Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           T-1876-96

                                     OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 24 AVRIL 1997

                                       EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

Entre :

                                    GEORGE EDWARD MACKAY,

                                                                                                                                             requérant,

                                                                          - et -

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                  intimé.

                                                           O R D O N N A N C E

            La décision du TAC (R & A) en date du 21 juin 1996 est infirmée. L'affaire est renvoyée au TAC (R & A) pour être réexaminée au vu des présents motifs. Plus précisément, le TAC (R & A) doit accepter le rapport du Dr Murdoch et accorder au requérant le bénéfice de toute conclusion favorable pouvant être tirée de cette preuve s'il juge qu'elle est digne de foi. Toutefois, si le TAC (R & A) n'est pas disposé à conclure en ce sens, il doit motiver son refus et sa conclusion relative au manque de crédibilité, en gardant toujours à l'esprit les préceptes des articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). De plus, le requérant doit avoir la possibilité de demander une audience et de présenter des observations verbales, s'il le souhaite.

                                                                                                « MAX M. TEITELBAUM »

                                                                                                J U G E

Traduction certifiée conforme

                                                                                                François Blais, LL.L.


                                                                                                                                           T-1876-96

Entre :

                                    GEORGE EDWARD MACKAY,

                                                                                                                                             requérant,

                                                                          - et -

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                  intimé.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION :

            Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (ci-après TAC (R & A)). Le 21 juin 1996, le TAC (R & A) a refusé de réexaminer, au vu d'une nouvelle preuve médicale, une décision du tribunal d'appel des anciens combattants (ci-après TAAC). Le requérant a été informé de la décision du TAC (R & A) le 19 juillet 1996.

            Dans son avis introductif de requête, le requérant demande les redressements suivants :

            (1)         une ordonnance infirmant la décision du TAC (R & A); et

            (2)         une ordonnance renvoyant l'affaire au TAC (R & A) accompagnée de directives.


LES FAITS

            Dans sa jeunesse, soit de 1957 à 1960, le requérant a servi dans l'Armée canadienne. En 1958, alors qu'il conduisait un camion de l'armée de deux tonnes et demie en Allemagne, son camion a quitté la route et a percuté un arbre. Le requérant s'en est tiré avec des contusions et une nuit à l'hôpital. Le requérant déclare qu'il a éprouvé des douleurs persistantes au cou immédiatement après l'accident. Toutefois, il ajoute que parce qu'il ne voulait pas passer pour une mauviette auprès de ses camarades soldats et officiers, il n'a pas consulté de médecin au sujet de ces douleurs pendant ses années de service militaire. Après sa démobilisation en 1960, le requérant prétend qu'il a continué d'éprouver une légère cervicalgie. Toutefois, le requérant n'a pas plus consulté de médecin pour ces malaises[1]. De 1966 à 1967, le requérant a servi dans la milice. Au cours de l'examen médical précédant son enrôlement, le requérant ne s'est pas plaint de ses douleurs au cou.

            Finalement, c'est en octobre 1988 que le requérant a consulté pour la première fois un médecin expressément pour ses douleurs au cou. Il a attribué ses malaises croissants à l'accident qui avait eu lieu en 1958 en Allemagne. Des radiographies prises en 1988 révèlent certains indices de traumatisme cervical. Toutefois, le radiologiste a indiqué, dans son diagnostic, que cette détérioration cervicale n'était pas inhabituelle chez un homme de 50 ans.

            La même année, soit en 1988, le requérant a entrepris une longue procédure, actuellement devant les tribunaux, en vue d'obtenir une pension d'invalidité pour ancien combattant. La réclamation du requérant se fonde sur une blessure au cou résultant de l'accident de la route dont il a été victime en 1958[2]. Un rapport médical du Dr Wilson, le médecin de famille du requérant, est joint à sa première demande. Dr Wilson croit [TRADUCTION] « [qu'] il est possible, même après tant d'années, d'établir un lien entre les douleurs chroniques qu'il dit ressentir depuis de nombreuses années et l'accident qui s'est produit en 1958 (pages 157-158, dossier du requérant). Le 16 octobre 1989, la réclamation du requérant a été rejetée par la Commission des pensions [pages 28 à 30, dossier du requérant) qui a statué que l'invalidité cervicale était attribuable à l'âge et sans lien avec son service militaire.

            Le 19 juin 1990, un autre appel devant le comité d'examen de la Commission canadienne des pensions (ci-après le comité d'examen) a également été rejeté (pages 105 à 110, dossier du requérant). Le requérant a alors demandé au Dr Clough, chirurgien orthopédique, d'examiner son cas. Dans un rapport établi en 1990, le Dr Clough déclare que l'expérience peu commune du requérant qui a souffert pendant vingt-cinq ans de douleurs graduellement croissantes au cou est habituellement associée à un traumatisme aux disques cervicaux. Le Dr Clough conclut que l'invalidité dont souffre actuellement le requérant au niveau du cou et les symptômes croissants peuvent être reliés à l'accident de 1958 (pages 90 à 93, dossier du requérant).

            Malgré le rapport du Dr Clough, le 28 février 1991, le TAAC a refusé d'infirmer la décision du comité d'examen (pages 31 à 36, dossier du requérant). Le TAAC a déclaré que le rapport du Dr Clough ne remettait pas en doute la décision du comité d'examen. Selon le TAAC, le rapport d'accident initial établi en 1958 ne faisait pas référence à des blessures au cou, et pendant les trente années qui ont suivi, il n'y a eu ni plaintes ni traitements médicaux.

