Date : 20030214
Dossier : T-285-01
Ottawa (Ontario), le vendredi 14 février 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
LE CHEF ED HAYDEN, LE CONSEILLER PETER ATKINSON,
LE CONSEILLER MICHAEL LITTLEJOHN, LE CONSEILLER MITCH LAROQUE,
LA CONSEILLÈRE MARIE HENRY, au nom de la
Première nation Anishinabe de Roseau River
demandeurs
- et -
HERMAN ATKINSON, VICTOR ANTOINE, MELVIN CHASKEY,
JOSEPH FRENCH, RICHARD HAYDEN, GLEN NELSON, FRANK PAUL,
WILSON HENRY, ERNIE JAMES, GLORIA JOHNSON, DENNIS SEENIE,
DEREK I THOMAS, KEVIN LAROQUE, RODNEY PATRICK, WAYNE TAIT,
CHERYL LITTLEJOHN, THOMAS THOMAS II et MARTHA LAROQUE,
en leurs qualités de membres du conseil coutumier de la Première nation Anishinabe de Roseau River, et ALDINE ATKINSON et GRACE SMITH, en leurs qualités
de fonctionnaires électorales présumées de la Première nation Anishinabe de Roseau River
premiers défendeurs
- et -
FELIX ANTOINE, MARTHA LAROQUE, MARY CHASKY, THOMAS THOMAS
et RODNEY PATRICK, en leurs qualités de personnes censément élues
chef et conseil à la suite de l'élection contestée
deuxièmes défendeurs
- et -
RICHARD HAYDEN
troisième défendeur
ORDONNANCE
VU la demande de contrôle judiciaire de la décision des premiers défendeurs, les membres du conseil coutumier de la bande, en date du 22 janvier 2001, de modifier la Loi électorale de la Première nation Anishinabe de Roseau River, réduisant ainsi de quatre ans à deux ans la durée du mandat du chef et des conseillers de la bande, et destituant les demandeurs de leurs fonctions au milieu de leur mandat de quatre ans;
ET vu la demande de contrôle judiciaire de la décision des premiers défendeurs, agissant comme agents électoraux de la bande, de tenir des élections générales le 2 mars 2001;
ET APRÈS lecture des pièces produites et audition des arguments des parties;
ET pour les motifs délivrés ce jour;
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et
2. Il n'est pas adjugé de dépens.
« Michael A. Kelen » ________________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a. LL.L.
Date: 20030214
Dossier : T-285-01
Référence neutre : 2003 CFPI 168
ENTRE :
LE CHEF ED HAYDEN, LE CONSEILLER PETER ATKINSON,
LE CONSEILLER MICHAEL LITTLEJOHN, LE CONSEILLER MITCH LAROQUE,
LA CONSEILLÈRE MARIE HENRY, au nom de la
Première nation Anishinabe de Roseau River
demandeurs
- et -
HERMAN ATKINSON, VICTOR ANTOINE, MELVIN CHASKEY,
JOSEPH FRENCH, RICHARD HAYDEN, GLEN NELSON, FRANK PAUL,
WILSON HENRY, ERNIE JAMES, GLORIA JOHNSON, DENNIS SEENIE,
DEREK I THOMAS, KEVIN LAROQUE, RODNEY PATRICK, WAYNE TAIT,
CHERYL LITTLEJOHN, THOMAS THOMAS II et MARTHA LAROQUE,
en leurs qualités de membres du conseil coutumier de la Première nation Anishinabe de Roseau River, et ALDINE ATKINSON et GRACE SMITH, en leurs qualités
de fonctionnaires électorales présumées de la Première nation Anishinabe de Roseau River
premiers défendeurs
- et -
FELIX ANTOINE, MARTHA LAROQUE, MARY CHASKY, THOMAS THOMAS
et RODNEY PATRICK, en leurs qualités de personnes censément élues
chef et conseil à la suite de l'élection contestée
deuxièmes défendeurs
- et -
RICHARD HAYDEN
troisième défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE KELEN
[3] La présente affaire concerne un litige interne qui a surgi entre les membres de la Première nation Anishinabe de Roseau River (la bande). Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du conseil coutumier de la bande datée du 22 janvier 2001 de modifier la Loi électorale de la Première nation Anishinabe de Roseau River (la Loi électorale) en faisant passer de quatre ans à deux ans la durée du mandat du chef et des conseillers de la bande. Cette modification a eu pour résultat de destituer de leurs fonctions les demandeurs, c'est-à-dire le chef Edward Hayden et les conseillers Peter Atkinson, Michael Littlejohn, Mitch Laroque et Marie Henry (le Conseil Hayden), au milieu du mandat de quatre ans pour lequel ils avaient été élus le 8 mars 1999.
[4] Les premiers défendeurs sont les personnes qui étaient membres du conseil coutumier en 2001, ainsi que les deux fonctionnaires électorales de la bande, Aldine Atkinson et Grace Smith. Les deuxièmes défendeurs, à savoir le chef Felix Antoine et les conseillers Martha Laroque, Mary Chasky, Thomas Thomas et Rodney Patrick (le Conseil Antoine) ont été élus par la bande le 2 mars 2001 et ajoutés comme parties à la présente demande par une ordonnance en date du 7 mars 2001. La validité des élections tenues le 2 mars 2001 dépend de l'issue de la présente affaire. Le troisième défendeur, M. Richard Hayden, est le frère de l'un des demandeurs, Edward Hayden. Son poste a été supplanté par celui des demandeurs.
[5] Dans cette demande de contrôle judiciaire, les demandeurs voudraient une ordonnance :
(a) annulant et cassant la décision du conseil coutumier de ramener de quatre ans à deux ans la durée du mandat des demandeurs, l'effet de cette modification étant que les demandeurs ont été destitués de leurs fonctions au milieu de leur mandat de quatre ans; et
(b) annulant et cassant la décision des défenderesses Aldine Atkinson et Grace Smith, agissant en leurs qualités de fonctionnaires électorales présumées de la bande, de tenir des élections générales le 2 mars 2001.
POINTS EN LITIGE
[6] La présente demande soulève les points suivants :
1. Le conseil coutumier est-il un « office fédéral » au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7?
2. Le conseil coutumier a-t-il négligé de suivre la procédure fixée dans la Loi électorale lorsqu'il a prétendu modifier la Loi?
