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Date : 19981029


Dossier : IMM-3748-97

ENTRE :

     JESUS RUBY HERNANDEZ GUZMAN et

     TERESA MARICELA LUNA DE HERNANDEZ,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Prononcés, tels que révisés, à l'audience à Toronto (Ontario),le mercredi 28 octobre 1998)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par les demandeurs, ceux-ci soulèvent trois questions litigieuses :

     1 -      Le tribunal n'a pas examiné la revendication des demandeurs eu égard au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration;
     2 -      La conclusion du tribunal selon laquelle l'incident de 1992 est criminel et non politique est manifestement déraisonnable;
     3 -      Les conclusions du tribunal relatives au changement de situation du pays sont manifestement déraisonnables.

[2]      Entre 1983 et 1987, le FFLN a tué le père de la demanderesse et d'autres membres de sa famille. En 1992, la résidence des demandeurs a été attaquée et le demandeur a été battu et atteint d'un coup de feu.

[3]      Après avoir confié leurs enfants aux soins de la mère du demandeur, les demandeurs ont quitté le Salvador au début de 1993. Par la suite, ils se sont rendus au Guatemala, au Mexique et aux États-Unis. Ils sont arrivés au Canada au début de 1996 et ont revendiqué le statut de réfugié. Pendant la période de trois ans au cours de laquelle ils étaient au Guatemala, au Mexique ou aux États-Unis, soit de 1993 à 1996, ils n'ont pas une seule fois revendiqué le statut du réfugié.

[4]      Selon le témoignage de la demanderesse, cette dernière éprouvait une crainte de persécution et, si elle devait retourner au Salvador, elle éprouverait toujours une telle crainte de ceux qui ont causé un préjudice aux membres de sa famille ainsi qu'à son mari, à ses enfants et à elle-même.

[5]      Principalement en raison de leur important retard à revendiquer le statut de réfugié, le tribunal a conclu que les demandeurs n'éprouvaient aucune crainte subjective de persécution. Il a également décidé que l'incident de 1992 était criminel et non politique. Enfin, il est arrivé à la conclusion que, même s'il devait admettre que les demandeurs éprouvaient la crainte de persécution alléguée, une telle crainte serait non fondée, étant donné le changement de situation au Salvador.

[6]      D'après les demandeurs, le tribunal a commis une erreur parce qu'il n'a pas examiné leur revendication du statut de réfugié en se fondant sur le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration. Le paragraphe 2(3) prévoit :

         Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.         

Selon cet argument, lorsqu'un tribunal examine le changement de situation d'un pays, il doit, expressément ou non, avoir recours à l'alinéa 2(2)e) de la Loi sur l'immigration. L'alinéa 2(2)e) prévoit :

         Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où         
         ... e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.         

Selon les demandeurs, lorsque le tribunal a recours à l'alinéa 2(2)e), il doit au préalable avoir conclu que les demandeurs éprouvaient à un moment donné une crainte de persécution et qu'ils auraient obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[7]      Le problème de l'argument des demandeurs réside dans le fait que l'alinéa 2(2)e) et le paragraphe 2(3) entrent en jeu uniquement dans la mesure où il a été conclu que les demandeurs étaient, au moins à un moment donné, des réfugiés au sens de la Convention. À mon avis, tel est également le cas lorsqu'il a été décidé qu'à un moment donné les demandeurs répondaient à la définition de réfugié au sens de la Convention. Il n'y a aucune conclusion de la sorte en l'espèce.

[8]      Dans la présente affaire, affirment les demandeurs, puisque le tribunal a procédé à l'examen du changement de situation du pays, il est implicite qu'il avait déterminé que les demandeurs remplissaient, à un moment donné, les conditions requises pour être considérés comme des réfugiés au sens de la Convention. J'admets que, dans certaines circonstances, l'examen par un tribunal du changement de situation d'un pays puisse signifier de façon implicite que le tribunal a considéré que les demandeurs remplissaient, à un moment donné, les conditions requises pour être des réfugiés au sens de la Convention, même si une telle conclusion n'est pas formulée expressément. Toutefois, lorsque le tribunal examine le changement de situation en tant que motif additionnel pour conclure que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, cette conclusion implicite ne s'impose pas. C'est le cas en l'espèce. Le tribunal a décidé que les demandeurs n'éprouvaient aucune crainte subjective de persécution. Il paraît qu'à ce moment, le tribunal, par excès de prudence, a entrepris d'examiner le changement de situation du pays. Le fait que le tribunal a effectué son travail minutieusement en examinant le changement de situation du pays n'a pas pour effet d'écarter ni d'ébranler sa conclusion antérieure selon laquelle les demandeurs n'éprouvaient aucune crainte subjective de persécution.

[9]      Dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj (C.A.) [1992] 2 C.F. 739, le juge Hugessen, à la page 748, a souligné :

         Quelle que soit l'interprétation du paragraphe 2(3), elle doit s'étendre à quiconque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention.         