            En juin 1993, le Dr Clough a rédigé un autre rapport détaillant la façon dont un violent coup de fouet cervical subi étant jeune peut prédisposer certaines personnes au syndrome discal cervical. Le Dr Clough note également comment les patients qui souffrent de blessures au cou ne règlent pas adéquatement le problème en raison du [TRADUCTION] « syndrome "non, non ce n'est rien" » (pages 94 à 96, dossier du requérant). Le deuxième rapport du Dr Clough a été remis en même temps que la demande que le requérant a adressée au TAAC pour réexaminer sa première décision[3]. Le 19 janvier 1994, dans une brève décision, le TAAC a refusé de réexaminer sa première décision du 28 février 1991 en s'appuyant sur le deuxième rapport du Dr Clough (pages 37 à 39, dossier du requérant). Selon le TAAC, l'opinion du Dr Clough ne pouvait réfuter la totale absence d'indices attestant l'existence des douleurs au cou entre 1958 et 1988.

            La décision contestée du tribunal des anciens combattants (révision et appel)

            En 1995, le législateur a apporté des changements à la structure de la procédure d'appel et de révision pour les pensions des anciens combattants. En vertu de la Loi sur le tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, le TAAC a été remplacé par le TAC (R & A). Le TAC (R & A) a également remplacé l'ancien Conseil de révision des pensions ainsi que l'ancienne Commission des allocations aux anciens combattants. Le TAC (R & A) est maintenant le seul organisme de révision et d'appel concernant les pensions des anciens combattants.

            Également en 1995, le requérant a demandé l'opinion médicale d'un troisième médecin, le Dr Murdoch, spécialiste en rééducation fonctionnelle et en réadaptation. Dans un rapport daté du 28 novembre 1995, le Dr Murdoch décrit les antécédents médicaux de M. Mackay, y compris les interventions de soudure osseuse qui ont été effectuées en 1992 sur certains disques cervicaux. Le passage clé du rapport du Dr Murdoch est le suivant :

                                [TRADUCTION]

                                Je pense que votre question a pour but de savoir s'il est ou non possible, et en fait s'il est vraisemblable, ou probable, que les symptômes actuels éprouvés au niveau cervical et les interventions chirurgicales relativement récentes qu'il a subies sont reliés à son accident d'automobile de 1958.

                                Je répondrais par l'affirmative.

                                Bien entendu, c'est impossible à prouver, mais le patient, au mieux de mes connaissances, est un homme honnête, qui prétend avoir été légèrement incommodé et s'en être plaint pendant des années. Il a nié avoir eu des problèmes au niveau cervical avant l'accident. Donc, je pense qu'il est très vraisemblable ou probable que l'accident a joué un rôle significatif, et en fait qu'il est la cause de ses problèmes actuels. De plus amples explications ne serviraient qu'à embrouiller la situation - ce sont les renseignements essentiels.

                        (page 45, dossier du requérant)

            Le requérant a cité le rapport du Dr Murdoch dans la demande en date du 12 décembre 1995 qu'il a présentée devant le TAC (R & A) en vue de faire réexaminer la décision du TAAC du 19 janvier 1994, au vu de la nouvelle preuve médicale (pages 42-43, dossier du requérant). Comme il a été indiqué ci-dessus, le 21 juin 1996, le TAC (R & A) a refusé de réexaminer la décision prise par le TAAC le 19 janvier 1994. La lettre du 21 juin 1996 est reproduite ci-dessous dans son intégralité :

                                [TRADUCTION]

                                Conformément aux dispositions de l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le présent tribunal est habilité à réexaminer les décisions du Tribunal d'appel des anciens combattants, du Conseil de révision des pensions et de la Commission des allocations aux anciens combattants s'il est convaincu que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées :

                                Votre lettre du 12 décembre 1995, dans laquelle vous demandez le réexamen d'une décision du Tribunal d'appel des anciens combattants en date du 19 janvier 1994, se fonde sur de nouveaux éléments de preuve fournis par le Dr F.T. Murdoch en date du 20 novembre 1994[4]. Ces éléments ont été réexaminés par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et nous sommes au regret de conclure que le Tribunal n'est pas convaincu que ces éléments ajoutent quoi que ce soit à la réclamation qui a déjà été examinée par l'ancien Tribunal quand il a rendu sa décision du 19 janvier 1994.

                                Les éléments de preuve fournis par le Dr Murdoch sont considérés comme spéculatifs et insuffisants pour renverser la preuve médicale qui a déjà été examinée dans cette affaire. Par conséquent, le Tribunal ne procédera pas de son propre chef au réexamen de la décision antérieure.

LES MOYENS DES PARTIES

            Le requérant

            Le requérant prétend que le TAC (R & A) a commis plusieurs erreurs de compétence et de procédure dans sa décision du 21 juin 1996. Tout d'abord, compte tenu de l'exigence légale l'obligeant à favoriser le requérant dans les cas où la preuve suscite un doute, le TAC (R & A) a eu tort de ne pas accepter la preuve digne de foi et non contredite fournie par le Dr Murdoch. Deuxièmement, la décision du TAC (R & A) ne respecte pas les principes de justice naturelle et d'équité procédurale auxquels a droit le requérant. Celui-ci allègue qu'il n'a pas été informé qu'il avait le droit de présenter des observations verbales devant le TAC (R & A). Troisièmement, le TAC (R & A) a mal interprété le critère juridique approprié qu'il doit appliquer pour décider s'il peut, de son propre chef, réexaminer la décision du TAAC prise en 1994.

            L'intimé

            L'intimé fait valoir à son tour que le TAC (R & A) n'a commis aucune erreur de compétence. Il a à bon droit accepté et pondéré la preuve du Dr Murdoch et jugé que cette preuve n'ajoutait rien de plus que ce dont avait déjà été saisi le TAAC en 1994. De même, le TAC (R & A) a jugé que la preuve fournie par le Dr Murdoch était spéculative, de sorte qu'il était en droit de conclure comme il l'a fait. Finalement, l'intimé fait valoir que le tribunal n'a pas enfreint les droits du requérant en matière d'équité procédurale. En vertu de la loi, c'est au requérant qu'il incombe de demander une audience, et celui-ci a présenté de nombreuses observations écrites.

QUESTIONS EN LITIGE :

I.    Le TAC (R & A) a-t-il commis une erreur de compétence quand il a refusé de réexaminer la décision antérieure du TAAC au vu de la nouvelle preuve?

