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Date : 20000208


Dossier : T-1436-96



ENTRE :

     THE MANUFACTURERS LIFE INSURANCE

     COMPANY,


demanderesse,



-et-



GUARANTEED ESTATE BOND

CORPORATION,


défenderesse.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]      La présente audience fait suite à l'ordonnance datée du 1er novembre 1999 par laquelle le protonotaire Roger R. Lafrenière a enjoint à la défenderesse ("Guaranteed Estate"), ainsi qu'à son unique administrateur, William James Briggs, de se justifier après qu'une injonction eut été décernée par le protonotaire adjoint Peter A.K. Giles le 19 octobre 1998. L'injonction a été décernée à l'issue d'une procédure par défaut.

[2]      Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que Guaranteed Estate emploie, sans son consentement ou son autorisation, ses marques Guaranteed Estate Bond Corporation et Guaranteed Estate Bond en liaison avec de l'assurance-vie et des services financiers connexes.

[3]      Guaranteed Estate n'a pas présenté de défense, s'est fait représenter pour un ajournement le 19 octobre 1998, mais n'était pas représentée à l'audience à l'issue de laquelle un jugement par défaut a été rendu. Même si des exemplaires du jugement par défaut et de l'ordonnance de se justifier leur ont été signifiés, ni Guaranted Estate ni son unique administrateur, M. Briggs, n'étaient présents à l'audience faisant suite à l'ordonnance de se justifier.

[4]      Conformément aux directives de la Cour, les deux parties ont été informées que la Cour se pencherait sur la validité d'une injonction décernée par un protonotaire compte tenu de l'alinéa 50(1)e) des Règles de la Cour fédérale (1998) entrées en vigueur le 25 avril 1998. Voici le libellé de cet alinéa :

50. (1) Protonotaires - Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles - à l"exception des requêtes suivantes - et rendre les ordonnances nécessaires s"y rapportant:

...

e) une requête pour obtenir une injonction;

50. (1) Prothonotaries - A prothonotary may hear, and make any necessary orders relating to, any motion under these Rules other than a motion

...

(e) for an injunction;

[5]      Suivant les nouvelles Règles, il est très clair que le protonotaire n'a pas compétence pour décerner une injonction.

[6]      Signalons que, le 20 août 1999, le juge en chef adjoint d'alors a donné de vive voix la directive qu'un juge, et non un protonotaire, devait être saisi de toute requête en injonction. La directive vise la requête par écrit, la requête dont la date de présentation est fixée; elle comprend la requête pour jugement par défaut accordant une injonction et la requête en injonction présentée sur consentement. Les protonotaires ne décernent plus d'injonction au moyen d'un jugement par défaut.

[7]      À l'audience, l'avocat de la demanderesse m'a convaincu que ce n'est pas à l'audience faisant suite à l'ordonnance de se justifier qu'il convient de contester la validité d'une injonction. La partie qui estime qu'une décision de la Cour est erronée doit contester celle-ci en exerçant les recours prévus, et non refuser de s'y conformer. Dans la présente affaire, la défenderesse n'a pas contesté la validité de l'injonction à quelque étape de l'instance et elle ne s'est même pas présentée à l'audience faisant suite à l'ordonnance de se justifier.

[8]      Le juge Sharpe, dans Injunctions and Specific Performance, Toronto, Canada Law Book, service de mise à jour des feuillets mobiles, dit ce qui suit au point 6.200 :

[traduction] Il est bien établi qu'on ne saurait répondre à une accusation d'outrage au tribunal en faisant valoir qu'une injonction a été accordée par erreur ni même en alléguant sa nullité. Ce qu'il convient de faire est de présenter une requête attaquant l'injonction ou de former un appel et la cour ne permettra pas que l'injonction soit attaquée accessoirement dans le cadre de procédures pour outrage au tribunal.

Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 S.C.R. 626, aux pages 670, 671 et 678, la Cour suprême du Canada a confirmé, à l'instar de la Cour d'appel fédérale, une déclaration de culpabilité d'outrage au tribunal. Le juge Bastarache a cité le juge McLachlin comme suit :

Le juge McLachlin s'est exprimée de façon décisive et éloquente sur ce point dans l'arrêt Taylor, précité aux pp. 974 et 975 :
À mon avis, tant qu'elle n'aura pas été annulée, l'ordonnance qui a été rendue en l'espèce par le Tribunal en 1979 et inscrite dans le livre des jugements et ordonnances de la Cour fédérale, demeure valide indépendamment de la violation de la Charte. Il doit en être ainsi. S'il est permis de désobéir aux ordonnances judiciaires parce qu'on croit que leur fondement est inconstitutionnel, on va vers l'anarchie. Le recours des citoyens est non pas de désobéir aux ordonnances illégales mais à demander en justice leur annulation.
...Pour les fins des procédures pour outrage au tribunal, l'ordonnance doit être considérée comme valide jusqu'à son annulation par les voies de justice. Par conséquent, l'invalidité éventuelle de l'ordonnance ne constitue pas un moyen de défense opposable à la déclaration de culpabilité d'outrage au tribunal. (Non souligné dans l'original).

[9]      Vu les éléments de preuve présentés à l'audience, il est limpide qu'il y a eu et qu'il y a toujours outrage au tribunal de la part de Guaranteed Estate et de son unique administrateur, M. Briggs. Des exemplaires des ordonnances susmentionnées de la Cour lui ayant été signifiés, M. Briggs savait très bien que Guaranteed Estate, ses dirigeants et ses administrateurs étaient visés par une interdiction permanente de contrefaire, directement ou indirectement, les marques de commerce canadiennes en cause, mais il a fait fi de cette interdiction.