3. Le conseil coutumier avait-il un devoir d'équité envers les demandeurs et a-t-il manqué à ce devoir?
4. Si la modification a été validement adoptée, s'appliquait-elle rétroactivement et mettait-elle fin au mandat du Conseil Hayden?
LES FAITS
Information générale
[7] La Première nation Anishinabe de Roseau River constitue une bande d'Ojibway qui habite le sud-ouest du Manitoba, près de la frontière du Dakota du Nord. La bande compte environ 1 800 membres, dont la moitié habitent la Réserve indienne Roseau River n ° 2. Cent cinquante autres membres habitent la Réserve indienne Roseau Rapids n ° 2A, et le reste vit en dehors de la réserve, surtout à Winnipeg.
[8] Avant 1991, la bande était gouvernée par un chef et un conseil élus en conformité avec l'article 74 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. En raison de problèmes entraînés par un chef et un conseil dévoyés, la bande a proposé la création d'un organisme qui soit en mesure de suivre les activités du chef et du conseil élus. Cette proposition était fondée sur les traditions du peuple Ojibway et sur une loi électorale utilisée par la Bande indienne James Smith, en Saskatchewan.
[9] La question a été soumise aux membres de la bande lors d'un plébiscite le 30 janvier 1991. La majorité des membres de la bande qui votèrent choisirent d'écarter la procédure électorale prévue par la Loi sur les Indiens et de donner effet à la Loi électorale. Un décret daté du 12 avril 1991 suspendait l'application de l'article 74 de la Loi sur les Indiens et autorisait l'entrée en vigueur de la Loi électorale.
[10] En marge de ce processus, la bande a établi le conseil coutumier, un organisme composé de personnes nommées par les familles de la bande. Le conseil coutumier a pour fonction d'aider, de soutenir et de conseiller le chef et les conseillers dans l'accomplissement de leurs tâches. L'article 15 de la Loi électorale fait du conseil coutumier « l'organe principal de la tribu et le représentant de l'ensemble des membres de la tribu » . L'article 19 conférait au conseil coutumier le pouvoir de modifier la Loi électorale :
19. La présente Loi pourra être modifiée au moyen d'une résolution du conseil coutumier qui indiquera la modification. Une assemblée tribale aura alors lieu pour l'examen de la résolution de modification.
Élection et révocation présumée du Conseil Hayden
[11] Les demandeurs ont été élus le 8 mars 1999 en tant que chef et conseil de la bande. La durée de leur mandat était de quatre ans, en application de l'article 5 de la Loi électorale :
5. Les mandats des dirigeants de la Première nation Anishinabe de Roseau River auront les durées suivantes :
a) quatre (4) ans pour la charge de chef;
b) quatre (4) ans pour la charge de conseiller;
c) la durée du mandat du chef et du conseil sera subordonnée aux règlements et aux normes de conduite prévus dans la présente Loi.
[12] Tout au long de l'année 2000, le conseil coutumier et le Conseil Hayden ont été en conflit à propos d'un plan de gestion corrective auquel le Conseil Hayden voulait donner effet. Le conseil coutumier a demandé au Conseil Hayden de démissionner, mais le Conseil Hayden a refusé. En décembre 2000, le conseil coutumier a décidé de destituer le Conseil Hayden en ramenant son mandat à deux ans. C'était la première fois que l'on recourait à la procédure de modification fixée dans l'article 19 de la Loi électorale.
[13] Le 4 janvier 2001, le conseil coutumier recevait de Derek Cassidy, le représentant de la famille Thomas I, une demande de modification de la Loi électorale. La modification fut inscrite à l'ordre du jour d'une réunion du conseil coutumier prévue le 11 janvier 2001, à la salle des fêtes. Un avis de la réunion fut affiché environ une semaine avant la réunion, dans les bureaux administratifs, dans les bureaux gouvernementaux, dans les bureaux du bien-être et dans l'école.
[14] Dix-huit des 21 représentants familiaux et environ 60 membres intéressés de la tribu ont assisté à la réunion du 11 janvier 2001. Après un examen de la modification proposée, 15 des représentants familiaux ont voté en faveur d'une résolution adoptant la modification proposée, et trois représentants familiaux se sont abstenus. Le conseil coutumier fixa pour le 22 janvier 2001 une réunion des membres de la tribu où serait débattue la modification proposée. Un avis de la réunion fut de nouveau affiché dans les bureaux administratifs, dans les bureaux gouvernementaux, dans les bureaux du bien-être et dans l'école. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si un avis de la réunion du 11 janvier et de celle du 22 janvier a été signifié en main propre aux membres du Conseil Hayden.
[15] Quatorze représentants familiaux et entre 70 et 100 membres de la tribu ont assisté à la réunion du 22 janvier. Le conseil coutumier a examiné la modification proposée et a invité l'assistance à s'exprimer. La modification proposée a été adoptée par le conseil coutumier, et de nouvelles élections devaient donc avoir lieu avant le 8 mars 2001. Le conseil coutumier a fixé des procédures électorales pour de nouvelles élections et a nommé Linda Laroque fonctionnaire électorale, Grace Smith fonctionnaire électorale adjointe et Aldine Atkinson directrice du scrutin. Il a aussi convoqué pour le 9 février 2001 une assemblée générale des membres.
[16] Le 29 janvier 2001, Grace Smith déclenchait des élections pour les postes de chef et de membres du conseil. Les élections devaient avoir lieu le 2 mars 2001 et une assemblée de mises en candidature fut fixée pour le 12 février 2001. Des avis furent affichés, qui annonçaient l'assemblée générale, l'assemblée de mises en candidature et les élections.
Les élections contestées et la demande de contrôle judiciaire
[17] Les demandeurs ont introduit le 19 février 2001 la présente demande de contrôle judiciaire en leur qualité de représentants de la bande et ont sollicité une injonction interlocutoire interdisant la tenue des élections prévues le 2 mars 2001. La requête fut rejetée par M. le juge Gibson le 26 février 2001, et la tenue des élections fut autorisée. Aucun des demandeurs n'était candidat. Le Conseil Antoine fut élu en tant que chef et conseil de la bande.
[18] Les demandeurs ont alors introduit une requête en injonction interlocutoire en vue d'empêcher le Conseil Antoine d'exercer le rôle de chef et de conseil de la bande. Cette requête fut rejetée par M. le juge Muldoon le 11 juillet 2001 (voir le jugement Première nation Anishinabe de Roseau River c. Atkinson, 2001 CFPI 787), parce que l'affaire avait l'autorité de la chose jugée, en raison de l'ordonnance rendue par le juge Gibson.
