Référence neutre : 2001 CFPI 650
ENTRE :
ROBERT MUKWAYA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE EN CHEF ADJOINT
[1] Pendant environ huit mois avant le mois de mars 1997, lorsqu'il s'est enfui de l'Ouganda, son pays de citoyenneté, le demandeur Robert Mukwaya appuyait les forces rebelles du Front démocratique allié qui s'opposaient au gouvernement du président Yoweri Museveni. La section du statut de réfugié a conclu que, du fait de sa participation aux activités du FDA, M. Mukwaya était complice de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Le demandeur était donc exclu de l'examen du statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.
[2] Le tribunal a reconnu la revendication de la conjointe du demandeur. De plus, les membres de la formation ont conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses activités auprès du FDA; ils auraient conclu que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention si ce n'avait été de la conclusion selon laquelle il était exclu en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier.
[3] Les faits sont simples et ne sont pas réellement contestés.
[4] Depuis 1992, M. Mukwaya travaillait à son propre compte comme marchand vendant des produits alimentaires et d'autres produits ménagers dans le sud-ouest de l'Ouganda. Sa conjointe exerçait la profession de dentiste.
[5] Au mois d'août 1996, le demandeur a commencé à participer aux activités du Front démocratique allié qui venait d'être formé.
[6] Le demandeur a volontiers admis qu'il appuyait le FDA. Il fournissait des produits alimentaires aux membres de l'opposition et usait de son influence dans les affaires pour encourager d'autres gens à appuyer les objectifs politiques du FDA.
[7] Le demandeur a reconnu qu'à son avis, il n'y avait aucune façon paisible d'avoir un gouvernement démocratique en Ouganda. Il reconnaissait qu'il faudrait avoir recours à la force, à la violence et à des activités militaires pour renverser le gouvernement Museveni, mais il a affirmé avec insistance qu'il n'avait jamais envisagé que cela comprendrait les atrocités qui ont depuis lors été attribuées au FDA. Il a témoigné n'avoir jamais participé aux activités de formation et aux autres activités militaires du FDA.
[8] Le demandeur a fourni des produits alimentaires au FDA à quatre reprises : trois fois aux mois de septembre et d'octobre 1996 et une fois à la fin de janvier 1997.
[9] À la mi-novembre 1996, selon la preuve documentaire, le FDA a envahi la région de Kasese dans le sud-ouest de l'Ouganda et a enlevé des centaines de civils. Il est également signalé qu'un certain nombre d'individus qui avaient été enlevés, y compris au moins sept représentants gouvernementaux, ont été tués.
[10] M. Mukwaya a témoigné avoir appris des rapports médiatiques gouvernementaux que des civils avaient été amenés derrière les lignes des rebelles au cours de l'incursion du mois de novembre 1996. Il a ajouté qu'il était difficile de savoir jusqu'à quel point les renseignements relatifs aux présumées atrocités étaient exacts compte tenu de la source des comptes rendus. Toutefois, en se fondant sur la preuve documentaire, le tribunal a conclu que le demandeur doit avoir été au courant des atrocités.
[11] Le 2 janvier 1997, le demandeur a été arrêté, détenu et torturé par les forces armées gouvernementales. Il a été mis en liberté environ deux semaines plus tard.
[12] À la suite de sa mise en liberté, le demandeur a continué à appuyer le FDA, mais d'une façon plus discrète. Il a réduit ses activités de recrutement.
[13] À la fin du mois de janvier 1997, le demandeur a effectué une quatrième et dernière livraison de produits alimentaires, la seule façon dont il avait aidé le FDA depuis les massacres du mois de novembre 1996.
[14] Au mois de février 1997, les soldats du gouvernement ont fait une descente chez le demandeur pendant qu'il était en voyage d'affaires et ils ont battu sa conjointe, qui était enceinte. Le demandeur et sa conjointe se sont par la suite cachés et ont quitté l'Ouganda pour venir au Canada au mois de mars 1997.
[15] Les activités militaires du FDA se sont poursuivies en 1997 et en 1998. L'organisation s'en prenait de plus en plus aux civils. La preuve documentaire renferme des comptes rendus de massacres extrajudiciaires, de recrutement forcé, de déplacement de la population et d'agressions mortelles contre les civils, y compris des femmes et des enfants.