II.    Y a-t-il eu déni de justice naturelle à l'égard du requérant parce que celui-ci n'a pas eu la possibilité de demander une audience devant le TAC (R & A)?

III.    Le TAC (R & A) a-t-il commis une erreur en appliquant le critère lui permettant de déterminer s'il peut réexaminer, de son propre chef, une décision antérieure?

ANALYSE :

I. L'erreur de compétence : les nouveaux éléments de preuve

            Le réexamen prévu par la loi

            Il est important de préciser la nature d'un réexamen, qui est un type de révision à ne pas confondre avec une procédure d'appel ou une demande de contrôle judiciaire dont on peut saisir une cour. Essentiellement, en vertu de l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le TAC (R & A) peut réexaminer la décision antérieure en s'appuyant sur deux motifs généraux : (i) la présentation de nouveaux éléments de preuve; ou (ii) de son propre chef, en cas d'erreurs de fait ou de droit.

            L'article 111 est rédigé dans les termes suivants :

                                Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est habilité à réexaminer toute décision du Tribunal d'appel des anciens combattants, du Conseil de révision des pensions ou de la Commission des allocations aux anciens combattants et soit à la confirmer, soit à l'annuler ou à la modifier comme s'il avait lui-même rendu la décision en cause s'il constate que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.


                        La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ne définit pas ce qu'on entend par nouveaux éléments de preuve. Toutefois, l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) établit des principes généraux sur la façon dont le TAC (R & A) doit disposer de la preuve.

            L'article 39 est reproduit ci-dessous :

                                Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

                                a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

                                b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

                                c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

            En fait, l'article 39 dispose que lorsque de nouveaux éléments de preuve vraisemblables sont présentés au cours d'un réexamen, le TAC (R & A) a l'obligation d'examiner et de pondérer ces éléments de preuve en faveur du requérant.

            L'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est également essentiel parce qu'il établit le cadre prépondérant applicable aux pensions accordées aux anciens combattants.

            L'article 3 est rédigé dans les termes suivants :

                                Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

            L'article 3 crée donc certaines directives libérales et intentionnelles pour l'étude des demandes de pension d'anciens combattants au vu de l'énorme dette morale de la nation à l'égard de ceux qui ont servi leur pays.

            Il est difficile de déterminer, à partir des motifs laconiques du TAC (R & A), si celui-ci a considéré que la preuve fournie par le Dr Murdoch était « nouvelle » , mais ce ne semble pas le cas. Dans ses motifs datés du 21 juin 1996, le TAC (R & A) a indiqué qu'il n'était pas [TRADUCTION] « convaincu que ces éléments ajoutent quoi que ce soit à la réclamation qui n'ait pas déjà été examiné par l'ancien Tribunal quand il a rendu sa décision [...] » . En fait, si la preuve fournie par le Dr Murdoch « n'ajoute rien » , elle ne peut être nouvelle puisqu'elle est semblable à la preuve antérieure déjà fournie, ne serait-ce que sous la plume d'un autre médecin.

            Toutefois, je suis convaincu que le rapport du Dr Murdoch constitue de « nouveaux éléments de preuve » aux fins de l'article 111. Le requérant a énoncé le critère applicable pour déterminer s'il s'agit de « nouveaux » éléments de preuve en citant l'arrêt Palmer et Palmer c. La Reine, [1980], 1 R.C.S. 759, à la page 775 (ci-après Palmer) :

                                [...] Les principes suivants se dégagent :

                                (1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de matière [sic] aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles; voir McMartin c. La Reine, [1964] R.C.S. 484.

                                (2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

                                (3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

                                (4) elle doit être telle que si l'on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

            Le rapport du Dr Murdoch respecte les critères des « nouveaux » éléments de preuve énoncés dans l'arrêt Palmer au niveau de la pertinence, de la plausibilité, de l'effet et de l'intérêt de la justice. Bien que l'arrêt Palmer concerne le droit criminel, son analyse est pertinente en l'espèce. Malgré que le rapport du Dr Murdoch semble avoir été produit tardivement, je ne pense pas que le requérant n'a pas exercé une diligence raisonnable. Le requérant a présumé que le TAAC, dans sa décision du 19 janvier 1994, jugerait suffisante l'opinion du Dr Clough, chirurgien orthopédique. Toutefois, le Dr Clough parle de possibilités et non de probabilités (pages 94 à 98, dossier du requérant). Il ressort aussi clairement de la première ligne du rapport du Dr Murdoch qu'il a vu le requérant quelques mois avant la date de son rapport, c'est-à-dire avant le 28 novembre 1995 (page 44, dossier du requérant : [TRADUCTION] « J'ai vu le patient dont le nom figure en rubrique à la demande du Dr Michael Wilson, son médecin de famille, il y a quelques mois. » ).

            Ce qui est plus important, comme il a été indiqué ci-dessus, le rapport du Dr Murdoch parle de « probabilités » et non de possibilités. Le rapport médical porte donc sur une question décisive qui est pertinente et qui pourrait avoir eu un effet déterminant si elle avait été acceptée par le TAC (R & A). L'intimé prétend que le TAC (R & A) a effectivement « accepté » la preuve du Dr Murdoch. Selon lui, l'argument selon lequel le TAC (R & A) a commis une erreur de compétence, parce qu'il n'a pas accepté cette nouvelle preuve, n'a pas de fondement. L'intimé fait valoir que, parce que le TAC (R & A) a indiqué dans sa décision en date du 21 juin 1996 qu'il avait « examiné » la preuve, il a « accepté » celle-ci. Je ne suis pas d'accord. Admettre la preuve au dossier ou effectuer un « examen » n'est pas synonyme « d'accepter » selon les exigences de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). L'article 39 exige que des éléments de preuve non contredits et vraisemblables soient acceptés comme étant décisifs. Le TAC (R & A) a qualifié le rapport du Dr Murdoch de spéculatif parce qu'il n'apportait aucun élément nouveau par rapport à ceux dont était saisi le TAAC en 1994. Donc, si nous acceptons la lettre du TAC (R & A) en date du 21 juin 1996 pour ce qu'elle semble être, il a « accepté » le rapport du Dr Murdoch de très mauvaise grâce, si tant est qu'il l'a accepté.