ANALYSE
1. Le conseil coutumier est-il un « office fédéral » au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7?
[19] Les défendeurs affirment que la Cour est dépourvue de compétence à l'égard des décisions du conseil coutumier. Selon eux, les pouvoirs du conseil coutumier ne lui sont pas dévolus par une loi fédérale; le conseil coutumier tient plutôt sa compétence et ses pouvoirs du droit inhérent de la bande à l'autonomie gouvernementale. Au soutien de cette position, les défendeurs ont invoqué le jugement Bone c. Bande indienne Sioux Valley n ° 290 (1996), 107 F.T.R. 133, dans lequel la Cour avait jugé que le pouvoir d'une bande d'organiser ses propres élections de la manière coutumière plutôt qu'en vertu de l'article 74 de la Loi sur les Indiens est un pouvoir intrinsèque de la bande qui n'est pas rattaché à la Loi sur les Indiens. Par conséquent, puisque le conseil coutumier ne tient pas ses pouvoirs de la Loi sur les Indiens, il n'est pas un « office fédéral » .
[20] L'expression « office fédéral » est définie ainsi au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale :
« office fédéral »
« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. [...]
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"federal board, commission or other tribunal"
"federal board, commission or other tribunal" means any body or any person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867; [...]
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[21] Dans des affaires antérieures, la Cour fédérale s'est déclarée compétente sur les conseils de bandes indiennes, sans égard à la question de savoir si le conseil de bande avait été élu en conformité avec la coutume de la bande ou en conformité avec la Loi sur les Indiens. Voir l'arrêt Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.) et l'arrêt Lameman c. Peoples Government (1995), 90 F.T.R. 319. Comme l'a indiqué M. le juge Rothstein dans le jugement Sparvier c. Bande indienne Cowessess n ° 73, [1994] 1 C.N.L.R. 182, à la page 4 (C.F. 1re inst.) :
Il est bien établi qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, un conseil de bande indienne et les personnes qui sont censées exercer des pouvoirs sur les membres d'une bande indienne, et qui agissent conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens constituent un « office fédéral » au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. [...] il a été jugé qu'un conseil de bande indienne relevait de la compétence de la Cour fédérale lorsque l'élection du conseil de la bande avait été tenue conformément à la coutume de la bande et non la Loi sur les Indiens.
[22] Les défendeurs affirment que la présente affaire ne ressemble pas aux circonstances de l'affaire Canatonquin. Dans l'affaire Canatonquin, la Cour examinait la validité d'élections régies par la coutume, non l'exercice d'un pouvoir traditionnel exercé par un conseil coutumier. Selon les défendeurs, le conseil coutumier, dans la présente affaire, tient du droit inhérent de la bande à l'autonomie gouvernementale sa compétence et son pouvoir de destituer un chef et un conseil élus. Le décret de 1991 ne faisait que reconnaître sa compétence et son pouvoir. Par conséquent, lorsque le conseil coutumier a modifié la Loi électorale, il n'exerçait pas des pouvoirs conférés par une loi fédérale.
[23] M. le juge Martineau a récemment examiné, puis rejeté, un argument semblable dans l'affaire Francis c. Le Conseil mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 115, au paragraphe 17. Le conseil coutumier est le conseil principal de gouvernement de la Première nation. L'article 15 de la Loi électorale est ainsi rédigé :
Pouvoir du chef et des conseillers
15. Le conseil coutumier est l'organe principal de la tribu et le représentant de l'ensemble des membres de la tribu. Le conseil coutumier se compose de dirigeants qui aident, soutiennent et conseillent les chefs et les conseillers dans l'accomplissement de leurs tâches définies dans la Déclaration et dans l'article 12 de la présente Loi.
Le conseil coutumier est également reconnu dans l'alinéa 2b) de la Loi sur les Indiens comme un « conseil de la bande » :
b) dans le cas d'une bande à laquelle l'article 74 n'est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande [...].
[24] Cette reconnaissance donne au conseil coutumier le pouvoir de gérer et de gouverner les affaires de la bande. Le conseil coutumier se compose de personnes « qui aident, soutiennent et conseillent » le chef et les conseillers dans l'accomplissement de leurs tâches. Il appartient donc au conseil coutumier d'exercer le pouvoir du conseil de bande d'administrer l'argent de la bande et les terres de la réserve, et d'exercer les autres pouvoirs que lui confère la Loi sur les Indiens. Sa décision de destituer de leurs fonctions le chef et le conseil élus est une manifestation de ce pouvoir.
[25] Par conséquent, le conseil coutumier agissait en tant qu' « office fédéral » et il est soumis à la compétence de la Cour.
2. Le conseil coutumier a-t-il négligé de suivre la procédure fixée dans la Loi électorale lorsqu'il a prétendu modifier la Loi?
(a) Que faut-il pour une modification en bonne et due forme de la Loi électorale?
[26] L'article 19 est la seule disposition de la Loi électorale qui traite de modifications :
19. La présente Loi pourra être modifiée au moyen d'une résolution du conseil coutumier qui indiquera la modification. Une assemblée tribale aura alors lieu pour l'examen de la résolution de modification. [Non souligné dans l'original.]
L'article 19 énonce un processus en deux étapes pour la modification de la Loi. D'abord, le conseil coutumier doit adopter une résolution autorisant la modification. Il n'est pas contesté entre les parties que cette condition a été remplie. Deuxièmement, une assemblée tribale doit avoir lieu pour donner aux membres de la bande l'occasion de débattre une modification proposée. L'expression « assemblée tribale » n'est pas définie dans la Loi électorale, et les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si l'assemblée tenue le 22 janvier 2001 constituait une assemblée tribale aux fins de l'article 19.
[27] Les demandeurs affirment que l'assemblée du 22 janvier était une deuxième assemblée du conseil coutumier et n'était pas une « assemblée tribale » . L'avis public de l'assemblée du 22 janvier, qui appelait cette assemblée une « assemblée du conseil coutumier » , invitait « tous les représentants familiaux, les anciens et les jeunes à assister à une importante assemblée » . Cette erreur était accentuée par l'avis de l'assemblée tenue le 9 février 2001. L'avis, qui appelait cette assemblée une « assemblée générale des membres » , mentionnait que « tous les membres de la tribu sont encouragés à y assister » . En outre, selon les demandeurs, un vote des membres tribaux est nécessaire pour modifier la Loi électorale, et le conseil coutumier a négligé, lors de l'assemblée du 22 janvier, de procéder au scrutin requis.