[16] Dans son analyse des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité commis en 1997, le tribunal a examiné avec soin les activités auxquelles on s'était le cas échéant livré pendant que M. Mukwaya était encore en Ouganda :
[TRADUCTION]
La preuve documentaire dont la formation disposait à l'audience, le 22 avril 1999, montrait que les FDA avaient attaqué des civils en 1997, mais il n'y était pas précisé si l'une quelconque de ces attaques avait eu lieu avant le mois de mai 1997 ou si ces attaques étaient liées à l'incursion du mois de novembre 1996, de l'autre côté de la frontière du Zaïre. Ainsi, comme il en a ci-dessus été fait mention, voici ce qui est dit dans l'U.S. Uganda Country Report on Human Rights Practices for 1996 :
Un autre groupe rebelle, les Forces démocratiques alliées (les FDA), a envahi la région de Kasese à partir du Zaïre au mois de novembre. Avant d'être évincées par l'UPDF, les FDA avaient enlevé des centaines de civils de cet endroit. Un certain nombre des personnes que l'on a enlevées, et notamment au moins sept représentants du gouvernement, ont par la suite été tuées.
L'U.S Country Report ne donne pas de détails au sujet du moment où les meurtres ont été commis. L'U.S. Country Report de 1997 fait mention de « nombreux actes de violence contre les civils, y compris des massacres, des viols et des enlèvements » commis par les FDA en 1997, mais fournit uniquement des renseignements au sujet des événements qui se sont produits aux mois de juin, de septembre et d'octobre 1997. Dans une « Demande de renseignements » faite par le ministre, il est dit ce qui suit :
Les FDA se sont livrées à de nombreux actes de violence à l'encontre de civils, y compris des massacres extrajudiciaires (plus de 1 000 personnes ont été tuées entre le mois de novembre 1996 et le mois d'octobre 1997), des viols, des pillages et des enlèvements (ils enlèvent des civils, les forcent à transporter leur butin et les forment ensuite comme soldats). [Note de bas de page : Uganda Country Report on Human Rights Practices for 1997, Department of State des États-Unis, pages 364 à 369.]
Toutefois, les cas mentionnés à l'appui se rapportaient tous à des événements qui s'étaient produits au cours de la seconde moitié de l'année 1997. Selon la « Demande de renseignements » , d'autres cas étaient mentionnés dans une « bibliographie jointe au rapport » , qui n'a pas été produite en preuve.
La formation a demandé au représentant du ministre d'obtenir cette bibliographie. La bibliographie a été soumise le 7 mai 1999, mais il n'y était pas fait mention de cas précis d'atrocités commises contre des civils pendant que l'intéressé principal était encore en Ouganda. [Notes de bas de page omises et non souligné dans l'original.]
[17] Toutefois, le tribunal a conclu que les opérations du FDA dans le sud-ouest de l'Ouganda, au mois de novembre 1996, constituaient des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité :
[TRADUCTION]
[...] La formation a tenu compte de la totalité de la preuve dont elle disposait; elle conclut qu'au cours de l'incursion du mois de novembre 1996, les FDA ont enlevé des civils, au lieu de les mettre sous garde préventive; que les civils craignaient qu'on les enlève et que, lorsqu'on les enlevait, ils tentaient de s'évader; que de nombreux civils qui avaient fait l'objet d'enlèvements avaient été gardés pour être formés comme travailleurs ou comme combattants; et que certains d'entre eux, qui étaient associés au gouvernement, avaient été tués après avoir été capturés.
La formation conclut donc que, dès les premiers jours du conflit entre les FDA et le gouvernement de l'Ouganda, les FDA ont tué des prisonniers et ont enlevé et recruté de force des civils. La preuve montre que le nombre d'atrocités a augmenté à la fin de 1997, mais la formation conclut que les actes commis par les FDA à la fin de l'année 1996 constituent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Selon mon examen du dossier, il était loisible au tribunal de tirer cette conclusion.
[18] Le tribunal a conclu qu'il n'était pas vraisemblable que le demandeur n'eût pas été au courant des rapports médiatiques concernant les enlèvements et l'assassinat de civils au cours du mois de novembre 1996. Par ailleurs, le tribunal a fait remarquer que le demandeur avait témoigné d'une façon sincère. Aucune conclusion de crédibilité défavorable n'a été tirée au sujet de la preuve présentée par le demandeur.
[19] Avant d'examiner plus à fond la décision du tribunal, il est utile d'examiner les principes directeurs concernant la charge de la preuve lorsqu'il s'agit de démontrer qu'il est possible de dire qu'un revendicateur est complice de crimes internationaux attribués à une organisation.
[20] La définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » figurant dans la Loi sur l'immigration se rapporte aux dispositions d'exclusion de la Convention relative au statut des réfugiés. L'une des exclusions figure à l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention, se rapportant aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanité :
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; [Non souligné dans l'original.] |
F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that: (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes ; [Emphasis added.] |
|
[21] Dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Monsieur le juge MacGuigan, au nom d'une formation unanime de la Cour d'appel, a examiné la question de la culpabilité des « complices » de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis par une autre personne.
