également tenu compte des arguments invoqués par le procureur général pour soutenir que le programme de dotation satisfaisait aux exigences de l'équité et qu'il instaurait un système qui s'apparente davantage à ceux que l'on trouve dans le secteur privé. Cela est fort possible, mais l'équité du programme en soi n'est plus en litige dans le cadre de la présente instance. La comparaison avec le secteur privé ne tient pas lorsque le programme de dotation a mal été interprété.

[46]            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucuns dépens n'ont été réclamés et il n'y aura donc pas d'adjudication de dépens.


ORDONNANCE

[47]            PAR LA PRÉSENTE, LA COUR ORDONNE :

1.          que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision provisoire rendue le 4 juillet 2001 par l'examinatrice indépendante soit annulée;

2.          que l'affaire soit renvoyée à un autre examinateur indépendant pour qu'il rende une nouvelle décision.

   

                                                                                                                        « Eleanor R. Dawson »           

ligne

                                                                                                                                                      Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.                        


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

No DU GREFFE :                         T-1362-01

  

INTITULÉ :                                  RONDA SARGEANT et RAYMOND MACIEL c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autres

  

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :         le 23 septembre 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS :              le 4 octobre 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Dougald Brown                                                             POUR LES DEMANDEURS

Me J. Sanderson Graham                                                    POUR LES DÉFENDEURS

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne, s.r.l.                                             POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

  

M. Morris Rosenberg                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.