Date : 19990714
Dossier : IMM-4543-98
ENTRE :
MARION GRIFFITH,
demanderesse,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] Pendant plus de vingt ans, alors qu'elle vivait dans les Caraïbes, Mme Griffith a subi des sévices de la part de son époux. En conséquence, elle a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, et le 18 août 1998, sa demande a été rejetée par la Section du statut de réfugié (la « SSR » )[1]. Au cours de l'audience qui a mené à cette conclusion, la SSR a fait remarquer à la demanderesse que sa crédibilité n'était pas en cause et que son avocat avait plaidé sa cause compte tenu de cela. Pour les motifs suivants, la décision de la SSR est annulée car, contrairement aux prétentions énoncées, la SSR a mis en doute la crédibilité de la défenderesse et de ce fait, une violation manifeste des principes de justice naturelle a été commise.
[2] En plus de traiter de cette évidente erreur susceptible de contrôle judiciaire qui exige un réexamen de la demande de Mme Griffith, afin d'assurer un réexamen complet et équitable de sa demande et, bien sûr, de celui d'autres femmes qui se trouvent dans sa situation, j'estime nécessaire de faire une remarque quant au défaut de la SSR de respecter adéquatement ses propres Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe [2] (Les « Directives portant sur le sexe » ).
A. Le récit de la demanderesse
[3] En citant le récit de la demanderesse de la façon qui suit, je ne demande pas à la SSR d'accepter le témoignage de la demanderesse lors du réexamen; il appartient aux membres du tribunal de tirer leurs propres conclusions de fait. Mon but vise plutôt à mettre l'accent sur le point que, en écoutant une histoire comme celle que raconte la demanderesse et en tirant une conclusion sur la crédibilité, le décideur doit étudier le témoignage du point de vue du narrateur et doit, et en particulier, examiner avec attention quelle conduite peut être demandée de la part d'une femme vivant dans des conditions aussi violentes que celles décrites. En effet, tel qu'il est indiqué ci-dessous, ceci est le but des Directives portant sur le sexe, ce que je trouve être un effort positif, éclairé et nécessaire de la part de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de considération sensible et bien informée du témoignage des femmes revendiquant le statut de réfugié pour des raisons de violence conjugale. Un problème dans le cas présent est, outre la violation manifeste du principe de justice naturelle, qu'il n'existe aucune preuve que les Directives portant sur le sexe ont été suivies.
[4] La demanderesse, Marion Clotilda Griffith, 46 ans, est une citoyenne de St-Vincent, une petite île des Caraïbes. Elle est venue au Canada le 6 juin 1992 munie d'un visa de visiteur valide pour trois mois. La demanderesse est restée au delà de la date d'expiration de son visa et n'a pas revendiqué le statut de réfugié avant le 25 novembre 1997. Sa revendication est fondée sur la non volonté ou l'incapacité de l'État de la protéger contre la violence conjugale dont elle est la victime. Son époux, la source des mauvais traitements, est à St-Vincent et il a, en fait, activement cherché à faire revenir sa femme [3].
[5] L'histoire de la demanderesse racontant les graves sévices que son époux lui a infligés est décrite en détails dans la partie narrative du Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ) à l'appui de sa revendication du statut de réfugié [4]. Afin de se rendre compte de l'étendue et de la gravité de ce que la demanderesse dit avoir vécu, voici un résumé de son récit :
[TRADUCTION]
Je me suis mariée au jeune âge de dix-huit (18) ans. C'était en 1971. Mon mari, Owen Griffith, était âgé à l'époque de vingt-six (26) ans. J'avais trois (3) enfants de lui avant notre mariage. À cette époque, Owen mesurait environ 6 pieds 3 pouces et pesait plus de 185 livres.
Deux (2) mois environ après le mariage, tout est allé de travers. Mon mari avait un travail ...et prenait soin de moi et de mes enfants sur le plan financier. Il a rencontré une autre femme...Après l'avoir rencontrée, il a arrêté de nous soutenir financièrement, moi et mes enfants. Mon mari revenait à la maison et demandait son dîner ou son souper et je devais lui expliquer que je n'avait pas d'argent pour faire les courses. Mon mari se mettait en colère et me frappait au visage - quelques fois c'était une gifle et d'autres fois c'était un coup de poing. Parfois il me donnait plus d'un coup et à d'autres moments, il me donnait plusieurs coups.
À cette époque nous vivions avec mon père et un soir il s'est plaint à mon père que je ne lui avait pas fait son souper. Mon père m'a téléphoné et m'a demandé pourquoi je n'avais pas préparé de souper pour Owen et je lui ai expliqué que j'avais été dans l'enveloppe d'Owen pour y prendre de l'argent pour faire les courses pour le souper - je ne suis pas allée plus loin dans mes explications. Owen m'a frappée sur l'oeil et a commencé à me battre. J'ai encore aujourd'hui une cicatrice au dessus de l'oeil. Après m'avoir frappée, Owen est allé attaquer mon père...L'attaque d'Owen sur mon père a valu a celui-ci une blessure à la tête et de passer une semaine à l'hôpital de Georgetown...