Aucune reconnaissance comme réfugié n'a eu lieu en l'espèce. L'argument des demandeurs, sur ce point, est mal fondé.

[10]      Je souligne que le paragraphe 2(3) s'applique uniquement dans des situations exceptionnelles, dans lesquelles la persécution est, d'une manière relative, tellement inusitée que, même s'il survenait un changement de situation, il serait erroné de renvoyer les revendicateurs du statut de réfugié. Bien que le changement de situation du pays ait été en question en l'espèce, on ne s'est pas prévalu du paragraphe 2(3), lequel exige la présentation d'une preuve testimoniale devant le tribunal. La demanderesse n'a pas témoigné relativement aux " atrocités " subies par les membres de sa famille. Si la persécution était épouvantable à un point tel qu'elle donnait ouverture à une allégation en vertu du paragraphe 2(3), la demanderesse et son avocat auraient de toute évidence compris la nécessité d'offrir un témoignage sur la question. En outre, les demandeurs sont demeurés au Salvador jusqu'en 1992, soit de nombreuses années après la perpétration des " atrocités "; ils n'ont pas une seule fois revendiqué le statut de réfugié pendant les trois années qui ont suivi leur départ du Salvador et ils ont laissé leurs enfants dans ce pays. Même si la revendication du statut de réfugié présentée par la demanderesse faisait l'objet d'un examen en vertu du paragraphe 2(3), j'arriverais difficilement à croire qu'une telle demande serait accueillie.

[11]      Les demandeurs considèrent manifestement déraisonnable la conclusion du tribunal selon laquelle l'attaque de leur maison en 1992 et la tentative d'extorsion sont criminelles et non politiques. Selon eux, l'incident de 1992 est dû aux mêmes personnes que celles qui ont commis les atrocités dont a été victime la famille de la demanderesse dans les années 1980. Les demandeurs affirment que les auteurs de l'incident n'ont rien emporté, que la preuve documentaire montre un lien entre le crime et la politique, et qu'un autre incident mettant en cause la tante de la demanderesse est survenu quelques années plus tard. Toutefois, les demandeurs n'ont pas pu identifier leurs assaillants et ils n'ont rencontré aucun problème pendant plusieurs années, soit jusqu'en 1992. Bien qu'à la lumière de la preuve, le tribunal eût pu arriver à une autre conclusion, je ne puis affirmer que sa conclusion soit abusive, arbitraire ou manifestement déraisonnable. Il n'y a aucune relation manifeste entre l'attaque de 1992 et les incidents survenus antérieurement.


[12]      J'ai conclu que le tribunal n'a commis aucune erreur relativement à la première des deux questions litigieuses. Il est donc inutile de se demander s'il a commis une erreur lors de son examen du changement de situation du pays.

[13]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'avocat des demandeurs sollicite la certification de la question suivante à des fins d'appel :

     [TRADUCTION] Lorsqu'un tribunal considère dignes de foi les demandeurs de statut, qu'il fonde sa décision sur des conclusions subsidiaires, mais qu'il commet une erreur relativement à l'une de ces conclusions, la Cour a-t-elle l'obligation de réexaminer la conclusion qu'elle considère erronée et de la renvoyer au tribunal ?         

L'avocat des demandeurs a manifesté un peu de frustration quand on l'a informé que la question ne serait pas certifiée. Comme je le lui ai expliqué, lorsqu'un juge chargé du contrôle judiciaire est saisi d'une demande sollicitant la certification d'une question à des fins d'appel, celui-ci doit se demander si la question découle des faits de l'espèce et si elle exige que la Cour d'appel statue sur un point de droit. La question formulée par l'avocat des demandeurs ne découle pas des faits et elle est tellement vague qu'il est évident qu'elle appelle uniquement une réponse tributaire des faits de l'espèce. Il ne s'agit pas là d'une décision sur un point de droit et cette décision ne favorise pas le développement de la jurisprudence en matière d'immigration. Voilà les raisons pour lesquelles je refuse de certifier la question.

" Marshall Rothstein "

Juge

Toronto (Ontario)

Le 29 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                      IMM-3748-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JESUS RUBY HERNANDEZ GUZMAN et

         TERESA MARICELA LUNA

                             DE HERNANDEZ

                            

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MERCREDI 28 OCTOBRE 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE ROTHSTEIN

DATE DES MOTIFS :                  LE JEUDI 29 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :                      M. Rocco Galati

                            

                                 pour les demandeurs

                             Mme Susan Nucci

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Rocco Galati

                             Avocat                                              637, rue College, bureau 203                              Toronto (Ontario)

                             M6G 1B5                     

                                 pour les demandeurs

                              Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 pour le défendeur


                

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19981029

                        

         Dossier : IMM-3748-97

                             Entre :

                             JESUS RUBY HERNANDEZ GUZMAN et

         TERESA MARICELA LUNA

                             DE HERNANDEZ,

                            

     demandeurs,

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

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