[22] Le juge MacGuigan a d'abord fait remarquer que le ministre avait la charge d'établir que le revendicateur était visé par l'une des clauses d'exclusion prévues par la Convention (à la page 314) :
La question de savoir qui assume le fardeau de la preuve n'est pas en litige. Les deux parties s'entendent sur le fait que c'est à la partie qui invoque l'existence de raisons sérieuses de penser que des infractions internationales ont été commises qu'il incombe de les prouver, c'est-à-dire l'intimé. En plus d'éviter aux demandeurs d'avoir à prouver un élément négatif, cette attribution du fardeau est également conforme à l'alinéa 19(1)j) de la Loi, qui impose au gouvernement la charge de démontrer qu'il a des motifs raisonnables d'exclure les demandeurs. Pour toutes ces raisons, la procédure appliquée au Canada exige que le gouvernement assume la charge de la preuve et que la norme de preuve soit moindre que la prépondérance des probabilités.
[23] Le juge MacGuigan a ensuite dit que l'emploi du mot « commis » figurant dans la Convention comporte un élément moral. Il a décrit cet élément moral comme suit (à la page 316) :
[...] En partant de la prémisse qu'une interprétation faisant intervenir la mens rea est nécessaire, j'estime que le critère de la « forme d'activité personnelle de persécution » , pris comme comportant un élément moral ou une connaissance, constitue une indication utile de la mens rea dans ce contexte. À l'évidence, personne ne peut avoir « commis » des crimes internationaux sans qu'il n'y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente.
[24] Après avoir conclu qu' « un élément moral ou une connaissance » de la part de l'intéressé doit être établi, le juge MacGuigan a conclu que la « simple appartenance » à une organisation, sans plus, ne constituait pas une « participation personnelle et consciente » à des crimes de guerre ou à des crimes contre l'humanité commis par d'autres membres de cette organisation. Comme il l'a lui-même dit (à la page 317) :
Toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.
[Non souligné dans l'original.]
[25] Après avoir noté que la simple présence ou le simple fait de regarder, en l'absence d'autres faits, ne permettent pas d'établir une « participation personnelle et consciente » , le juge MacGuigan a dit qu'un associé de l'auteur principal peut être qualifié de complice si la preuve établit « l'existence d'une intention commune et [...] la connaissance que toutes les parties en cause en ont » (page 318).
[26] Dans l'arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), Monsieur le juge Robertson a confirmé que la « simple appartenance » ne constituait pas une participation personnelle et consciente (à la page 321) :
Il est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d'invoquer la disposition d'exclusion; [...]. La règle générale connaît une exception lorsque l'existence même de l'organisation repose sur l'atteinte d'objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire. L'appartenance à une force policière secrète peut être jugée suffisante pour que l'on puisse invoquer la disposition d'exclusion [...] L'appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla est visée par la règle générale et non par l'exception. [Renvois omis et non souligné dans l'original.]
Je crois comprendre que le juge Robertson entend les « fins limitées et brutales » dont il est question dans la décision Ramirez lorsqu'il traite de l'exception à la règle générale, et ce, même s'il n'emploie pas cette expression.
[27] Dans la décision Saridag c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 307 (1re inst.), Monsieur le juge McKeown a fait des remarques au sujet de l'exception relative aux « fins limitées et brutales » (au paragraphe 8) :
La Cour d'appel semble dire que normalement, la simple appartenance à une organisation terroriste ne suffit pas pour que le demandeur de statut soit visé par la clause d'exclusion. Dans des cas restreints, cependant, lorsque l'organisation en cause « vise principalement des fins limitées et brutales » , la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire et déterminer si, par déduction nécessaire, il y a eu « participation personnelle et consciente » de la part du demandeur de statut.
[28] Le juge McKeown considérait cette approche comme donnant lieu à une présomption de complicité, une présomption réfutable, lorsque le groupe est établi « dans le seul but et à la seule fin de provoquer une suite d'événements de façon violente et brutale » (paragraphe 11) :
[...] Il est évident qu'en présence d'un tel groupe, on peut généralement présumer que ses membres s'y sont joints et ont continué d'y adhérer intentionnellement et volontairement, dans l'intention commune d'apporter leurs efforts personnels à la cause poursuivie par le groupe. Cette hypothèse donne naissance à une présomption de complicité de la part de tout demandeur du statut de réfugié déclaré être un membre d'un tel groupe. Cette présomption de complicité est clairement réfutable. Le juge MacGuigan n'a jamais déclaré dans l'arrêt Ramirez que l'appartenance à des organisations de nature terroriste ou s'apparentant à la police secrète entraînait automatiquement l'exclusion. Il a simplement dit que cette appartenance pouvait, par déduction nécessaire, donner lieu à une conclusion de complicité. [Non souligné dans l'original.]