[28] Selon les défendeurs, l'article 19 a été respecté. Ils affirment que la Loi exige seulement qu'une assemblée ait lieu pour l'examen de la modification, qu'aucun référendum ni scrutin ne sont nécessaires et que l'assemblée du 22 janvier remplissait cette condition. Dans la résolution adoptée lors de l'assemblée du conseil coutumier du 11 janvier, elle était appelée une « assemblée générale des membres de la tribu convoquée pour examiner la modification proposée » .
[29] Avant de se demander si le conseil coutumier a respecté les conditions de l'article 19, la Cour doit d'abord savoir ce qui constitue une « assemblée tribale » . La Cour est consciente ici de la méthode de gouvernement par consensus de la bande. Cette méthode ressort d'un examen de la Loi électorale et de la preuve par affidavit. Leonard Nelson, un ancien de la bande qui siège au conseil des anciens, a décrit ainsi, aux paragraphes 16 et 17 de son affidavit, le mode de gouvernement de la bande :
[traduction] Le peuple Anishinabe fait ses lois par consensus. C'est notre manière de faire, et elle l'a toujours été. Le mode de gouvernement prévu par la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire au moyen de scrutins et de référendums, a érodé nos traditions et nos coutumes et nous a écartés de nos racines Anishinabe. Pour cette raison, la question a été examinée et il a été convenu que la volonté de toutes les familles de la Première nation Anishinabe de Roseau River serait exprimée par l'entremise de leurs représentants au conseil coutumier et suffirait à donner effet à des modifications.
Le conseil coutumier vote sur les questions qui sont décidées, mais il s'efforce toujours d'arriver à un consensus et, lorsqu'il n'y a pas de consensus, les représentants du conseil coutumier qui sont opposés à l'affaire qui est débattue s'abstiendront en général de voter, au lieu de voter contre la volonté de la majorité. Cette manière de faire reconnaît qu'il n'est pas dans les habitudes du peuple Anishinabe de s'opposer et de disputer, mais plutôt de mettre de côté les intérêts personnels de chacun et de donner effet aux voeux des membres de la tribu.
[30] Un bon exemple du modèle de gouvernement par consensus est l'article 14 de la Loi électorale. Cet article prévoit plusieurs motifs pour lesquels le conseil coutumier pourra décider de révoquer un conseil élu. Cependant, ce qui manque nettement dans la Loi électorale, c'est une procédure formelle de mise en accusation devant être suivie par le conseil coutumier. On compte plutôt que le chef et les conseillers se désisteront si le conseil coutumier demande leur destitution.
[31] Ce modèle de gouvernement est reflété aussi dans la procédure de modification prévue par l'article 19. Il n'y a dans la Loi électorale aucune disposition exposant une procédure formelle selon laquelle doit être conduite une « assemblée tribale » . La Loi électorale ne requiert pas non plus qu'une modification proposée soit soumise à un scrutin en règle dans une assemblée tribale. La preuve extrinsèque n'est pas non plus assez forte pour permettre à la Cour de lire une telle exigence dans la Loi. Néanmoins, la pratique observée par la bande est que, si dans une assemblée tribale une modification proposée se heurte à une opposition claire ou décisive, alors le conseil coutumier doit s'abstenir d'y donner suite. La délibération de l'assemblée produit un consensus général sur la conduite à tenir.
[32] Par égard pour le modèle de gouvernement de la bande, la Cour s'abstiendra de voir dans l'article 19 de strictes règles de procédure qui seraient applicables à une assemblée tribale. Il est évident que l'objet des assemblées tribales est de permettre aux membres de la bande qui ne siègent pas au conseil coutumier l'occasion de se faire entendre sur des modifications proposées. À cette fin, deux exigences procédurales doivent être observées. D'abord, le conseil coutumier doit donner aux membres de la bande un avis suffisant de l'assemblée tribale. Il s'assurera ainsi que le plus grand nombre possible de membres assistent à l'assemblée. Deuxièmement, le conseil coutumier doit offrir une tribune où les membres de la bande aient véritablement l'occasion de s'exprimer sur la modification proposée et d'en débattre.
[33] La Cour se demandera maintenant si le conseil coutumier a respecté ces deux conditions lorsqu'il a tenu l'assemblée du 22 janvier.
(b) Les membres de la bande ont-ils reçu un avis suffisant de l'assemblée du 22 janvier 2001?
[34] La Cour juge que les membres de la bande ont reçu un avis suffisant de l'assemblée du 22 janvier. La Première nation Anishinabe de Roseau River est une petite collectivité dans laquelle l'information a toujours circulé de bouche à oreille, sans compter les avis affichés. Le conseil coutumier est constitué de telle sorte que chaque famille y est représentée, chacun des représentants ayant l'obligation d'informer les membres de sa famille sur les questions du jour et d'obtenir leur assentiment. Ce mode de communication et d'avis est la pratique ordinaire et la forme ordinaire de communication pour cette Première nation.
[35] Ce mode de communication est efficace si l'on constate qu'entre 70 et 100 membres de la bande, sans compter 14 membres du conseil coutumier, ont assisté à l'assemblée tribale du 22 janvier. C'est un chiffre nettement plus élevé que l'assistance moyenne aux assemblées du conseil coutumier, c'est-à-dire 20 personnes environ. C'est également une participation raisonnable si on la compare aux niveaux historiques de participation des membres de la bande aux assemblées publiques et aux élections. Par exemple, 327 membres seulement ont voté à l'élection partielle du chef en 1997, et 236 seulement ont participé aux élections de 2001.
[36] Eu égard à la preuve, je suis persuadé que les représentants des familles au conseil coutumier ont communiqué à leurs membres hors réserve le sujet de la modification proposée et de l'assemblée tribale du 22 janvier.
[37] L'avis écrit de l'assemblée tribale parlait à tort d'une assemblée du conseil coutumier. C'est là une mauvaise appellation et une erreur, mais cette erreur n'a pas vicié le processus. L'avis de l'assemblée tribale suivait simplement la formule d'avis employée pour les assemblées ordinaires du conseil coutumier.
(c) Le conseil coutumier offrait-il une tribune où les membres de la bande ont pu réellement s'exprimer sur la modification proposée et en débattre?
[38] Les défendeurs affirment que le conseil coutumier a donné aux membres de la bande, lors de l'assemblée du 22 janvier, une réelle possibilité de s'exprimer sur la modification proposée et d'en débattre. Ils disent que le conseil coutumier a sollicité les commentaires des membres de la bande qui étaient là et que, si la résolution s'était heurtée à une opposition véritable ou significative, alors la modification n'aurait pas eu de suite.
[39] Malheureusement, le procès-verbal de l'assemblée du 22 janvier préparé par Martha Laroque, alors coprésidente du conseil coutumier, est difficile à suivre. Mais le témoignage de Hector Pierre, le représentant de la famille Pierre, lors de l'assemblée du 22 janvier, donne une description du déroulement de cette assemblée. Au paragraphe 18 de son affidavit, il écrit :
[traduction] J'étais présent à l'assemblée du 22 janvier, et je peux affirmer que, avant ladite assemblée, j'ai parlé de la modification avec ma famille, en lui indiquant qu'une assemblée des membres de la tribu aurait lieu. Ma famille a de nouveau approuvé la modification et, lorsque je me suis présenté à l'assemblée du 22 janvier, j'ai pu constater que l'assistance à cette assemblée était très importante. Tous les membres de la tribu qui étaient présents ont eu l'occasion d'exprimer les inquiétudes qu'ils pouvaient avoir à propos de la modification, mais en définitive un large consensus est apparu en faveur de la modification proposée et en faveur du déclenchement d'élections immédiates. La modification a été ratifiée par le conseil coutumier le 22 janvier, et des procédures ont été appliquées pour un déclenchement immédiat des élections.
[40] Durant son contre-interrogatoire, Hector Pierre a déclaré, en réponse à la question 106, que la modification avait été lue à l'assemblée et que les membres de l'assistance avaient disposé d'une certaine période pour s'avancer et s'exprimer. Il y avait beaucoup de gens à l'assemblée, mais la proposition ne semble pas avoir soulevé « de fortes objections, de telle sorte qu'ils y ont tout simplement souscrit » .
[41] La Cour est consciente des difficultés qui pourraient résulter si elle s'en remettait uniquement au témoignage d'un membre du conseil coutumier, mais les demandeurs n'ont produit aucun des témoins qui étaient présents à l'assemblée du 22 janvier pour contredire la version des événements donnée par Hector Pierre. Par conséquent, selon la prépondérance de la preuve, la Cour arrive à la conclusion que les membres de la bande ont débattu la modification lors de l'assemblée du 22 janvier et que la proposition ne s'est heurtée à aucune opposition réelle ou significative.
[42] La Cour est persuadée que les membres de la bande ont eu une réelle occasion de s'exprimer sur la modification lors de l'assemblée du 22 janvier et que le conseil coutumier a suivi la procédure en deux étapes requise par la Loi électorale pour l'adoption de modifications.
3. Le conseil coutumier avait-il un devoir d'équité envers les demandeurs et a-t-il manqué à ce devoir?
(a) Le conseil coutumier avait-il un devoir d'équité envers les demandeurs?
[43] Selon les demandeurs, le conseil coutumier aurait dû leur donner avis de la modification ou des assemblées tenues les 11 et 22 janvier. Selon les défendeurs, le conseil coutumier n'avait aucun devoir d'équité envers les demandeurs parce que sa décision de modifier la Loi électorale était de nature législative; voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735. Ils affirment que la Loi électorale confère au conseil coutumier un rôle législatif et que le conseil exerçait ce rôle lorsqu'il a modifié la Loi électorale.
[44] On considère que le devoir d'équité n'intervient pas dans les décisions de nature générale prises par des organes législatifs et fondées sur des considérations d'intérêt public. En revanche, une décision administrative qui vise une personne en particulier et qui touche « les droits, privilèges ou biens » de cette personne fera intervenir le devoir d'équité; voir l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 20. Le contenu du devoir d'équité peut également varier en fonction des conséquences de la décision sur l'intéressé. La Cour suprême a jugé que, lorsque le droit d'une personne de garder son emploi est en jeu, « une justice de haute qualité est exigée » , voir l'arrêt Kane c. Université de la Colombie-Britannique, [1980] R.C.S. 1105, à la page 1113.
[45] Eu égard à cette jurisprudence, la Cour juge que le conseil coutumier était astreint à un devoir d'équité lorsqu'il a modifié la Loi électorale. Ici, bien que formulée en des termes d'application générale, la modification visait à destituer de leurs fonctions les membres du Conseil Hayden, entraînant pour eux la perte de leur emploi et du salaire qui l'accompagnait. Si le conseil coutumier avait décidé de recourir à une autre stratégie pour atteindre cet objectif, il ne fait aucun doute qu'il aurait été astreint à un devoir d'équité procédurale. À titre d'exemple, voir le jugement Re Hatch and District Municipality of Muskoka (1990), 71 O.R. (2d) 611 (C.S. Ont.). Le conseil coutumier ne devrait pas pouvoir échapper au devoir d'équité procédurale par un moyen détourné, c'est-à-dire en se servant d'une modification de la Loi pour destituer les demandeurs.
[46] La Cour estime que les conditions fondamentales de l'équité procédurale, énoncées dans l'arrêt Lakeside Colony of Hutterin Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165, à savoir le droit à un tribunal impartial, le droit à un avis et la possibilité de répondre, sont applicables aux décisions du conseil coutumier.
(b) Le conseil coutumier a-t-il manqué au devoir d'équité qu'il avait envers les demandeurs?
(i) Partialité
[47] Selon les demandeurs, le conseil coutumier a agi avec partialité lorsqu'il a adopté la modification. Plusieurs représentants des familles avaient ouvertement exprimé leur intention d'utiliser la modification comme moyen de démettre de leurs fonctions les membres du Conseil Hayden. Les demandeurs affirment que leurs paroles ont suscité une crainte raisonnable de partialité.
[48] La norme de ce qui constitue ou non une crainte raisonnable de partialité peut varier, selon le contexte et selon la fonction exercée par le décideur administratif concerné; voir l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623. Par conséquent, lorsqu'elle se demande s'il y a crainte raisonnable de partialité, la Cour doit prendre en compte les circonstances spéciales du tribunal administratif; voir Comité pour la justice et la liberté c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 et l'arrêt Pearlman c. Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869.
[49] Selon l'article 15 de la Loi électorale, le conseil coutumier est l'organe principal de la tribu et le représentant de l'ensemble des membres de la tribu. Si le conseil coutumier veut agir efficacement, ses membres doivent se sentir libres d'exprimer leurs opinions personnelles et les opinions des familles qu'ils représentent. Par conséquent, comme d'autres organes de nature politique (voir à titre d'exemple l'arrêt Vieux Saint-Boniface, précité), le conseil coutumier ne devrait être astreint qu'à la norme minimum d'impartialité : ses membres pouvaient-ils encore « être convaincus » ? Voir l'arrêt Save Richmond Farmland Society c. Richmond (Canton), [1990] 3 R.C.S. 1213, à la page 1224.
[50] Dans l'application de cette norme, la Cour sait que la modification s'inscrivait dans un différend entre le conseil coutumier et le Conseil Hayden qui remontait à août 2000. Le conseil coutumier avait déjà prié les demandeurs de démissionner et, devant leur refus, il avait recouru à la modification comme moyen de les destituer. Par conséquent, il serait absurde de s'en prendre aux membres du conseil coutumier simplement parce qu'ils ont admis que c'était là l'objet de la modification. Le conseil coutumier avait le droit de destituer les demandeurs de leurs fonctions, et par nécessité, ses membres devaient avoir des opinions personnelles sur la capacité des demandeurs de gouverner. Cela ne constitue pas partialité. Selon la preuve, si la résolution s'était heurtée à une opposition réelle ou importante lors de l'assemblée tribale (ce qui n'a pas été le cas), alors la modification n'aurait pas eu de suite.
[51] De plus, il semble que les décisions du conseil coutumier étaient fondées sur les préoccupations de la collectivité et non sur des motivations répréhensibles, par exemple un gain personnel. La Cour est donc persuadée que le conseil coutumier demeurait ouvert à la persuasion et qu'un observateur n'aurait pas trouvé que sa manière d'agir suscitait une crainte raisonnable de partialité.
(ii) Droit à un avis et possibilité de répondre
[52] Le principe général qui sous-tend l'obligation de common law qu'est le devoir d'équité est qu'un avis adéquat doit être signifié aux intéressés pour qu'ils aient une occasion raisonnable d'étudier l'affaire et de préparer une réponse. Les personnes directement concernées par une décision ont le droit d'en recevoir avis, encore que les conditions précises de ce qui constitue un avis adéquat dépendront de l'ensemble des circonstances; voir l'arrêt Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 R.C.S. 781. Les demandeurs étaient directement touchés par la modification proposée du conseil coutumier et ils avaient droit de recevoir avis de l'assemblée tribale qui a eu lieu le 22 janvier. Les demandeurs affirment qu'un avis de la procédure ne leur a pas été validement signifié.
[53] Selon les défendeurs, les demandeurs ont été informés personnellement, par Derek Cassidy, le représentant familial qui avait proposé la modification, de la décision du conseil coutumier de les démettre de leurs fonctions. Derek Cassidy déclare, au paragraphe 16 de son affidavit :
[traduction] Avant de me rendre à l'assemblée du conseil coutumier le 11 janvier, je me suis présenté aux bureaux gouvernementaux de Roseau River (les bureaux du chef et du conseil). RICHARD HAYDEN, qui est le frère d'EDWARD HAYDEN, se trouvait déjà dans les bureaux. J'ai alors parlé personnellement avec EDWARD HAYDEN, et je l'ai informé que j'avais proposé une modification de la Loi électorale, qui, si elle était adoptée, déclencherait des élections et entraînerait sa révocation. J'ai également informé EDWARD HAYDEN que l'affaire serait débattue le 11 janvier à notre prochaine assemblée ordinaire du conseil coutumier. Il ne m'a rien dit.
Et au paragraphe 20 de son affidavit, il écrivait :
[traduction] Tout de suite après l'assemblée du 11 janvier 2001, je me suis présenté en personne aux bureaux gouvernementaux et j'ai affiché sur la fenêtre de la porte d'entrée une copie de la résolution approuvée par le conseil coutumier, résolution qui mentionnait qu'il y aurait le 22 janvier 2001 une assemblée tribale où serait débattue la modification.
[54] Cependant, durant son contre-interrogatoire, Derek Cassidy a prétendu qu'il ne se souvenait pas de la date exacte à laquelle il avait communiqué cette information à Edward Hayden et il a rétracté une partie de son témoignage. Il n'a pas expressément désavoué son affirmation du paragraphe 20 de son affidavit, mais, au vu des déclarations qu'il a faites durant son contre-interrogatoire, la Cour estime qu'elle ne peut accorder aucun poids à son affidavit. Par conséquent, la Cour juge que le conseil coutumier n'a pas donné avis de sa décision directement aux demandeurs.
[55] Néanmoins, la non-signification d'un avis personnel par le conseil coutumier peut être excusée si la Cour est convaincue que les demandeurs avaient en fait connaissance de la procédure en cours et qu'ils ont décidé de ne pas y participer. Dans l'arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, la Cour suprême a jugé que l'absence de signification d'un avis ne rendait pas nulle une décision de congédier un employé lorsque cet employé avait été informé des motifs de son congédiement au cours de rencontres antérieures avec le décideur et qu'il avait eu l'occasion d'exprimer son point de vue. Puis, dans l'arrêt Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1989] 3 C.F. 611 (C.A.), M. le juge MacGuigan écrivait qu'une personne pouvait abandonner son droit à un avis si elle « était suffisamment au courant de l'audience et de la question litigieuse pour s'être présentée ... sans avis officiel » . Dans cette affaire, le juge MacGuigan a estimé que, puisque la connaissance de l'intéressé ne reposait que sur une vague rumeur dont on ne pouvait raisonnablement présumer qu'il l'avait entendue, sa connaissance ne pouvait prendre la place d'un avis en règle.
[56] La Cour est persuadée que le Conseil Hayden avait une connaissance suffisante de la modification et des assemblées à venir, sans avoir besoin d'un avis en règle. La modification était le point culminant d'un différend qui avait surgi entre les deux organes l'année antérieure. Ce différend comprenait une demande du conseil coutumier faite au chef et aux conseillers pour qu'ils démissionnent. Lorsque les demandeurs ont refusé de résigner leurs fonctions, le conseil coutumier a recouru à la modification comme moyen de les renvoyer. Hector Pierre, le représentant de la famille Pierre au sein du conseil coutumier, écrivait, aux paragraphes 14 et 15 de son affidavit :
[traduction] [...] Cette modification était le résultat d'une délibération du conseil coutumier qui avait débuté en août 2000, ou avant, lorsque des doutes étaient apparus à propos de la manière dont EDWARD HAYDEN et son conseil géraient la [Première nation Anishinabe de Roseau River]. L'impression des membres du conseil coutumier, après consultation des membres tribaux (comme c'est leur devoir), c'était que EDWARD HAYDEN ne se conformait pas aux dispositions de la Loi électorale, parce qu'il avait prétendu exercer des pouvoirs qui en réalité appartenaient au conseil coutumier. Le conseil coutumier a donc tenu de nombreuses assemblées à l'automne de 2000, qui ont conduit à une demande de démission adressée à EDWARD HAYDEN. Cette demande a été refusée.
[...] Étant donné que Edward Hayden n'allait pas démissionner, contrairement à la pratique de longue date des chefs antérieurs, lorsque le conseil coutumier leur demandait de démissionner, il a été décidé alors qu'une modification de la Loi électorale serait nécessaire pour obtenir sa destitution [...] Il a été décidé qu'une modification serait rédigée et déposée à l'assemblée du conseil coutumier du 4 janvier 2001, pour que les conseillers coutumiers étudient ladite modification avec les membres de leurs familles et décident si la destitution d'Edward Hayden était ou non le voeu de l'ensemble des membres de la tribu. [Non souligné dans l'original]
[57] Il ne fait aucun doute que les demandeurs ont eu avis de l'assemblée tribale et qu'ils savaient que la résolution visant à écourter la durée de leur mandat serait débattue à l'assemblée tribale. Durant son contre-interrogatoire, Edward Hayden a reconnu dans sa réponse à la question 201 qu'il y avait des doutes et des désaccords sur la manière dont il gérait les affaires de la collectivité. En réponse aux questions 209 à 214, il a déclaré que la rumeur courait selon laquelle le conseil coutumier songeait à adopter une modification qui entraînerait le déclenchement immédiat d'élections. Et en réponse à la question 300, M. Hayden a confirmé qu'il savait que l'objet de la modification était de ramener à deux ans la durée de son mandat. Néanmoins, tout au long du contre-interrogatoire, il a continué de s'en tenir à l'argument formaliste selon lequel il n'avait jamais reçu un avis officiel du conseil coutumier.
[58] M. Hayden avait aussi, avant l'assemblée tribale du 22 janvier, écrit une lettre au conseil coutumier à propos de la résolution visant à abréger la durée de son mandat. C'est là la preuve concluante qu'il était effectivement informé de la modification visant à écourter la durée de son mandat. Dans la lettre du chef Hayden au conseil coutumier en date du 16 janvier 2001, le chef Hayden écrivait:
[traduction] Il appartient également au président du conseil coutumier de s'assurer qu'il est procédé à un « référendum auprès de l'ensemble des membres de la tribu » , en ce qui a trait aux modifications ou aux révisions apportées aux lois.
[59] Par conséquent, lorsque des avis publics des assemblées du conseil coutumier tenues les 11 et 22 janvier ont été affichés dans les bureaux gouvernementaux occupés par les demandeurs, avis qui étaient accompagnés d'une copie de la résolution prévoyant la modification, les demandeurs savaient que lesdites assemblées avaient pour objet de donner effet à leur révocation. Si les demandeurs avaient assisté à l'assemblée tribale et avaient amené avec eux des membres qui défendaient leur position, la résolution se serait heurtée à une opposition et la modification n'aurait pas été adoptée. Cependant, il appert de la preuve que le chef Hayden et son Conseil n'ont pas assisté à l'assemblée tribale et que la modification proposée ne s'est heurtée à aucune véritable opposition.
[60] Le Conseil Hayden avait aussi eu la possibilité de présenter des observations au conseil coutumier avant l'assemblée du 11 janvier 2001. Selon l'alinéa 12j) de la Loi électorale, le chef élu et les conseillers doivent « assister et demeurer à toutes les assemblées officielles convoquées par le conseil coutumier des membres de la tribu ou par le chef et le conseil » . Il ressort de la preuve que les demandeurs n'assistaient pas régulièrement aux assemblées du conseil coutumier. S'ils y avaient assisté, ils auraient pu répondre aux témoignages et allégations dont ils étaient l'objet. Ils peuvent difficilement soutenir aujourd'hui qu'ils n'ont pas eu la possibilité de prendre connaissance des arguments avancés contre eux, ni la possibilité d'y répondre.
[61] Les demandeurs avaient sans conteste pleinement connaissance de la modification proposée et de son effet, et cela avant l'assemblée tribale du 22 janvier. Les demandeurs ont choisi d'ignorer cette information et choisi également de ne pas assister à l'assemblée, ni de demander à leurs partisans d'y assister, pour faire opposition à la modification. Ils ne peuvent aujourd'hui prétendre que la modification devrait être annulée parce qu'ils n'ont pas reçu un avis suffisant.
4. Si la modification a été validement adoptée, s'appliquait-elle rétroactivement et a-t-elle mis fin au mandat du Conseil Hayden?
[62] Selon les demandeurs, même si la modification a été validement adoptée, elle ne devrait prendre effet qu'à l'expiration du mandat original du Conseil Hayden, c'est-à-dire le 8 mars 2003. Les demandeurs affirment que, puisque la loi ne prévoyait pas expressément une application rétroactive, le fonctionnaire électoral était lié par la présomption de non-rétroactivité des lois et il a agi irrégulièrement en appliquant la modification au mandat du Conseil Hayden.
[63] Les défendeurs admettent que, lorsque la modification a pris effet, le fonctionnaire électoral l'a appliquée rétroactivement d'une manière qui modifiait les conséquences futures d'un événement passé, c'est-à-dire en écourtant le mandat du chef et des conseillers qui avaient été élus en 1999. Ils affirment que c'était là la bonne interprétation de la modification, puisqu'elle donnait effet aux voeux du conseil coutumier. Les défendeurs soutiennent qu'il ressort clairement du texte de la résolution, et des circonstances qui ont entouré la modification, que la modification devait s'appliquer au mandat du Conseil Hayden.
