Date : 19991119
Dossier : IMM-5979-98
Entre :
AHAMAT ASSANE BAGEURI
Demandeur
- et -
LE MINISTRE
Défendeur
MOTIFS DE L"ORDONNANCE
LE JUGE TREMBLAY-LAMER:
[1] Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision rendue par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, dans laquelle le tribunal conclut que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration 1 ( la Loi ).
[2] Le demandeur est citoyen du Tchad. Il allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social, la famille. Plus particulièrement, le demandeur prétend être le neveu de feu Abbias Kotty, anciennement un personnage politique éminent, soit ministre de la Défense en 1991 et ministre des Transports en 1992. Celui-ci ayant eu vent de son arrestation éventuelle, quitte le pays pour la Libye. Le demandeur, qui habitait avec son oncle, est arrêté et détenu jusqu"en août 1993 quand il est libéré suite à un accord signé par le gouvernement et les forces d"opposition de Kotty.
[3] Quelques mois après son retour au Tchad en 1993, son oncle est assassiné. Le demandeur est arrêté lors de cet incident et libéré le 16 août 1996. Il quitte aussitôt le Tchad pour le Cameroun où il demeure jusqu"en juillet 1997. Ayant peur d"être extradé au Tchad, il quitte le Cameroun pour venir au Canada le 19 juillet 1997.
[4] Il importe de préciser que le tribunal a été saisi à deux reprises de la revendication du demandeur, soit le 19 janvier 1998 et le 7 mai 1998.
[5] Au soutien de sa revendication lors de la première audition, le demandeur avait déposé une carte d"identité scolaire et une copie d"un certificat de naissance comme preuve de son identité. Au cours de cette audition, le tribunal a convenu de faire expertiser la carte de scolarité; de plus, il accordait au demandeur jusqu"au 20 avril 1998 pour déposer des documents supplémentaires d"identité.
[6] Malgré l"échéancier établi, le tribunal rendait une décision le 11 mars 1998 à l"effet que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention, au motif d"une absence de preuve crédible quant à son identité. Le tribunal ayant rendu sa décision avant la fin du délai accordé au demandeur pour produire des documents supplémentaires, une réouverture fut fixée le 7 mai 1998.
[7] Le 4 mai 1998 le demandeur déposait un nouveau certificat de naissance ainsi que deux affidavits de tchadiens qui ont connu le demandeur alors qu"il vivait au Tchad. À l"audition le 7 mai 1998, la question d"identité n"était toujours pas résolue. Le tribunal demandait une expertise concernant le nouveau certificat. Cette expertise concluait qu"il s"agissait d"un faux.
[8] Le 6 juillet 1998 la procureure du demandeur faisait parvenir un nouveau certificat de naissance délivré par l"ambassade du Tchad à Washington. Ce certificat fut considéré comme un document de complaisance par le tribunal. Le 30 septembre 1998, la preuve soumise par le demandeur n"étant pas concluante, celui-ci refusait d"accorder le statut de réfugié au demandeur.
[9] Quant à cette preuve, puisque certains documents s"avéraient être faux et que le certificat en provenance de Washington était peu convaincant, le tribunal pouvait raisonnablement conclure uniquement sur cette base que le demandeur n"avait pas démontré de façon crédible son identité.
[10] Par contre, le tribunal est silencieux sur un élément de preuve important directement lié à l"identité du demandeur. Les affidavits déposés au dossier confirmant l"identité du demandeur, sont écartés par le tribunal sans explication.
[11] Il importe de rappeler l"affaire Iordanov c. Canada ( M.E.I.)2 qui établit la distinction entre les différents éléments de preuve, ceux qui sont propres à la revendication et ceux de nature documentaire.
[I]l est possible de conclure que deux types d"éléments de preuve peuvent être présentés aux audiences de la SSR: les éléments qui sont propres à la prétention du revendicateur et qui corroborent son témoignage, et les éléments de nature générale (documentaires) et sans rapport précis avec la prétention du requérant, mais qui traitent de manière générale de la situation dans le pays en question. La Cour d"appel a clairement établi que lorsque la SSR omet d"examiner les éléments du premier type, et d"y faire précisément référence dans ses motifs, cela peut avoir pour effet de vicier la décision.3 |
[12] Ainsi, lorsqu"il s"agit d"une preuve directement reliée à la revendication du demandeur et corrobore son témoignage, le tribunal doit y faire référence.
[13] Tel que souligné dans l"affaire Berete c. Ministre de la Citoyenneté et de l"immigration 4, " l"appréciation de la preuve relève de la juridiction du tribunal. Cependant, celui-ci doit d"abord considérer cette preuve au dossier et la commenter lorsqu"elle peut avoir un impact sérieux sur la revendication d"un demandeur. S"il décide de l"écarter, il doit indiquer clairement les motifs de son rejet."5
[14] De même, dans Cepeda-Gutierrez c. Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l"immigration)6 le juge Evans précise la nature de cette obligation du tribunal: " l"obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés."7
[15] En l"espèce, les affidavits corroboraient le témoignage du demandeur en ce qui a trait à son identité. Le tribunal avait l"obligation de commenter cette preuve et s"il décide de l"écarter, il devait en indiquer clairement la raison.
[16] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.
Danièle Tremblay-Lamer
JUGE
MONTRÉAL (QUÉBEC)
Le 19 novembre 1999
[17]
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DE LA COUR : IMM-5979-98
INTITULÉ : AHAMAT ASSANE BAGEURI
Demandeur
ET
LE MINISTRE
Défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal, Québec
DATE DE L'AUDIENCE : 16 novembre 1999
MOTIFS D'ORDONNANCE DU JUGE TREMBLAY-LAMER
EN DATE DU 19 novembre 1999
COMPARUTIONS :
Me Claudia Gagnon pour le Demandeur
Me Simon Ruel pour le Défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Claudia Gagnon
Montréal (Québec) pour le Demandeur
Sous-procureur général
du Canada
Ottawa (Ontario) pour le Défendeur
__________________3 Ibid. au para. 11. Veuillez noter que la cour fait référence à la décision Lai v. Canada ( Ministre de l"Emploi et de l"immigration), (1991), 160 N.R. 156 (C.A.F.), dans laquelle la Section d"appel de la Cour fédérale a infirmé une décisions de la SSR au motif que celle-ci n"avait pas tenu compte d"éléments de preuve pertinents.
4 (Le 3 mars 1999) IMM-1804-98 (C.F. 1ère inst.).