Je suis partie de la maison de mon père pour retourner vivre avec Owen et pendant quelques temps les choses se sont bien passées entre nous. Lorsque je suis tombée enceinte de mon quatrième enfant, Owen a recommencé à me battre. Je suis repartie vivre chez mon père. Trois (3) ou quatre (4) semaines plus tard environ, mon mari est venu chez mon père et m'a demandé de revenir à la maison. Il m'a promis que les choses seraient différentes. Owen m'a convaincue et je suis repartie avec lui à la maison.
Le 24 décembre 1975, mon père m'a donné de l'argent pour que j'aille payer ses impôts pour lui. Mon mari a pris l'argent et a acheté du rhum avec celui-ci. J'ai
expliqué à Owen que cet argent ne m'appartenait pas, qu'il était à mon père. Owen m'a répondu « tout ce qui est dans ma maison est à moi » . Nous avons commencer à
nous disputer. À cette époque, j'avais un bras cassé (ceci n'était pas dû à mon mari [comme] j'étais tombée d'un âne et m'était cassée le bras). Owen a attrapé mon bras cassé et l'a tordu jusqu'à ce que je tombe à terre et alors a commencé à me battre.....Mon mari m'a frappé plusieurs fois à la tête avec un 4x4. Tout en chancelant, je suis sortie de la cour et suis allée dans la maison de ma voisine.... Ma tête saignait beaucoup. Je suis partie...Owen m'a très vite rattrapée....Il m'a tirée dans la cour de la voisine...et m'a renversée un seau d'eau sur la tête. Le seau traînait dans sa cour à ce moment là. Il a pris ensuite une grosse pierre et l'a soulevée au dessus de sa tête avec ses deux mains pour la jeter sur moi....Avant qu'il ait fini son geste, j'ai attrapé l'amie de cet oncle...qui se trouvait tout près et me suis servie d'elle comme bouclier humain. Nous avons ensuite couru dans [la] cuisine et nous avons fermé la porte à clé de l'intérieur. Owen a pris une hache qu'il a probablement trouvé dans la cour où la voisine coupait du bois pour son four, et a commencé à frapper la porte avec celle-ci....Il a cassé la porte en deux...À ce moment, la rue était pleine de badauds....Je pouvais entendre des gens dans la foule dire « s'il veut la tuer, c'est son affaire » .
La plus grave menace contre ma vie est survenue un dimanche, dans les champs, alors que je gardais des chèvres. C'était exactement une (1) semaine après que j'ai quitté la maison suite à une dispute avec Owen. Durant ce temps, j'étais restée chez mon père. Cette journée, Owen s'était apparemment caché prêt de l'endroit où j'avais les chèvres parce que lorsque je suis passée proche de l'endroit où il était caché, il a surgi et a commencé à m'étrangler. Alors qu'il m'étranglait, il a dit qu'un « homme qui a faim est un homme en colère » . Je pense qu'il était fâché parce que je ne faisais pas la cuisine pour lui.
J'ai résisté à Owen autant que j'ai pu mais je ne pouvais pas retirer ses mains de ma gorge. Mes genoux ont commencé à lâcher et je suis tombée sur le sol, de la bave s'écoulant du coin de mes lèvres. Mes yeux étaient fermés et je pense qu'Owen a cru que j'étais morte parce qu'il a relâché sa prise sur ma gorge et je suis restée là, étendue sans bouger. À dire vrai, je ne sais pas si j'étais à demi ou totalement consciente. Tout ce dont je me souviens c'est que je pouvais à nouveau respirer, mais je suis restée étendue sans bouger jusqu'à ce qu'Owen se soit éloigné de moi. Une fois qu'il était loin, montant la colline, je me suis levée et il m'a vue. Il a alors fait demi-tour et a commencé à revenir dans ma direction. J'ai commencé à courir et à crier « meurtrier » ! « meurtrier » ! Des garçons étaient en train de jouer au cricket de l'autre coté de la rivière et quand ils ont entendu mes cris, ils ont commencé à courir dans ma direction. À ce moment, Owen les a apparemment vus et il a arrêté de me poursuivre.
Un autre jour, après que les enfants étaient partis à l'école, Owen est entré dans la maison, a commencé à me frapper et a arraché mes vêtements. Je suis sortie de la maison ne portant que mes sous-vêtements (culotte et soutien-gorge) et j'ai couru dans la maison de la voisine. Elle a essayé d'arrêter mon mari. Owen l'a poussée hors de son chemin et a tenté d'entrer dans sa maison....
Au fil des années, Owen a continué à me battre et j'ai continué à le dénoncer à la police mais il n'a jamais été inculpé. Mon mari a menacé de me tuer plusieurs fois. Il a dit qu'il me tuerait et ferait disparaître mon corps de manière à ce que personne ne le retrouve.
Je me souviens de deux fois où il m'a battue en 1979 au moment où La Soufrière (un volcan de l'île) est entré en éruption et nous avons dû déménager dans une autre
partie de l'île (un endroit qui s'appelle [sic] Biabou). C'était un samedi et nous étions dans le camp depuis un moment et Owen voulait retourner à Overland (notre maison) parce qu'il trouvait qu'il n'y avait pas assez d'intimité dans le camp....Il a alors commencé à me frapper....Le lendemain (le dimanche), j'étais assise dans la cour de l'église avec d'autres personnes. J'ai vu Owen venir vers moi mais je ne me suis pas enfuie. Je ne lui avais rien fait depuis l'incident de la veille et je n'y ai pas prêté attention. Il avait une machette (nous l'appelons un sabre); il est arrivé près de moi et sans crier gare il m'a attaqué. Il m'a frappé plusieurs fois avec la machette en travers des épaules. Dès qu'Owen m'a attaquée avec la machette (le sabre), les autres personnes se sont sauvées. J'ai demandé à l'une des femmes....qui avait été témoin de l'attaque, de venir avec moi au poste de police afin de le dénoncer une nouvelle fois. Elle m'a accompagnée mais a refusé de faire une déclaration, craignant qu'Owen s'en prenne à elle.
En 1981, autour du Jeudi saint, je me souviens que j'attendais qu'Owen revienne à la maison parce que c'est à ce moment qu'il était payé et je voulais de l'argent pour aller faire les courses. Ne le voyant pas arriver, j'ai envoyé notre garçon aîné le chercher au magasin de rhum et lui demander de l'argent pour faire les courses. Il a renvoyé mon fils avec un message disant qu'il n'avait pas d'argent et que j'étais « trop effrontée » . Mon fils aîné m'a dit que je ferais mieux de quitter la maison, craignant qu'Owen allait me battre un fois de retour à la maison. Je ne suis pas partie parce qu'à ce moment j'étais en train de préparer la nourriture pour cochons et plus simplement dit, à ce moment je ne sentais pas la force d'aller mendier un toit chez une autre personne.
Lorsqu'Owen est arrivé, j'étais assise sur les marches d'escalier de la maison et la maison était dans le noir car je n'avait même pas d'allumettes pour en allumer les lampes. Il m'a demandé les allumettes mais je ne lui ai pas répondu. Il a répété sa question en ajoutant « femme, c'est à toi que je parle » . Il a dit alors que je devais partir d'ici (parlant de la maison) mais je n'ai pas bougé. Je me souviens que trois (3) des enfants étaient également dans la cour et que le plus jeune était à l'intérieur en train de dormir. Owen est sorti de la maison et a commencé à me frapper à coup de poing. J'ai couru dans la maison de sa tante.... et son fils.... qui était à la maison à ce moment, m'a laissée entrer. Il a dit à Owen qu'il n'était pas le bienvenu dans la maison, mais ceci ne l'a pas arrêté du tout. Il est entré dans la maison, sa ceinture à la main et il m'a frappée au visage avec la boucle de la ceinture. Je me souviens que celle-ci avait une grosse boucle en fer et c'est cela qu'il a utilisé pour me blesser. J'ai souffert d'une coupure au-dessus de l'oeil, où j'ai encore une cicatrice.
Après qu'Owen m'eut frappée, je suis sortie en courant par la porte de derrière et suis allée dans la maison [d'une voisine] où il m'a été permis de rester pendant une (1) semaine. Les trois (3) enfants étaient avec moi cette soirée là et une de mes amies est allée chercher le dernier enfant et l'a gardé chez elle pour moi jusqu'au lendemain.
Entre 1982 et 1984, Owen était parti de St-Vincent pour Trinidad et c'était donc une période calme pour moi. Quand il est revenu, il a trouvé un travail....de garde de sécurité. Je dois dire qu'avant d'obtenir ce travail, pendant environ six mois, nous
avons vécu en paix. Il ne travaillait pas à cette époque. Dès qu'il a obtenu ce travail, c'est comme si le pouvoir lui était revenu et il a recommencé à me battre.
En avril 1992, (à cette époque, tous mes enfants étaient grands), deux de mes filles et moi étions seules à la maison. Owen est entré dans la maison une scie à la main et
il m'a attrapée. Une de mes filles s'est interposée entre nous. Elle lui a dit que je n'avais rien fait et qu'elle n'allait pas rester là et le laisser me frapper. Owen l'a coupée au front avec la scie. À ce moment là, notre fils était revenu à la maison. Mon mari s'est tourné vers lui et lui a demandé s'il voulait lui aussi se battre avec lui. Tous les deux sont sortis et se sont battus. Je pense que la raison pour laquelle Owen nous a attaquée est qu'il était fâché à cause des blagues que ses amis lui ont racontées alors qu'ils jouaient aux dominos. Je pense qu'il était en colère et qu'il voulait passer ses nerfs sur nous. Comme toujours, je le soupçonnais également d'avoir bu de l'alcool.
Mon mari a continué à me battre mais j'ai cessé de rapporter les incidents à la police. À quoi cela aurait-il servi ? Au fil des ans, ils ne sont jamais venus à mon aide. Les autorités de St-Vincent ne prennent pas très au sérieux les incidents de violence conjugale. L'homme est le chef de maison et la manière dont il dirige sa maison est son affaire.
La plupart des agressions sont gravées dans ma mémoire mais il y a des dates dont je ne peux pas me souvenir.
Le jour où j'ai quitté St-Vincent, mon mari n'était pas à la maison. J'avais envoyé plus tôt mes bagages sur une autre partie de l'île, près de l'aéroport, à la maison de mon ami.... Ce jour-là, j'ai pris l'autobus, je suis allée prendre mes bagages et suis allée à l'aéroport qui se trouvait non loin de là. Le départ du vol était prévu à 13 h 30 le 6 juin 1992. Je suis arrivée au Canada le même jour.
En 1996, j'ai présenté une demande de droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire. En 1997, ma demande a été rejetée. J'ai soulevé la question de la violence conjugale devant l'agente d'immigration mais elle voulait savoir pourquoi je n'étais pas allée dans un refuge ou pourquoi je n'avais pas quitté la maison. Elle ne m'a jamais prise au sérieux. Après le rejet de ma demande, j'ai téléphoné à mon oncle... ici au Canada, qui connaissait mes problèmes et il m'a dit de téléphoner au consulat de St-Vincent. Le consulat général m'a renvoyé à [mon avocat] M. Barnwell, qui m'a dit que je pouvais faire une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Je n'avais jamais entendu parler de revendication du statut de réfugié avant cela.
Je continue à craindre mon mari. Après tout, je l'ai quitté sans sa permission et je sais pertinemment que si je retourne à St-Vincent, je n'aurai aucune protection de la police. Je comprends que malgré qu'une loi soit entrée en vigueur après mon départ, tout porte à croire que l'attitude de la police envers la violence conjugale n'a pas changé. Après tout, nous sommes considérées comme étant la propriété de nos maris ou amis.
B. Déni de justice naturelle
[6] À l'audience de la demanderesse devant la SSR, le président de l'audience a dit :
[TRADUCTION]
Avant l'audience, un certain nombre de questions ont été identifiées comme étant particulièrement pertinentes à la présente revendication. Je vais les traiter maintenant.
La première question qui s'est posée était celle du lien , savoir s'il existe un lien entre la revendication et la définition de réfugié au sens de la Convention.
Comme dans toutes les revendications, il y a le bien-fondé de la crainte de persécution de la revendicatrice, qui est compris comme englobant la question de savoir si la revendication a un fondement objectif; l'agent de persécution; et chose plus importante, la question de savoir si la revendicatrice peut se prévaloir de la protection de l'État à St-Vincent et dans les Grenadines. Le bien-fondé comprend également le fait de savoir s'il existe une possibilité de refuge intérieur. On comprend par ces mots, un endroit sur l'île de St-Vincent et dans les Grenadines où la revendicatrice pourrait se rendre sans craindre d'être persécutée, et où il serait raisonnable d'aller compte tenu des circonstances.
Comme pour toutes les revendications présentées à la Commission, il y a la question de la crédibilité. Il est entendu que cela comprend le temps mis pour revendiquer le statut de réfugié et également le temps mis pour quitter le pays [5].
[7] Cependant, les déclarations suivantes ont été faites au cours de l'audience même par le président de l'audience et pendant la présentation des observations respectivement :
[TRADUCTION]
Je pense que mon collègue et moi-même sommes prêts à accepter le fait que la demanderesse a souffert de violences conjugales infligées par son époux pendant la période où elle se trouvait à St-Vincent et dans les Grenadines [6].
...
Maître, si cela peut vous être utile lors de vos observations, je pense que le tribunal a pris la décision d'accepter le fait que la demanderesse a été la victime de violences conjugales infligées par son époux à l'époque où elle se trouvait à St-Vincent. Je ne pense pas que mon collègue ou moi-même avons entendu quoi que ce soit, relativement à ces violences, qui mette en doute formellement sa crédibilité. À mon avis, et je pense que mon collègue le partage, la question de la crédibilité
relativement aux violences que la demanderesse a subies des mains de son époux, ne sera pas la question déterminante de la revendication....Nous n'allons pas rendre
notre décision quant à la revendication sur la base d'une quelconque conclusion en matière de crédibilité relativement aux violences subies aux mains de son époux [7].
[8] En fait, dans les motifs de sa décision, la SSR a certainement mis en doute la crédibilité de la demanderesse. Il en ressort clairement du début des motifs de la décision :
[TRADUCTION]
Le témoignage [de la demanderesse] n'a pas été clair et cohérent. Malgré plusieurs modifications à son récit, le déroulement des événements et les dates auxquelles ils se sont produits demeurent incertains. Afin d'expliquer pourquoi elle a donné différentes versions de son récit dans son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ), elle a dit qu'elle essayait de se remémorer son histoire et que de nouveaux détails venaient à son esprit à mesure que le temps passait.
Le tribunal est d'avis qu'elle a essayé d'embellir son histoire. Elle a raconté la première version de son histoire avec l'aide de son avocat. Malgré cela, l'un des principaux incidents, lorsqu'elle a prétendument été attaquée par son époux muni d'une machette, n'apparaissait pas dans son FRP. Le tribunal ne trouve pas crédible le fait qu'elle ait pu oublier un tel incident, puisqu'elle a toujours une cicatrice résultant de la prétendue attaque et qu'elle a consulté un médecin au Canada relativement aux cicatrices que porte son corps. La question principale quant à la crédibilité dans l'esprit du tribunal est le temps qu'elle a pris pour quitter l'endroit où elle était prétendument exposée à des persécutions et plus tard le temps qu'elle a mis pour revendiquer le statut de réfugié au Canada [8]. [Non souligné dans l'original]
[9] On peut peut-être soutenir qu'une distinction subtile peut être établie entre le fait d'accepter des déclarations factuelles relativement à des occurrences de mauvais traitements comme étant vraies et celui de rejeter des explications relativement aux actions entreprises à la suite de ces occurrences. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que, sans une analyse des raisons pour lesquelles ces actions peuvent être interprétées de la sorte, compte tenu de ce dont on est en droit d'attendre d'une personne qui se trouve dans la situation de la demanderesse et, bien sûr, de la demanderesse elle-même, une telle distinction ne peut être établie.
[10] En tout cas, je conclus que les déclarations du président de l'audience peuvent certainement créer l'impression qu'une distinction subtile ne serait établie. Peu importe toute distinction subtile qui peut être faite, la déclaration suivante tirée des motifs de la SSR qui contredit manifestement les propos du président de l'audience, démontre une franche incrédulité quant au témoignage de la demanderesse :
[TRADUCTION]
Le tribunal ne croit pas le témoignage de la demanderesse soutenant qu'un caporal de la police a pu retirer la cause du rôle de la cour une semaine après l'autre et a pu faire en sorte que la cause soit entendue un jour où la demanderesse n'était pas présente [9].
[11] En conséquence, contrairement aux observations faites par la SSR à l'audience que la crédibilité n'était pas en cause, il est bien évident que ce que la demanderesse a dit tout au long de l'audience a été fortement mis en doute. En n'acceptant pas les déclarations de la demanderesse quant à ses propres actions, la SSR ne l'a pas acceptée à titre de témoin crédible.
[12] J'accepte les arguments oraux et écrits de l'avocat de la demanderesse, M. Osborne G. Barnwell, que les observations citées ci-dessus ont affecté de manière significative la présentation des éléments de preuve et des observations à l'audience de la cause de la demanderesse.
[13] Comme la SSR n'a pas, lors du prononcé de sa décision, adhéré aux observations qu'elle avait présentées à l'audience, et comme l'avocat de la demanderesse s'est fondé sur les observations, de bonne foi, au probable détriment de la demanderesse, je conclus qu'un déni de justice naturelle a été commis, ce qui justifie un réexamen de la revendication de la demanderesse [10].
[14] Au cours de l'audience orale devant la Cour, l'avocat du défendeur a soutenu que les questions relatives à la crédibilité de la demanderesse n'ont pas affecté l'issue de l'audience de la SSR, puisque la décision finale qui a été prise a été que la demanderesse disposait d'une possibilité de refuge intérieur ( « PRI » ) dont elle ne s'est pas prévalue. J'ai rejeté cette observation à l'audience parce que la conclusion qu'une PRI pouvait aboutir, était abordable et accessible repose sur une compréhension totale de la situation de la revendicatrice, ce qui implique une évaluation convenable de la crédibilité de la revendicatrice [11].
[15] L'histoire que la demanderesse doit raconter à propos des mauvais traitements qu'elle a subis, et des mesures qu'en conséquence elle a prises ou non, n'est qu'une partie de ce qui est exigé pour corroborer sa revendication du statut de réfugié. L'autre partie, c'est la connaissance, la compréhension et la sensibilité que la SSR doit posséder pour évaluer correctement l'histoire de la demanderesse. Ainsi, la réponse à la question de savoir si une PRI est une option possible pour la demanderesse doit comprendre une analyse très précise et éclairée de la question de savoir si cette solution est raisonnable du point de vue de la demanderesse, compte tenu de son état d'esprit et de ses conditions de vie découlant des mauvais traitements. La demanderesse est la seule personne qui peut raconter l'histoire. Savoir comment décider s'il faut la croire est crucial.