            J'ai conclu, en accord avec les décisions Moar c. Canada (Procureur général) (1995), 103 F.T.R. 314 (ci-après Moar) et Fillmore c. Tribunal d'appel des anciens combattants (Canada) (1990), 111 N.R. 354 (C.A.F.) (ci-après Fillmore), que le TAC (R & A) a commis une erreur en n'acceptant pas l'avis du Dr Murdoch comme étant de nouveaux éléments de preuve alors qu'il n'avait tiré aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité du Dr Murdoch. La décision Moar concernait également un ancien combattant qui, après avoir été blessé au cours d'un accident militaire, ne s'était pas fait soigner et qui, plusieurs années plus tard, et en temps de paix, demandait une pension en alléguant qu'il souffrait d'un syndrome discal cervical attribuable à l'accident. Bien que le TAAC eût rejeté la réclamation du requérant parce que la décision du comité d'examen était « raisonnable et appropriée » , le juge Heald, dans une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Le juge Heald a conclu dans Moar que, dans un cas portant sur des « questions médicales » fondées sur le paragraphe 10(5) de la Loi sur le tribunal d'appel des anciens combattants, L.R.C. 1985, ch. 20 (3e. suppl.)[5], le Tribunal doit accepter la preuve médicale non contredite en l'absence de conclusions défavorables au niveau de la crédibilité. Le juge Heald dit ceci à la page 5 (version française, T-2471-94) :

                                Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la crédibilité des conclusions du Dr McKenna. S'il avait trouvé son témoignage peu digne de foi, il aurait dû le dire, avec motifs à l'appui. Faute par lui de conclure au manque de crédibilité, l'alinéa 10(5)b) fait que le Tribunal aurait dû ajouter foi au témoignage du Dr McKenna. Puisqu'il ne l'a pas fait, je conclus que par cette décision, le Tribunal a excédé sa compétence [renvoi omis].

            En l'espèce, le TAC (R & A) ne s'est pas non plus prononcé sur la crédibilité du rapport du Dr Murdoch; il l'a simplement qualifié de « spéculatif » . Toutefois, selon les propos du juge Heald dans Moar, il n'a pas donné de « motifs à l'appui » de cette conclusion. Quelles que puissent avoir été les frustrations du TAC (R & A) devant le nombre croissant de médecins consultés par le requérant, il n'a pas analysé dans sa décision du 21 juin 1996 le fondement de l'opinion de Dr Murdoch ni déclaré que cette opinion n'était ni digne de foi ni raisonnable. Dr Murdoch exprime une opinion claire et non équivoque sur le lien probable, et non seulement possible, entre le syndrome discal cervical du requérant et l'accident de camion de 1958. Quand un expert parle de probabilités et non de possibilités, ce n'est pas de la spéculation. Donc, dans ses motifs du 21 juin 1996, le TAC (R & A) n'a pas rendu pleinement justice au rapport du Dr Murdoch en rejetant trop rapidement la cause du requérant.

            L'intimé a cité la décision que j'ai rendue dans Tonner c. Canada (1995), 94 F.T.R. 146, dont l'appel a été rejeté le 12 juin 1996, numéro du greffe A-263-95 (ci-après Tonner) pour faire valoir que la Cour a atténué le caractère apparemment non limitatif du paragraphe 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants. J'indique ceci à la page 15 (version française, T-802-94) de la décision Tonner :

                                La lecture de l'article 3 et du paragraphe 10(5) ne m'amène pas à interpréter les dispositions en question comme voulant dire que, quel que soit l'argument invoqué par un ancien combattant, cet argument doit automatiquement être accepté par les membres du TAAC. La preuve doit être vraisemblable ou digne de foi et elle doit être raisonnable.

            Toutefois, on peut distinguer l'espèce de la décision Tonner. Dans la décision Tonner, la preuve médicale était certainement exprimée de façon plus équivoque qu'elle ne l'est dans la présente instance. En fait, le dossier révélait des conclusions médicales contradictoires sur la question de savoir si l'exposition de M. Tonner, pendant la guerre, à des produits toxiques était liée à la sclérose latérale-amyotrophique (SLA) qu'il avait développée ultérieurement. En fait, il y avait même des doutes quant à savoir si M. Tonner avait en premier lieu été exposé à ces produits toxiques. Dans la décision Tonner, un des médecins avait exprimé son opinion dans une phrase extrêmement nébuleuse comme ceci : « il serait possible de dire [...] [que le service militare] a peut-être contribué à la maladie ou n'y a peut-être pas contribué » . J'ai conclu que le médecin dans la décision Tonner « [évitait] intentionnellement d'exprimer une opinion » . En l'espèce, le Dr Murdoch n'a pas eu recours à de tels équivoques et hésitations, et il n'y a pas, non plus, au dossier de rapports contradictoires.

            En outre, dans l'arrêt Fillmore, une décision de la Cour d'appel fédérale, le juge Heald a statué à la page 9 (version française, A-243-89) que l'omission du Tribunal d'examiner expressément la nouvelle preuve au vu de l'article 39 ou de faire expressément référence aux dispositions législatives est une omission importante « qui confirme ma conclusion que le Tribunal d'appel des anciens combattants a commis une erreur susceptible de révision » . Dans la décision Tonner, à la page 16 (version française, T-802-94), je suis arrivé à une décision semblable sur la nécessité pour le TAAC de toujours garder à l'esprit ses obligations légales et les grands principes régissant l'octroi des pensions aux anciens combattants.

                                Le Tribunal a pris la preuve en considération, en tenant toujours compte [TRADUCTION] « des obligations légales qui lui incombaient en vertu de l'article 3 et du paragraphe 10(5) de la LTAAC » [non soulignée dans l'original]. De toute évidence, les membres du Tribunal ont appliqué le « critère » approprié, à savoir que le Tribunal devait tirer une conclusion favorable à la requérante si cette dernière présentait une preuve digne de foi qui soulevait du moins un doute raisonnable (Paulson c. la Commission canadienne des pensions, non publié, 27 mars 1985, A-367-84 (C.A.F.) [maintenant cité à (1985), 62 N.R. 75]).

            En l'espèce, dans sa décision du 21 juin 1996, le TAC (R & A) a fait uniquement référence à l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Il n'y a pas de référence explicite ni de suggestion implicite dans la décision du 21 juin 1996 qui permettrait de croire que le TAC (R & A) a tenu compte des exigences énoncées aux articles 3 et 39. Je conclus donc que le TAC (R & A) a commis une erreur de compétence et a agi contrairement aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) quand il a refusé de tirer de la preuve toutes les conclusions les plus favorables possible au requérant. La preuve du Dr Murdoch donne lieu à une conclusion raisonnable permettant d'établir que la cervicalgie dont souffre le requérant peut être attribuable à son accident militaire de 1958.

            Même si j'en étais arrivé à une autre conclusion et que j'avais statué que le TAC (R & A) n'avait pas commis d'erreur de compétence, j'aurais quand même conclu que le contrôle judiciaire est justifié pour d'autre motifs. Tout d'abord, le TAC (R & A) a violé les principes d'équité procédurale parce qu'il n'a pas informé le requérant de son droit de demander une audience. Deuxièmement, il a appliqué un principe de droit erroné concernant le critère qu'il doit appliquer pour déterminer s'il peut réexaminer la nouvelle preuve de son propre chef.

            L'équité procédurale

            Le TAC (R & A) a violé le principe de l'équité procédurale en n'avisant pas le requérant qu'il pouvait demander une audience. Il est trop simpliste de prétendre, comme le fait l'intimé, que le requérant ne s'est jamais informé de la possibilité d'une audience parce [TRADUCTION] « [qu'] il a manifestement choisi de procéder par écrit [...] » (paragraphe 15, page 7, dossier de l'intimé). L'intimé déclare que l'article 3 du Règlement sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), DORS/96-67 (ci-après le Règlement) impose au requérant le fardeau de demander expressément cette audience. L'article 3 est rédigé dans les termes suivants :

                                Dans toute procédure visée par la Loi, autre qu'une demande d'allocation de commisération visée au paragraphe 34(1) de la Loi, le demandeur ou l'appelant indique au Tribunal son intention de présenter des arguments de l'une des façons suivantes :

                                a) dépôt d'un mémoire;

                                b) comparution personnelle avec ou sans dépôt d'un mémoire;

                                c) comparution d'un représentant avec ou sans dépôt d'un mémoire.

            Selon l'intimé, il suffisait que le requérant demande une audience, mais il lui incombait de le faire. Toutefois, les documents internes du TAC (R & A) font mentir l'apparente facilité avec laquelle on peut obtenir une audience devant ce tribunal. En fait, la correspondance échangée entre M. Charles Keliher, désigné par le Bureau des services juridiques des pensions pour représenter le requérant, et Karen Rowell, chef de l'Exploitation du TAC (R & A), révèle la confusion qui semble régner à l'intérieur du TAC (R & A) relativement aux audiences demandées dans le cadre d'un réexamen. On peut douter que la procédure du TAC (R & A) concernant les audiences ait été clairement expliquée au requérant ou même au TAC (R & A) lui-même! Dans la demande de réexamen présentée par le requérant le 12 décembre 1995, il n'a pas précisé s'il voulait une audience. Dans une lettre en date du 23 mai 1996 (page 56, dossier du requérant), M. Keliher a posé la question suivante à la chef de l'Exploitation du TAC (R & A) :

                                [TRADUCTION]

                                Je crois comprendre que l'affaire a été entendue par une formation du Tribunal le 8 mai dernier. Il semble que ni mon client ni moi-même n'ayons été informés que le Tribunal avait l'intention de réexaminer l'affaire. S'agit-il d'un oubli ou est-ce la pratique habituelle du Tribunal?

            En fait, par l'entremise de son avocat, le requérant a implicitement démontré son intention de présenter des observations verbales.

            Après la demande de M. Keliher, Mme Rowell, chef de l'Exploitation, lui a répondu dans une lettre en date du 25 juin 1996 (page 55, dossier du requérant). Cette lettre du 25 juin 1996 est postérieure de quatre jours à la véritable décision du TAC (R & A) qui a été prise le 21 juin 1996. Dans cette lettre, Mme Rowell informait M. Keliher de ce qui suit :

                                [TRADUCTION]

                                La cause du requérant n'a pas été entendue le 8 mai. Elle a été reportée pour qu'il soit déterminé si les nouveaux éléments de preuve présentés sont pertinents à la réclamation. Dans l'affirmative, vous serez alors avisé qu'il y a une audience. Dans le cas contraire, vous serez avisé des mesures qui ont été prises concernant votre demande.

            M. Keliher, l'avocat du requérant, a forcément déduit de la lettre de Mme Rowell qu'il n'a pas été autorisé à présenter des observations verbales sur un sujet aussi essentiel que la pertinence de la preuve. Cette restriction au niveau de la disponibilité d'une audience va à l'encontre de l'article 3 du Règlement. Cet article dispose que « dans toute procédure visée par la Loi » (non souligné dans l'original), c'est le requérant qui décide s'il entend procéder par comparution personnelle et observations verbales. En fait, la lettre de Mme Rowell en date du 25 juin 1996 adressée à M. Keliher est affaiblie par l'opinion subséquente qu'a donnée l'intimé lui-même devant la Cour concernant le fait que la présentation d'observations verbales relève purement du choix du requérant, à n'importe quel moment. Le Règlement ne laisse nullement entendre que les observations verbales ne sont autorisées qu'après un examen initial touchant la pertinence. En fait, le paragraphe 28(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est au même effet et dispose comme suit : « Sous réserve du paragraphe (2), l'appelant peut soit adresser une déclaration écrite au comité d'appel, soit comparaître devant celui-ci, mais à ses frais, en personne ou par l'intermédiaire de son représentant, pour y présenter des éléments de preuve et ses arguments oraux » .

            La dernière lettre échangée entre M. Keliher et Mme Rowell, en date du 8 juillet 1996, se termine par les excuses de Mme Rowell [TRADUCTION] « pour toute confusion ayant pu être causée dans cette affaire » (page 53, dossier du requérant).

            J'ai cité certains extraits de la correspondance entre M. Keliher et Mme Rowell pour démontrer que le propre avocat du requérant, qui est du Bureau des services juridiques des pensions, a eu de la difficulté à déterminer, même en s'adressant au chef de l'Exploitation de cet organisme, s'il était possible d'avoir une audience devant le TAC (R & A) et à quel moment celle-ci pouvait avoir lieu.    Par conséquent, il n'est pas du tout satisfaisant que l'intimé se contente maintenant d'affirmer que le requérant n'avait qu'à demander une audience. À la date à laquelle l'avocat du requérant a été informé, de façon définitive, à quel moment il aurait dû demander une audience et quelles procédures il aurait dû suivre à cette fin, la décision concernant le requérant avait été prise depuis longtemps. Ce qui est plus important, comme on l'a dit ci-dessus, les renseignements fournis par Mme Rowell dans la lettre adressée à M. Keliher semblent contredire le libellé de l'article 3 du Règlement, l'opinion de l'intimé lui-même et le paragraphe 28(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Il n'y a rien dans le dossier qui indique que le requérant a informé le TAC (R & A) qu'il souhaitant uniquement déposer un mémoire. L'intimé fait valoir qu'il y a une certaine ambiguïté dans la première demande de réexamen présentée par le requérant le 12 décembre 1995 sur la question de savoir s'il suffisait de déposer un mémoire. Toutefois, je conclus que cette demande n'est pas ambiguë ou, que s'il y a ambiguïté, celle-ci est tout à fait démentie par la surprise évidente exprimée par M. Keliher dans sa lettre du 23 mai 1996 concernant le fait que le TAC (R & A) a procédé sans l'informer.

            Finalement, il y a cette condition prépondérante de l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) qui exige d'interpréter « les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements (non souligné dans l'original), qui établissent la compétence du Tribunal et lui confèrent des pouvoirs et fonctions [...] de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge » .

          Le requérant a cité la décision Silver c. Canada (Procureur général) (1996), 112 F.T.R. 292 pour étayer sa prétention selon laquelle il y a eu manquement à l'équité procédurale. Toutefois, la décision Silver portait sur un conflit visé au paragraphe 10(2) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, une disposition plus explicite que le paragraphe 28(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Le paragraphe 10(2) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants accorde à l'appelant « sans restriction la possibilité de comparaître, à ses frais, devant le Tribunal en personne ou par l'intermédiaire de son représentant, pour y présenter des éléments de preuve documentaire et des arguments » . Dans la décision Silver, le juge Richard a conclu que dans le cadre d'une demande de réexamen, comme en l'espèce, le Tribunal ne pouvait présumer que le requérant ne voulait pas comparaître personnellement simplement parce qu'il n'avait fait aucune référence à sa comparution en personne dans sa première demande et dans ses observations écrites.

            Malgré les différences qui existent entre le paragraphe 10(2) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants et le paragraphe 28(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la décision Silver est toujours pertinente à l'espèce. La décision Silver réaffirme le principe général et prépondérant, que l'on trouve dans les deux lois, selon lequel les anciens combattants doivent avoir toute la possibilité de présenter leurs réclamations. En tenant dûment compte de la confusion interne qui existe au sein du TAC (R & A), comme en font foi les lettres citées ci-dessus, et en reconnaissant que l'article 3 vise précisément à favoriser une interprétation large des dispositions de la loi, je conclus que le TAC (R & A) a nié au requérant son droit à l'équité procédurale en lui refusant la possibilité de présenter des observations verbales. Le TAC (R & A) aurait pu parvenir à la même conclusion, même s'il avait entendu ces observations, mais le requérant avait néanmoins le droit de les présenter et d'être entendu.

            Le réexamen de son propre chef

            Abstraction faite de l'omission du TAC (R & A) d'accepter le rapport du Dr Murdoch en vertu de l'article 111 et de son manquement à l'équité procédurale, le TAC (R & A) a également commis une erreur parce qu'il n'a pas appliqué correctement le critère pour déterminer s'il peut réexaminer, de son propre chef, une décision antérieure. Comme il a été indiqué ci-dessus, l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) décrit le processus de réexamen. Sur demande, le TAC (R & A) peut réexaminer une décision antérieure si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés. Le rapport du Dr Murdoch est visé par cette partie de l'article 111. Toutefois, l'article 111 a une autre facette. Le Tribunal peut, de son propre chef, réexaminer une décision antérieure s'il constate « que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées » . Dans ses motifs du 21 juin 1996, le TAC (R & A) n'a pas indiqué explicitement si la décision antérieure du TAAC était entachée d'erreurs de fait ou de droit. Le TAC (R & A) s'est contenté de mentionner que le rapport du Dr Murdoch était [TRADUCTION] « [spéculatif] et [insuffisant] pour renverser la preuve médicale qui a déjà été examinée dans cette affaire. Par conséquent, le Tribunal ne procédera pas de son propre chef au réexamen de la décision antérieure [non souligné dans l'original] » .

            L'emploi du terme « par conséquent » dans la lettre du 21 juin 1996 sonne faux. À mon avis, le TAC (R & A) a conclu qu'il ne pouvait réexaminer de son propre chef la décision antérieure parce que les nouveaux éléments de preuve n'étaient pas plus importants que la preuve médicale déjà examinée. Il ne s'agit pas là de l'un des facteurs énumérés à l'article 111 comme étant l'un des fondements à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du TAC (R & A) de réexaminer une décision de son propre chef. Le Tribunal a donc commis une erreur de droit parce qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire en s'appuyant sur un motif non pertinent : Dalton v. Criminal Injuries Compensation Board (1982), 36 O.R. (2d) 394, page 397 (Cour de division). Outre ces erreurs de compétence et de procédure, l'application d'un critère non approprié en vertu de l'article 111 est un motif suffisant pour justifier le contrôle judiciaire de la décision du TAC (R & A).

           

            Comme les erreurs de compétence et de procédure commises par le TAC (R & A) ont déjà été discutées ci-dessus, je n'ai pas à déterminer, pour les fins de la présente instance, ce que le TAC (R & A) aurait dû décider s'il avait correctement appliqué les facteurs pertinents prévus à l'article 111 au cas de M. Mackay. Il suffit de dire que, pour exercer à bon droit son mandat légal énoncé à l'article 111, le TAC (R & A) doit rechercher les erreurs de fait ou de droit potentielles dans la décision soumise à son réexamen et en analyser le bien-fondé. En fait, dans un réexamen, le Tribunal est tenu d'examiner rétrospectivement le fondement de la décision antérieure. Dans la même ligne de pensée, dans une demande de contrôle judiciaire alléguant l'omission du TAC (R & A) de réexaminer une décision antérieure, la Cour doit également se pencher de façon rétrospective sur cette décision. Ainsi, en l'espèce, la Cour ne peut décider dans l'abstrait si, le 21 juin 1996, le TAC (R & A) a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. La Cour doit également accorder une certaine attention à la décision antérieure du TAAC en date du 19 janvier 1994, parce que celle-ci est contestée dans la procédure de réexamen du TAC (R & A).

            Toutefois, je tiens à souligner qu'il n'appartient pas à la Cour, dans la présente instance, d'effectuer un contrôle judiciaire en règle de la décision du 19 janvier 1994 du TAAC. La validité de cette décision du 19 janvier 1994 ne peut à bon droit être contestée dans une procédure de contrôle judiciaire portant sur la décision du TAC (R & A) en date du 21 juin 1996, concernant le réexamen. La Cour n'a pas compétence pour annuler la décision antérieure. De par sa nature, le réexamen effectué en vertu de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est de nature rétrospective, mais on ne peut remonter indéfiniment le temps. Le requérant ne peut que faire valoir que le TAC (R & A), dans sa décision du 21 juin 1996, n'a pas exercé à bon droit le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 111, parce qu'il n'a pas réexaminé de son propre chef la décision antérieure du TAAC, malgré l'existence d'erreurs de fait et de droit dans cette décision du TAAC.

            Le pouvoir limité de la Cour d'examiner la décision du TAAC de janvier 1994 dans une demande de contrôle judiciaire concernant une décision prise en juin 1996 est exceptionnel et n'existe qu'en raison de la nature particulière de la procédure de réexamen prévue dans la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). L'intimé cite l'arrêt Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 193 N.R. 303 (C.A.F.) (ci-après Dasent) pour soutenir qu'un tel pouvoir, tout aussi limité soit-il, n'existe pas. L'arrêt Dasent portait sur le contrôle judiciaire d'une décision prise par un agent d'immigration en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Cette décision elle-même se fondait en partie sur une décision antérieure prise par un autre agent d'immigration. La Cour d'appel fédérale a statué, à la page 2 (version française, A-68-98), que « [dans] une demande de contrôle judiciaire relative à la dernière décision, la partie requérante ne peut contester la validité de la décision concernant la première demande ou les procédures y ayant trait » . Selon l'intimé, il est maintenant trop tard et non approprié d'examiner si la formation du TAAC de 1994 a commis des erreurs de droit.

            Toutefois, l'argument de l'intimé ne rend pas justice au caractère véritable du réexamen fondé sur l'article 111 et viole l'esprit de l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)[6]. L'article 111 n'exigerait pas qu'on se penche sur les erreurs de fait et de droit potentielles de la première décision dans le cadre d'un réexamen si on ne devait pas apporter une certaine attention au fond de la première décision. L'arrêt Dasent, précité, peut également être distingué de l'espèce, étant donné qu'il s'agit d'un cas d'immigration traitant de deux décisions distinctes d'agents d'immigration. Le mandat du TAC (R & A), dans une procédure de réexamen, n'est pas identique à celui d'un agent d'immigration dans une demande de visa ou de réexamen pour des motifs d'ordre humanitaire. De par sa nature, la procédure de réexamen exige que le comité de réexamen, le TAC (R & A), revienne sur la décision antérieure, et impose à la Cour la même exigence lorsque celle-ci est saisie d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision du TAC (R & A).

            Le requérant fait valoir que les erreurs commises par le TAC (R & A) en janvier 1994 portent également sur l'omission de réexaminer la décision de 1991 du TAAC au vu de la preuve médicale non contredite et raisonnable du Dr Clough. De même, le requérant prétend que le TAC (R & A) doit intervenir, comme en l'espèce, lorsque la décision antérieure du TAAC est nulle à cause d'un manquement à l'équité procédurale. Le requérant soutient qu'en raison de la participation d'un dénommé Cormier à la première décision du TAAC en date du 28 février 1991, celui-ci ayant ensuite agi comme président dans le réexamen du 19 janvier 1994, qui s'est terminé par un résultat défavorable, il y a une crainte raisonnable de partialité concernant la deuxième décision du TAAC. Étant donné que le TAAC était partial dans sa décision de 1994, cette décision est nulle. Par conséquent, le requérant prétend que le TAC (R & A), dans sa décision du 21 juin 1996, n'aurait pas dû maintenir cette décision puisqu'elle était nulle.

            J'ai de la difficulté à accepter cet argument du requérant. Il faut rappeler que le pouvoir du TAC (R & A) de réexaminer une décision de son propre chef est discrétionnaire. Les tribunaux hésitent généralement à intervenir lorsque des organismes de réglementation exercent un pouvoir discrétionnaire. Je ne suis donc pas disposé à conclure que le TAC (R & A) a mal exercé son pouvoir discrétionnaire le 21 juin 1996 parce qu'il n'a pas réexaminé de son propre chef la décision antérieure du TAAC. De même, l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ne dispose pas que le Tribunal peut, de son propre chef, examiner une décision antérieure dont le fondement est nul. On peut également se demander si cette présumée nullité existe. L'article 12 de la Loi sur le tribunal d'appel des anciens combattants, l'ancienne disposition faisant l'objet du réexamen, ne stipule pas que le comité de réexamen devait être composé de personnes n'ayant pas participé à la première décision soumise au réexamen. Je ne suis pas convaincu qu'il y a manquement à l'équité procédurale dans une procédure de réexamen en vertu de la Loi sur le tribunal d'appel des anciens combattants lorsqu'un membre participe au réexamen d'une décision qu'il a prise antérieurement.

            Le paragraphe 27(2) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la loi qui a remplacé la Loi sur le tribunal d'appel des anciens combattants, renferme une interdiction expresse à cet effet. Le membre d'un comité de révision ne peut statuer sur l'appel d'une décision à laquelle il a participé à titre de membre de ce comité de révision. Toutefois, le législateur a prévu le paragraphe 27(2) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) parce que le Tribunal regroupe les fonctions de révision et d'appel qui étaient auparavant réparties entre des organismes différents comme le comité d'examen et le Tribunal d'appel des anciens combattants. Le requérant exagère donc quand il prétend que Cormier a statué sur l'appel (non souligné dans l'original) de sa propre décision. Comme il a été indiqué ci-dessus, le réexamen prévu par les lois (soit l'article 12 de la Loi sur le tribunal d'appel des anciens combattants ou l'article 111 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) n'est pas l'équivalent d'un appel.

            Quoi qu'il en soit, je n'ai pas tiré de conclusion déterminante sur la question de savoir comment le TAC (R & A) aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire s'il avait appliqué les critères appropriés concernant le réexamen d'une décision antérieure, de son propre chef. En l'espèce, la demande de contrôle judiciaire de M. Mackay peut être décidée en s'appuyant sur d'autres motifs comme l'erreur de compétence du TAC (R & A), le manquement à l'équité procédurale et l'application erronée du critère juridique concernant le réexamen d'une décision de son propre chef.

CONCLUSION

            La décision du TAC (R & A) en date du 21 juin 1996 est infirmée. L'affaire est renvoyée au TAC (R & A) pour être réexaminée au vu des présents motifs. Plus précisément, le TAC (R & A) doit accepter le rapport du Dr Murdoch et accorder au requérant le bénéfice de toute conclusion favorable pouvant être tirée de cette preuve s'il juge qu'elle est digne de foi. Toutefois, si le TAC (R & A) n'est pas disposé à conclure en ce sens, il doit motiver son refus et sa conclusion relative au manque de crédibilité, en gardant toujours à l'esprit les préceptes des articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). De plus, le requérant doit avoir la possibilité de demander une audience et de présenter des observations verbales, s'il le souhaite.

                                                                                                « MAX M. TEITELBAUM »

                                                                                                J U G E

OTTAWA

le 24 avril 1997

Traduction certifiée conforme

                                                                                                François Blais, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-1876-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         George Edward MacKay

                                                                                    c.

                                                                        Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Kamloops (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 22 février 1997

MOTIFS DU JUGEMENT :                         le juge Teitelbaum

DATE :                                                            le 24 avril 1997

ONT COMPARU :

Elizabeth A. Harris                                             pour le requérant

Gordon Hoffman                                               pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Morelli Chertkow

Kamloops (C.-B.)                                             pour le requérant

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                               pour l'intimé



     [1]         Dans une déclaration préparée le 23 décembre 1988 dans le cadre de sa demande de pension, le requérant écrit ceci : [TRADUCTION] « Je ne me suis pas plaint quand j'ai été démobilisé parce que je voulais passer à autre chose; à l'époque, j'étais jeune et au Cap-Breton, si on n'était pas allé à la guerre, on était la risée de l'île » .

     [2]         Dans sa première demande de pension, le requérant demandait également des prestations en raison de l'arthrose dont il souffrait dans les mains par suite d'un autre accident dont il a été victime pendant son service. Cette réclamation ne fait pas partie de la présente instance.

     [3]         Les réexamens sont discutés ci-dessous plus en détail relativement à la question de la compétence du TAC (R & A).

     [4]         Le Tribunal a commis une erreur puisque le rapport du Dr Murdoch est daté du 28 novembre 1995.

     [5]         L'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est le très proche équivalent de cette disposition. La seule différence entre l'article 39 actuel de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et le paragraphe 10(5) de la Loi sur le tribunal d'appel des anciens combattants, maintenant abrogée, est l'utilisation des termes « demandeur ou membre » au paragraphe 10(5) au lieu des termes « demandeur ou appelant » à l'article 39.

     [6]           Il convient de souligner que le requérant a choisi la procédure de réexamen et non la procédure de contrôle judiciaire parce qu'il était représenté gratuitement par le Bureau des services juridiques des pensions. Tel n'est pas le cas dans une demande de contrôle judiciaire. Le dossier renferme une lettre de M. Keliher, qui représentait le requérant dans son premier appel au TAAC en 1991 et dans ses demandes subséquentes de réexamen en 1994 et 1996 (pages 74 et 75, dossier du requérant). Dans sa lettre de 1991, M. Keliher signale au requérant qu'il y a deux procédures possibles à suivre si le TAAC statue dévaforablement sur le premier appel. Le requérant peut présenter une demande de réexamen et, dans ce cas, M. Keliher continuera de le représenter sans frais. Toutefois, la deuxième option, c'est-à-dire le contrôle judiciaire, ne relève pas du mandat du Bureau des services juridiques des pensions. Quel ancien combattant disposent de modestes moyens comme le requérant n'aurait choisi la procédure de réexamen dans l'espoir que justice lui soit rendue ou, à tout le moins, qu'une pension lui soit accordée sans avoir à dépenser un sou?

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.