[29] Si je comprends bien les remarques du juge McKeown, les revendicateurs peuvent avoir la charge d'expliquer pourquoi leur « participation personnelle et consciente » ne devrait pas s'inférer de leur appartenance à une organisation qui « vise principalement des fins limitées et brutales » . Toutefois, en fin de compte, même si tous les éléments de preuve doivent être appréciés par le tribunal, il incombe néanmoins au ministre, sur le plan juridique, d'établir la complicité aux crimes internationaux. Voir J. Sopinka, S.N. Lederman & A.W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1999), aux pages 55 à 64.
[30] Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181 (1re inst.), Madame le juge Reed a examiné la norme de preuve en déterminant qu'une organisation vise des « fins limitées et brutales » (au paragraphe 24) :
[...] Dans ce contexte, il importe d'examiner attentivement les étiquettes. En effet, l'étiquette fait parfois obstacle à l'analyse. Si l'on entend dire que l'appartenance ou l'association étroite à un groupe porte automatiquement à conclure à la complicité de crimes contre l'humanité commis par les membres de ce groupe, il faut que la qualification de l'organisation en question se fonde sur des preuves indubitables. En outre, s'agissant d'un organisme qui évolue avec le temps, il y a lieu de se pencher sur les actions qui peuvent lui être attribuées aux époques où l'individu concerné collaborait avec elle. [Non souligné dans l'original.]
[31] À mon avis, compte tenu de cette jurisprudence, les principes ci-après énoncés devraient être suivis par un tribunal lorsque le ministre cherche à exclure l'intéressé de l'examen du statut de réfugié au sens de la Convention pour le motif qu'il a agi comme complice de l'entité principale qui est coupable des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité :
· le ministre a toujours la charge d'établir sur le plan juridique que le revendicateur est complice des crimes internationaux;
· la complicité exige la « participation personnelle et consciente » du revendicateur à la perpétration des crimes internationaux;
· en règle générale, la « simple appartenance » à une organisation mêlée à la perpétration de crimes internationaux n'établit pas une participation personnelle et consciente;
· une exception à cette règle générale peut exister lorsque la preuve montre d'une façon « indubitable » que le ministre a établi que l'organisation « vise principalement des fins limitées et brutales » ;
· lorsque l'exception s'applique, la simple appartenance à pareille organisation peut imposer au revendicateur la charge de démontrer qu'il n'y avait pas de participation personnelle et consciente à la perpétration des crimes internationaux commis par l'organisation;
· la « simple appartenance » à une organisation « visant principalement des fins limitées et brutales » peut permettre au tribunal d'inférer la participation personnelle et consciente du revendicateur aux crimes internationaux en l'absence d'éléments de preuve dignes de foi, présentés par ce dernier en vue d'expliquer de quelque autre façon son rôle dans l'organisation.
En proposant cette approche, je choisis de ne pas parler d'une présomption de complicité réfutable. La charge qui incombe au ministre, lorsqu'il s'agit d'établir la complicité, n'a jamais été renversée. Lorsque l'exception s'applique, le revendicateur peut être tenu d'expliquer pourquoi l'inférence relative à la « participation personnelle et consciente » ne devrait pas nécessairement être présumée du fait de l'appartenance à une organisation « visant principalement des fins limitées et brutales » .
[32] Dans sa décision du 25 octobre 1999, le tribunal a décrit comme suit les activités du FDA : [TRADUCTION] « Il ressort clairement de la preuve documentaire mise à la disposition de la formation que les attaques brutales contre les civils font partie intégrante du modus operandi des FDA, lorsqu'elles tentent de renverser le gouvernement qui est au pouvoir à l'heure actuelle en Ouganda, et ce, depuis un certain temps. »
[33] Cette conclusion est fondée sur la preuve des opérations du FDA, dont la plupart ont eu lieu après que M. Mukwaya eut quitté l'Ouganda au début de l'année 1997. Les motifs du tribunal ne révèlent pas que celui-ci ait conclu que le FDA « visait principalement des fins limitées et brutales » , du moins pendant la période qui a précédé le moment où M. Mukwaya a quitté l'Ouganda, et ce, même si dans ses observations écrites la représentante du ministre a invité le tribunal à tirer pareille conclusion.
[34] Toutefois, le tribunal a tiré une conclusion précise au sujet de la participation de M. Mukwaya aux activités du FDA, ce qui, à son avis, déclenchait une présomption réfutable de complicité.