[64] Le texte de la modification ne fait pas état d'une application rétroactive. La motion déposée à l'assemblée du 11 janvier mentionne qu'elle prend effet le 11 janvier 2001, et la résolution ultérieure indiquait le 22 janvier 2001 comme date de prise d'effet. Cependant, ni la motion ni la résolution ne disent expressément si elles s'appliquent au mandat du Conseil Hayden. La règle générale veut que des modifications ne soient pas réputées rétroactives à moins qu'une telle interprétation ne soit, expressément ou par implication nécessaire, requise par le texte de la modification. La Cour se défie des lois rétroactives, et l'on présumera que le texte n'est pas censé avoir un effet rétroactif si la disposition concernée modifie sensiblement les droits acquis d'une partie; voir l'arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301.
[65] Puisqu'il ne s'agit que d'une présomption, elle peut être réfutée. M. le juge Duff s'exprimait ainsi, dans l'arrêt Upper Canada College c. Smith (1920), 61 R.C.S. 413, à la page 419 :
[traduction] [...] cette intention peut se manifester par un langage explicite ou elle peut être déduite des conséquences nécessaires des dispositions du texte, ou bien la matière du texte législatif, ou les circonstances dans lesquelles il a été adopté, peuvent présenter un caractère tel qu'elles ont pour effet de réfuter la présomption selon laquelle un texte législatif ne dispose que pour l'avenir.
[66] Il est également bien établi aujourd'hui que la Cour peut se pencher sur l'historique législatif d'une disposition lorsqu'elle en interprète le sens; voir l'arrêt R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, aux pages 787 à 789. Ce sera le cas notamment lorsqu'une rétroactivité possible est en cause. Dans l'arrêt Québec (Procureur général) c. Healey, [1987] 1 R.C.S. 158, la Cour suprême examinait la possible rétroactivité d'une modification apportée à une loi du Québec sur la pêche et la chasse qui avait été promulguée en 1919. Dans son analyse, la Cour s'est exprimée ainsi, aux pages 177 et 178 :
Il est certain que la Loi de 1919 ne contient aucune disposition expresse qui la rende rétroactive ou qui donne un effet rétroactif à la modification apportée à l'art. 2252 des Statuts refondus de 1909.
L'intention du législateur peut toutefois se dégager de l'objet poursuivi et des circonstances dans lesquelles la législation est adoptée. Elle peut aussi être manifestée par la façon de procéder employée par le législateur. Elle peut enfin s'inférer de la seule interprétation possible qui soit susceptible de lui donner un sens.
[67] Il ressort clairement de la preuve que le conseil coutumier entendait se servir de la modification comme moyen de démettre les membres du Conseil Hayden de leurs fonctions, car il ne disposait d'aucun autre moyen de les révoquer quand ils ne démissionnaient pas volontairement. Le conseil coutumier a inscrit à l'ordre du jour de son assemblée du 22 janvier 2001 la sélection de fonctionnaires électoraux et d'un directeur de scrutin. La seule explication raisonnable de cette mesure est que le conseil coutumier voulait que la modification mette fin au mandat du Conseil Hayden, entraînant ainsi le déclenchement d'élections en mars 2001.
[68] Par conséquent, la Cour est d'avis que le conseil coutumier voulait que la modification soit appliquée rétroactivement au mandat des demandeurs, et qu'il a exprimé clairement cette intention lors de l'assemblée tribale tenue le 22 janvier. Cette intention réfute la présomption de non-rétroactivité. Comme la modification a été validement appliquée pour abréger le mandat du Conseil Hayden, la contestation de la décision des fonctionnaires électorales de déclencher et de tenir les élections est rejetée.
CONCLUSION
[69] Les demandeurs font reposer leurs arguments sur des points de procédure. Si ces points de procédure avaient effectivement causé une réelle injustice, la Cour leur aurait donné un effet juridique. Mais selon la preuve, le conseil coutumier a observé la bonne procédure lorsqu'il a modifié la Loi électorale, les demandeurs avaient une connaissance effective de la modification proposée et ils ont eu l'occasion d'y répondre, enfin l'intention était de donner à la modification un effet rétroactif. Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[70] Cette demande a été déposée le 19 février 2001. À l'époque, les demandeurs étaient juridiquement fondés à introduire cette action au nom de la bande. La jurisprudence offrait un fondement raisonnable pour cette action, c'est-à-dire que les demandeurs avaient droit à un avis écrit de toute mesure destinée à les révoquer au milieu de leur mandat de quatre ans, et qu'une modification doit être présumée d'application non rétroactive. Ces moyens ainsi que d'autres donnaient aux demandeurs une apparence raisonnable de droit lorsqu'ils ont introduit la présente action au nom de la bande. Le conseil coutumier aurait pu obtenir un avis juridique avant de chercher à révoquer les demandeurs au milieu de leur mandat, ce qui aurait pu enlever tout fondement à la procédure légale introduite par les demandeurs. Pour ce motif, il ne sera pas adjugé de dépens.
« Michael A. Kelen »
Juge
Ottawa (Ontario)
le 14 février 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a. LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-285-01
INTITULÉ : Le chef Ed Hayden et autres c. Herman Atkinson et autres
LIEU DE L'AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE : le 14 janvier 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE
MONSIEUR LE JUGE KELEN,
EN DATE DU 14 FÉVRIER 2003
COMPARUTIONS
Andrew Kelly pour les demandeurs
Richard Hayden en son propre nom
Harley Schachter pour les défendeurs
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Booth Dennehy Ernst & Kelsch pour les demandeurs
Avocats
387 Broadway
Winnipeg, MB R3C 0V5
Richard Hayden en son propre nom
Duboff Edwards Haight & Schachter pour les défendeurs
1900 - 155, rue Carlton
Winnipeg, MB R3C 3H8
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030214
Dossier : T-285-01
ENTRE :
LE CHEF ED HAYDEN ET AUTRES
demandeurs
- et -
HERMAN ATKINSON ET AUTRES
premiers défendeurs
- et -
FELIX ANTOINE ET AUTRES
deuxièmes défendeurs
- et -
RICHARD HAYDEN
troisième défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE