Date : 20000609
Dossier : T-1783-99
OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JUIN 2000
EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ
ENTRE :
MICHAEL FRANCIS et
GORDON FRANCIS
appelants
- et -
SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA
REPRESENTÉE PAR LE MINISTRE
DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD
intimée
JUGEMENT
L'appel est rejeté avec dépens.
_________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Brunet, LL.B.
Date : 20000609
Dossier : T-1783-99
ENTRE :
MICHAEL FRANCIS et
GORDON FRANCIS
appelants
- et -
SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA
REPRESENTÉE PAR LE MINISTRE
DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE DUBÉ:
[1] Il s'agit d'un appel, fondésur l'article 47 de la Loi sur les Indiens (la Loi )[1] à l'encontre d'une décision en date du 26 janvier 1999 de William Nye, Chef, Inscription, Affaires indiennes et inuit, dans laquelle ce dernier déclarait que le testament de Joseph Francis en date du 21 mai 1997 était valide et que la fille de ce dernier, Imelda Augustine, y était nommée exécutrice testamentaire et était seule responsable de l'administration de la succession.
1. Faits pertinents
[2] Les appelants sont le fils et le petit-fils du défunt Joseph Francis. En 1932, ce dernier a acquis de la Première nation de Big Cove un terrain situé sur la réserve, au Nouveau-Brunswick. Avec l'aide financière du Fonds des bandes indiennes, il y a construit une maison qu'il a habitée jusqu'à ce qu'il la quitte pour un foyer de soins, en 1997.
[3] Le 6 mars 1996, il a fait un testament dans lequel il nommait son fils, Michael Francis, l'appelant, exécuteur testamentaire et lui léguait tous ses biens. Le 21 mai 1997, il a fait un second testament dans lequel il nommait sa fille, Imelda Augustine, exécutrice testamentaire et léguait sa maison à son fils cadet, John Peter Francis. Joseph Francis est décédé au foyer de soins le 16 février 1998. En juillet de la même année, les appelants ont obtenu les services d'un premier conseiller juridique pour faire homologuer le testament de 1996 par la Cour des successions du Nouveau-Brunswick, à Moncton. Le testament et les lettres d'homologation ont été transmis au ministère des Affaires indiennes.
[4] Le représentant du ministre, M. Nye, a conclu que le testament de 1997 avait préséance sur celui de 1996. Il a également jugéque le bien du défunt dont il est question en l'instance ne faisait pas partie de la succession étant donné qu'aucun certificat ministériel n'avait été délivré ni demandépar le conseil de bande. Le 28 janvier 1999, les appelants ont obtenu les services d'un second avocat qui ne s'est pas acquitté convenablement du mandat qu'ils lui avaient confié. Le 3 février 1999, les appelants ont retenu les services d'un autre avocat qui les représente depuis. Le 15 mars 1999, ce dernier a demandé à M. Nye de lui fournir les motifs de sa décision et a contesté le pouvoir qu'il avait de la rendre. Le 26 juillet 1999, après avoir reçu plusieurs demandes à cet effet, M. Nye a fait parvenir une réponse.
1. Les deux lettres de M. Nye
[5] Dans sa lettre du 26 janvier 1999, M. Nye a écrit ce qui suit : « [traduction] [N]ous avons examiné les testaments datés du 21 mai 1997 et du 6 mars 1996 et des données, fournies par Imelda Augustine et Michael Francis, concernant la capacité de Joseph Francis » . Il « [traduction][a] jugé que Michael Francis n'avait pas fourni de preuve concluante que Joseph Francis n'était pas sain d'esprit au moment de signer le testament du 21 mai 1997, par lequel Imelda Augustine était nommée exécutrice testamentaire » . Il a de plus déclaré qu' « [traduction] Imelda Augustine avait fourni des renseignements qui repoussaient de façon satisfaisante les prétentions de Michael Francis. » Il a conclu que le second testament était valide, et que « [traduction] le premier testament et les lettres d'homologation de la Cour provinciale sont nuls. »
[6] À mon avis, cette lettre constitue la décision du Ministre.
[7] Le 26 juillet 1999, Mr. Nye a finalement répondu aux demandes répétées du procureur actuel des appelants. S'excusant du délai, il a fait valoir qu'en vertu du paragraphe 42(1) de la Loi, la compétence en matière testamentaire relativement aux Indiens décédés est conférée exclusivement au ministre : « [traduction] Dans le cas de la délivrance de lettres d'homologation d'un testament, la compétence est déléguée au soussigné. » Il a ajoutéque les provinces n'avait pas le pouvoir d'homologuer le testament d'un Indien décédé, à moins que le ministre n'y consente expressément par écrit. Il a souligné que la preuve présentée par les appelants dans le but de démontrer que Joseph Francis était inapte en raison de sa santé a été examinée, mais il a jugé qu'elle « [traduction] ne permettait pas, vu son caractère insuffisant, de déclarer qu'il n'avait pas la capacité de tester » . Pour ce qui est de la maison que le défunt a habitée, celle-ci ne faisait pas partie des biens de la succession : « [traduction] Elle appartenait et continue d'appartenir à la bande » .
[8] À mon avis, cette lettre ne peut être considérée comme une décision supplémentaire pouvant faire l'objet d'un appel. Il s'agit d'une lettre d'information différée qui s'inscrit en réponse aux nombreuses demandes de l'avocat actuel des appelants.
[9] Les dates de ces deux lettres ont une portée décisive sur le présent appel, puisque l'article 47 de la Loi prévoit que la décision du ministre doit être portée en appel dans les deux mois suivant la date de cette décision, et que la somme en litige doit dépasser cinq cents dollars. Les appelants n'ont déposé leur avis d'appel que le 13 septembre 1999, soit près de huit mois suivant le 26 janvier 1999, date où la décision a été rendue (bien que moins de deux mois suivant la lettre du 26 juillet 1999). La valeur de la succession, si on exclut la maison, serait quant à elle de 1,00 $ d'après la déclaration de l'exécutrice faite sous serment le 22 avril 1997 dans sa demande d'approbation du testament[2].
3. Articles de la Loi sur les Indiens applicables en l'espèce
[10] L'article 45 prévoit que les Indiens peuvent tester. L'article 46 prévoit que le ministre peut déclarer nul un testament et se lit comme suit :
46. (1) Le ministre peut déclarer nul, en totalité ou en partie, le testament d'un Indien, s'il est convaincu de l'existence de l'une des circonstances suivantes :
a) le testament a été établi sous l'effet de la contrainte ou d'une influence indue;
b) au moment où il a fait ce testament, le testateur n'était pas habile à tester;
c) les clauses du testament seraient la cause de privations pour des personnes auxquelles le testateur était tenu de pourvoir;
d) le testament vise à disposer d'un terrain, situé dans une réserve, d'une façon contraire aux intérêts de la bande ou aux dispositions de la présente loi;
e) les clauses du testament sont si vagues, si incertaines ou si capricieuses que la bonne administration et la distribution équitable des biens de la personne décédée seraient difficiles ou impossibles à effectuer suivant la présente loi;
f) les clauses du testament sont contraires à l'intérêt public.
(2) Lorsque le testament d'un Indien est déclaré entièrement nul par le ministre ou par un tribunal, la personne qui a fait ce testament est censée être morte intestat, et, lorsque le testament est ainsi déclaré nul en partie seulement, sauf indication d'une intention contraire y énoncée, tout legs de biens meubles ou immeubles visé de la sorte est réputé caduc.
[11] L'article 47 permet d'interjeter appel devant la Cour fédérale :
47. Une décision rendue par le ministre dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 42, 43 ou 46 peut être portée en appel devant la Cour fédérale dans les deux mois de cette décision, par toute personne y intéressée, si la somme en litige dans l'appel dépasse cinq cents dollars ou si le ministre y consent.
(Non soulignédans l'original.)
4. Compétence de la Cour
[12] L'intimée prétend que la Cour n'a pas compétence pour entendre l'appel aux motifs que celui-ci n'a pas étédéposédans les deux mois de la date de la décision et que la somme en litige ne dépasse pas cinq cents dollars.