[16] Dans la présente affaire, lors de l'instances devant la SSR, le président de l'audience a dit :
[TRADUCTION]
Pour mémoire, Maître, si je peux vous aider. À la fois mon collègue et moi-même appliquerons les Directives portant sur le sexe pour statuer sur la présente revendication. Nous tiendrons certainement compte des Directives portant sur le sexe en entier [12].
[17] En fait, les Directives portant sur le sexe n'ont pas été mentionnées dans les motifs de la décision de la SSR. Compte tenu de cela et du fait que l'analyse exigée pour tirer une conclusion convenable en matière de crédibilité dans un cas comme celui-ci n'a clairement pas été effectuée, je pense que je dois faire les observations suivantes relativement au défaut de la SSR de suivre les Directives portant sur le sexe.
C. La connaissance, la compréhension et la sensibilité exigées pour évaluer la crédibilité dans la présente affaire.
[18] Tel qu'indiqué, savoir comment décider s'il faut croire un revendicateur du statut de réfugié qui a été la victime de violences conjugales est crucial. Les Directives portant sur le sexe, sous la rubrique « D. Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié » , indiquent clairement :
Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l'objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner.[13]
[19] Le « type de symptômes » auquel on peut s'attendre de femmes qui ont été battues est décrit ci-dessous dans la note de bas de page à la référence qui vient d'être citée :
Une discussion sur le syndrome de la femme battue figure dans R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852. Dans Lavallee, le juge Wilson traite du mythe concernant la violence familiale : « Elle était certainement moins gravement battue qu'elle le prétend, sinon elle aurait quitté cet homme depuis longtemps. Ou, si elle était si sévèrement battue, elle devait rester par plaisir masochiste » . La Cour ajoute qu'une autre manifestation de cette forme d'oppression est « apparemment la réticence de la victime à révéler l'existence ou la gravité des mauvais traitements » . Dans Lavallee, la Cour a indiqué que la preuve d'expert peut aider en détruisant ces mythes et servir à expliquer pourquoi une femme reste dans sa situation de femme battue.[14] [Non souligné dans l'original]
[20] En conséquence, les Directives portant sur le sexe laissent entendre que pour évaluer les actions d'une femme qui est la victime de violence conjugale, il est essentiel d'utiliser des connaissances particulières pour aboutir à une appréciation juste et équitable.
[21] Alors que la question dans l'affaire Lavallee[15] était de savoir si Mme Lavallee avait tué son époux en légitime défense, le raisonnement sous tendant en l'exercice d'une extrême prudence lors de l'appréciation des actions de femmes souffrant de violences conjugales s'applique au présent cas et à d'autres à la fois dans un contexte civil et criminel.
[22] Pour savoir comment acquérir les connaissances particulières requises pour juger correctement une affaire de violence conjugale, Mme le juge Wilson dans l'affaire Lavallee, à la page 873, donne les consignes suivantes aux décideurs :
Depuis plusieurs années, les témoignages d'expert sur les effets psychologiques de la violence sont admis devant les tribunaux américains. Dans la décision State v. Kelly, 478 A.2d 364 (1984), à la p. 378, la Cour suprême du New Jersey souligne dans les termes suivants la valeur d'un témoignage d'expert:
[TRADUCTION] Il porte sur un domaine où les jurés peuvent se tromper gravement sur des faits prétendument notoires, un domaine où la logique des jurés, fondée sur leurs propres expériences, peut les mener à une conclusion tout à fait erronée, un domaine où les connaissances d'un expert permettraient aux jurés d'écarter leurs propres conclusions préconçues comme étant des mythes populaires et non pas des faits notoires.
La cour conclut à la p. 379 que la situation de la femme battue [TRADUCTION] « fait l'objet d'un grand nombre de mythes et de stéréotypes. » Cela étant, elle [TRADUCTION] « échappe aux connaissances du juré moyen et se prête en conséquence à l'élucidation par témoignage d'expert » . Je partage cet avis.
[23] Dans l'affaire Lavallee, les connaissances requises pour rendre une décision juste ont été introduites par les témoignages d'expert. Comme il y a été fait allusion au passage précité tiré des
Directives portant sur le sexe, de tels témoignages peut très bien être exigé dans les audiences devant la SSR.
[24] Même si le témoignage d'expert ne peut pas être considéré comme pratique ou nécessaire dans certains cas, cependant, je suis d'avis qu'il appartient au membre du tribunal de posséder les connaissances nécessaires et de les appliquer d'une manière compréhensive et sensible lorsqu'il tranche des questions de violence conjugale, de manière à parvenir à un résultat équitable et pour éviter le risque de commettre une erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant ses conclusions de fait, dont la plus importante est la conclusion quant à la crédibilité du revendicateur.
[25] Des motifs doivent être donnés au revendicateur qui n'est pas cru [16]. Dans le cas des conclusions relativement à la crédibilité des femmes victimes de violences conjugales, à mon avis, l'exigence de motifs devient spécifique : les motifs doivent être sensibles à ce qui est connu des femmes qui se trouvent dans cette situation. Les Directives portant sur le sexe sont, en fait, un effort en vue de mettre en place la formation professionnelle nécessaire pour atteindre cet objectif [17].
[26] Dans la présente affaire, la SSR est arrivée à la conclusion suivante, relativement à sa principale inquiétude quant à la crédibilité citée plus haut au paragraphe 8 :
[TRADUCTION]
La revendicatrice n'a pas fourni une explication convaincante relativement au fait qu'elle n'a pas essayé de quitter St-Vincent plus tôt, considérant que les mauvais traitements allégués ont continué de 1971 à 1992, une période de vingt et un ans. Elle a obtenu un passeport en 1987. Les motifs invoqués pour lesquels elle n'a pas quitté le pays plus tôt sont que ses enfants étaient petits et que plus tard elle attendait d'avoir une occasion de venir au Canada. Elle est venue après avoir reçu une lettre d'un ami l'invitant à venir lui rendre visite au Canada. Le tribunal n'est pas convaincu qu'elle ne pouvait pas partir plus tôt, avec l'aide de ses parents qui ont continué à l'assister et qui se sont occupés de ses enfants. Elle aurait pu chercher refuge dans un autre pays des Caraïbes qui était plus facile à atteindre et pour lequel aucun visa n'était demandé [Note de bas de page omise] [18].
La SSR poursuit :
[TRADUCTION]
Un retard important est survenu au Canada, où elle a attendu plus de cinq ans avant de présenter sa revendication. De plus, elle n'a présenté sa revendication qu'après que sa demande de pouvoir rester pour des motifs d'ordre humanitaire a été rejetée. Elle a témoigné qu'elle est restée illégalement au Canada et que pendant longtemps elle n'a pas cherché à savoir comment elle pouvait régulariser sa situation. Des renseignements sur la possibilité de revendiquer le statut de réfugié sont facilement disponibles pour une personne de langue anglaise à Toronto et peuvent être obtenus de plusieurs endroits. Le tribunal conclut que son comportement va à l'encontre du bien-fondé de la peur d'être persécuter qu'elle prétend ressentir. Son témoignage qu'elle n'a pas déménagé, même après avoir été informée que son époux tentait de la faire expulser du Canada en tant qu'immigrante illégale renforce les conclusions ci-haut du tribunal [19].
[27] À mon avis, ces déclarations de la SSR ne montrent pas le degré de connaissance, de compréhension et de sensibilité nécessaire pour éviter la conclusion qu'une erreur susceptible de contrôle judiciaire a été faite dans l'appréciant des déclarations et de la conduite de la demanderesse.
[28] Le piège qui apparaît dans les déclarations est que l'interprétation des membres du tribunal d'une norme « objective » est utilisée comme norme à laquelle les actions de la demanderesse sont comparées; à savoir, la norme objective de « la personne raisonnable » communément utilisée en droit civil et criminel. La question n'est pas de savoir si les hommes ou les femmes sont des décideurs, mais plutôt si une norme masculine est appliquée injustement. À ce propos, Mme le juge Wilson, dans l'affaire Lavallee, dit à la page 874 :
S'il est difficile d'imaginer ce qu'un "homme ordinaire" ferait à la place d'un conjoint battu, cela tient probablement au fait que, normalement, les hommes ne se trouvent pas dans cette situation. Cela arrive cependant à certaines femmes. La définition de ce qui est raisonnable doit donc être adaptée à des circonstances qui, somme toute, sont étrangères au monde habité par l'hypothétique "homme raisonnable".
D. Conclusion
[29] En conséquence, pour les motifs fournis relativement à l'erreur susceptible de contrôle judiciaire provenant des observations de la SSR quant à la crédibilité, par les présentes, j'annule la décision de la SSR et renvoie l'affaire devant un autre tribunal constitué différemment pour qu'il statue à son tour sur celle-ci en conformité avec les directives suivantes : comme je suis convaincu qu'il relèverait du supplice que de faire témoigner la demanderesse une nouvelle fois, je souhaite que lors du réexamen, la transcription du témoignage de la demanderesse prise dans la première audience soit acceptée en tant que preuve sans qu'il soit nécessaire pour la demanderesse de témoigner oralement à nouveau, sauf pour ce qui est de questions ou de preuves supplémentaires que demanderait à la demanderesse, à l'agent d'audience ou à un membre du tribunal de présenter.
[30] J'en conclus que puisqu'un réexamen s'impose suite au défaut de la SSR de donner suite à ses propres observations, des motifs particuliers existent pour l'attribution de dépens à la demanderesse, ce que j'ordonne.
« D.R. Campbell »
_____________________
Juge
OTTAWA (Ontario)
Traduction certifiée conforme
Philippe Méla
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-4543-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : Marion Griffith c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto
DATE DE L'AUDIENCE : le 29 juin 1999
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Campbell
EN DATE DU : 14 juillet 1999
ONT COMPARU :
Osborne G. Barnwell
POUR LA DEMANDERESSE
Sally Thomas
POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ferguson Barnwell
POUR LA DEMANDERESSE
North York (Ontario)
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
1 Le motif de la décision était que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ).
Pour un extrait, voir : Dossier de la demande de la demanderesse, aux pages 139 à 146. Publiées en 1993, mises à jour en 1996, les Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration stipulent que la persécution fondée sur le sexe constitue une forme de persécution que les commissaires de la Section du statut de réfugié qui entendent la revendication peuvent et doivent examiner comme il se doit. Les sujets traités dans les Directives portant sur le sexe sont les suivants : A. Détermination de la nature et des motifs de la persécution; B. Évaluation du préjudice redouté; C. Questions relatives à la preuve et D. Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié. Dans le dernier sujet, la question de l'appréciation de la crédibilité est considérée, laquelle, comme il ressortira des présents motifs, revêt une importance capitale dans la présente affaire.
Dossier de la demande de la demanderesse, affidavit de la demanderesse, pièce D, lettre d'Owen Griffith au service de l'immigration canadien, page 50. La lettre indique qu'il s'agit de la quatrième fois qu'il a cherché à porter à l'attention des autorités canadiennes le statut illégal de son épouse.
Ibid, aux pages 38 à 42. Voir note de bas de page no 8 pour la description du cheminement qui a mené à la rédaction du présent FRP. Le FRP comprend les noms des personnes qui ont été témoins des actes de violence. Ceux-ci ont été effacés.
8 Ibid, p. 7. La conclusion relativement à la machette est le résultat d'une incompréhension importante de la part de la SSR, qui est en soi une erreur susceptible de contrôle judiciaire. La demanderesse a founi trois versions de la partie dédiée à son récit de son FRP. Les versions diffèrent principalement en ce sens que chaque nouvelle version accroît le nombre de détails de l'histoire. De plus, la première ébauche (pas la première version manuscrite) ne fait pas mention de l'attaque à la machette. (Voir : dossier de la demande de la demanderesse, affidavit de la demanderesse, pièces A et B, aux pages 31 à 33 et 35 à 42. Voir également pièce C, version originale manuscrite, aux pages 44 à 47.) Dans son affidavit, la demanderesse explique qu'elle a tout d'abord rédigé son histoire dans ses propres mots et qu'ensuite son avocat l'a fait dactylographier en « bon anglais » et, ce faisant a omis des déclarations qui ont été rajoutées plus tard. À l'audience, l'avocat de la demanderesse a expliqué cette situation, en indiquant particulièrement que la machette était mentionnée dans la version manuscrite mais sous la forme d'un « sabre » . En réponse à cette explication, le président de l'audience a dit : « Maître, nous ne tirons aucune conclusion défavorable du fait que... vous avez essayé de nous fournir un récit aussi détaillé que possible. » (Ibid, p. 208.).
10 Dans l'arrêt Butt c. Canada (M.C.I.) (1998), 145 F.T.R. 122 (1re inst.), M. le juge MacKay a annulé une décision de la SSRen se fondant sur le fait que le tribunal avait omis d'indiquer à l'avocat que la crédibilité était en cause lorsqu'il a demandé des observations écrites. La décision du tribunal était fondée sur le manque de crédibilité du témoignage des revendicateurs. La Cour avait conclu que le tribunal avait refusé aux requérants la possibilité de débattre la question fondamentale sur laquelle le tribunal avait fait reposer sa décision et que cela avait résulté en un déni de justice naturelle.
16 Voir Maldonado c. M.E.I., [1980] 2, C.F., à la page 302 (C.A.F.); et Hilo c. M.E.I. (1991), Imm. L.R (2nd) 199 (F.C.A.)
17 Compte tenu de la complexité du sujet, à mon avis, une formation continue en profondeur, crédible et complète est nécessaire pour les membres de la SSR qui examinent des revendications telles que celle du cas présent.
19 Ibid, pages 8 à 9. Relativement à cette même question, la SSR aurait pu tirer partie de l'étude du passage suivant de la décision de Mme le juge Reed dans l'arrêt Williams c. Canada (M.C.I.) (IMM-4244-94, le 30 juin 1995) : « Quant au retard de la requérante à présenter sa revendication du statut de réfugiée, elle en donne une explication tout à fait crédible. Elle ignorait son droit de revendiquer le statut de réfugiée en invoquant la violence conjugale. Ce n'est qu'après avoir consulté un avocat, pour une autre question, qu'elle lui a parlé de son cas et que celui-ci l'a avisée à ce sujet. Le fait que, jusqu'à il y a quelques années, la plupart du milieu juridique au Canada croyait qu'il était impossible de revendiquer le statut de réfugié en invoquant la violence conjugale, démontre que son explication était raisonnable. Je crois que la Commission a commis une grave erreur en appliquant, à la situation de la requérante, la présomption relative au retard, qui a évolué dans le cadre des demandes de statut fondées sur ce que l'on pourrait appeler des motifs traditionnels » .