[10]      Brian James Patterson, détective privé agréé dont les avocats de la demanderesse ont retenu les services, a fait enquête sur le respect de l'injonction par la défenderesse. Il a obtenu de la Direction des compagnies du ministère ontarien de la Consommation et du Commerce des renseignements selon lesquels l'entreprise Guaranteed Estate Bond Corporation était toujours exploitée activement le 18 août 1999. Il ressort d'un autre rapport produit à ma demande que Guaranteed Estate exerce encore ses activités (en date du 7 février 2000). M. Patterson a visité le site Web de la défenderesse, qui donne des renseignements sur la "Guaranteed Estate Bond Corporation" ou la "GEBC" et sur son produit appelé "Guaranteed Estate Bond" ou "GEB". Pour obtenir un complément d'information, les personnes intéressées étaient invitées à joindre le président, Jim Briggs.

[11]      Après avoir composé le numéro de téléphone figurant dans le site Web, le détective privé a parlé à un homme qui disait s'appeler Jim Briggs. Pendant le long entretien téléphonique, M. Patterson a feint un intérêt financier, et M. Briggs lui a donné des renseignements détaillés sur la Guaranteed Estate Bond Corporation et son produit appelé Guaranteed Estate Bond.

[12]      Après avoir pris rendez-vous, M. Patterson a rencontré M. Briggs à son bureau le jeudi 2 septembre 1999. Sur la porte des locaux occupés par M. Briggs au-dessus d'un magasin était apposée une grande enseigne bleue et argent sur laquelle figurait la dénomination de l'entreprise, "Guaranteed Estate Bond Corporation", accompagnée d'un logo de marque de commerce correspondant aux mots "Guaranteed Estate Bond".

[13]      Ils ont longuement discuté. M. Briggs a dit que son entreprise, Guaranteed Estate Bond Corporation, était exploitée activement et qu'il avait environ 120 associés exerçant leurs activités à la grandeur du Canada, et qu'il en avait encore davantage aux États-Unis. Plusieurs des documents remis par M. Briggs à M. Patterson ont été produits à l'audience, tous sous la rubrique "Guaranteed Estate Bond". Les titres des documents étaient les suivants : "Products Dedicated to Eliminating Elderly Poverty", "Advisory Area Development Agreement", "Executive Training for Banking Institutions", "Historical Synopsis and Operating Plan". Un dépliant est même intitulé "Mother Teresa: A Tribute".

[14]      M. Briggs a également remis au détective privé une bande vidéo et un disque compact promotionnels intitulés respectivement "Guaranteed Estate Bond" et "Guaranteed Estate Benefit Corporation". Dans son témoignage, le détective privé, qui a derrière lui une longue carrière dans la détection des fraudes, a dit n'avoir jamais mis au jour une "tentative plus manifeste de frauder le public". Il s'agissait à son avis d'un système de "vente pyramidale". On lui aurait offert de devenir associé moyennant le versement de plus de 100 000 $ et on lui aurait dit que [traduction ] "son nom figurerait au sommet de la pyramide".

[15]      Il est flagrant, au vu de la preuve, que Guaranteed Estate et son unique administrateur ont désobéi à l'ordonnance de la Cour. L'avocat de la demanderesse qualifie la promotion de [traduction] "manoeuvre délibérément frauduleuse justifiant une peine sévère". Les dirigeants d"une personne morale reconnue coupable d'outrage au tribunal qui ont été complices de l"inobservation peuvent également être reconnus coupables d'outrage au tribunal (voir Dimatt Investments c. Presidio Clothing Inc. (1993), 48 CPR (3d) 46 (C.F. 1re inst.), aux pp. 47, 49, 51 et 52 de la version anglaise).

[16]      La Règle 472 dispose que lorsqu'une personne est reconnue coupable d'outrage au tribunal, un juge peut ordonner qu'elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans, qu'elle paie une amende et qu'elle soit condamnée aux dépens. L'avocat de la demanderesse demande à la Cour de condamner Guaranteed Estate et M. Briggs à des amendes de 5 000 $ chacun, plus les dépens sur une base procureur-client, le tout payable dans un délai de 30 jours. La demande me paraît raisonnable, et je rends une ordonnance en ce sens au nom de la Cour.

                                     J. E. Dubé

     Juge

TORONTO (ONTARIO)

8 février 2000


Traduction certifiée conforme


Claire Vallée, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                      T-1436-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              THE MANUFACTURERS LIFE INSURANCE                          COMPANY
                         c.
                         GUARANTEED ESTATE BOND CORPORATION

DATE DE L'AUDIENCE :              LUNDI 7 FÉVRIER 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DUBÉ en date du mardi 8 février 2000.

ONT COMPARU :                  M e Michael E. Charles

                         M e Christine M. Pallotta

                             Pour la demanderesse

                         Personne n'a comparu

                 Pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Bereskin & Parr

                             Avocats

                             40, rue King West

                             40 e étage, Scotia Plaza

                             Toronto (Ontario)

                             M5H 3Y2

                             Pour la demanderesse
                             James William Briggs

                             67, chemin Bronte

                             Bureau 208

                             Oakville (Ontario)

                             L6L 3B7

                             Pour la défenderesse

                                        

                         COUR FÉDÉRAlE DU CANADA


Date : 20000208


Dossier : T-1436-96

                        

                         ENTRE :


                         THE MANUFACTURERS LIFE INSURANCE

                         COMPANY,

    

     demanderesse,

                         - et -


                         GUARANTEED ESTATE BOND

                         CORPORATION,



défenderesse.


                        


                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                        

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