[13] En l'espèce, la décision contestée par les appelants leur a été communiquée au moyen d'une lettre datée du 26 janvier 1999. Les appelants ont démontré avoir reçu l'avis de la décision au plus tard le 28 janvier 1999, soit le jour où ils ont retenu les services de leur second avocat dans le but présumé de contester la décision. Ils ont retenu les services de leur troisième avocat, qui les représente depuis, le 3 février 1999 (dans un délai de deux mois de la décision). Ce dernier a écrit à M. Nye le 15 mars 1999 et, accusant réception de sa lettre du 26 janvier 1999, il lui a fait part de « [traduction] l'intention [des appelants] de contester la décision » .
[14] Conformément aux dispositions pertinentes de la Loi d'interprétation[3], le délai a expiré le 26 mars 1999. L'avocat des appelants a fait défaut d'interjeter appel avant cette date. Il a expliqué à la Cour qu'il ignorait que M. Nye était investi du pouvoir de rendre une telle décision. Il attendait la réponse de ce dernier aux nombreuses lettres qu'il lui avait envoyées avant d'instituer la procédure d'appel. La réponse de M. Nye, qui lui est parvenue le 26 juillet 1999, l'a informé, inter alia, que « [traduction] dans le cas de la délivrance de lettres d'homologation d'un testament, la compétence est déléguée au soussigné » . Pour reprendre ce qui a été dit plus haut, l'avis d'appel a été déposé le 13 septembre 1999, plus de sept mois suivant la décision du 26 janvier 1999.
[15] Dans Bell c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord)[4], mon collègue le juge Pinard était saisi d'une requête pour permission d'en appeler d'une décision rendue en 1980 par le ministre des Affaires indiennes et du Nord après l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article 47 de la Loi. Il fait, à la p. 79, le commentaire suivant :
[2] Le texte de l'article 47 de la Loi sur les Indiens me force à conclure que notre Cour ne peut proroger le délai pour interjeter l'appel « car le délai est expiré; en d'autres termes, il ne reste plus aucun délai à proroger par la Cour » (voir Westclox Canada Ltd. c. Pyrotronics of Canada Ltd., [1981] 2 C.F. 68 (C.A.F.), à la p. 69). La Cour ne peut ignorer l'ordre clair et non équivoque donnéà l'article 47 de la Loi sur les Indiens.
[16] Ce jugement a étéconfirmépar la Cour d'appel fédérale[5].
5. Dispositif
[17] En dépit des efforts louables et éloquents dont a fait preuve l'avocat des appelants à l'audience, je ne peux conclure que notre Cour a compétence pour entendre cette affaire. Le texte de l'article 47 est clair et non équivoque. Il doit être interprétésuivant le sens ordinaire des mots qu'il contient. La Cour doit donner effet aux termes employés par le Parlement. Le simple fait de mentionner dans une lettre son intention d'en appeler ultérieurement d'une décision n'est pas un substitut valable au dépôt effectif d'un appel.
[18] Quoi qu'il en soit, la somme en litige ne dépasse pas cinq cents dollars. Le défunt n'est pas propriétaire de la maison dans laquelle il a vécu sur la Réserve. Selon l'exécutrice testamentaire, en l'occurrence sa fille, la valeur de la succession est de " 1,00 $ ".
[19] Par conséquent, puisque la Cour n'est pas compétente pour entendre l'appel, cet appel est rejetéavec dépens.
OTTAWA (Ontario)
Le 9 juin 2000
_________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Brunet, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NE DU DOSSIER DE LA COUR : T-1783-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : Michael Francis et autre c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE : Fredericton (N.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : le 5 juin 2000
MOTIFS DU JUGEMENT RENDUS PAR le juge Dubé
EN DATE DU : 9 juin 2000
ONT COMPARU :
M. George P.L. Filliter POUR LE DEMANDEUR
M. Jonathan D.N. Tarlton POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. George P.L. Filliter POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LA DÉFENDERESSE