[TRADUCTION]
La formation conclut que l'intéressé principal, comme il est dit dans la décision Saridag, s'est joint au groupe et a continué d'y adhérer intentionnellement et volontairement, dans l'intention commune d'apporter ses efforts personnels à la cause poursuivie par le groupe.
L'intéressé principal a réfuté la présomption de complicité en soulevant deux points :
· il appartenait à l'aile politique, plutôt qu'à l'aile militaire, des FDA; et
· à sa connaissance, les FDA n'avaient pas commis d'atrocités au cours de la période où il en avait été activement membre.
[35] Le tribunal a commis une erreur de droit en faisant ces déclarations. Il n'a pas conclu que le FDA était une organisation « visant principalement des fins limitées et brutales » . En l'absence de pareille conclusion, le tribunal ne pouvait pas inférer que M. Mukwaya avait eu une « participation personnelle et consciente » à des crimes internationaux attribués au FDA, et encore moins donner à entendre que M. Mukwaya devait réfuter une présomption de complicité.
[36] Selon mon examen du dossier, aucune formation de la section du statut de réfugié informée de la façon appropriée ne pourrait conclure que le FDA « visait principalement des fins limitées et brutales » pendant que M. Mukwaya était encore en Ouganda ou encore que M. Mukwaya aurait pu savoir que le FDA visait pareilles fins.
[37] Bref, M. Mukwaya était membre et partisan du FDA. Il a aidé l'organisation en recrutant des membres et en fournissant des produits alimentaires. Il était loisible au tribunal de conclure que, compte tenu des rapports médiatiques, M. Mukwaya aurait après coup pris connaissance des crimes commis au mois de novembre 1996. Au mois de janvier 1997, M. Mukwaya a été détenu et torturé par les autorités gouvernementales pendant environ deux semaines. À la fin du mois de janvier, il a encore une fois livré des produits alimentaires aux membres du FDA. Il a ensuite vécu dans la clandestinité pendant un certain temps avant de quitter l'Ouganda pour venir au Canada à la fin du mois de mars 1997.
[38] Rien ne montre que M. Mukwaya ait participé à des crimes commis au cours de l'invasion du mois de novembre 1996. Le fait qu'il a été mis au courant de ces crimes après qu'ils eurent été commis ne peut pas le rendre complice de leur perpétration. Il ne pouvait y avoir aucune mens rea ni aucune « participation personnelle et consciente » à ces événements. Le fait que M. Mukwaya a continué à appuyer le FDA après le mois de novembre 1996 et avant de s'enfuir de l'Ouganda ne le rend pas complice des atrocités subséquentes attribuées au FDA. Aucun élément de preuve n'implique directement M. Mukwaya dans ces atrocités.
[39] Étant donné qu'il a commis une erreur de droit au sujet de la charge de la preuve, le tribunal n'a pas déterminé de la façon appropriée si le ministre avait établi que la preuve des activités auxquelles M. Mukwaya s'était livré en appuyant le FDA après l'incursion des rebelles au mois de novembre 1996 et avant qu'il quitte l'Ouganda avait pour effet de l'assujettir à l'exclusion prévue à l'alinéa Fa) de l'article premier.
[40] La décision selon laquelle le demandeur est exclu de l'examen du statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier est donc annulée et l'affaire est renvoyée à une formation différente qui sera chargée de déterminer si le défendeur peut satisfaire à la charge de la preuve lorsqu'il s'agit d'établir la participation personnelle et consciente de M. Mukwaya aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanité attribués au FDA entre le mois de novembre 1996 et le moment où M. Mukwaya a quitté son pays pour venir au Canada. Aucun motif spécial ne justifie l'adjudication des dépens.
[41] Compte tenu des conclusions que j'ai tirées aux paragraphes 33 et 36, je ne me propose pas de certifier la question grave que le défendeur a proposée dans ses observations écrites peu de temps après l'audience. Si les avocats veulent présenter des observations au sujet de la certification d'une question grave après avoir examiné les présents motifs de décision, ils pourront le faire par écrit dans les sept jours suivants.
« Allan Lutfy »
Juge en chef adjoint
Le 13 juin 2001,
Ottawa (Ontario).
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU DOSSIER : IMM-5752-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : Robert Mukwaya
c.
MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 7 février 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge en chef adjoint Lutfy
DATE DES MOTIFS : le 13 juin 2001
ONT COMPARU
M. Jeffrey L. Goldman POUR LE DEMANDEUR
Mme Claire A.H. le Riche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. Jeffrey L. Goldman POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada